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Med Sci (Paris). 38(8-9): 729–732.
doi: 10.1051/medsci/2022111.

Le mélanome uvéal est-il identique au mélanome cutané ?

Evangelia Ch Papasotiriou,1a Raihane Ben Abdeljelil,1b Imane Benhammou,1c Léa Bertin,1d Emmanuel Chadeuf,1e Grégoire Colve,1f and Nicole Arrighi1g

1 Polytech Nice Sophia, Spécialité génie biologique 5 e année, Pharmacologie et Biotechnologies, Université Côte d’Azur , France
Corresponding author.
 

L’actualité scientifique vue par les étudiants de l’école d’ingénieurs d’Université Côte d’Azur - Polytech Nice Sophia

Responsable communication de Polytech Nice Sophia

Françoise Dubois ( communication.polytech@univ-cotedazur.fr )

Site internet : https://polytech.univ-cotedazur.fr/

Série coordonnée par Sophie Sibéril.

 

Les cancers diffèrent par les types cellulaires impliqués et leur localisation dans l’organisme. Les cancers issus de mélanocytes sont appelés mélanomes. Les mélanocytes synthétisent les pigments mélaniques, qui jouent un rôle clé dans la protection face aux rayonnements solaires. Ils sont retrouvés notamment dans la peau (dans l’épiderme précisément) et dans l’œil (dans la conjonctive et dans l’uvée). Ainsi, on distingue les mélanomes cutanés (MC) et les mélanomes oculaires. Les mélanomes oculaires sont eux-mêmes constitués des mélanomes uvéaux (MU) (95 %) et des mélanomes conjonctivaux (5 %). L’uvée étant une tunique vasculaire composée par l’iris, le corps ciliaire et la choroïde, on parle de MU lorsque l’une de ces structures est le siège d’une prolifération tumorale mélanocytaire.

Dans cette série de nouvelles, nous aborderons les points communs et les différences entre MU et MC avant de discuter des traitements actuels et des perspectives thérapeutiques pour le MU, puis de l’existence d’une hétérogénéité intratumorale et enfin du rôle du facteur de transcription HES6 dans le MU.

Dans ce premier volet, nous tenterons de répondre à la question : quelles sont les similarités et les différences entre le MU et le MC ? Dans un premier temps, nous nous intéresserons à la comparaison entre MC et MU en termes d’incidence, de facteurs de risques et de diagnostic. Puis, nous expliquerons les modifications génétiques et les aberrations chromosomiques spécifiques à chacune de ces pathologies. Enfin, nous nous intéresserons aux traitements existants actuellement contre chacun des mélanomes et leurs limites.

Mélanome cutané et mélanome uvéal : des tableaux cliniques différents

Les MC et MU sont issus des mêmes cellules, les mélanocytes. Néanmoins, chacune de ces tumeurs présente des caractéristiques cliniques qui leur sont propres. Bien qu’il soit le plus minoritaire des cancers de la peau, le MC est le plus mortel. Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) rapporte 325 000 nouveaux cas de MC avec 57 000 décès en 2020 dans le monde. Le MU qui est la tumeur intraoculaire primitive la plus fréquente chez l’adulte est plus rare que le MC avec environ 500 nouveaux cas diagnostiqués chaque année en France. Si l’on compare les taux standardisés de survie dans ces deux pathologies, le MU est bien plus létal que le MC avec un taux de survie d’environ 70 % à 5 ans pour le MU contre 91 % à 5 ans pour le MC [ 1 ].

L’incidence de ces cancers est liée à des facteurs de risque génétiques et environnementaux qui peuvent différer selon le type de mélanome. L’exposition aux rayons UV solaires est le principal facteur de risque environnemental du MC, alors qu’elle ne semble jouer aucun rôle dans la cancérogenèse du MU.

Le diagnostic de chacune de ces pathologies nécessite des examens spécifiques. La détection du MC débute dès l’observation d’une lésion pigmentée nouvelle de la peau ou la modification d’un nævus jusqu’alors stable. Le pronostic dépend alors du stade de la maladie au moment du diagnostic. La prise en charge du patient sera guidée par la classification du MC selon l’AJCC ( American Joint Committee on Cancer ) fondée sur des facteurs comme la mesure de l’épaisseur de la tumeur (indice de Breslow), la présence d’ulcération, l’invasion métastatique des ganglions régionaux, etc. [ 2 ].

La détection du MU est, quant à elle, plus difficile. En effet, les symptômes visuels rapportés (lorsqu’ils existent) ne sont pas spécifiques et vont dépendre de la position de la tumeur et des signes d’exsudation (œdème maculaire, décollement de rétine) qu’ils provoquent. Ainsi, un patient pourra rapporter une baisse d’acuité visuelle en cas de tumeur proche de la macula alors qu’une tumeur plus éloignée pourra ne provoquer aucun symptôme. Les tumeurs asymptomatiques ne peuvent être diagnostiquées que lors d’une visite de routine. La prise en charge du patient sera guidée essentiellement par les dimensions de la tumeur et la présence éventuelle de métastases. Une surveillance à vie sera nécessaire pour ces patients car une dissémination hématogène a souvent lieu avant le diagnostic et peut conduire à l’apparition de métastases principalement hépatiques [ 3 ].

Les altérations génétiques et les aberrations chromosomiques

Certains facteurs de risque génétiques sont communs au MC et MU, tels que les antécédents familiaux, le nombre de nævus ou le phototype clair [ 3 , 4 ]. D’autres facteurs génétiques sont, quant à eux, spécifiques du MC, telles que des mutations germinales dans certains gènes de susceptibilité incluant des régulateurs du cycle cellulaire comme CDKN2A , CDK4 , RB1 et MITF [ 3 ]. Concernant le MU, les gènes de susceptibilité sont notamment ceux impliqués dans la couleur claire des yeux ainsi que BAP1 et MDB4 [ 4 ]. Le gène BAP1 code une enzyme de dé-ubiquitination se liant à BRCA1 (protéine suppresseur de tumeur), tandis que le gène MBD4 ( methyl-CpG binding domain 4 ) code une ADN glycosylase impliquée dans le mécanisme de réparation des dommages à l’ADN. Celle-ci interagit avec l’ADN méthylé pour réparer les mésappariements G/T. Les mutations germinales de BAP1 et MDB4 sont responsables d’une prédisposition au développement de tumeurs [ 5 ].

Au-delà des prédispositions génétiques des MC et MU, des mutations somatiques sont également à relever dans chacune de ces tumeurs. Dans le MC, elles concernent principalement la voie MAPK/ERK, incluant notamment des mutations de BRAF , NRAS et NF1 retrouvées dans respectivement 50 %, 30 % et 15 % des MC, et la voie PI3K/AKT ( Figure 1 ) [ 6 ]. La perturbation de la voie de signalisation PI3K/AKT conduit à une prolifération accrue, une survie cellulaire exacerbée et un développement du MC.

Dans le MU, des mutations somatiques ont été identifiées dans la sous-unité alpha de la protéine G hétérotrimérique GNAQ ou de son paralogue GNA11 [ 7 ]. Quatre-vingt pour cent des MU portent une mutation dans un de ces deux gènes conduisant à l’activation de l’axe phospholipase C-protéine kinase C, à la libération de calcium intracellulaire (Ca 2+ ) et à des réponses cellulaires variées. GNAQ/11 induit également l’activation de la voie de signalisation Hippo-YAP/TAZ qui joue un rôle crucial lors de l’angiogenèse et de la prolifération tumorale. D’autres mutations dans les gènes BAP1 , EIF1AX et SF3B1 ont également été identifiées avec un impact sur le risque métastatique du MU [ 8 ].

Le MU primaire est également caractérisé par des anomalies chromosomiques, dont les plus importantes sont la monosomie du chromosome 3 et un gain du chromosome 8q, et qui peuvent être utilisées pour le pronostic en complément de la classification AJCC [ 9 ].

Ces deux mélanomes présentent donc des spécificités quant aux voies de signalisation mises en cause dans leur développement ( Tableau I ) . Des recherches sont en cours pour une meilleure compréhension des mécanismes moléculaires impliqués dans chaque type de mélanome et le développement de thérapies adaptées. Il n’y pas de facteurs environnementaux décrits pour le MU, mais il existe des facteurs phénotypiques liés au phototype clair. Les différentes couleurs de peaux, cheveux et yeux dépendent du rapport eumélanine/phéomélanine, significativement plus important dans la peau foncée et les yeux brun que dans la peau pâle et les yeux avec un iris de couleur claire [ 10 ]. La mélanine (eumélanine ou phéomélanine) est produite par les mélanocytes. Elle constitue un polymère absorbant la lumière qui protège contre l’effet nocif des rayonnements ultraviolets (UV) A et UVB du soleil. Jusqu’à présent, le mécanisme de la transformation des mélanocytes de l’œil en MU et le rôle que pourrait jouer la mélanine dans le MU n’ont pas été élucidés.

Des traitements envisageables pour ces deux pathologies

Les thérapies proposées pour ces pathologies dépendent, comme pour beaucoup d’autres, du stade auquel le mélanome est diagnostiqué. Dans le cas du MC de stade localisé, le traitement de référence est la chirurgie avec une exérèse et une marge de sécurité clinique déterminée selon l’indice de Breslow. En cas de MC avancé (envahissement ganglionnaire, métastase(s) à distance), des thérapies ciblées ou des immunothérapies sont actuellement proposées, ciblant la voie MAPK/ERK avec les inhibiteurs des kinases BRAF et/ou MEK, ou les inhibiteurs des points de contrôle immunitaire (PD-1 ou CTLA-4) [ 12 ] ( ).

(→) Voir la Nouvelle de E. Papasotiriou et al ., page 733 de ce numéro

En ce qui concerne le traitement du MU, la préoccupation principale est de traiter le cancer en essayant de conserver l’œil et, si possible, la vision. Le traitement choisi dépendra de la taille du mélanome, de son étendue et de sa localisation mais également du pays et de l’accessibilité aux techniques employées pour le traitement. Il n’existe à ce jour aucune différence en termes de survie entre un traitement conservant l’œil (radiothérapie) et un traitement ne le conservant pas (énucléation) [ 11 ]. Ainsi, en France, lorsque la conservation de l’œil est possible, le traitement de prédilection repose sur la protonthérapie, une technique de radiothérapie externe utilisant un faisceau de protons. Les MU de grande taille ou circonférentiels sont quant à eux majoritairement traités par énucléation, l’œil ne pouvant supporter un trop grand volume d’irradiation.

En cas d’existence de métastases, le MU ne peut pas être traité par les mêmes thérapies ciblées ou immunothérapies que celles utilisées dans le MC puisque les altérations génétiques et les facteurs étiologiques de ces deux tumeurs sont distincts. Toutefois, une nouvelle molécule d’immunothérapie, le tebentafusp, a montré des résultats prometteurs [ 12 ]. De plus, l’étude de l’hétérogénéité intra-tumorale, afin de découvrir de nouveaux marqueurs pronostics, pourrait offrir de nouvelles perspectives dans le traitement personnalisé des tumeurs, notamment grâce au séquençage de l’ARN sur cellule unique et l’identification de sous-populations cellulaires [ 13 ] ( ).

(→) Voir la Nouvelle de E. Grandjean-Closson et al ., page 737 de ce numéro

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Abréviations

AJCC American Joint Committee on Cancer
BAP1 BRCA1-associated protein 1
BRAF B-Raf proto-oncogene serine/threonine kinase
CDK4 Cyclin-dependent kinase 4
CDKN2A Cyclin-dependent kinase inhibitor 2A
CTLA-4 Cytotoxic T lymphocyte antigen 4
GNAQ G Protein Subunit Alpha q
HES6 Hairy/Enhancer of Split (Hes) 6
MAPK/ERK Mitogen-activated protein kinase/extracellular signal-regulated kinase
MEK MAP kinase kinase
MITF Microphthalmia-associated transcription factor
NF1 Neurofibromatosis factor 1 (NF1)
NRAS Neuroblastoma RAS viral oncogene homolog
PD-1 Programmed cell death protein 1
PI3K Phosphoinositide 3-kinase
RB1 RB transcriptional corepressor 1
TCGA The cancer genome atlas
YAP/TAZ Yes - associated protein/ transcriptional coactivator with PDZ-binding motif

References
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Eggermont AMM , Spatz A , Robert C . Cutaneous melanoma. . Lancet. 2014; ; 383 : :816. – 827 .
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Grandjean-Closson E , Heckmann C , Le Coz C , et al. L’analyse des mélanomes uvéaux primaires à l’aide de la technique de séquençage d’ARN en cellules uniques. . Med Sci (Paris). 2022; ; 38 : :737. – 9 .