Logo of MSmédecine/sciences : m/s
Med Sci (Paris). 38(10): 761–762.
doi: 10.1051/medsci/2022132.

Quelques leçons à tirer de dix-huit mois de vaccination contre le Covid

Alain Fischer1,2,3*

1Unité d’immunologie, hématologie et rhumatologie pédiatrique hôpital Necker-Enfants malades Assistance Publique-Hôpitaux de Paris université de Paris , France
2Institut Imagine, Inserm U113F-75015 , Paris , France
3Collège de France , F-75231Paris , France
Corresponding author.

MeSH keywords: COVID-19, Humains, SARS-CoV-2, Vaccination, prévention et contrôle

 

La pandémie de coronavirus 19 (Covid-19) provoquée par le SARS-CoV-2 ( severe acute respiratory syndrome coronavirus 2 ) a provoqué la mort de 6,5 millions de personnes (en fait plus probablement entre 16 et 18 millions) dans le monde. En France, 34,7 millions de cas d’infection ont été diagnostiqués, provoquant 876 000 hospitalisations et 154 000 décès en deux ans et demi. C’est la plus grave pandémie liée à une infection aiguë de l’ère moderne depuis la grippe espagnole de 1917-1918.

Cette pandémie a eu un retentissement sanitaire, social, économique et politique majeur, dont tous les aspects n’ont pas encore été identifiés. Elle a provoqué une mobilisation internationale sans précédent des mondes scientifique, économique et politique. La séquence génomique du virus a été connue en quelques semaines (janvier 2020), ce qui a conduit au développement de vaccins efficaces en un temps très court (moins d’une année), une performance inédite. Celle-ci est le fruit de l’implication de nombreux scientifiques du monde académique et d’investissements massifs, issus essentiellement du gouvernement des États-Unis, qui ont permis aux industriels de « brûler les étapes », mais sans accommodement avec la rigueur nécessaire dans le développement de ces vaccins.

Soixante ans de recherche sur l’ARN messager, du fondamental aux biotechnologies, ont permis, à temps pour le Covid, de mettre au point un nouveau type de vaccin remarquablement efficace pour protéger la population. Ce vaccin est imparfait certes, car l’immunité induite ne persiste de façon optimale que quelques mois ; il est plus efficace (> 90 %) pour prévenir les formes graves de Covid-19 que l’infection elle-même, ce qui interdit d’espérer l’éradication du SARS-CoV-2. Il est néanmoins certain qu’il aura sauvé un très grand nombre de vies, qu’il aura évité un très grand nombre d’hospitalisations et prévenu des formes dites longues de Covid-19. Le bilan exact reste à faire, mais ce fut une prouesse scientifique, industrielle, économique et politique que de mener à bien cette entreprise en moins d’une année. Ajoutons que ce nouveau type de vaccins est aisément évolutif. Les prochains sont bivalents, c’est-à-dire immuniseront contre la protéine spike de la souche virale ancestrale, mais également contre celle des variants Omicron BA.1 et BA.4/5 qui ont émergé en Europe fin 2021. Cette technique de vaccination soulève bien sûr beaucoup d’espoir d’applications à nombre d’autres maladies infectieuses et dans d’autres domaines de la médecine, espoir marqué par des recherches en pleine effervescence. Par ailleurs, la limite de cette vaccination, à savoir la persistance brève de titres élevés d’anticorps neutralisants au niveau muqueux, site de l’infection, pourrait être franchie si des vaccins « muqueux », administrés par inhalation nasale, en combinaison avec la vaccination par injection par voie intramusculaire, étaient mis au point. Plusieurs d’entre eux sont actuellement en évaluation clinique ou préclinique. Il faut mentionner que des approches plus classiques de vaccination (protéine + adjuvant, vecteurs adénoviraux inactivés, virus inactivé) ont aussi largement contribué à protéger la population mondiale du SARS-CoV-2, puisque, à ce jour, plus de 12 milliards de doses de vaccins ont été administrées. Pourtant, ces données globales cachent une inégalité d’accès, car si les pays riches ont largement disposé de vaccins, ce n’est pas le cas des pays les plus pauvres, en dépit des efforts déployés de redistribution de vaccins notamment par l’organisme COVAX 1 . Les restrictions d’accès à la technique (du fait de l’existence de brevets) comme les relatives pénuries en matières premières (verre, plastique, etc.), les difficultés logistiques, la nécessité de conserver les vaccins au froid (- 20 °C), expliquent cette situation, sans oublier la question de l’acceptation du vaccin par les populations comme je l’évoque plus loin. En tous les cas, il est de l’intérêt de tous de faire en sorte que ces vaccins puissent être produits au plus près des populations et mieux distribués.

Il faut souligner l’effort de la communauté européenne (CE) qui a mis en place une plateforme commune d’achat de vaccins, rendant accessible à tous ses citoyens ces vaccins à un prix négocié. Cette initiative, la première en matière de santé au sein de la CE, doit être saluée et entrouvre la porte à un élargissement de ses compétences en matière de santé. A contrario , les pays européens et la CE ont été bien moins proactifs que les États-Unis pour soutenir dès mars 2020 l’effort de développement et de production de vaccins. Mais la mise en place d’HERA (autorité européenne de préparation et de réaction en cas d’urgence sanitaire) est un premier pas à suivre dans cette direction.

En France, globalement, on peut estimer que la campagne vaccinale a été à ce jour un succès, puisque plus de 93 % de la population adulte a reçu deux doses de vaccin et 80 % une dose de rappel. L’arrivée progressive des doses de vaccins au premier semestre 2021 a conduit à privilégier initialement les personnes les plus à risque (du fait de l’âge ou d’une maladie) et les plus exposés (les professionnels de santé). À partir de mai 2021, il a été possible de changer de paradigme et de recommander la vaccination de toute la population dans un effort de protection collective et pas seulement individuelle, même si l’émergence de variants plus transmissibles (BA.1, BA.4/BA.5) a ensuite quelque peu limité l’efficacité de cette seconde approche en termes de réduction de la transmission virale.

Le caractère progressif de la vaccination a sans doute favorisé son acceptation par une large majorité de la population (> 70 %), alors que les enquêtes d’opinion fin 2020 – début 2021 faisaient état d’une réticence d’environ 50 % de la population. Il est heureux de constater que les efforts d’information ont convaincu la plupart des Français. Pourtant, cela n’a pas suffi : il a fallu recourir à une forme d’incitation et d’obligation partielle pour vacciner environ cinq millions de français, une approche qui a soulevé des critiques, mais qui fut approuvée par le Parlement… et s’est avérée efficace ! L’obligation a dû s’imposer pour les professionnels de santé notamment, compte tenu des risques liés à leurs infections pour leurs patients, mesure qui malgré des protestations parfois bruyantes a permis de vacciner plus de 95 % des professionnels de santé. Ainsi, une combinaison de ces trois approches, information intelligible et honnête, incitation et obligation, ont permis d’obtenir un bon résultat. Pourtant, il faut rappeler que 500 000 personnes âgées de plus de 80 ans, environ 10 % des patients atteints de maladies chroniques (trop !), beaucoup de personnes en précarité et les populations des territoires d’outre-mer ne sont pas protégés par la vaccination. Ces points illustrent la nécessité de mesures adaptées (« aller vers ») très coûteuses, mais alertent également sur l’isolement, dans notre société, de trop de personnes âgées et de personnes en situation sociale difficile. Sur ce plan, cette campagne de vaccination doit servir de base de réflexion pour prévenir plus activement à l’avenir ces insuffisances.

La pandémie de Covid-19 n’est pas terminée, une 8 e vague est très probable. De la nature du variant qui apparaîtra dépendront son intensité, sa sévérité et donc les mesures de protection à prendre. À ce jour, il importe que les personnes fragiles aient reçu un second rappel sans attendre les nouvelles générations de vaccins. Même si nous sommes tous tentés de considérer le Covid-19 comme une histoire terminée, il faut poursuivre les efforts de protection, tout en extrayant les leçons de cette pandémie pour mieux préparer l’avenir, notamment par le développement des recherches ad hoc (biologie et sciences humaines et sociales) et par la promotion de la santé pour tous.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 COVAX ( Covid-19 Vaccines Global Access ) est codirigé par l’Alliance Gavi (G lobal Alliance for Vaccines and Immunization ) , désormais Vaccine Alliance (Alliance du vaccin), la Coalition pour les innovations en matière de préparation aux épidémies (CEPI, Coalition for Epidemic Preparedness Innovations ) et l’Organisation mondiale de la santé (OMS).