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Med Sci (Paris). 38(5): 472–476.
doi: 10.1051/medsci/2022063.

La cohabitation de modèles distincts au sein du régime de soins de santé au Québec (Canada)

Marie-Claude Prémont1*

1Professeure titulaire, École nationale d’administration publique, 4750 avenue Henri-Julien, Montréal, Québec, Canada
Corresponding author.
 

Vignette (© Lightwise/123 RF).

Les principales différences entre le Canada et la France
Le panier de services
Le panier de services du système de santé à vocation universelle1, du Canada se distingue de celui de la France sur un point majeur : contrairement à la France, les médicaments que le patient se procure en pharmacie communautaire (en France ces pharmacies sont appelées officines) ne sont pas couverts au Canada par le régime universel. Le panier de soins se distingue également par l’ampleur du régime français qui englobe aussi les soins dentaires et les soins d’optométrie, ce qui n’est pas le cas au Canada. Le système de santé universel du Canada se limite donc à la couverture des soins hospitaliers et des soins du médecin hors hôpital2. Par contre, par opposition à la France, le patient n’a jamais de ticket modérateur (ou reste à charge) à payer.

La caractéristique canadienne qui exclut les médicaments hors hôpital conduit à la cohabitation de deux modèles distincts pour la couverture de soins normalement inclus dans un régime à vocation universelle : les soins hospitaliers et médicaux sont régis par un régime universel, alors que les médicaments hors hôpital sont soumis à des régimes divers, où l’assurance privée occupe souvent le premier rang. L’objet de cet article est de présenter et discuter cette cohabitation au Québec de modèles distincts pour la couverture de ces soins de santé.

Entre Beveridge et Bismarck
D’autres différences importantes que celle du contenu du panier de soins distinguent les systèmes de santé de la France et du Canada. Rappelons les principales, essentielles pour mieux comprendre la situation du Québec.

La France est un pays unitaire (une République « indivisible »), tandis que le Canada est un pays fédéral où les principales compétences touchant les soins de santé sont accordées par la Loi constitutionnelle de 1867, non pas à l’État central canadien mais aux provinces, qui sont au nombre de dix. Le Québec figure au deuxième rang des provinces les plus peuplées, après l’Ontario. Comme chaque province met sur pied et gère son propre système de santé, l’expression « système de santé du Canada » s’avère trompeuse, puisqu’existent en réalité dix systèmes de santé provinciaux3. Nous nous attarderons plus précisément sur l’un d’eux, celui du Québec.

La compétence prépondérante des provinces en matière de santé ne signifie toutefois pas que le rôle du gouvernement fédéral est négligeable et que les systèmes de santé des provinces n’ont aucun lien entre eux. Au contraire, par son pouvoir de dépenser et de redistribuer à travers le pays les impôts collectés, le gouvernement fédéral a historiquement joué un rôle majeur pour assurer l’implantation à travers le pays du concept d’un régime universel de soins qui avait d’abord pris naissance dans la province de la Saskatchewan, située au centre du pays [2]. C’est par cette intervention du gouvernement fédéral que tous les systèmes provinciaux de soins de santé du Canada partagent aujourd’hui des caractéristiques communes sous le modèle d’un régime universel appliqué aux soins hospitaliers et médicaux.

Une deuxième différence importante entre la France et le Canada concerne le fait que le système français s’est construit à partir d’un modèle « bismarckien » d’assurances sociales (notamment par le lien de travail ou professionnel), pendant que le régime canadien est plutôt structuré sur la base d’un système « beveridgien » à payeur unique, inspiré du Royaume-Uni4. Cependant, tant la France que le Canada présentent aujourd’hui certains écarts par rapport à leurs modèles initiaux, et ont depuis évolué par l’importation de caractéristiques associées à l’autre modèle.

Puisque la France est un pays unitaire et que son système de soins inclut les soins compris dans le régime universel au Canada, ainsi que les médicaments hors hôpital sous la même logique, chacun de ces éléments du panier de soins couverts est régi par le même modèle prioritaire de l’assurance sociale.

Au Québec (et dans les autres provinces canadiennes), l’exclusion des médicaments hors hôpital de la couverture universelle s’est traduite par un ensemble disparate de régimes pour le remboursement des médicaments achetés en pharmacie communautaire.

Nous présentons successivement le modèle du régime universel implanté pour les soins hospitaliers et médicaux, et le modèle hybride privé-public pour les médicaments en pharmacie communautaire du Québec, ainsi que les principales différences qui séparent ces deux modèles et les risques soulevés par cette cohabitation de modèles distincts.

Le modèle universel pour les hôpitaux et les médecins

Le Canada a mis en place, par étapes et avec plusieurs adaptations, un modèle inspiré du National Health Service (NHS) implanté au Royaume-Uni au sortir de la seconde guerre mondiale. Ce modèle se caractérise par deux principes : les soins de santé sont un droit de citoyenneté et ils sont surtout financés par les revenus généraux de l’État. Ces deux principes se traduisent par une éligibilité aux soins qui n’a aucun lien avec les contributions financières que peut ou non faire l’individu, ni avec son statut professionnel ou socioéconomique. La citoyenneté canadienne et la résidence dans une province suffisent à donner à chacun le même droit d’accès aux soins selon des modalités uniformes pour tous5.

La nature fédérale de l’organisation politique canadienne a sans doute joué un rôle dans le retard relatif et dans l’avancée par étapes [3]6 de l’implantation du régime au Canada, par rapport à un pays comme la France. En effet, la répartition des compétences constitutionnelles s’opposait à une décision unilatérale du gouvernement canadien et imposait la conclusion d’une forme d’entente intergouvernementale pluripartite, avant que puisse se concrétiser toute possibilité d’implantation d’un régime à travers le territoire.

Les grands principes du modèle universel canadien sont aujourd’hui établis par législation fédérale et législation provinciale. Voyons successivement les grands traits de ces principes inscrits dans la législation des deux niveaux de gouvernement.

La législation fédérale
La Loi canadienne sur la santé 7, (LCS) représente la contribution la plus importante du gouvernement fédéral au régime universel de soins de santé du Canada, en offrant aux provinces un financement conditionnel au respect de principes. Les origines de cette législation remontent à 1957, avec une première loi qui ne visait que les soins hospitaliers8,. Elle a été suivie d’une loi en 1966 qui ajoutait au régime les soins médicaux9,, avant la fusion des deux lois et son amendement en 1984 dans la forme qui est encore aujourd’hui la sienne. Par sa loi, le gouvernement fédéral impose aux provinces des critères qui encadrent l’utilisation des fonds qui leur sont octroyés et limitent, dans une large mesure, le rôle du financement privé pour les soins dispensés dans le cadre des régimes publics mis sur pied par les provinces. La loi énonce cinq principes, qui participent aux normes de base du régime universel canadien : la gestion publique, l’intégralité, l’universalité, la transférabilité et l’accessibilité (articles 7 à 12). La violation de ces principes par une province peut mener à la réduction de la subvention fédérale, à l’issue d’un processus d’enquête et de consultation mené par le gouvernement fédéral10.

Voyons brièvement le sens de ces cinq principes canadiens [4]11.

Le principe de la gestion publique impose de confier l’administration du régime provincial au secteur public. Il faut préciser que la gestion publique n’interdit pas de confier au secteur privé, à but lucratif ou non, la prestation de services financés par le régime public. Historiquement, la prestation de soins a reposé sur plusieurs acteurs du secteur privé. Les médecins eux-mêmes, considérés comme des travailleurs indépendants dans toutes les provinces, ne sont généralement pas des employés du secteur public ou parapublic, et ce, même dans les hôpitaux. Aussi, les provinces autorisent et financent des cliniques ou hôpitaux privés (pour des chirurgies en ambulatoire), pour dispenser des soins faisant partie du panier de soins du régime public.

Le principe d’intégralité assume une fonction centrale dans les exigences de la loi, puisqu’il exige que l’ensemble des soins « médicalement nécessaires » offerts dans un hôpital ou dispensés par un médecin doit être couvert par le régime pour toutes les personnes éligibles. La loi ne donne pas de précisions quant à la définition des « services médicalement nécessaires », mais le concept vise deux volets complémentaires : les soins rendus nécessaires par la condition médicale du patient à l’hôpital, et peu importe le type de professionnel qui les dispense ; les soins déterminés par le jugement professionnel du médecin, rendus comme acte réservé du médecin, et peu importe le lieu de prestation, à l’hôpital comme en clinique privée ou à domicile.

Le principe de l’universalité formule deux exigences : toutes les personnes éligibles doivent être couvertes, et elles doivent l’être selon des modalités uniformes. Le deuxième aspect de la définition de l’universalité se traduit par l’interdiction de segmenter les clientèles, et empêche de fixer des conditions variables d’accès à la couverture publique.

Le principe de transférabilité vise à assurer la mobilité interprovinciale des Canadiens et à les protéger d’une perte de couverture lors d’un déménagement d’une province à l’autre. Le principe prévoit aussi une couverture lors de simples déplacements temporaires.

Le principe d’accessibilité établit une règle économique stricte qui accorde au patient un accès gratuit à tous les services couverts. Le principe prohibe de façon explicite de faire payer le patient, que ce soit sous forme de surfacturation12,, de ticket modérateur13, ou de frais annexes14.

Toutes les provinces canadiennes ont dû intégrer dans leurs lois régissant leur système de santé ces cinq principes. Mais, elles ont aussi jugé nécessaire ou opportun d’adopter d’autres principes complémentaires, afin d’assurer et de protéger la viabilité financière du système universel qu’elles mettaient en place.

La législation provinciale
Les médecins canadiens qui donnent des soins aux patients, ne sont jamais (ou presque) des employés, ce qui prive les organisations de soins de l’outil de gestion et de contrôle que pourrait offrir une relation d’employeur à employé. Il importait en conséquence aux provinces de mettre en place d’autres mécanismes de contrôle de la pratique médicale que ceux prévus par la loi fédérale. Ce type de mécanisme, maintenant remis en cause devant les tribunaux du Québec15, et de la Colombie-Britannique16, est sans doute moins nécessaire en France ou au Royaume-Uni où les médecins hospitaliers sont normalement employés des hôpitaux. Les provinces canadiennes ont globalement adopté à cet effet trois principes ou mécanismes [5]17, en sus des cinq principes canadiens discutés plus haut. Ces principes sont : la prohibition de l’assurance privée duplicative, la prohibition de la pratique médicale mixte ou hybride (publique/privée), et le plafonnement des tarifs médicaux facturés au privé au niveau des tarifs du public.

La prohibition de l’assurance privée duplicative interdit à l’industrie de l’assurance de vendre des produits d’assurance qui comprennent les soins déjà couverts par le régime universel. Ce type d’assurance servirait autrement à payer le médecin qui ne pratique pas pour le régime public.

La prohibition de la pratique médicale hybride interdit aux médecins qui font le choix de participer au régime universel de traiter en même temps des patients privés, c’est-à-dire qui paient de « leurs poches » ou par l’intermédiaire de leur assureur privé, lorsque cela est autorisé. Le médecin demeure libre de pratiquer pour le régime public mais, s’il opte pour cette pratique18, il ne peut partager son temps avec une pratique rémunérée par des fonds privés, en donnant contre paiement privé des services couverts par le régime public. Une pratique publique qui cohabite avec une pratique privée est en effet vulnérable, en favorisant certaines priorités commandées par une rémunération privée plus importante, ou en raison de conditions de travail supérieures : des cas moins complexes à traiter ou des horaires moins contraignants.

Ensemble, les prohibitions de l’assurance privée duplicative et de la pratique médicale hybride visent à réduire les risques d’un détournement des ressources du régime public vers un système privé parallèle et à empêcher que les priorités d’un système privé parallèle ne bouleversent la planification des disponibilités médicales du régime public.

Le plafond des tarifs privés au niveau des tarifs publics, troisième mécanisme, non utilisé par le Québec, a pour effet de réduire l’intérêt pour un médecin participant de pratiquer à l’extérieur du régime public.

La Cour supérieure de la Colombie-Britannique a récemment conclu, dans une affaire contestant la validité constitutionnelle de plusieurs de ces principes19, que la province visait par ces règles deux objectifs complémentaires et indissociables : protéger le système universel de soins et assurer un accès aux soins sur la base du besoin médical, sans influence des moyens financiers du patient. L’équité d’accès pour tous est assurée par la poursuite de ces deux objectifs. Ensemble, les mesures contestées visent à prévenir l’émergence d’un système duplicatif de soins qui entrerait en concurrence avec le régime public [6].

La solidité relative du régime universel implanté dans les provinces du Canada trouve donc sa source dans la combinaison des principes fédéraux et provinciaux, afin d’assurer un accès égalitaire aux soins hospitaliers et médicaux à tous les Canadiens.

Le modèle général pour les médicaments hors hôpital

L’absence de couverture par le système de soins des médicaments hors hôpital a donné lieu, dans toutes les provinces canadiennes, à la mise sur pied de régimes divers qui ont tenté de couvrir au minimum les populations les plus vulnérables, c’est-à-dire les personnes âgées et les personnes vivant de la « sécurité du revenu » (en France, le revenu minimum)20, pendant que la population active bénéficiait souvent d’une protection privée par le biais des assurances collectives du travail. Cette mosaïque, qui était grosso modo celle du Québec, laissait à risque environ 15 % de la population qui n’avait accès à aucune protection. Cette population était composée surtout de travailleurs au statut précaire, de chômeurs et de personnes non assurables. En réponse à ce problème, le Québec est la première province canadienne à avoir implanté un régime qui accorde à tous une couverture, par le biais d’un régime général d’assurance médicaments, fondé sur des principes totalement distincts du régime universel des soins hospitaliers et médicaux.

Le régime général a été adopté en 1996 (entré en vigueur en 1997)21,, à la suite du dépôt d’un rapport d’experts qui écrivaient que la proposition (qui a par la suite été retenue) « vise à concilier des objectifs de politique sociale avec la dure réalité économique actuelle, dans un contexte basé sur le partenariat entre les secteurs public et privé. »22

Ce régime, qui a célébré ses vingt-cinq années de pleine opération en janvier 2022, offre une opportunité unique de comparer deux modèles distincts de couverture des soins de santé sur un même territoire. Il importe, en conséquence, de bien saisir les trois caractéristiques que scelle un tel partenariat entre les assurances privées et l’État qui se fait assureur complémentaire. Ces caractéristiques sont : un triage systémique des risques, opéré par la loi, favorable au partenaire privé ; la défiscalisation du financement, qui adopte les formes de l’assurance privée, jumelée aux outils de perception de droit public confiés au partenaire privé ; et enfin, une solidarité sociale désamorcée.

Le triage systémique des risques
La loi instaurant le régime québécois d’assurance médicaments prévoit la division des risques d’assurance, selon un schéma qui accorde les mauvais risques à l’assureur public et les bons risques à l’assureur privé. D’un côté, c’est ainsi que la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) doit couvrir les personnes âgées de 65 ans et plus, les personnes sans emploi et les bénéficiaires de l’aide sociale ou de dernier recours23,. D’un autre côté, les bons risques, associés aux personnes qui travaillent et ont un salaire, sont remis à l’assureur privé. Le recrutement des groupes de clientèles privées s’opère sur une base volontaire par le biais des régimes collectifs liés à l’emploi ou à une profession24. Les clientèles sont donc remises à l’assureur privé en groupe, minimisant d’autant les frais de démarchage, de négociation et de conclusion de contrats, puisque des centaines, voire des milliers d’assurés appartenant à un même groupe de travail peuvent être recrutés sur la base d’un seul contrat. En l’absence de conclusion de contrat collectif, les membres du groupe qui n’ont accès à aucune autre option de rattachement collectif doivent s’inscrire au régime public de la RAMQ.

La loi opère donc une macro-répartition des risques par laquelle le partenaire privé couvre les bons risques, associés à des modalités administratives favorables, tandis que le partenaire public couvre les mauvais risques. En 2020, 57 % de la population québécoise étaient ainsi assurés par un assureur privé, tandis que 43 % des personnes étaient couvertes par l’assureur public RAMQ.

La défiscalisation du financement et les outils de perception du public au privé
Le financement du régime québécois est largement calqué sur les mécanismes propres à l’industrie de l’assurance, avec prime, franchise et coassurance25,. Le lien avec le revenu de la personne est rompu, sauf, dans une très faible mesure, pour la prime perçue par la RAMQ, jusqu’à un plafond assez bas26.

Alors que les assureurs privés doivent chacun s’autofinancer, la portion publique du régime est lourdement déficitaire, avec un manque à gagner qui doit être comblé année après année par les revenus généraux de l’État, révélant l’illusion d’un financement de type assurantiel dans le cadre de ce genre de triage des risques.

Le régime offre donc à l’assurance privée l’avantage de ne gérer que des régimes collectifs. Pour faciliter sa gestion, le régime remet en outre entre les mains de l’industrie, les outils de perception propres aux pouvoirs publics. Les primes que doivent obligatoirement payer les assurés enrôlés dans les régimes collectifs sont directement perçues par l’employeur et acheminées dans les coffres du partenaire privé d’assurance à but lucratif.

Une couverture de base versus des couvertures améliorées : une solidarité sociale désamorcée
Le régime général repose sur le principe d’une couverture de base pour tous, couvrant les honoraires du pharmacien et le prix de tous les médicaments inscrits à une liste qu’adopte le ministre de la Santé et des Services sociaux. Les régimes collectifs privés sont, de leur côté, autorisés à bonifier cette liste et à y ajouter des avantages, que ce soit pour les services couverts (par exemple, en bonifiant la liste des médicaments par l’ajout des médicaments d’origine, même lorsque les médicaments génériques sont disponibles, ou des services de médecine douce, comme la massothérapie) ou pour la réduction du fardeau financier (la franchise ou le pourcentage de coassurance). Aucune mutualisation de l’effort financier ou des risques n’est possible entre la branche publique du régime et la branche privée. Aucune prévision n’est faite pour les travailleurs qui atteignent l’âge de la retraite et qui sont alors le plus souvent orientés vers la branche publique du régime, puisque l’employeur n’a aucune obligation d’offrir une couverture à ses retraités. Chaque segment de couverture privée est désolidarisé de l’ensemble de la population couverte, en temps réel et sur la durée de l’activité professionnelle.
Comparaison et remarques finales

Le Québec est passé d’un régime universel pour les soins hospitaliers et médicaux à un régime général pour les médicaments hors hôpital. Des caractéristiques marquantes opposent ces deux modèles, tant au chapitre du financement qu’à celui du rôle de l’assurance privée.

Pendant que le régime universel se finance sans aucun lien direct avec les contributions de l’assuré, le régime général se structure, au contraire, par des liens étroits entre la contribution monétaire de la personne et sa couverture. Les contributions des assurés varient de façon importante selon le groupe auquel ils sont rattachés. Le régime universel conçoit la population du territoire qu’il couvre comme un même ensemble, tandis que le régime général met la population sous la couverture soit d’une branche publique soit d’une branche privée, cette dernière devenant, à son tour, objet d’hypersegmentation, au gré des entreprises ou des regroupements professionnels.

Quant à l’assurance privée, elle est totalement exclue du domaine du régime universel de soins hospitaliers et médicaux. À l’opposé, le régime général lui réserve priorité et monopole, si tel est son choix, sur le marché du médicament hors hôpital. En effet, les marchés les plus lucratifs lui sont réservés et les clients deviennent captifs dès qu’une entente est conclue entre l’employeur et l’assureur. L’assurance privée est totalement libérée de toute obligation de couverture dès la retraite de la personne, même s’il n’est pas interdit de les garder sous leur protection.

Parmi les modèles avancés pour la réforme plus générale des soins de santé au Canada, figure la systématisation des partenariats entre le secteur public et le secteur privé à but lucratif. Il ne faut donc pas être surpris de voir des propositions pour faire du modèle général l’avenir de régimes similaires à travers le pays, ou même pour « moderniser » le régime universel de soins selon le modèle général27. L’analyse et la comparaison des deux modèles permet de conclure que seule l’assurance privée pourrait tirer bénéfice d’une telle mutation.

Liens d’intérêt

L’auteure déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Pour la définition d’un système de santé à vocation universelle, voir [1].
2 On trouve plusieurs exceptions à cet ensemble fini, tant au Québec que dans d’autres provinces. Par exemple, la plupart des provinces couvrent également les soins dentaires pour les jeunes enfants et les soins optométriques pour les personnes âgées.
3 Sans compter les systèmes mis en place dans les territoires nordiques sous gestion fédérale.
4 Le modèle bismarckien est fondé sur les premières assurances sociales mises en Ĺ“uvre par le chancelier Bismarck au sein de l’Empire allemand. Les prestations sont versées aux individus assurés ; le modèle beveridgien repose sur les idées de l’économiste britannique William Beveridge. Les prestations sont versées aux individus qui en ont besoin. Des différences importantes distinguent cependant le système britannique du modèle implanté au Canada, notamment le fait que les médecins canadiens ne sont pas des employés des hôpitaux.
5 Plusieurs subtilités se greffent à ces règles a priori simples.
6 Pour un historique détaillé, voir [3].
7 LC (Lois du Canada), 1984, c. 6 ; Loi canadienne sur la santé, LRC 1985, c. C-6.
8 Loi sur l’assurance-hospitalisation et les services diagnostiques, SC 1957, c. 28.
9 Loi sur les soins médicaux, SC 1966, c. 64.
10 Ibid., art. 14-17.
11 Pour des explications plus détaillées, voir [4].
12 La surfacturation se définit comme un montant payé par le patient au médecin en sus de la rémunération versée par le régime public. Elle représente donc une rémunération additionnelle versée au médecin, d’où le terme de surfacturation utilisé.
13 Le ticket modérateur, familier aux Français, est une portion de la rémunération prévue par le régime public qui est assumée directement par le patient (ou son assureur, lorsque cela est autorisé). Il représente donc un certain remboursement par le patient des coûts du régime public ; il ne permet pas d’accroître la rémunération du médecin, mais sert plutôt à diminuer les coûts assumés par le régime public.
14 Les frais accessoires ou annexes sont des frais facturés au patient, comme accessoires au service rémunéré par le régime public, au motif, souvent avancé, que le tarif public n’en couvre pas les coûts. Par exemple, une clinique facture un montant pour couvrir l’utilisation d’un équipement ou d’un médicament qui ne serait pas remboursé, ou pas suffisamment, par le tarif public.
15 Chaoulli c. Procureur général du Québec, [2005] 1 RCS 791.
16 Cambie Surgeries v. British-Columbia (Attorney General), 2020 BCSC 1310.
17 Le détail et le nombre des principes adoptés peuvent varier d’une province à l’autre. Voir [5].
18 Au Québec, environ 95 % des médecins sont dits « participants » du régime public.
19 Affaire Cambie, supra note 16.
20 D’autres catégories étaient également prévues au Québec, notamment concernant les maladies présentant un enjeu de santé publique (comme les maladies vénériennes) pour lesquelles les médicaments étaient offerts gratuitement à tous les malades.
21 Loi sur l’assurance médicaments, LQ 1996, c. 32 ; RLRQ, c. A-29.01.
22 MSSS, L’assurance médicaments : des voies de solution, Rapport du comité d’experts sur l’assurance médicaments (Présidé par Monsieur Claude Castonguay), 1996, 166 p. plus les annexes, à la p. 4.
23 L’assureur public prend aussi en charge les personnes qui ne sont pas autrement éligibles à un régime de couverture collective, comme les travailleurs autonomes et les étudiants adultes. Les assureurs privés évitent, ainsi en outre, d’assumer des frais administratifs importants pour le recrutement et la gestion de contrats individuels.
24 Si l’employeur conclut un contrat d’assurance, les employés et leurs familles y adhèrent obligatoirement, à moins de bénéficier d’un autre contrat collectif, comme celui du conjoint.
25 Des exceptions s’appliquent pour les personnes les plus démunies.
26 Il est de 662 dollars canadiens/an en 2021 (article 23 de la Loi sur l’assurance médicaments). La loi impose par ailleurs un plafond aux contributions cumulées de la franchise et de la coassurance, de sorte que le risque hors norme ne peut mettre en péril l’accessibilité aux médicaments de l’assuré ayant un besoin majeur en médicaments.
27 Les rapports Arpin (1999) et Clair (2000) articulent cette idée : Québec, La complémentarité du secteur privé dans la poursuite des objectifs fondamentaux du système public de santé au Québec. Rapport du Groupe de travail présidé par Roland Arpin, ministère de la Santé et des Services sociaux, 2000 ; Québec, Les solutions émergentes. Rapport et recommandations, Commission d’étude sur les services de santé et les services sociaux, présidée par Michel Clair, Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2001.
References
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Prémont MC. Les soins de santé a mare usque ad mare. Les rôles du fédéral et des provinces face au financement privé . In Bernier R(dir.), L’espace canadien : mythes et réalités . Québec: : PUQ; , 2010 :pp. :139.–66.
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6.
Pour une analyse sommaire de cette décision et de la décision Chaoulli de 2005 de la Cour suprême du Canada, publiée en France, voir :
7.
Kasagi E, Prémont MC. L’égalité d’accès aux soins dans les systèmes de santé à vocation universelle : l’exemple du Japon et du Québec. (2e partie). RDSS. 2021. 10670/1.m4btpl..