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Med Sci (Paris). 38(5): 477–479.
doi: 10.1051/medsci/2022061.

Les réseaux sociaux au service de l’intégrité scientifique, une arme à double tranchant

Sarah Dellière1,2*

1Institut Pasteur, université Paris Cité, CNRS, Unité de mycologie moléculaire, UMR2000, 25-28 rue du Dr Roux, F-75015Paris, France
2Laboratoire de parasitologie-mycologie, AP-HP, Hôpital Saint-Louis, 1 avenue Claude Vellefaux, F-75010Paris, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Recherche biomédicale, Humains, Réseautage social, normes

 

Vignette (Photo © Inserm - Koulikoff, Frédérique/Pinci, Alexandra).

Les réseaux sociaux sont des applications disponibles sur internet, réseau informatique mondial utilisant le web comme service permettant de naviguer entre des documents. Ils permettent la création et la publication de contenus (texte, photo, vidéo, etc.) générés par l’utilisateur, ainsi qu’une interaction avec d’autres utilisateurs qui les visualisent. Leur essor, concomitant du développement des téléphones portables, a touché tous les secteurs professionnels, y compris la communauté scientifique. Tandis que certains réseaux sociaux ont été spécifiquement conçus pour les scientifiques afin de faciliter la communication entre chercheurs et augmenter l’accessibilité à leurs travaux de recherche (tels que Academia, ResearchGate, MyScienceWork), d’autres réseaux, plus grand public, ont donné aux utilisateurs une interface idéale pour vulgariser leurs travaux et favoriser l’accessibilité de la science à une plus grande partie de la population (comme Twitter, Instagram, YouTube, etc.).

Sensibilisation à l’intégrité scientifique et traque collégiale de la faute scientifique

L’intégrité scientifique, qui se définit en particulier par la rigueur méthodologique et l’honnêteté du chercheur, est essentielle à la validation des travaux de celui-ci par la communauté scientifique. Elle est également cruciale pour obtenir la confiance de la société dans les résultats publiés [1]. Les réseaux sociaux accessibles aux professionnels de la recherche, d’une part, et au grand public, d’autre part, ont donné une voix aux spécialistes afin de sensibiliser ces deux populations à l’intégrité scientifique. C’est, par exemple, le cas de Hervé Maisonneuve (@hervemaison) qui, sur Twitter, partage régulièrement ses réflexions sur l’intégrité et souligne les failles du système actuel et les pièges dans lesquels il ne faut pas tomber (Figure 1A). Les réseaux sociaux constituent également un forum de discussions sur les faiblesses méthodologiques ou les résultats biaisés de certaines études, ce qui peut permettre aux jeunes apprentis chercheurs d’acquérir les bases de raisonnements éthiques. Certains utilisateurs de réseaux, comme la microbiologiste Élisabeth Bik (@microbiomdigest), consultante en intégrité scientifique, utilise Twitter comme un outil pédagogique pour sensibiliser ses lecteurs à la fraude scientifique. En postant des exemples extraits de la littérature scientifique, elle identifie des fraudes par manipulation et duplication d’images (bandes de western blot dupliquées, réutilisation des mêmes clichés de microscopie pour les tests et les témoins) qui n’ont pas été repérées par les relecteurs (Figure 1B). Certaines plateformes, comme PubPeer1, ont été conçues pour permettre à leurs utilisateurs d’émettre des commentaires concernant des articles publiés ou de signaler des soupçons de manquements à l’éthique scientifique.

Au-delà de la sensibilisation des jeunes chercheurs à l’intégrité scientifique leur permettant de développer les compétences nécessaires pour identifier les fraudes, les réseaux sociaux ont permis une démocratisation des connaissances scientifiques pour la population, stimulant le développement de son esprit critique. Ces réseaux représentent finalement un canal de communication directe pour (et entre) les jeunes scientifiques et pour les individus qui contribuent aux découvertes scientifiques comme les ingénieurs, les jeunes chercheurs, des associés de recherche, des personnes qui n’étaient généralement, auparavant, représentées que par l’investigateur principal de l’équipe.

Le revers de la médaille : une amplification des fraudes, des inégalités et des harcèlements

Dans l’univers des réseaux sociaux, les contenus sont orientés vers des usagers particuliers selon des algorithmes et des calculs qui reposent sur leurs préférences. L’évaluation des contenus et le choix des informations diffusées sont réalisés par des processus automatisés qui supplantent la gestion éditoriale habituelle des revues, en livrant des informations à même de capter l’attention des usagers, mais sans avoir été validées par un système crédible, comme l’expertise par les pairs (peer review). Cette perte de validation par une rédaction compétente a pour conséquence l’amplification de données scientifiques qui peuvent être issues de fraudes et qui présentent souvent des résultats spectaculaires mais sont source de controverses.

Cette problématique s’est illustrée en particulier au cours de la pandémie de COVID-19 (coronavirus disease 2019) avec des vidéos postées sur les chaînes YouTube de certains chercheurs. Ceux-ci, très talentueux en communication, communiquaient en fait sur des résultats d’études s’appuyant sur des méthodes frauduleuses. Près d’un quart des vidéos les plus vues sur YouTube (plus de 62 millions de vues au total) au cours de cette période, qui concernaient la COVID-19, partageaient des informations qui n’étaient en fait pas fondées scientifiquement, et qui étaient trompeuses pour l’utilisateur du site [2]. Ces simplifications ou réductions étaient amplifiées par la nécessité de transmettre une synthèse extrême des résultats scientifiques, en quelques minutes pour les vidéos partagées sur Tiktok, et en seulement 280 caractères par tweet sur Twitter. Pourtant, la discussion des résultats et les nuances à apporter pour leur compréhension, constituent un élément central et essentiel de la rédaction scientifique. Ces nuances sont néanmoins souvent oubliées sur les réseaux sociaux qui comptent un large public, pas nécessairement à même de comprendre les nuances.

Pour un chercheur, l’art de la communication sur les réseaux sociaux est une compétence pour laquelle il n’a pas été formé et très peu de formations dédiées à l’utilisation de ces outils lui sont proposées. Pourtant, la publication de résultats scientifiques sur Twitter entraîne une augmentation significative des citations et autres données bibliométriques de l’article associé au tweet, comparé aux travaux de recherche qui n’ont pas été tweetés [3]. Des comportements d’autopromotion apparaissent cependant, provenant des chercheurs eux-mêmes (s’ils sont habitués) ou de leurs abonnés sollicités. Des inégalités sont donc inévitables dans la mise en valeur des travaux scientifiques sur ces réseaux, indépendamment de leur contenu et de leur qualité.

L’utilisation des réseaux sociaux peut également conduire à des situations problématiques pour les chercheurs. Malgré leur intégrité scientifique irréprochable, certains se retrouvent être la cible de ce qui est qualifié cyber-harcèlement, recevant des messages d’insulte, d’intimidation, voire des menaces de mort pour certains. Associées à des campagnes de désinformation sur leurs travaux par d’autres chercheurs, voire par des politiciens, ces attaques dépassent le débat scientifique en impliquant parfois la sphère politique, sans fondement scientifique [4]. Ces comportements, provenant de certains utilisateurs des réseaux sociaux, ont pour objectifs d’effrayer les utilisateurs quidam et, finalement, de discréditer ces scientifiques lorsque le contexte d’incertitude et d’anxiété de la population est prégnant. Cela a été particulièrement visible lors de la pandémie de la COVID-19 mais l’est aussi à propos du réchauffement climatique de la planète.

Vers une utilisation éclairée des réseaux sociaux par les scientifiques

La désinformation scientifique existait bien avant l’ère des réseaux sociaux, comme cela a été le cas pour l’industrie du tabac qui, utilisant des arguments non fondés, prétendait l’absence d’effets nocifs et refusait toute indemnisation de patients atteints de cancer pulmonaire [5]. Peut-être les manquements à l’intégrité scientifique sont-ils plus fréquents aujourd’hui que par le passé. Ils sont surtout plus visibles. L’une des causes de cette visibilité est sans doute une plus grande accessibilité pour tous aux publications désormais en ligne en open access, mais aussi aux réseaux sociaux qui permettent de rendre publiques ces publications et leurs manquements. La sensibilisation des scientifiques à l’utilisation de ces outils de communication, puissants et sans cadre, apparaît donc être une nécessité, ces outils pouvant interférer avec la visibilité de leurs travaux de recherche mais aussi, parfois même, avec leur vie privée.

Un combat, qu’il est difficile d’ignorer, se livre donc aujourd’hui sur les réseaux sociaux, remettant en cause la crédibilité du discours scientifique et son intégrité et auquel très peu de chercheurs sont préparés. C’est un combat pour lequel il est nécessaire d’attirer l’attention de toutes les générations de scientifiques. Ce combat ne doit pas être perdu afin de restaurer et de préserver la confiance toujours fragile entre la science et la société.

Liens d’intérêt

L’auteure déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Remerciements

Ce travail a été effectué dans le cadre du cursus sur l’intégrité scientifique de l’ED562. Je remercie l’équipe « éthique, déontologie et intégrité scientifique (EPEDIS) » de l’UFR des sciences fondamentales et biomédicales de l’université Paris Cité pour son tutorat.

 
Footnotes
References
1.
Kretser A, Murphy D, Bertuzzi S, et al. Scientific Integrity Principles and Best Practices: Recommendations from a Scientific Integrity Consortium . Science and Engineering Ethics. 2019; ; 25 : :327.–355.
2.
Li HO-Y, Bailey A, Huynh D, et al. YouTube as a source of information on COVID-19: a pandemic of misinformation? BMJ Glob Health. 2020;; 5 : :e002604..
3.
Luc JGY, Archer MA, Arora RC, et al. Does Tweeting Improve Citations? One-Year Results From the TSSMN Prospective Randomized Trial . Ann Thorac Surg. 2021;; 111 : :296.–300.
4.
Peiffer-Smadja N, Rebeaud ME, Guihur A, et al. Hydroxychloroquine and COVID-19: a tale of populism and obscurantism . Lancet Infect Dis. 2021;; 21 : :e121..
5.
McKee M.The Tobacco Industry: The Pioneer of Fake News . J Public Health Res. 2017; ; 6 : :878..