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Med Sci (Paris). 38(8-9): 686–692.
doi: 10.1051/medsci/2022107.

Transition de la médecine pédiatrique à la médecine pour adultes dans les maladies autoimmunes et autoinflammatoires rares

Muriel Herasse,1 Mélanie Romier,2 Véronique Hentgen,3 Agnès Duquesne,4 Jean-Paul Larbre,5 Hélène Maillard,1,6 Micheline Pha,7 Pascal Pillet,8 Héloïse Reumaux,9 Marie-Elise Truchetet,10 Sophie Georgin-Lavialle,1,11 and Alexandre Belot1,2,4*

1Filière nationale des maladies auto-immunes et auto-inflammatoires rares (FAI²R), Hôpital Claude Huriez, CHU de Lille , Lille , France
2Le Pass’âge, Hôpital-Femme-Mère-Enfant, Hospices civils de Lyon , Bron , France
3Service de pédiatrie, Centre de référence des maladies auto-inflammatoire et de l’amylose inflammatoire (CeRéMAIA), Centre hospitalier de Versailles André Mignot , Le Chesnay , France
4Services de néphrologie, rhumatologie, dermatologie pédiatriques, Centre de référence des rhumatismes inflammatoires et maladies auto-immunes systémiques de l’enfant (RAISE), Hôpital femme-mère-enfant, Hospices civils de Lyon , Bron , France
5Service de rhumatologie, Centre hospitalier Lyon Sud, Hospices civils de Lyon , Pierre-Bénite , France
6Service de médecine interne et immunologie clinique, Centre de référence des maladies auto-immunes systémiques rares du Nord et Nord-Ouest (CeRAINO), Hôpital Claude Huriez, CHU de Lille , Lille , France
7 Service de médecine interne, Centre de référence du lupus, syndrome des anticorps anti-phospholipides et autres maladies auto-immunes rares, Groupement hospitalier Pitié-Salpêtrière (GHPS), AP-HP , Paris , France
8Service de pédiatrie, Centre de compétences pédiatrique pour les maladies auto-inflammatoires, l’amylose inflammatoire, les rhumatismes inflammatoires et les maladies auto-immunes systémiques rares de l’enfant, Hôpital Pellegrin-Enfants, CHU de Bordeaux , Bordeaux , France
9Rhumatologie pédiatrique, Centre de compétences pédiatriques pour les maladies auto-inflammatoires, l’amylose inflammatoire, les rhumatismes inflammatoires et les maladies auto-immunes systémiques rares de l’enfant, Clinique de pédiatrie, Hôpital Jeanne de Flandre, CHU de Lille , Lille , France
10Service de rhumatologie, Centre de référence des maladies auto-immunes systémiques rares de l’Est et du Sud-Ouest (RESO), Hôpital Pellegrin, CHU de Bordeaux , Bordeaux , France
11Sorbonne Université, Service de médecine interne, Centre de référence des maladies auto-inflammatoires et de l’amylose inflammatoire (CeRéMAIA), Hôpital Tenon , Paris , France
Corresponding author.
 

Vignette (Photo © Inserm/Michel Depardieu).

Les maladies auto-immunes et auto-inflammatoires rares (MAI 2 ) forment un groupe hétérogène de maladies, dont certaines sont d’origine génétique. Elles peuvent se manifester dès l’enfance et entraîner une morbidité et une mortalité importantes. Il s’agit de maladies chroniques, mais qui ont la particularité d’évoluer par poussées entrecoupées de périodes de rémission. Le transfert des adolescents de la pédiatrie vers la médecine pour adultes constitue une étape importante pour les patients et leur famille. Il peut entraîner une rupture du suivi médical et des soins, et l’apparition de complications parfois graves. Des recommandations existent pour la réussite de la transition du suivi médical des patients atteints de maladies chroniques, mais peu sont adaptées spécifiquement aux MAI² de l’enfant et de l’adolescent [ 1 - 3 ]. La filière française des maladies auto-immunes et auto-inflammatoires rares (FAI 2 R) a mis en place un groupe de travail, avec l’objectif de produire des outils et recommandations, afin d’aider les professionnels de santé concernés dans leur accompagnement des adolescents et jeunes adultes dans cette transition.

En effet, la préparation au transfert vers le système de santé pour adultes doit être anticipée et avoir pour objectif l’autonomie des adolescents en les responsabilisant et en leur fournissant les connaissances nécessaires pour gérer eux-mêmes leurs soins, savoir comment réagir de manière appropriée en cas de changement de leur état et comment évoluer au sein du système de santé des adultes. Cette préparation est aussi nécessaire lorsque la maladie est en rémission à l’adolescence, dans la perspective du suivi médical à l’âge adulte. Cela exige la participation active et coordonnée du patient, de sa famille et des équipes de soins pédiatriques et pour adultes. La transition implique une prise en charge pluridisciplinaire et des programmes d’éducation thérapeutique dédiés. Enfin, l’identification de médecins spécialistes par région, formés aux MAI² rares, accompagnés par des patients experts, pourrait améliorer la prise en charge, à l’âge adulte, des personnes atteintes de MAI² rares dès l’enfance ou l’adolescence.

Dans un premier temps, le groupe de travail a participé à l’élaboration d’une checklist à partir d’une étude européenne utilisant la « méthode de Delphes 1 » auprès d’un groupe international et interdisciplinaire d’experts [ 4 ]. Cette checklist définit ainsi les thèmes qu’il convient d’aborder, et l’âge approprié pour le faire, avec les jeunes patients et leur famille au cours du processus de transition du suivi médical. Bien que conçue pour être utilisée en rhumatologie, cette checklist n’est pas spécifique à une maladie particulière et peut être utilisée pour la plupart des maladies chroniques.

FAI²R a matérialisé la checklist de façon que chaque professionnel puisse l’avoir sous les yeux, sous la forme d’un sous-main, lors de la consultation avec le patient. La filière a également développé et associé à cette checklist des outils concrets utilisables. On y trouve, par exemple, une frise chronologique permettant de présenter au jeune patient et à sa famille, en le personnalisant, le processus de transition et d’en visualiser les différentes étapes dans le temps, ainsi qu’une fiche d’identité permettant de présenter le service pour adultes dans lequel le patient sera transféré. Tous ces outils sont disponibles en téléchargement sur le site de FAI²R 2 .

Le groupe de travail sur la transition a publié ses réflexions et recommandations de prise en charge des patients atteints de maladies auto-immunes et auto-inflammatoires rares [ 5 ]. Ces recommandations sont également détaillées sur le site de la filière FAI²R 3 . On y trouve en particulier dix recommandations pour préparer et accompagner le transfert des patients MAI² de la pédiatrie vers un service de médecine pour adultes ( Tableau I ) . La chronologie proposée dans ce processus d’accompagnement des patients adolescents et jeunes adultes vers l’autonomie est celle préconisée dans la checklist , dont les items ont été répartis en trois phases : préparation (12-16 ans), transfert (16-22 ans), engagement (20-24 ans) ( Figure 1 ) . Il s’agit toutefois d’un cadre flexible, destiné à fournir des repères aux professionnels de santé pour faciliter l’accompagnement des patients ; le processus de transition doit aussi être guidé par le développement intellectuel, cognitif et affectif de chaque patient, et s’adapter aux ressources humaines et matérielles disponibles.

Parmi ces recommandations, celles visant à renforcer l’alliance thérapeutique sont particulièrement importantes [ 6 ]. Celle-ci peut se définir comme la création d’une relation de confiance entre le soignant et le patient : sentiment pour le patient d’être écouté, pris en considération, aidé, et pour le médecin ou le soignant, de comprendre les attentes de son patient et de lui apporter une aide. C’est également une écoute mutuelle et une collaboration pour s’accorder sur les objectifs thérapeutiques et les moyens d’y parvenir, impliquant compromis, transfert de compétences, autonomisation. Lors du processus de transition, cette alliance thérapeutique nécessite de la part des médecins (pédiatre, puis médecin pour adultes) d’appréhender le contexte particulier de l’adolescence, mais également d’être familier des modes de communication et des codes des adolescents et jeunes adultes. Elle implique également de bien connaître les préoccupations et priorités de ces jeunes patients afin d’anticiper les problèmes (notamment d’adhésion au traitement).

Lors du transfert, le jeune patient, déjà engagé dans une relation thérapeutique avec son pédiatre, va devoir construire une nouvelle relation avec le médecin pour adultes et lui accorder sa confiance, ce qui nécessite du temps. Le groupe de travail de la filière FAI 2 R s’est ainsi attaché à explorer la façon dont les médecins et les jeunes patients perçoivent leur relation durant cette période de transition. Il n’existe pas encore, en France, de règle établie sur la meilleure façon, pour un médecin pour adultes, de communiquer avec les jeunes adultes qui sont atteints d’une maladie chronique depuis l’enfance ou l’adolescence, et qu’il va désormais prendre en charge après leur parcours pédiatrique. La question se pose, d’une part, du tutoiement ou du vouvoiement, et d’autre part, du moyen de communication à privilégier : courriel ou téléphonie mobile. Une enquête a donc été réalisée pour faire un état des lieux des pratiques dans la filière de santé maladies rares auto-immunes ou auto-inflammatoires (FAI 2 R) auprès des médecins en charge de la transition et auprès des jeunes patients concernés ( Tableau II ) . Afin d’avoir le point de vue des médecins et celui des patients, deux questionnaires ont été conçus par le groupe de travail composé de rhumatologues, médecins internistes, pédiatres, d’une infirmière et d’une scientifique. Les liens vers ces questionnaires numériques anonymes ont ensuite été envoyés, dans le cadre d’une enquête nationale, à des pédiatres et à des médecins spécialistes pour adultes de la filière FAI 2 R et à des patients pris en charge par ces médecins. Parmi les 266 médecins contactés, 100 ont répondu au questionnaire : 31 pédiatres, et 69 médecins pour adultes, âgés entre 24 et 65 ans. Lorsqu’il s’agissait de s’adresser à un jeune de plus de 16 ans, le vouvoiement était préconisé par la moitié des médecins (dont 98 % de médecins pour adultes) et le tutoiement par l’autre moitié (dont 64 % de pédiatres). Le vouvoiement, pour ceux qui le pratiquent, n’était cependant pas systématique en présence des parents, mais 36 % des médecins interrogés estiment qu’il devrait être obligatoire après la transition. Et le seuil des 18 ans (âge de la majorité civile en France) remet en question le tutoiement pour 40 % des médecins. Cependant, à la question « Les jeunes acceptent-ils le vouvoiement ? », 28 % des médecins interrogés répondent que les jeunes l’acceptent difficilement. En termes de communication, seulement 4 % des médecins, tous des médecins pour adultes, donnent leur numéro de téléphone portable personnel à leurs jeunes patients, tandis que 57 % des médecins donnent plus volontiers leur adresse courriel.

Parmi les 220 jeunes patients contactés, 104 ont répondu au questionnaire, dont 86 % étaient âgés de 14 à 25 ans. La majorité (86 %) étaient suivis par un médecin pour adultes. Dans 84 % des cas, ils estimaient qu’atteindre l’âge de la majorité civile n’impliquait pas le vouvoiement, et 85 % d’entre eux déclaraient d’ailleurs préférer être tutoyés. La plupart de ces jeunes patients (55 %) aimeraient disposer du numéro de téléphone portable de leur médecin pour adultes, et 89 % souhaiteraient disposer de son adresse courriel ; ils sont d’ailleurs 87 % à penser que la relation avec le médecin serait plus facile s’ils disposaient du numéro de téléphone portable ou de l’adresse courriel.

La plupart des médecins déclarent ne pas parler uniquement de sujets médicaux lors des consultations avec leurs jeunes patients. Une majorité des patients (78 %) souhaitent d’ailleurs aborder des sujets autres que médicaux avec leur médecin, et estiment (96 %) qu’aucun sujet n’est tabou.

Il s’agit à notre connaissance de la première enquête sur les pratiques de communications entre les médecins et leurs jeunes patients lors de la transition vers la médecine pour adultes, et sur les attentes des uns et des autres. Concernant le tutoiement ou le vouvoiement des jeunes par le médecin, celui-ci dépend de son choix et il n’existe pas de règle, mais les jeunes plébiscitent le tutoiement. Ils aimeraient pouvoir disposer de l’adresse courriel et du numéro de téléphone portable de leur médecin, ce qui traduit le besoin d’être connectés sans intermédiaire à leur médecin référent. Mais alors que les médecins communiquent volontiers leur adresse courriel, ils donnent rarement leur numéro de téléphone portable, peut-être du fait de la différence de génération entre eux et leurs patients, ou par crainte d’être trop sollicités par téléphone, de ne pas pouvoir répondre à toutes les demandes, ou de voir se réduire le champ de leur vie privée. Pouvoir aborder des sujets aussi variés que les loisirs, le projet professionnel, la sexualité ou le vécu émotionnel, rejoint le besoin d’une relation de confiance entre le jeune patient et son médecin.

Les résultats de cette enquête montrent que les attentes des jeunes atteints d’une maladie auto-immune ou auto-inflammatoire lors de leur passage à la médecine pour adultes peuvent remettre en question les habitudes de leurs médecins, et devront faire l’objet d’un débat. Le vouvoiement pourrait être utilisé par les médecins pour adultes pour aider les jeunes à passer de l’adolescence à l’âge adulte. Cependant, un tutoiement de transition, tel qu’il est plébiscité par les jeunes, représente peut-être à leurs yeux une marque de reconnaissance de leur histoire médicale et l’assurance d’une certaine continuité dans leur suivi médical. Pouvoir joindre leur médecin à tout moment par téléphone semble rassurer ces jeunes patients et s’inscrit dans de nouveaux modes de communication et de relation pour une nouvelle génération d’individus très connectés et vivant dans l’instantanéité. La télémédecine, bien que nécessitant des moyens humains supplémentaires, pourrait répondre en partie à ces nouvelles formes de sollicitation médicale par les jeunes adultes atteints de maladies chroniques.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Remerciements

La commission « Transition » de la filière de santé des maladies auto-immunes et auto-inflammatoires remercie les jeunes patients et les collègues de cette filière qui ont accepté de participer à l’enquête.

 
Footnotes
1 La méthode de Delphes (en anglais, Delphi) est une méthode visant à organiser la consultation d’experts sur un sujet précis. Cet outil d’enquête consiste en un processus itératif durant lequel une série de questions sont posées à un cercle permanent d’experts plusieurs fois de suite de façon anonyme. L’expert est ainsi encouragé à reconsidérer et à modifier sa réponse précédente à la lumière des réponses des autres membres du groupe. Le but final est de rassembler plusieurs avis d’experts sur le sujet, de mettre en évidence des convergences d’opinions et de dégager un consensus.
References
1.
Suris J-C , Akre C . Key elements for, and indicators of, a successful transition: an international Delphi study. . J Adolesc Health Off Publ Soc Adolesc Med. 2015; ; 56 : :612. – 618 .
2.
Foster HE , Minden K , Clemente D , et al. EULAR/PReS standards and recommendations for the transitional care of young people with juvenile-onset rheumatic diseases. . Ann Rheum Dis. 2017; ; 76 : :639. – 646 .
3.
Solau-Gervais E. . Comment prendre en charge des jeunes adultes atteints d’arthrite juvénile idiopathique ? De la consultation de pédiatrie à la consultation de rhumatologie. . Rev Rhum Monogr. 2012; ; 3790 : :1. .
4.
Akre C , Suris J-C , Belot A , et al. Building a transitional care checklist in rheumatology: A Delphi-like survey. . Joint Bone Spine. 2018; ; 85 : :435. – 440 .
5.
Georgin-Lavialle S , Hentgen V , Truchetet ME , et al. La transition de la pédiatrie à l’âge adulte : recommandations de prise en charge de la filière des maladies auto-immunes et auto-inflammatoires rares (FAI 2 R) . . Rev Med Interne. 2021; ; 42 : :633. – 8 .
6.
Lohse A , Lemelle I , Pillet P , et al. Therapeutic alliance is associated to treatment adherence in children with juvenile idiopathic arthritis. . Joint Bone Spine. 2021; ; 88 : :105151. .