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Med Sci (Paris). 38(11): 859–860.
doi: 10.1051/medsci/2022155.

L’innovation thérapeutique au service du bien commun

Michel Goldman,1* Mathias Dewatripont,1,2*** and Alain Fischer3**

1I3h Institute , Université libre de Bruxelles, CP135 , 1050Bruxelles , Belgique
2 Ecares, Solvay Brussels School of Economics and Management , Université libre de Bruxelles , Belgique
3Assistance publique hôpitaux de Paris, hôpital Necker-Enfants Malades, Unité d’Immunologie-Hématologie Pédiatrique, Institut Imagine, Inserm UMR 1163, Collège de France Paris , France
Corresponding author.

MeSH keywords: Humains, Justice sociale

 

Les citoyens européens ont été parmi les premiers bénéficiaires des vaccins qui ont permis de surmonter les conséquences dévastatrices de la pandémie de Covid-19 ( Coronavirus disease 2019). Pourtant, il s’en est fallu de peu pour que quelques pays (France, Allemagne, Italie, Pays-Bas) ne fassent cavalier seul. Le sursaut initié par la Commission européenne a permis de préserver l’essentiel, à savoir une égalité d’accès aux vaccins pour les 27 États membres grâce à un système de pré-commandes communes. Parallèlement, l’Union européenne a pris différentes initiatives pour faciliter l’accès aux vaccins dans les pays pauvres, notamment à travers le programme COVAX (un nom abrégé pour « COVID-19 Vaccines Global Access »). Après un démarrage poussif, ce programme a permis d’obtenir une couverture vaccinale protégeant un peu plus de 50 % des citoyens des pays à faible revenu.

Il reste encore beaucoup à faire pour combler les inégalités face aux pandémies. Il s’agit notamment de développer des capacités de production des vaccins dans les pays pauvres. Celles-ci devraient être gérées par des organisations bénéficiant d’un accès privilégié à la propriété intellectuelle grâce à des mécanismes inspirés de ceux mis en place par le Medicines Patent Pool 1 , organisation internationale qui centralise les actifs de propriété intellectuelle et délivre des licences permettant la production de médicaments indispensables sous forme de génériques [ 1 ].

Lorsque le Covid-19 a surgi, l’Union européenne a mobilisé des sommes considérables pour soutenir la société de biotechnologie allemande BioNTech par le biais de prêts de la Banque européenne d’investissement. Malheureusement, l’Europe s’est révélée ensuite incapable de prendre part aux étapes ultérieures du développement clinique à large échelle. Ce sont les sociétés Pfizer et Moderna qui s’en sont chargées aux États-Unis, avec un soutien important du gouvernement américain à travers l’opération Warp Speed . La nouvelle agence de la Commission européenne dénommée HERA ( Health Emergency Preparedness and Response Authority ) 2 est désormais supposée permettre à l’Europe de combler son retard, mais elle devra pour cela obtenir un budget suffisant et s’affranchir des contraintes bureaucratiques qui alourdissent trop souvent les initiatives de la Commission.

La pandémie de Covid-19 a ainsi remis à l’agenda une question essentielle pour tous les acteurs de l’innovation thérapeutique : comment la mettre au service du bien commun ? Dans nos pays riches, elle se pose d’abord pour les domaines négligés par les grand ensembles pharmaceutiques. Il s’agit d’abord et avant tout de la résistance aux antibiotiques, un des plus grands défis de santé publique des années à venir. Il est indispensable que de nouveaux investissements publics soutiennent la recherche académique et les premières étapes du développement de nouveaux agents antibactériens, chimiques ou biologiques comme les bactériophages (ou phages). En parallèle, il faut fournir aux entreprises pharmaceutiques les incitants nécessaires pour qu’elles assument les coûts considérables et les risques d’échec des études cliniques de phase III qui conditionnent l’accès au marché. La mise en place de systèmes de remboursement qui garantissent aux industriels un retour sur investissement pourrait en faire partie, comme le propose le Wellcome Trust britannique.

L’autre situation dans laquelle les règles habituelles du marché sont défavorables au bien commun est celle des maladies pour lesquelles les prix prohibitifs des traitements restreignent ou ralentissent leur accès aux patients. Il s’agit notamment des traitements par CAR ( Chimeric Antigen Receptor )-T cells en oncologie et des thérapies géniques pour les maladies génétiques. Pour faciliter l’accès à ces traitements, la Commission a mis l’accent sur quatre axes : (1) renforcer la concurrence, (2) améliorer la transparence sur les coûts de recherche et développement (R&D) qui sont mis en avant par les industriels pour justifier les prix des médicaments, (3) échanger entre états-membres les évaluations de l’impact économique des nouveaux médicaments, et (4) tirer parti du « Semestre européen », cycle annuel de coordination des politiques économiques et sociales, pour harmoniser autant que possible les stratégies nationales en matière de tarification, remboursement et approvisionnement [ 2 ]. L’objectif devrait être de présenter un front européen uni lors des négociations avec les entreprises pharmaceutiques dont le champ d’action est mondial. Une première action concrète pourrait être de mettre en place un système de commandes centralisées pour les thérapies géniques et certains traitements oncologiques, à l’instar de celui qui a fait ses preuves pour les vaccins contre le virus SARS-CoV-2 ( Severe Acute Respiratory Syndrome Coronavirus 2 ).

S’il faut se réjouir que la Commission européenne se préoccupe de ces questions, il est peu probable que les mesures proposées suffisent à assurer un accès égal aux thérapies innovantes dès leur approbation par les autorités réglementaires. Dans un article précédant cet éditorial, nous avons proposé des actions plus contraignantes pour les industriels [ 3 ] ( ). Elles devraient s’inscrire dans le cadre des critères environnementaux, sociaux et de bonne gouvernance (critères ESG) qui guident la stratégie des entreprises en fonction de leurs impacts à long terme. Il s’agit notamment de développer des modèles économiques garantissant des prix soutenables pour les organismes payeurs. Leur mise en œuvre nécessitera des modifications de gouvernance qui devraient s’inspirer de celles des « entreprises à mission », dont la société Patagonia est un excellent exemple. Ce statut d’entreprise à mission, qui s’appliquerait à des filiales dédiées aux produits évoqués plus haut, implique que les choix stratégiques fassent explicitement intervenir les services rendus à la société à côté des intérêts purement financiers. En parallèle, il est essentiel de préserver des conditions de commercialisation permettant aux sociétés pharmaceutiques d’obtenir un retour sur investissement raisonnable, c’est-à-dire conforme aux normes du marché. À cet égard, des partenariats public-privé européens comme l’ Innovative Medicines Initiative auront un rôle important à jouer [ 4 ].

(→) Voir le Repère de A. Fischer et al. , m/s n° 4 avril 2020, page 389

Il ne sera pas toujours possible d’aligner les intérêts des industriels avec les attentes des autorités sanitaires en charge de la santé publique. Il faudra alors en appeler aux autorités publiques et à la philanthropie pour la création d’entités de production à but non lucratif. C’est dans cet esprit que nous nous sommes joints à l’appel à la création d’une fondation européenne pour la prévention des crises sanitaires et environnementales [ 5 ].

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
References
1.
Bermudez J , ‘t Hoen E . The UNITAID patent pool initiative: Bringing patents together for the Common Good. . Open AIDS J. 2010; ; 4 : :37. – 40 .
2.
Commission Européenne. Stratégie thérapeutique pour l’Europe. Communication au Parlement européen, au conseil, au comité économique et social européen et au comité des régions 2020; https://bit.ly/3V7n1lp .
3.
Fischer A , Dewatripont M , Goldman M . L’innovation thérapeutique, à quel prix ? Med Sci (Paris). 2020; ; 36 : :389. – 93 .
4.
Goldman M. The Innovative Medicines Initiative: a European response to the innovation challenge. . Clin Pharmacol Ther. 2012; ; 91 : :418. – 425 .
5.
Wollman F . Europe - 75 scientists endorse call for philanthropic foundation. . Nature. 2020; 582 : :488. .