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Med Sci (Paris). 38(8-9): 621–622.
doi: 10.1051/medsci/2022110.

Otologie et audiologie, un parcours de soin en pleine mutation à la lumière des avancées scientifiques

Paul Avan1* and Christine Petit2**

1Université Clermont Auvergne Centre de recherche et innovation en audiologie humaine (CERIAH), Institut de l’audition , 63 rue de Charenton , 75012Paris , France
2Institut Pasteur, Université Paris Cité Inserm UA06, Institut de l’audition Collège de France , 63 rue de Charenton , 75012Paris , France
Corresponding author.

MeSH keywords: Audiologie, Programme clinique, Humains, Oto-rhino-laryngologie

 

Entravée par l’enchâssement de l’organe sensoriel auditif, la cochlée, au fond de l’os temporal et par le trop petit nombre de cellules sensorielles pour en permettre une analyse biochimique, l’otologie a longtemps dû se contenter d’être chirurgicale. Certes, elle a obtenu de grands succès, aucune surdité neurosensorielle n’étant plus délaissée, quel que soit son degré, avec l’avènement des aides auditives amplificatrices numériques et des implants cochléaires, neuroprothèses électriques qui restaurent la compréhension de la parole dans le silence. Cerise sur le gâteau, le récent reste-à-charge zéro de l’Assurance maladie démocratise l’accès à l’appareillage. Mais encore maintenant, il n’existe aucune véritable thérapie des surdités neurosensorielles, et l’otologie reste chirurgicale bien plus que médicale. Si les solutions techniques offertes par les aides auditives sont très flexibles, il n’y a pas encore de fondement rationnel clair pour adapter leur réglage à l’atteinte auditive du patient. C’est à l’audioprothésiste de compenser cet inconvénient par sa patience et son savoir-faire largement empirique. Or, l’attitude qui consiste à ancrer l’intervention sur un seul indicateur basique, le seuil de perception de sons purs évalué par l’audiogramme, est en train de céder la place à une démarche d’otologie médicale capable de s’intégrer dans le concept de médecine de précision. Le parcours de soin du malentendant va bientôt s’en trouver bouleversé et cela concerne beaucoup de personnes : en France, on répertorie environ six millions de malentendants, dont la moitié auraient besoin d’une réhabilitation auditive, alors que seulement deux millions sont appareillés. L’identification récente de la surdité comme premier facteur de risque modifiable associé au déclin cognitif est une incitation supplémentaire à agir [ 1 ]. 
Le besoin d’avancées très significatives dans les méthodes diagnostiques, bases d’une otologie médicale de précision, vient de ce qu’on connait désormais de nombreux types de surdité neurosensorielle, dont certains vont pouvoir bénéficier d’authentiques traitements. Dans la catégorie la plus fréquente, la surdité vient principalement d’un dysfonctionnement de certaines cellules sensorielles auditives dites cellules ciliées externes, qui amplifient la vibration sonore de manière à la fois sélective en fréquence et compressive : les seuils auditifs sont un bon marqueur de ces dysfonctionnements. Mais depuis les années 1990, la découverte d’au moins deux autres phénotypes auditifs et la construction d’un catalogue systématique des surdités génétiques ont forcé à une nouvelle réflexion. Le premier phénotype est celui des neuropathies auditives, découvertes par Starr en 1996, responsables d’environ 10 % des cas de malentendance [ 2 ]. Ces neuropathies englobent une mosaïque d’atteintes congénitales et acquises qui perturbent la synchronie des influx nerveux, et non la sensibilité aux faibles intensités sonores : « j’entends mais je ne comprends pas », disent les patients, environ 10 % des cas de malentendance. Le deuxième phénotype a été découvert en 2009, chez la souris, par l’équipe de Kujawa et Liberman [ 3 ] : l’existence d’une perte de rubans synaptiques qui traduit la déconnexion entre certains neurones auditifs et leurs cellules sensorielles, à la suite d’une surexposition sonore intense isolée de quelques heures, sans conséquence durable sur le seuil de perception auditive. C’est donc une surdité « cachée » : pas encore de phénotype identifiable, même si certains protocoles électrophysiologiques non conventionnels découvrent des indices corrélés à l’histologie ! Le côté « caché » du déficit vient de ce que les neurones déconnectés ont pour tâche normale de coder les sons d’intensité nettement supérieure au seuil de perception auditive. Ces réponses relèvent-elles d’une machinerie synaptique particulière, impliquent-elles des circuits neuronaux associés spécifiques ? Et quel est leur intérêt perceptif ? Leur participation au traitement sensoriel des sons intenses fait soupçonner un intérêt dans le débruitage.


En trois décennies, plus de 140 gènes responsables de formes monogéniques de surdité neurosensorielle isolée (c’est-à-dire non syndromique) ont été identifiés, et leurs fonctions au moins partiellement élucidées par l’étude multidisciplinaire des modèles murins correspondants. C’est ainsi que la caractérisation de mécanismes moléculaires qui sous-tendent des fonctions auditives essentielles, comme la conversion de la stimulation mécanique des cellules sensorielles auditives en une dépolarisation électrique, est le résultat du déchiffrage de la génétique des surdités [ 4 ], qui a également dévoilé l’importance fonctionnelle, naguère inconnue, de certains organites pour l’audition. Par exemple, en 2015, on a découvert que le système auditif, dont le métabolisme énergétique est très intense, est protégé des dérivés réactifs de l’oxygène issus de ce métabolisme par des réactions biochimiques spécifiques très dynamiques impliquant les peroxysomes. L’absence de certaines protéines par mutation génique peut perturber cette fonction protectrice des peroxysomes, au point de rendre les patients extrêmement vulnérables aux sons forts. Chez l’animal, des thérapies géniques, mais aussi pharmacologiques anti-oxydantes, ont fait leurs preuves pour restaurer cette fonction des peroxysomes [ 5 ].

Rien que dans le domaine conventionnel audioprothétique, les progrès techniques permettent d’ores et déjà des traitements de signal acoustique personnalisés, à condition, bien sûr, qu’on ait pu déterminer le besoin spécifique du malentendant. Par-delà ces avancées techniques, une incitation à une approche volontariste de l’appareillage vient de la corrélation statistique citée plus haut entre surdité liée à l’âge et déclin cognitif. Ni la présence d’un lien causal ni sa nature ne sont établis, mais, selon certaines hypothèses, une prise en charge précoce des surdités atténuerait la progression des démences, un enjeu croissant de santé publique. Or la situation actuelle en termes d’intervention pour une surdité est pour le moins perfectible, car le délai moyen est de l’ordre de dix ans entre l’apparition d’une plainte et l’adaptation d’une solution audioprothétique. L’amélioration de cette situation est donc une priorité. Même indépendamment de l’aspect cognitif, il est établi que la réhabilitation auditive précoce active intensivement la plasticité cérébrale, accélère l’acclimatation aux aides auditives et permet une réversion plus rapide de la perte de performances perceptives afin de maintenir l’efficacité professionnelle et le lien social.

Mais surtout, cette nouvelle vision de la physiologie auditive ancrée scientifiquement tombe à point nommé pour jeter les bases d’une médecine de l’audition dont la demande se fait pressante avec l’avènement d’authentiques pistes thérapeutiques. Pour beaucoup de ces traitements, la preuve de concept 1 qu’elles ciblent le mécanisme causal du déficit sensoriel est établie, comme c’est le cas pour les thérapies géniques. Cette démarche « mécanistique » suscite beaucoup plus d’espoirs que celle, ancienne, utilisant des molécules certes intéressantes, anti-inflammatoires, anti-apoptotiques, ou osmotiquement actives, mais sans discernement.

Depuis cinq ans, des efforts considérables ont été consacrés au développement de la thérapie génique des surdités héréditaires [ 6 ] ( ).

(→) Voir la Nouvelle de J.P. Hardelin et S. Safieddine, m/s n° 12, décembre 2019, page 1213

À ce jour, 39 preuves de concept ont été rapportées, faisant état d’effets bénéfiques du transfert de vecteurs de thérapie génique dans l’oreille interne de souris mutantes. Ces modèles portent sur 20 gènes de surdité humaine et 31 essais ont concerné des formes de surdité autosomiques récessives (dites DFNB), presque exclusivement congénitales sévères ou profondes. Les techniques développées sont d’une grande variété : oligonucléotides anti-sens, petits ARN interférents, remplacement du gène défectueux et augmentation génique 2, , édition du génome par différentes techniques et diminution de la transcription de certains gènes, en utilisant la technique CRISPR/Cas13 3 . Le transfert à l’homme est déjà envisageable pour un petit nombre de ces formes récessives de surdités, mais, pour être efficaces, ces traitements exigeront, dans la plupart des cas, une intervention très précoce. Les surdités à début plus tardif, transmises sur un mode dominant (dites DFNA), méritent d’être singularisées. Elles se rencontrent notamment comme formes monogéniques de surdité neurosensorielle liée à l’âge : leur prévalence en fait un projet tentant de thérapie génique chez l’adulte, plus facile à concevoir que chez un nouveau-né. Enfin, il ne faut pas oublier que le vestibule, organe de l’équilibre également situé dans l’oreille interne, partage avec la cochlée son origine embryologique et un grand nombre de ses mécanismes moléculaires essentiels à sa fonction. Cela explique la présence de troubles de l’équilibre dans certaines surdités héréditaires précoces et, sans doute, tardives. Or il semble que la thérapie génique des troubles vestibulaires permette une récupération fonctionnelle beaucoup plus complète que celle des troubles cochléaires, même à un âge avancé, ce qui en fait un objectif particulièrement intéressant.

La mise en œuvre des nouvelles thérapies posera quelques défis de taille. Pour chacune, la première étape sera l’identification des bons candidats au traitement. Celle-ci devra être précoce pour donner au traitement un maximum de succès, donc quasi immédiate en cas de surdité brusque. C’est pourquoi des biomarqueurs de chaque affection auditive sont recherchés, de toutes natures : marqueurs moléculaires mais aussi perceptifs, électrophysiologiques ou issus de l’imagerie. La multimodalité des données de chaque patient et leur volume appellent le développement d’analyses utilisant l’intelligence artificielle. La notion même de repérage précoce, gage de maintien des fonctions de communication dont l’audition est le support privilégié, va nécessiter l’implication de nombreuses spécialités médicales et paramédicales, avec la mise en place d’outils audiologiques simples et d’enseignements adaptés aux avancées scientifiques et aux évolutions des compétences : un défi au sein du défi politique plus général qu’est la démographie médicale et l’aménagement de son territoire. La santé auditive de 700 millions d’individus qui auront besoin d’un traitement de réhabilitation auditive en 2050, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), en dépend.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 De l’anglais proof of concept , ou preuve de concept. Faire la preuve du concept consiste en une validation de principe ou en une démonstration de faisabilité d’un nouveau concept. Il s’agit d’une réalisation expérimentale ayant pour but de montrer la faisabilité et l’intérêt d’une innovation.
2 L’augmentation génique consiste à introduire le gène normal en laissant en place le gène muté.
3 Qui cible non pas l’ADN comme Cas9, mais l’ARN.
References
1.
Livingston G , Sommerlad A , Orgeta V , et al. Dementia prevention, intervention, and care. . Lancet. 2017; ; 390 : :2673. – 734 .
2.
Starr A , Picton TW , Sininger Y , et al. Auditory neuropathy. . Brain. 1996; ; 119 : :741. – 53 .
3.
Kujawa SG , Liberman MC . Adding insult to injury: cochlear nerve degeneration after temporary noise-induced hearing loss. . J. Neurosci. 2009; , 29 : :14077. – 85 .
4.
Richardson GP , Petit C . Hair-bundle links: Genetics as the gateway to function. . Cold Spring Harb Perspect Med. 2019 ; :9. .
5.
Delmaghani S , Defourny J , Aghaie A , et al. Hypervulnerability to sound exposure through impaired adaptive proliferation of peroxisomes. . Cell. 2015; ; 163 : :894. – 906 .
6.
Hardelin JP , Safieddine S . Vers une thérapie génique de certaines surdités congénitales. . Med Sci (Paris). 2019; ; 35 : :1213. – 5 .