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Med Sci (Paris). 38(8-9): 623–626.
doi: 10.1051/medsci/2022087.

Interaction entre les récepteurs de la dopamine et ceux du glutamate
Une cible thérapeutique contre les addictions ?

Andry Andrianarivelo,1a Pierre Trifilieff,2b Jacques Barik,3,4c and Peter Vanhoutte5,6,7d

1Université Paris Cité , CNRS UMR8118 , Paris , France .
2Université de Bordeaux, INRAE, Bordeaux INP, NutriNeuro , Bordeaux , France .
3Université Côte d’Azur , Nice , France .
4Institut de pharmacologie moléculaire et cellulaire , CNRS UMR7275 , Valbonne , France .
5Sorbonne Université, UM CR18, Neuroscience Paris-Seine , Paris , France .
6CNRS UMR 8246, Neuroscience Paris-Seine , Paris , France .
7Inserm UMRS 1130, Neuroscience Paris-Seine, Institut de biologie Paris-Seine , Paris , France .
Corresponding author.

MeSH keywords: Comportement toxicomaniaque, Dopamine, Humains, Récepteurs au glutamate

 

L’addiction est caractérisée par des comportements compulsifs de recherche et de consommation de drogues en dépit des conséquences néfastes de leur consommation pour l’individu. Cette affection chronique, qui comporte un risque élevé de rechute après une période d’abstinence, est liée à la capacité des substances addictives d’augmenter la concentration de dopamine au sein d’un ensemble de structures cérébrales formant le circuit de la récompense, en particulier dans la partie ventrale du striatum, appelée noyau accumbens [ 1 ]. L’augmentation de la concentration de dopamine dans le noyau accumbens influe durablement sur le poids des transmissions synaptiques excitatrices glutamatergiques des afférences provenant de diverses aires cérébrales, telles que le cortex préfrontal, l’amygdale, le thalamus ou l’hippocampe, et va ainsi entraîner l’apparition des comportements addictifs et leur persistance [ 2 , 3 ] ( ).

(→) Voir la Nouvelle de E. Valjent et al ., m/s n° 5, mai 2005, page 453

L’intégration des signaux dépendants de la dopamine et du glutamate convergeant sur le noyau accumbens est assurée par les neurones épineux de taille moyenne ( medium-sized spiny neurons, MSN), qui forment deux populations distinctes selon qu’ils expriment le récepteur de la dopamine de type 1 (D1R) ou de type 2 (D2R). L’hypothèse prévalente est que la libération de dopamine induite par les drogues active fortement les neurones D1R-MSN, ce qui promeut le processus de renforcement 1 de la consommation de ces drogues, alors qu’elle inhibe les neurones D2R-MSN et leur fonction « anti-renforcement ». Tous les neurones MSN expriment les récepteurs du glutamate de type NMDA (N-méthyl-D-aspartate), et nous avons précédemment montré que lors d’une élévation de la concentration de dopamine, l’activation de son récepteur D1 favorise l’influx d’ions calcium au travers des récepteurs NMDA (NMDAR) dans les neurones D1R-MSN, ce qui active la voie de signalisation intracellulaire ERK ( extracellular signal-regulated kinase ) contrôlant diverses adaptations comportementales induites par la cocaïne [ 4 , 5 ] ( ).

(→) Voir la Nouvelle de C. Lüscher et V. Pascoli, m/s n° 4, avril 2012, page 353

Nous avons cherché à comprendre le mécanisme moléculaire de ce « dialogue » délétère entre dopamine et glutamate induit par les drogues.

On connaissait l’existence d’interactions physiques directes, par hétéromérisation, entre les récepteurs de la dopamine (DAR) et les NMDAR, qui permettent des modulations fines et réciproques des récepteurs partenaires ( Figure 1 ) [ 6 , 7 ]. Ces hétéromères de récepteurs sont régulés et possèdent des propriétés fonctionnelles distinctes de celles des DAR et des NMDAR. Cela en fait une cible privilégiée pour le développement de nouvelles stratégies thérapeutiques inhibitrices puisque les effets indésirables pourraient être moindres que lorsqu’on inhibe les récepteurs DAR ou NMDAR individuellement. Nous avions préalablement montré, chez la souris, que les hétéromères D1R-NMDAR étaient présents dans le noyau accumbens et qu’ils étaient nécessaires à la modulation de la transmission glutamatergique par la dopamine dans les neurones D1R-MSN [ 8 ]. À l’inverse, d’autres travaux ont montré que l’interaction entre D2R et NMDAR était responsable de l’inhibition des NMDAR par la dopamine dans les neurones D2R-MSN [ 7 ]. Ces résultats nous ont conduits à analyser la modulation des récepteurs hétéromériques D1R-NMDAR et D2R-NMDAR dans le noyau accumbens chez la souris et à étudier leur rôle dans les adaptations moléculaires, cellulaires, et comportementales induites par une exposition répétée à la cocaïne. Nous avons également cherché à déterminer si ces hétéromères étaient modifiés dans le noyau accumbens de sujets ayant souffert d’une dépendance majeure aux substances psychostimulantes.

Nous avons étudié l’effet d’une exposition chronique à la cocaïne sur l’hétéromérisation DAR-NMDAR dans le contexte de la sensibilisation locomotrice, un paradigme expérimental fréquemment utilisé pour identifier les mécanismes impliqués dans les adaptations comportementales durables induites par les drogues [ 2 , 5 ] : l’administration quotidienne d’une dose fixe de cocaïne provoque une augmentation progressive de la locomotion (sensibilisation locomotrice) qui perdure, même après plusieurs semaines d’abstinence, lors d’une réexposition à la cocaïne. L’hétéromérisation des récepteurs a été détectée par la technique PLA ( proximity ligation assay ), qui permet de révéler la proximité de deux protéines partenaires sur des coupes de cerveau [ 9 ] ( Figure 1 ) . Nous avons ainsi montré que la sensibilisation locomotrice à la cocaïne induit une augmentation transitoire des hétéromères D1R-NMDAR dans le noyau accumbens, tandis que l’augmentation des hétéromères D2R-NMDAR persiste même après une semaine d’abstinence [ 10 ].

Pour étudier le rôle de ces interactions entre récepteurs dans les adaptations induites par la cocaïne, nous avons utilisé des vecteurs viraux recombinants permettant l’expression de séquences peptidiques capables de bloquer l’interaction D1R-NMDAR ou D2R-NMDAR de manière contrôlée dans le temps grâce à la présence d’un promoteur dépendant de la doxycycline. Après l’injection stéréotaxique de ces vecteurs dans le noyau accumbens des souris, nous avons vérifié que l’interaction D1R-NMDAR ou D2R-NMDAR était inhibée lorsque la doxycycline est ajoutée à l’eau de boisson. Ainsi, nous avons montré que l’inhibition de l’interaction D1R-NMDAR avant et pendant les injections quotidiennes de cocaïne bloque le développement de la sensibilisation locomotrice et la plasticité des synapses glutamatergiques sur les neurones D1R-MSN. En revanche, bloquer l’hétéromérisation D1R-NMDAR après le développement de la sensibilisation locomotrice, sélectivement pendant la période de sevrage de consommation de la drogue, n’a pas d’effet sur le maintien, au cours du temps, de la sensibilisation locomotrice induite par une nouvelle injection de cocaïne. Ces résultats montrent que l’hétéromérisation D1R-NMDAR transitoire induite par la consommation de cocaïne contrôle le développement, mais pas le maintien, de la sensibilisation locomotrice. Une approche expérimentale similaire nous a permis d’établir que l’hétéromérisation persistante de D2R-NMDAR participe au développement, mais également au maintien de cette sensibilisation comportementale à la cocaïne ( Figure 2 ) .

Pour étudier le rôle de ces complexes hétéromériques de récepteurs sur les propriétés hédoniques de la cocaïne, nous avons utilisé le dispositif expérimental de « préférence de place conditionnée » ( conditioned place preference, CPP), consistant à associer un compartiment à l’injection de cocaïne et un autre à l’injection d’une solution neutre. Cela conduit au développement d’une préférence pour le compartiment préalablement associé à l’administration de cocaïne. Cette association entre le contexte et l’administration de cocaïne est robuste et durable, et résulte des propriétés hédoniques de la drogue. Là encore, nous avons pu montrer que l’hétéromérisation D1R-NMDAR contrôle le développement de la CPP et l’adaptation des neurones D1R-MSN (augmentation du nombre de synapses) induits par la cocaïne, mais pas le maintien de la CPP. En revanche, l’inhibition de l’interaction D2R-NMDAR altère également le maintien, au cours du temps, de la CPP induite par la cocaïne. Il est important de noter que le rôle de ces hétéromères semble spécifique des réponses aux drogues puisque l’inhibition de l’un ou de l’autre hétéromère n’altère pas les comportements dirigés vers une récompense alimentaire ( Figure 2 ) .

Pour tester la pertinence des résultats obtenus chez la souris, nous avons recherché chez l’homme, post-mortem , l’existence de l’hétéromérisation DAR-NMDAR, par la technique PLA, sur des échantillons de noyau accumbens provenant d’individus ayant souffert d’une dépendance aux psychostimulants ou provenant de sujets n’ayant pas cette dépendance. Nous avons ainsi montré que les complexes DAR-NMDAR sont présents dans le cerveau humain et que, malgré une diminution de l’expression de D2R, les individus souffrant d’une dépendance aux psychostimulants présentent une proportion plus élevée de D2R formant des hétéromères avec NMDAR que des sujets témoins.

Cette étude a permis de progresser dans la compréhension des mécanismes neurobiologiques de l’addiction et souligne le potentiel thérapeutique d’un ciblage des hétéromères associant récepteurs de la dopamine et récepteurs NMDA du glutamate contre la dépendance à la cocaïne. Il conviendra de déterminer si ces hétéromères sont également impliqués dans les adaptations pathologiques induites par d’autres drogues, licites ou illicites, telles que la nicotine ou les opiacés. Par ailleurs, il semble également important de rechercher si l’inhibition de ces hétéromères pourrait atténuer certains symptômes associés à certaines maladies psychiatriques, telles que la dépression ou la schizophrénie.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Remerciements

Nos travaux de recherche sont financés par les organismes suivants : CNRS, Inserm, INRAE, Sorbonne Université, université de Bordeaux, université Côte d’Azur, Agence nationale pour la recherche (ANR-15-CE16-001 ; ANR-18-CE37-0003-02 ; ANR-10-IDEX-03-02 ; ANR-16-CE16-0022), Fondation pour la recherche médicale (DPA20140629798 ; DEQ20180339159) et Institut de la recherche en santé publique (APP-addiction 2019).

 
Footnotes
1 Le renforcement désigne l’augmentation de la probabilité de répéter un comportement. Si l’exécution d’un comportement et sa répétition permettent d’obtenir une récompense induisant une sensation plaisante, comme c’est le cas lors de la consommation d’une substance addictive, on parle de renforcement positif. Si le comportement est répété parce qu’il permet d’échapper à une punition ou à une sensation déplaisante, il s’agit d’un renforcement négatif.
References
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