Entretien avec Mickaël Lafond Mickaël Lafond est maître de conférences à l’Université d’Aix-Marseille au sein de l’Institut des Sciences Moléculaires de Marseille (iSm2) dans l’équipe BiosCiences. Après un doctorat en Biochimie et Nutrition à l’Université Paul Cézanne (Aix-Marseille III), il a consacré l’essentiel de sa carrière à l’étude du microbiote. Il est actuellement responsable scientifique d’un projet de recherche qui porte sur le développement des nouvelles alternatives aux antibiotiques : les bactériocines de la classe des sactipeptides, plus précisément les ruminococcines. Comment avez-vous découvert la thématique des bactériocines et pour quelle raison avez-vous décidé de travailler sur ce sujet ? J’ai découvert la thématique des bactériocines durant ma thèse. A l’époque, Michel Fons s’intéressait à cette thématique et alors que le projet avait été mis en stand-by, j’ai repris ce sujet qui m’intéressait et j’ai relancé la machine en collaboration avec des partenaires à Grenoble notamment. Quel est selon vous le plus des bactériocines par rapport aux autres alternatives aux antibiotiques ? Je ne suis pas sûr qu’on puisse classer les bactériocines devant une autre stratégie alternative aux antibiotiques puisqu’il y en a un certain nombre qui sont explorées à l’heure actuelle, dont la phagothérapie. Cependant, l’avantage des bactériocines, c’est qu’elles sont produites généralement par des bactéries qui sont commensales de l’homme, ce qui en fait l’intérêt. On s’attend ainsi à une absence d’effets indésirables lors d'une utilisation thérapeutique. Pourquoi avoir choisi de travailler sur RumC et pas de continuer les travaux sur RumA qui semble aussi posséder des propriétés antimicrobiennes intéressantes ? Pour être honnête, la ruminococcine A, à l’époque où j’ai redémarré le projet, avait été relativement bien caractérisée. Elle avait été prédite comme appartenant à la famille des lantibiotiques de classe II, qui était une famille relativement bien connue. À l’inverse, la ruminococcine C n’était pas du tout connue, offrant un fort potentiel de découverte. Néanmoins, il reste une caractérisation fonctionnelle poussée à réaliser sur la ruminococcine A puisque les travaux qui ont été développés par des collaborateurs allemands ont porté essentiellement sur la résolution structurale de la bactériocine, pas forcément sur ses caractéristiques fonctionnelles. Les ruminococcines possédant toutes une activité anti-Clostridia, quel est selon vous l’intérêt d’une telle redondance fonctionnelle chez Ruminococcus gnavus ? La caractérisation fonctionnelle de la ruminococcine A n’a pas été très détaillée à ce jour et le spectre d’activité de cette ruminococcine n’a pas été complètement défini. On ne sait donc pas actuellement si les ruminoccoccines A et C ont le même spectre d’activité. De ce fait, on ne peut pas réellement affirmer qu’il y ait une vraie redondance. En revanche, on sait que les ruminococcines C sont uniquement produites in vivo, ce qui n’a jamais été montré pour la ruminococcine A. Plusieurs études montrent un lien entre la présence abondante de R. gnavus dans le microbiote et la survenue de certaines maladies inflammatoires. Pensez-vous que cela puisse constituer un obstacle au développement des ruminococcines comme agent thérapeutique ? La ruminococcine est un peptide antimicrobien. Il n’y a donc pas de lien de cause à effet direct entre la ruminococcine et les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin. Le fait que R. gnavus soit surreprésenté dans le cadre de ce type de maladies inflammatoires intestinales peut être simplement lié au fait que durant l’inflammation, il y a des niches écologiques qui se libèrent. Cela laisse la place à d’autres commensaux ou symbiontes tels que R. gnavus. Donc, nous n’avons pas de preuve à l’heure actuelle d’une implication de R. gnavus dans ce type de maladies. Les travaux portant sur le microbiote intestinal sont en plein essor mais peu de gens connaissent réellement ce sujet et son intérêt. Cela n’a pas été un frein pour vous au départ ? Absolument pas car dès que j’ai débuté ma carrière dans la recherche, j’ai suivi le développement des travaux sur le microbiote, notamment les travaux de Joel Doré et de Jeffrey Gordon. J’ai également suivi les travaux de Michel Fons à l’époque où il venait de rejoindre le laboratoire, puisqu’il travaillait depuis des années sur cet aspect-là. C’est donc quelque chose qui m’a intéressé dès le départ. Par ailleurs, j’ai travaillé sur des aspects bénéfiques du microbiote, notamment sur la dégradation de la biomasse végétale par des bactéries du microbiote intestinal. Donc non, cela n’a pas été un frein au départ car j’avais un minimum de culture sur ce microbiote et l’intérêt qu’il peut apporter à l’hôte. L’évolution des techniques utilisées dans l’étude des bactériocines fait apparaitre un aspect pluridisciplinaire (génomique, biologie moléculaire, biochimie et même biophysique). Pensez-vous que le microbiologiste d’aujourd’hui doit maitriser un panel de techniques plus vaste que le microbiologiste d’hier ? Complétement ! Il est vrai qu’il y a 15-20 ans les chercheurs étaient essentiellement spécialisés dans l’étude d’une famille de protéines ou même une voie métabolique, donc quelque chose de bien précis. À l’heure actuelle, avec le développement du « haut-débit », nous sommes forcément contraints d’augmenter notre spectre de compétences techniques. De plus, je pense qu’aujourd’hui, nous sommes amenés à développer plus de collaborations pour mener à bien un projet. Les projets sont par ailleurs plus ambitieux et sont programmés pour des durées plus courtes, car ils sont financés sur des périodes de 3 à 5 ans. Généralement, les organismes financeurs nous demandent justement d’avoir des projets qui soient ambitieux et pour cela, il faut couvrir un maximum de techniques. Bien évidemment, on ne peut pas tout couvrir. Il faut donc établir des collaborations avec des experts du domaine. Sans rentrer dans les détails confidentiels, en quoi consiste la suite de vos travaux sur RumC1 ? Au départ du projet, nous n’aurions jamais imaginé que les ruminococcines C puissent avoir un intérêt thérapeutique. Aujourd’hui, nous en sommes conscients. La suite du projet serait de décrire le mécanisme d’action de la ruminococcine C afin de répondre aux prérequis pour rentrer en phase clinique. Cela est indispensable pour des questions de maitrise de la pharmacologie et de la pharmacocinétique. C’est ce qui est demandé : comprendre comment fonctionne une molécule pour maitriser ces aspects-là. Nous avons débuté cela il y a plus d’un an en collaboration avec le LMGM (Laboratoire de microbiologie et génétique moléculaire) de Toulouse. Un second aspect, qui fait aussi référence au développement clinique, c’est l’aspect industriel. En ce qui concerne la production de RumC, c’est un peptide qui est modifié, qui subit une maturation, et qui a donc un coût élevé de production à l’heure actuelle. Pour rejoindre une échelle industrielle, il va falloir optimiser cette production. Cela peut notamment passer par la production de mimétiques de synthèse de RumC et c’est ce que nous essayons de faire. Cela peut aussi passer par la recherche de RumC-like naturels, qui soient plus simples à produire et donc moins coûteux. À l’avenir, si RumC1 est utilisé comme agent thérapeutique, seriez-vous prêt à travailler avec l’industrie pharmaceutique pour produire l’antibiotique de demain ? Notre cœur de métier, c’est le laboratoire et je ne suis pas spécialisé dans le développement de process industriels. En revanche, l’idée serait de passer le relais à un industriel plutôt que d’essayer de travailler avec ce dernier. À l’heure actuelle, on a besoin de projets de recherche purement fondamentale pour comprendre les mécanismes moléculaires et cellulaires afin de répondre à des maladies. Quand on monte un projet de recherche de ce type, il devient évident de viser une application. Nous, nous n’en sommes pas loin, mais il nous reste du chemin à parcourir. Si vous deviez changer de thématique de recherche vers laquelle vous orienteriez-vous ? Pourquoi changer de thématique de recherche quand on répond à une thématique de recherche prioritaire à l’échelle mondiale ! De mon point de vue, je trouve cette thématique plaisante et intéressante, notamment ce qui concerne les objectifs thérapeutiques pour l’homme. Je vous avoue ne m’être jamais posé la question.
|