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Med Sci (Paris). 38(8-9): 746–478.
doi: 10.1051/medsci/2022116.

Obésité et résistance centrale à la leptine
Impact sur la maladie d’Alzheimer

Sylvie Heng,1* Melody Betin,1** and Isabelle Limon2***

1M1 Biologie intégrative et physiologie (BIP), Parcours Nutrition, qualité et santé, Sorbonne Université , Campus Pierre et Marie Curie75005Paris , France
2Équipe Dynamique des signaux intracellulaires et cibles thérapeutiques, UMR 8256 Adaptation biologique et vieillissement, Institut de biologie Paris-Seine (IBPS) , Paris , France
Corresponding author.

MeSH keywords: Maladie d'Alzheimer, Humains, Leptine, Obésité, Récepteurs à la leptine, épidémiologie, étiologie, complications

 

La maladie d’Alzheimer (MA), première cause mondiale de démence pour les sujets de plus de 65 ans, est une maladie neuro-dégénérative entraînant une atrophie hippocampique ainsi qu’une perte progressive de la mémoire et des fonctions cognitives. Sur le plan neuroanatomique, la MA est définie par la présence anormale de plaques, dites « séniles », formées de dépôts extracellulaires de peptides β-amyloïdes 1 (Aβ)[ 1 ], et d’enchevêtrements neurofibrillaires composés de filaments de protéine Tau hyperphosphorylée 2 [ 2 ]. Le diagnostic de la MA peut reposer sur l’imagerie médicale. Une ponction lombaire peut également être pratiquée afin d’effectuer un dosage des protéines Aβ et Tau, qui sont deux marqueurs de la maladie, dont la concentration est anormalement élevée dans le liquide céphalo-rachidien des patients souffrant de MA [ 3 ].

Les mécanismes de développement de la MA sont complexes et en partie inconnus. Cependant, des pistes intéressantes ont été mises à jour, notamment un lien entre obésité et MA. En effet, de nombreuses études mettent en évidence une corrélation positive entre l’obésité sévère 3 [ 4 , 5 ], ses conséquences (résistance à l’insuline, diabète de type II, etc.), et le risque de développer une MA [ 5 ]. Nous discuterons en particulier, dans cette nouvelle, le lien entre résistance centrale à la leptine, qui est l’une des manifestations de l’obésité, et maladie d’Alzheimer.

Obésité, leptine et régulation de la cognition

La leptine est une hormone produite par le tissu adipeux blanc, qui a pour rôle de réguler le métabolisme énergétique en diminuant l’appétit, donc la prise alimentaire, et en augmentant la dépense énergétique. Cet effet anorexigène s’exerce principalement via l’isoforme Ob-Rb du récepteur de la leptine (Ob-R), exprimé par les neurones du noyau arqué de l’hypothalamus. La majorité des patients obèses présentent une hyperleptinémie 4 [ 6 ], et également une résistance à la leptine. Cet état résulte principalement d’une diminution de l’expression du récepteur Ob-Rb et d’un défaut d’activation des voies de signalisation activées en réponse à la leptine. L’efficacité du transport de la leptine à travers la barrière hémato-encéphalique (BHE) est également diminuée chez ces patients [ 7 ].

Outre ses fonctions dans le métabolisme, la leptine a probablement un rôle important dans la régulation de la cognition, comme le montrent plusieurs études. Elle aurait, tout d’abord, un effet neuroprotecteur. En effet, l’injection par voie intra-péritonéale ou intra-cutanée de leptine prévient l’effet toxique de l’hyperactivation des récepteurs neuronaux N-méthyl-D-aspartate (NMDA), en favorisant notamment la production de protéines anti-apoptotiques comme Bcl-xL [ 1 ]. La leptine peut également avoir une action plus directe sur la mémoire. En interagissant avec ses récepteurs hippocampiques Ob-Rb, elle module l’activation des récepteurs glutamatergiques de l’α-amino-3-hydroxy-5-méthylisoxasol-4-propionate (AMPA) et NMDA. Elle a ainsi des effets pro-cognitifs et intervient dans la préservation de la mémoire et la plasticité synaptique [ 1 , 5 ]. Ex vivo, l’incubation de coupes de cerveaux de rongeurs en présence de leptine permet l’augmentation de la potentialisation à long terme (PLT), un mécanisme associé à l’apprentissage et à la mémoire. À l’inverse, les rongeurs leptino-résistants présentent une PLT diminuée et une neurogenèse altérée. Une altération de la mémoire à long terme est aussi retrouvée chez les rats n’exprimant pas d’Ob-Rb fonctionnels [ 8 ]. Finalement, la leptine aurait également un effet négatif sur l’accumulation des protéines Aβ et Tau, considérées comme marqueurs de la MA : l’administration chronique de leptine dans le cerveau de souris utilisées comme modèles de la MA diminue la charge cérébrale en peptides Aβ et protéine Tau phosphorylée in vivo [ 1 ].

La leptino-résistance : un facteur de risque de la maladie d’Alzheimer ?

Chez les patients présentant une maladie d’Alzheimer, les résultats sont contradictoires quant aux concentrations de leptine mesurées dans le liquide céphalo-rachidien et l’hippocampe. En revanche, les résultats obtenus à partir de modèles murins de la maladie d’Alzheimer montrent une diminution des concentrations de leptine circulante au cours du vieillissement et de l’évolution de la maladie d’Alzheimer. L’expression des récepteurs Ob-R ou la quantité de leur ARNm sont, de plus, significativement diminués dans l’hippocampe et le néocortex de souris utilisées comme modèles de la maladie d’Alzheimer [ 9 ]. Ces données sont ainsi cohérentes avec l’hypothèse d’une association entre résistance neuronale à la leptine et déclin cognitif lié à la maladie d’Alzheimer.

Les données obtenues avec des souris obèses et leptino-résistantes, du fait de mutations dans les gènes codant les récepteurs de la leptine rendant ceux-ci non fonctionnels (Leprdb/db), étayent cette hypothèse. En effet, lorsque ces souris sont croisées avec des souris db/AD (utilisées comme modèle murin de la maladie d’Alzheimer), des niveaux significativement accrus de phosphorylation de la protéine Tau sont observés [ 10 ]. De plus, à l’âge de 10-14 mois, les souris de la lignée db/AD (obèses, leptino-resistantes et atteintes d’une pathologie amyloïde) présentent un trouble de l’apprentissage et/ou de la mémoire spatiale, à la différence des lignées parentales [ 11 ]. Enfin, l’administration chronique de leptine dans le cerveau de souris modèles de la maladie d’Alzheimer, diminue la charge cérébrale en peptides Aβ et protéine Tau phosphorylée et améliore leurs performances d’apprentissage et de mémoire [ 1 ].

La maladie d’Alzheimer renforce la leptino-résistance

Le traitement in vitro de neurones de rats par des peptides Aβ1-42 (qui correspondent à la forme toxique des Aβ fortement présente dans le cerveaux des individus présentant une MA) engendre une cascade de signalisation aboutissant notamment à l’augmentation du niveau de Cdk5-p35, qui est un activateur de SOCS3. Cette dernière protéine étant un inhibiteur de la signalisation induite par la leptine, son activité va contribuer à la leptino-résistance. Ces données suggèrent donc que la MA contribue à la leptino-résistance [ 5 , 12 ]. Par ailleurs, chez des patients non obèses présentant une MA, les caractéristiques d’une résistance à la leptine ont été retrouvées. En effet, l’accumulation de peptides Aβ dans le plexus choroïde inhibe le transporteur de leptine de cette région du cerveau, la mégaline, diminuant ainsi l’entrée de leptine dans le cerveau [ 13 ]. Enfin, les récepteurs hippocampiques Ob-Rb des patients présentant une maladie d’Alzheimer, localisés à proximité des enchevêtrements neurofibrillaires, sont majoritairement inactivés [ 9 ]. Ces éléments suggèrent que la MA, indépendamment d’une situation d’obésité, pourrait induire une leptino-résistance et confirment bien l’interrelation entre les deux pathologies.

Conclusion

La leptine, sécrétée par le tissu adipeux, est importante pour le bon fonctionnement du cerveau, de la mémoire et des processus d’apprentissage. Elle est neuroprotectrice et augmente la PLT, potentialisant l’activité des récepteurs synaptiques NMDA du glutamate. La leptino-résistance accompagnant l’obésité peut donc avoir des impacts négatifs sur certaines capacités cognitives, les mêmes que celles affectées chez les patients souffrant de la MA. On retrouve également dans des modèles de la MA et chez des patients souffrant de la MA des signes de leptino-résistance, même si ces patients ne présentent pas d’obésité. Il existe donc une véritable boucle d’amplification dans laquelle la résistance à la leptine va aggraver les symptômes de la MA, et où la MA elle-même va accentuer cette résistance à la leptine. Remédier à cette leptino-résistance constitue donc un nouvel axe d’intérêt dans la recherche de traitement contre la MA. La re-sensibilisation des individus à la leptine pourrait être une première approche. Dans le cas où la leptino-résistance est due à une hyperleptinémie chronique, cette re-sensibilisation passe en général par la normalisation des concentrations de cette hormone. Pour les individus obèses, cette re-sensibilisation peut se faire notamment par une alimentation faible en graisses, mais aussi de façon pharmacologique [ 14 ]. Dans le cas où la leptino-résistance est dépendante du mécanisme des Ob-Rb, l’utilisation d’agonistes de la leptine pourrait être une autre approche intéressante. En effet, l’agoniste synthétique OB3 de la leptine, exerçant ses effets par un mécanisme d’action central différent de celui de la leptine, est capable de réduire l’apport alimentaire et le gain de poids dans des modèles de souris obèses déficientes en Ob-Rb [ 7 , 15 ]. Compte tenu de la prévalence de l’obésité dans le monde et de l’implication de la résistance à la leptine dans le développement de la MA, poursuivre les recherches sur la résistance à la leptine et comment la traiter représente un réel intérêt pour la santé publique, aussi bien en ce qui concerne le traitement de l’obésité que celui de la MA.

Liens d’intérêt

Les auteures déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Les peptides β-amyloïdes sont des fragments peptidiques de tailles variables dérivés de la protéolyse de la protéine précurseur amyloïde (APP).
2 Dans des conditions physiologiques, la protéine Tau est exprimée dans les axones des neurones où elle participe au maintien du réseau microtubulaire et au bon fonctionnement neuronal.
3 L’obésité se caractérise par une accumulation excessive de tissu adipeux pouvant nuire à la santé. Elle est associée à un indice de masse corporelle (IMC = poids/taille²) supérieur à 30. On parle d’obésité sévère lorsque l’IMC est supérieur à 40.
4 L’hyperleptinémie se caractérise par des concentrations anormalement élevées de leptine circulante.
References
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