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Med Sci (Paris). 38(11): 897–904.
doi: 10.1051/medsci/2022150.

Accompagnement des transidentiteés chez l’enfant et l’adolescent(e)

Élodie Fiot,1,2 Charlotte Lebrun,1,2 Clémence Delcour,1,3 Céline Rogez,1,2 Alicia Cohen,1,4 and Lætitia Martinerie1,2*

1Équipe pédiatrique pluridisciplinaire d’accompagnement des transidentités (EPPAT) , Paris , France
2Service d’endocrinologie et diabétologie pédiatrique, CHU Robert-Debré, AP-HP, université Paris Cité , 75019Paris , France
3Service de gynécologie, CHU Robert-Debré, AP-HP, université Paris Cité , 75019Paris , France
4Service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, CHU Robert-Debré, AP-HP, université Paris Cité , 75019Paris , France
Corresponding author.
 

Vignette (© ParaDox).

Les transidentités, qui se définissent par une incongruence entre le genre ressenti et le genre assigné à la naissance 1, , nécessitent, lorsqu’elles entraînent une détresse avec un retentissement dans les différentes sphères de la vie sociale, familiale et scolaire, de pouvoir bénéficier d’un accompagnement spécialisé. Le terme dysphorie de genre encore d’usage il y a quelques années 2 , se réfère aujourd’hui spécifiquement à la souffrance éventuellement engendrée par l’incongruence de genre.

Plusieurs équipes françaises proposent aujourd’hui un accompagnement individualisé, fondé sur les difficultés rencontrées par le/la jeune et ses demandes, et qui reposent sur des recommandations internationales ( Endocrine Society 2017 [ 1 ], World Professional Association for Transgender Health [WPATH] 2012 3 , dont la 8 e édition est en cours de publication).

Seront évoqués dans cet article, les différents accompagnements et prises en charges complémentaires possibles, et plus particulièrement, l’approche hormonale, les effets à court et moyens termes, les questions éthiques et sociétales qui en découlent.

Le terme de « fille/femme transgenre » (ou « fille/femme trans ») qui sera employé dans la suite de cette revue, fait référence à une enfant/adolescente assignée dans le genre masculin à la naissance et se ressentant du genre féminin ; et inversement pour un « garçon/homme transgenre » (ou « garçon/homme trans »).

Épidémiologie

La prise en charge médicale des personnes transgenres remonte, en France, au milieu des années 1970. Les demandes d’accès à un accompagnement sont restées stables jusqu’aux années 2000, avec environ 40 nouvelles demandes par an 4 . Depuis lors, et particulièrement depuis 2014, la demande de prise en charge est en forte croissance sous les effets à la fois d’une médiatisation de la transidentité, avec une meilleure visibilité de l’accès aux soins, et de la mise en place d’un accompagnement spécifique des enfants et adolescent(e)s transgenres. Comme le montre la Figure 1 , les demandes au sein des consultations spécialisées proposées par les endocrinologues pédiatres de l’hôpital Robert-Debré n’ont cessé d’augmenter depuis leur création en 2014-2015 (données en cours de publication). Une telle augmentation de la demande médicale est observée depuis une vingtaine d’années dans les différents pays proposant une prise en charge chez l’enfant et l’adolescent(e), en particulier dans le nord de l’Europe, aux États-Unis et au Canada [ 2 - 4 ].

En terme d’épidémiologie, des estimations anciennes dans la littérature internationale montraient, chez l’adulte, des fréquences de 1/11 000 à 1/37 000 femmes trans, et de 1/30 400 à 1/150 000 hommes trans [ 5 ], avec une grande variabilité d’un pays à l’autre en fonction de la reconnaissance de la transidentité et de l’accès au soin. La fréquence chez l’enfant est estimée plus importante, atteignant quelques pourcents [ 5 ], en se référant aux critères du manuel de l’association américaine de psychiatrie, DSM 5 ( Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders ). Cela est à mettre en lien avec l’évolution connue de l’incongruence de genre chez l’enfant dont témoigne la littérature, à savoir qu’un certain nombre de ces enfants construiront finalement leur identité de genre dans celui qui leur a été assigné à la naissance (on parle alors de « désistants » ou de « persistants ») [ 6 , 7 ]. Par ailleurs, si la transidentité persiste à l’adolescence, après le démarrage pubertaire, elle est peu susceptible de disparaître [ 3 , 6 , 8 , 9 ]. Des études scientifiques récentes en population générale avancent le chiffre de 1,2 à 1,3 % d’adolescent(e)s concerné(e)s. En ce qui concerne le sex ratio, il semble y avoir une légère prépondérance de jeunes filles trans [ 10 ].

Pour les adolescent(e)s transgenres, le début de la puberté marque le plus souvent une étape décisive. Les enfants affirmant une transidentité avant le début de la puberté vivent généralement de manière extrêmement douloureuse l’apparition des caractères sexuels secondaires ; ceux pour lesquels l’identité sexuée n’avait jamais été en question auparavant vont ressentir une incongruence de genre en lien avec les transformations corporelles du début de la puberté, l’« insupportable » de ce corps leur faisant « prendre conscience », comme ils l’expriment fréquemment, de leur identité de genre « véritable » [ 10 ].

La puberté démarrée, l’affirmation de la transidentité sera peu susceptible de se modifier [ 6 , 7 ] et les adolescent(e)s pourront s’engager si nécessaire dans une transition hormonale et/ou chirurgicale le moment venu.

L’accompagnement personnalisé et coordonné des enfants/adolescent(e)s transgenres

L’accompagnement pouvant être proposé pour les enfants et adolescent(e)s transgenres s’appuie sur les recommandations internationales [ 1 , 11 ] et intègre différentes composantes pour constituer une prise en charge coordonnée et personnalisée. Les acteurs possibles de cet accompagnement sont nombreux et travaillent ensemble au sein de ces équipes pluridisciplinaires afin de répondre au mieux aux besoins de ces jeunes adultes en devenir ( Figure 2 ).

Accompagnement psychologique
L’accompagnement psychologique intervient en premier lieu au sein des équipes pluridisciplinaires pour accueillir les demandes du jeune et de sa famille et l’aider à explorer son identité de genre. Il permet également un accompagnement lors de la transition sociale au sein du milieu familial et du milieu scolaire quand elle est demandée. Ces consultations permettent aussi d’identifier d’éventuels troubles affectifs et émotionnels associés (épisodes dépressifs, troubles anxieux, comportements suicidaires), et des traits de troubles du neuro-développement, dont les prévalences apparaissent plus importantes dans cette population [ 3 , 12 - 15 ] et de proposer, si nécessaire, une prise en charge adaptée.

Il reste actuellement difficile de définir si la prévalence des troubles affectifs et émotionnels de ces jeunes sont en lien avec la transidentité, découlent du sentiment d’incongruence de genre, ou sont la conséquence d’un harcèlement et d’une méconnaissance/non acceptation de la transidentité par l’entourage scolaire et/ou familial [ 16 , 17 ].

Un accompagnement des familles et un soutien par les pairs (groupes de paroles, d’auto-support, associations) sont également proposés.

Enfin, cet accompagnement peut offrir un soulagement de la détresse si elle est présente et aide au développement d’une image de soi positive, tout en apportant des réponses et un soutien à la famille mais aussi à l’école, aux professionnels de santé et à toutes les personnes qui entourent l’enfant ou l’adolescent(e) dans sa transition [ 18 ].

Cet accompagnement peut être le seul nécessaire et ne conduira pas systématiquement à un suivi par l’endocrinologue pédiatre.

Accompagnement juridique et social
La transition sociale consiste à vivre à temps partiel ou à plein temps en étant reconnu par son entourage dans le rôle de genre souhaité, en cohérence avec l’identité de genre. Elle représente la seule mesure de transition possible chez l’enfant pré-pubère. Des travaux récents suggèrent un impact psychologique bénéfique pour les jeunes transgenres à effectuer cette transition sociale et soulignent qu’elle serait l’élément principal dans l’amélioration du fonctionnement global [ 19 - 21 ].

Cette transition sociale peut être effectuée sans mesure juridique associée, simplement du fait des parents et de l’établissement scolaire. Cette transition a été facilitée par la publication en septembre 2021 de la circulaire Blanquer « Pour une meilleure prise en compte des questions relatives à l’identité de genre en milieu scolaire » 5, . Elle peut être également effective sur le plan juridique, rendue possible depuis la « loi de modernisation de la justice du xxi e siècle » de 2017, permettant à une personne, y compris mineure, quel que soit son âge, de modifier son prénom au registre d’état civil par simple demande sur formulaire (et accord parental pour les mineur(e)s) 6 .

Cette loi est une avancée majeure pour le droit des personnes transgenres car il est maintenant possible de modifier son genre à l’état civil, à partir de l’âge de 18 ans, ou plus tôt en cas d’émancipation, par dépôt d’un dossier auprès du tribunal de grande instance, sans nécessité de suivre un traitement médical ou chirurgical d’affirmation du genre.

Dans ces deux situations, les travailleurs sociaux et les associations peuvent accompagner le jeune et sa famille pour réunir les documents nécessaires. Les professionnels de santé, sur demande du jeune, peuvent rédiger un certificat médical pour accompagner cette demande.

Enfin, les frais médicaux ou en lien avec le suivi peuvent être pris en charge, en France, dans le cadre d’une ALD (affection de longue durée) 7 hors liste, à la demande du jeune et de sa famille.

Accompagnement par l’endocrinologue pédiatre
La majorité des personnes transgenres ont un corps biologique qui fonctionne, un développement des organes génitaux externes et internes et un développement pubertaire physiologiques.

Comme nous l’avons expliqué (voir ci-dessus), d’après les données de suivi de cohorte des enfants transgenres, un certain nombre d’entre eux vont se retrouver en adéquation avec leur genre assigné à la naissance au moment du démarrage pubertaire [ 6 , 7 ]. De ce fait, aucun traitement hormonal n’est envisagé avant que la puberté n’ait débuté.

Un traitement médical à visée de blocage de la puberté physiologique peut être envisagé lorsque la transidentité persiste ou s’intensifie avec la puberté (Tanner 2) 8, [ 1 ]. La prescription des analogues de la GnRH ( gonadotropin-releasing hormone ), aGnRH ou « bloqueurs de puberté », suit les recommandations de l’ Endocrine Society [ 1 ] et repose sur la « Dutch approach » mise en place aux Pays-Bas vers la fin des années 1990 [ 22 ] ( Tableau I ). Il est nécessaire de recueillir le consentement du jeune et de ses parents, et de s’assurer que les effets attendus et les effets secondaires potentiels du traitement (voir plus loin) ont été compris.

Par la suite, si l’adolescent(e) souhaite une transition hormonale, des hormones dites d’affirmation du genre (œstrogènes pour les filles trans, androgènes pour les garçons trans) peuvent être proposées en général à partir de 16 ans ( Tableau I ). Il convient de noter que les récentes recommandations de l’ Endocrine Society de 2017 ne font plus référence à un âge minimal, mais suggèrent plutôt un âge auquel l’adolescent(e) a une capacité suffisante pour donner son consentement éclairé et évaluer de manière adéquate les avantages et les risques des traitements [ 1 ]. L’adolescent(e) et ses parents sont informés des effets attendus du traitement et des effets secondaires potentiels, en particulier l’impact sur la fertilité.

En France, toutes les décisions thérapeutiques sont appuyées et validées par des réunions de concertations pluridisciplinaires (RCP). Les jeunes et leurs familles sont informés de la nécessité d’une surveillance médicale et d’un suivi au long cours. La transition du suivi par des médecins d’adulte (endocrinologue, gynécologue, médecin généraliste) sera envisagée et organisée avec le ou la jeune au moment le plus opportun.

Autres accompagnements possibles
En fonction des besoins, d’autres types d’accompagnements complémentaires pourront être proposés (la plupart de ces accompagnements sont détaillés dans les articles de la série) :

  • accompagnement par les associations de personnes concernées, pouvant apporter un soutien et une aide pour le ou la jeune et sa famille à tout moment et tout au long de la prise en charge et du suivi, ainsi qu’en dehors de tout prise en charge médicale,
  • prise en charge non hormonale : en orthophonie, pour la rééducation de la voix (en remplacement des hormones ou en complément, aussi bien chez les jeunes filles trans que chez les jeunes homme trans), et en dermatologie, pour une épilation au laser chez les jeunes femmes trans qui le souhaitent ou pour la prise en charge d’une acné importante sous androgènes chez les jeunes hommes trans,
  • prise en charge chirurgicale : l’équipe pluridisciplinaire accompagne également les demandes de chirurgie dites d’affirmation du genre, qui sont présentées en RCP au préalable. La mammectomie pour les jeunes hommes trans, est la seule intervention chirurgicale éventuellement possible avant 18 ans. Elle est souvent vécue comme une libération et diminue significativement la dysphorie en lien avec la poitrine [ 23 , 24 ], permettant au jeune de ne plus porter de Binder (vêtement spécifique compressif pour masquer la poitrine, souvent responsable d’une gêne, voire d’un essoufflement à l’effort). Les chirurgies des organes génitaux internes et gonades (hystérectomie et/ou ovariectomie uni- ou bi-latérale, ou orchidectomie) et des organes génitaux externes (vaginoplastie ou métaïodioplastie/phalloplastie) peuvent être effectuées à partir de 18 ans par des équipes expérimentées.
  • consultation d’information sur les possibilités de préserver sa fertilité. Celle-ci sera systématiquement proposée avant tout traitement hormonal et reproposée régulièrement au cours du suivi.
  • consultation en gynécologie : suivi au long cours des organes génitaux internes et réalisation des examens de dépistage usuels.

Effets à courts et moyens termes
Effets des analogues de la GnRH
L’efficacité et la tolérance à court terme des analogues de la GnRH (aGnRH) chez les adolescent(e)s transgenres sont désormais bien établies [ 25 ]. En fonction du stade pubertaire, les caractères sexuels secondaires peuvent soit régresser (lorsque le traitement est débuté au stade Tanner 2), soit s’arrêter dans leur développement. Les bénéfices en termes de santé résident principalement dans l’amélioration de l’anxiété et de la souffrance en lien avec l’apparition des caractères sexuels secondaires et permettent une amélioration du fonctionnement global avec une réduction des risques de co-occurrences psychiatriques [ 13 ]. Cet impact psychologique positif a été largement souligné par de nombreuses études [ 3 , 26 - 29 ]. Ce traitement, utilisé depuis plus de 35 ans dans les pubertés précoces chez l’enfant, est réversible [ 30 , 31 ]. Les effets indésirables rapportés au cours du traitement par aGnRH sont limités : bouffées de chaleur, fatigue, maux de tête et modifications de l’humeur, douleur aux injections et abcès stériles [ 1 , 3 ].

L’impact sur la minéralisation osseuse commence à être documenté dans cette indication : elle diminue sous aGnRH de façon prolongée, et de façon plus prononcée chez les jeunes filles trans, notamment si le traitement est mis en place en fin de puberté (stades de Tanner 4-5 9 ), puis se reminéralise progressivement à l’arrêt du traitement ou sous l’effet des hormones d’affirmation du genre (testostérone/estradiol) [ 32 , 33 ]. Elle peut néanmoins rester longtemps inférieure aux Z-scores (ou score standard) pour l’âge, comparativement au sexe biologique (il n’existe pas de données disponibles comparativement au genre ressenti) [ 32 ]. Les facteurs associés sont une faible activité physique et une carence en vitamine D.

L’impact sur d’éventuelles chirurgies futures a peu été évalué ; en particulier, la vaginoplastie chez les femmes trans, par la technique d’inversion de peau pénienne et scrotale, technique actuellement la plus couramment utilisée pour la muqueuse vaginale, pourrait être compliquée par l’arrêt de croissance du pénis [ 34 ].

Effets des hormones d’affirmation du genre
Aucune étude n’est encore disponible sur l’impact des traitements hormonaux à long terme après un début de traitement à l’adolescence, mais plusieurs études en ont évalué l’efficacité et les effets secondaires/sécurité à courts et moyens termes [ 17 , 29 , 35 ].

Le bénéfice d’un traitement à l’adolescence est souligné dans une étude longitudinale réalisée sur 55 jeunes adultes (22 femmes trans et 33 hommes trans). En se concentrant sur leur fonctionnement psychologique et leur bien-être global dans des domaines tels que les interactions sociales et l’éducation ou la qualité de vie, cette étude démontre qu’au début de l’âge adulte, après un traitement médical d’affirmation de genre durant la puberté, puis chirurgical, la souffrance liée à la transidentité est atténuée et le fonctionnement psychologique est amélioré. Leur bien-être global devient équivalent à celui des jeunes adultes du même âge de la population générale [ 35 ].

Concernant les effets attendus des traitements, les œstrogènes par voie percutanée ou orale induisent le développement mammaire dans les trois mois chez la plupart des filles trans ; après trois ans, le stade mammaire Tanner 4-5 est atteint [ 36 ]. Ils augmentent également l’émotivité et la faim [ 37 ]. Le rapport taille/hanche diminue sous traitement par œstrogènes et augmente sous testostérone [ 36 , 38 ]. Les filles trans ont une taille adulte moyenne de + 1,9 SDS ( standard deviation score ) sans réel effet des doses d’œstrogènes [ 36 ].

Aucun changement des paramètres métaboliques n’a été observé sous traitement par testostérone ou estradiol [ 36 , 37 , 39 , 40 ], en dehors d’une diminution du taux sanguin de cholestérol HDL ( high-density lipoprotein ) sous testostérone [ 40 ]. Le traitement par testostérone augmente par ailleurs l’hématocrite, mais rarement plus de 3 % au-dessus de la plage normale 10, [ 39 , 40 ].

Des études à long terme commencent à être publiées dans les populations ayant démarré le traitement à l’âge adulte (voir la revue récente de D’hoore et T’Sjoen [ 17 ]). Le traitement par œstrogènes est associé à un risque thrombo-embolique veineux accru chez les femmes trans adultes et le risque d’infarctus du myocarde est augmenté sous testostérone [ 17 ].

Il n’y a pas de preuve à l’heure actuelle d’un risque accru de cancers utérins ou ovariens chez les hommes trans sous testostérone au long cours. Cependant, ils doivent être informés de la nécessité d’un suivi gynécologique si l’hystérectomie et l’ovariectomie ne sont pas envisagées [ 1 , 17 ]. Il est également recommandé de leur proposer la vaccination anti-HPV ( human papillomavirus ), comme en population générale. Le risque de cancer du sein des femmes transgenres rejoint celui des femmes cisgenres et requiert la même prévention.

Il reste important d’obtenir des données au long cours et, de ce fait, d’organiser la poursuite du suivi à l’âge adulte par des endocrinologues, gynécologues et médecins généralistes qualifiés.

Retransition

Le blocage pubertaire et la transition hormonale font actuellement l’objet de nombreuses polémiques, non scientifiques, centrée sur la peur des retransitions de jeunes qui pourraient, au cours de leur vie, revenir à leur genre de naissance et exprimer des regrets.

Ces polémiques ont entraîné un communiqué de l’Académie de médecine soulignant la nécessité de suivre ces jeunes sur le long terme et de ne pas proposer trop hâtivement des traitements hormonaux et/ou chirurgicaux, décisions qui doivent, par ailleurs, être prises dans le cadre de RCP 11 ( ).

(→) Voir le Communiqué de l’Académie de médecine, page 934 de ce numéro

Quelques études scientifiques se sont intéressées à ce sujet. Les chiffres avancés par ces études montrent que le pourcentage d’enfants/adolescent(e)s/jeunes adultes ayant retransitionné reste faible, de l’ordre de 1 à 6 % [ 7 , 41 ], avec une proportion plus importante d’individus sous aGnRH seuls (soit à un âge plus jeune, sous traitement réversible), qu’après introduction des hormones d’affirmation du genre (moins de 1 %). L’étude de Wiepjes et al. , portant sur 6 793 adolescent(e)s transgenres de la cohorte dysphorie de genre d’Amsterdam (entre 1972 et 2015) rapporte 1,9 % d’adolescent(e)s ayant arrêté le traitement pendant la phase de suppression de la puberté [ 42 ]. Une étude récente concernant 317 enfants transgenres ayant fait une transition sociale durant l’enfance rapporte que 94 % des enfants continuent de s’identifier au genre ressenti cinq ans après, et que 3,5 % s’identifient comme non binaires [ 7 ]. Les enfants ayant évolué vers une adéquation avec leur genre de naissance (2,5 %) étaient, pour la majorité, des enfants ayant fait leur transition sociale avant l’âge de six ans. L’âge de la retransition était en général avant l’âge de dix ans. Ainsi, si une transition sociale est demandée à l’âge pré-pubère, il reste important d’expliquer aux parents de rester à l’écoute de leur enfant en le laissant libre d’évoluer dans l’exploration de son identité de genre.

Il est par ailleurs important de souligner que certains jeunes feront le choix d’arrêter leur traitement hormonal sans pour autant remettre en question leur identité de genre, simplement parce que les effets attendus leur sont suffisants (par exemple la modification de la voix par la testostérone, qui n’est pas réversible à l’arrêt du traitement) et qu’ils souhaitent être libres de tout traitement.

Considérations éthiques

La prise en charge proposée, bien qu’ayant démontré scientifiquement ses bénéfices, pose un certain nombre de questions à la fois d’ordre épidémiologique, mécanistique, thérapeutique et éthique :

  • Quels sont les facteurs qui influencent la persistance ou désistance de la transidentité ?
  • Quel est l’impact au long cours du blocage pubertaire sur le plan métabolique et psychologique ?
  • Quel est l’âge ou le stade pubertaire optimal pour initier les traitements hormonaux ?
  • Quel est l’impact sur les possibilités chirurgicales futures ainsi que sur les possibilités procréatives futures ? Comment prendre les décisions de manière éthique à un âge qui n’est pas celui de la procréation ?
  • Quel est le devenir à long terme des personnes prises en charge à l’adolescence (morbidité, mortalité, insertion sociale et professionnelle, qualité de vie) ?

Il est donc primordial, lorsque l’on accompagne des enfants/adolescent(e)s trans, de s’adapter à leur(s) demande(s) et à l’évolutivité de celle(s)-ci. Ainsi, il n’y a pas de « protocole de prise en charge », mais uniquement des recommandations (bientôt européennes et françaises) qui seront à accorder en fonction des besoins de chaque jeune. Il est aussi nécessaire que les deux parents, ou que les détenteurs de l’autorité parentale, soient soutenants et consentent aux différents traitements.

D’un point de vue éthique, le moment le plus opportun pour initier la suppression pubertaire, le traitement hormonal et/ou proposer la chirurgie, reste débattu. Des arguments sont avancés pour retarder l’âge de démarrage des aGnRH (fertilité, chirurgies futures, etc.) et avancer l’âge des hormones d’affirmation du genre (décalage par rapport aux autres adolescent(e)s, retentissement sur le métabolisme osseux, etc.). Deux concepts éthiques entrent en jeu : l’intérêt supérieur de l’adolescent(e) et son autonomie pour décider du traitement médical. En pédiatrie, le « meilleur intérêt pour l’enfant » fait référence dans la prise de décision, mais s’avère souvent difficile à appliquer. En effet, son intérêt est ici double, à la fois de prévenir la détresse par la progression pubertaire non désirée mais aussi de lui offrir toutes les possibilités futures pour des chirurgies ou la préservation de fertilité qu’il pourrait souhaiter. Il n’est également pas évident que le début pubertaire permette de définir avec certitude si l’identité de genre ressentie va persister, ou si cela est plutôt en lien avec un âge donné ou un niveau d’imprégnation hormonale défini.

Il reste beaucoup d’incertitudes quant aux effets à long terme des traitements hormonaux, notamment sur les organes reproducteurs. Bien qu’aucun effet secondaire sévère n’ait été signalé à ce jour, les effets médicaux et psychologiques à long terme chez les adolescent(e)s transgenres doivent continuer d’être évalués. Il pourrait être soutenu que, puisque les risques et les avantages d’une transition précoce ne peuvent être pleinement établis à l’avance, il est impossible de donner un consentement éclairé valide. D’un autre côté, chaque nouvelle proposition thérapeutique en médecine, et particulièrement en pédiatrie, pose la question de l’absence de données à long terme. L’ensemble de ces considérations éthiques ne doit bien sûr en rien renvoyer à une attitude attentiste à l’adolescence, ou pire, à des « thérapies de conversion » 12 , qui ont scientifiquement été démontrées comme délétères [ 43 ] et sont depuis interdites en France 13 . Mais, pour un domaine ayant un tel impact sur le/la futur(e) adulte, l’accompagnement médical des transidentités a fait l’objet de relativement peu de recherches académiques jusqu’à ces dernières années.

Il apparaît donc indispensable que les équipes prenant en charge et accompagnant ces enfants travaillent de concert aux niveaux régional, national et international pour que l’accumulation de données prospectives transdisciplinaires permette d’apporter à ces enfants et à leur familles les informations les plus éclairées possibles.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 11 e édition de la Classification internationale des maladies et problèmes relatifs à la santé (CIM-11), Organisation mondiale de la santé (OMS) 2019. https://icd.who.int/en
2 American Psychiatric Association. Diagnostic and Statistical Manual of mental disorders. 5th edition. Washington, DC: American Psychiatric Publishing; 2013.
3 World Professional Association for Transgender Health (WPATH) Standards of Care , 8th version (2022). www.wpath.org
4 Données non publiées émanant du service d’endocrinologie adulte de l’hôpital Cochin, AP-HP.
6 Loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXI e siècle, Titre IV, article 56 https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/
6 Ce dispositif de l’Assurance maladie permet la prise en charge de situations qui nécessitent un traitement prolongé et coûteux.
8 L’échelle de Tanner propose une classification des différents stades du développement pubertaire. Au stade 2, chez les garçons, le volume des testicules et du scrotum augmente et la peau du scrotum se modifie : elle rougit et change de texture. La taille du pénis ne se modifie pas ou très peu. Chez les filles, on observe l’apparition du bourgeon mammaire (petite boule sous le mamelon) ; le sein et le mamelon se soulèvent légèrement. Le diamètre de l’aréole augmente.
9 Stades finaux de la puberté, avec développement des organes sexuels secondaires.
10 L’hématocrite est compris entre 40 et 55 % chez l’homme et entre 35 et 50 % chez la femme.
11 Communiqué de l’Académie de médecine du 25/02/2022, intitulé « La médecine face à la transidentité de genre chez les enfants et les adolescents » https://www.academie-medecine.fr/la-medecine-face-a-la-transidentite-de-genre-chez-les-enfants-et-les-adolescents/
12 Ces « thérapies » s’appuient sur un postulat selon lequel l’homosexualité, la bisexualité et la transidentité sont des maladies qu’il conviendrait de guérir. Ces pratiques peuvent prendre la forme d’entretiens, de stages, d’exorcisme, de traitements par électrochocs ou encore d’injection d’hormones et ne reposent sur aucun fondement médical.
13 Loi n° 2022-92 du 31 janvier 2022 interdisant les pratiques visant à modifier l’orientation sexuelle ou l’identité de genre d’une personne, Chapitre II Article 3. https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000045097703#
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