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Med Sci (Paris). 38(4): 391–394.
doi: 10.1051/medsci/2022045.

L’intégrité scientifique
Vers une nouvelle discipline universitaire contre les dérives ?

Mathieu Klein1,2*

1Inserm UMR-S 1144, Optimisation thérapeutique en neuropsychopharmacologie , 4 avenue de l’Observatoire , 75006Paris , France
2Université Paris Cité , Paris , France
Corresponding author.

MeSH keywords: Éthique de la recherche, Humains, Inconduite scientifique

 

Vignette (Photo © Inserm - Koulikoff, Frédérique/Pinci, Alexandra).

« Si nous obtenons de meilleurs résultats sans cette donnée, nous devrions l’exclure. »

Une telle phrase paraît exagérée, et pourtant, qui, dans sa pratique de la recherche, n’a jamais entendu, pensé, ou même émis une remarque similaire ?

Envisager l’exclusion de certaines données aberrantes n’est pas forcément préjudiciable : des résultats obtenus peuvent effectivement se révéler invraisemblables ou résulter d’une véritable erreur de manipulation. Le problème commence lorsque l’élimination de telles données devient systématique : lorsqu’un point trop éloigné des autres est d’office écarté de l’analyse. Cette exclusion fait rarement l’objet d’une discussion lors de la publication des études. Elle peut donc mener à présenter des résultats qui sont erronés ou mal interprétés.

Ce genre de comportement vis-à-vis de données scientifiques constitue une inconduite, sans forcément que la personne concernée en ait conscience. Se pose alors la question de l’ampleur de ces pratiques qui, de manière isolée, peuvent avoir une répercussion négligeable, mais qui, si elles s’étendent, s’installent et accentuent l’impact délétère sur la science en général. En effet, des résultats partiellement ou totalement erronés ont des conséquences dommageables : perte de temps et d’argent pour d’autres chercheurs qui essayent de reproduire ces résultats, perte de confiance de l’opinion publique envers la science, développement de thèses complotistes, et, finalement, discrédit et stigmatisation des équipes de recherche [ 1 ].

L’institutionnalisation de certaines inconduites (embellissement de résultats, exclusion de données, changement d’objectif principal au cours de l’étude, etc.) représente un manquement général à l’intégrité scientifique. Cela pose un important problème dans le monde de la recherche, d’autant qu’en mesurer l’étendue est compliqué. Certaines études s’y sont intéressées, notamment par le biais d’enquêtes auprès de scientifiques de différents domaines. Le taux de réponse moyen à ces études, autour de 50 %, représente un grand nombre de données à exploiter. Cependant, il est possible que les personnes qui commettent le plus d’inconduites scientifiques préfèrent ne pas répondre à ces enquêtes. Il est donc difficile de savoir si les résultats issus de l’analyse des formulaires de réponses obtenus sont réellement représentatifs de l’ampleur des mauvaises pratiques de recherche. Néanmoins, il en ressort qu’environ 2 % de chercheurs admettent avoir déjà falsifié des résultats, et 34 % déclarent avoir eu recours à des « pratiques de recherche questionnables » (une des questions posées dans le questionnaire). Lorsque la question porte sur l’observation de telles falsifications ou pratiques chez des collègues, ces chiffres augmentent nettement, atteignant respectivement 14 % et 72 % [ 2 , 3 ]. Le pourcentage de personnes qui commettent des inconduites est donc certainement sous-évalué, et certains chercheurs ne semblent pas être conscients de leurs écarts.

Cette dernière constatation amène à se poser des questions, car là où pointer du doigt ces inconduites serait facile ; il est surtout préoccupant que des scientifiques n’aient pas conscience de déroger aux principes d’éthique et d’intégrité. Est-ce dû à une banalisation de ces manquements ? Et, dans ce cas, cette banalisation provient-elle d’un défaut de formation et de sensibilisation des chercheurs, ou d’un encadrement ou d’un environnement de travail qui favorisent ces pratiques ? Ou bien la tendance à enfreindre les règles d’intégrité constitue-t-elle un trait de personnalité propre à certains scientifiques [ 2 ] ?

Le consortium européen SOPs4RI ( standard operating procedures for research integrity ) a dressé une liste de neuf points clés pour une pratique intègre au sein des organisations de recherche [ 4 ]. Parmi ces points, ressort une importance capitale de l’environnement de travail, de la formation, ainsi que de l’encadrement des scientifiques dans l’exercice d’une recherche éthique. Une éducation à la recherche adaptée semble ainsi constituer la base de bonnes pratiques. En effet, au sein d’une équipe, les chercheurs qui ont été bien formés contribuent à un environnement de travail sain et intègre et seront des référents fiables pour tout nouvel arrivant.

Dispenser une formation adéquate, et ce de manière universelle, pour que tout scientifique soit sensibilisé aux problématiques d’intégrité avant même de commencer son activité de recherche apparaît donc essentiel afin de disposer d’un socle de futurs chercheurs sensibilisés à la question de l’intégrité et de l’éthique [ 5 ]. Néanmoins, tout miser sur un apprentissage pratique dispensé en laboratoire durant les stages de master ou pendant la thèse, ne garantit pas une formation à l’éthique qui soit égale pour tous les étudiants, une formation qui dépend, en fait, de l’encadrement local par les séniors. Officialiser et démocratiser cette formation dès le master, voire la licence, nous semble plus approprié, afin que les futurs scientifiques puissent prendre conscience des enjeux de l’éthique pour la recherche et appréhendent la meilleure façon de la mener. Nous proposons ici un parcours de formation au niveau de l’enseignement supérieur, sans négliger toutefois la réelle nécessité d’une sensibilisation à l’éthique de la recherche avant même l’entrée à l’université, dès l’école, lors des cours de science.

Actuellement, en dehors d’un module de formation obligatoire pour les doctorants (instauré en 2016) 1 , l’éducation à l’intégrité scientifique semble très peu répandue dans les universités françaises. Certains masters proposent néanmoins à leurs étudiants des unités d’enseignement (UE) spécifiques d’initiation à la lecture critique d’articles, ce qui constitue une forme de sensibilisation à d’éventuelles dérives dans la présentation et l’analyse de résultats ou protocoles. Mais cette formation met plus l’accent sur le repérage d’erreurs ou d’inconduites dans les articles que sur un apprentissage en amont afin d’éviter de produire de telles fautes. Si l’analyse critique d’articles scientifiques s’avère indispensable à tout travail de recherche, l’examen des méconduites possibles de leurs auteurs serait moins pertinent si étudiants et chercheurs avaient été formés, non pas à repérer les écarts des autres chercheurs, mais à ne pas commettre eux-mêmes ces écarts. À l’heure où certaines dérives à l’intégrité semblent s’être plus ou moins institutionnalisées (voir les problématiques mises à jour lors de la pandémie de COVID-19) [ 9 ], il apparaît nécessaire de généraliser une formation aux bonnes pratiques scientifiques qui soit plus adaptée et d’éduquer les étudiants à l’éthique en amont de leur première expérience de recherche.

La théorie avant la pratique. C’est ce qui existe dans de nombreux domaines. Il est en effet inenvisageable de se lancer dans la réalisation d’une synthèse chimique, ou d’une analyse de génome, sans avoir auparavant étudié les concepts de base de la chimie organique et de la génétique. L’idée serait donc de considérer l’intégrité scientifique comme une discipline à part entière, comme la chimie et la génétique, et cela dans chaque cursus susceptible de déboucher pour l’étudiant sur une carrière dans la recherche. Évidemment, si certains principes de l’intégrité scientifique s’appliquent à toutes les disciplines et peuvent constituer un socle commun utile pour tous les métiers, proposer une formation adaptée à chaque branche de la recherche reste indispensable pour éditer des règles qui soient claires et spécifiques de chaque domaine. Cette approche permettrait d’accorder la formation aux différentes problématiques que rencontreront les futurs scientifiques selon leur discipline, et ainsi de donner à chacun les clés pour mener ses futurs projets de manière éthique et intègre ( Figure 1 ) .

Une approche de type « bottom-up » 2 serait, a priori, la plus adéquate pour former à l’éthique et à l’intégrité scientifique [ 6 - 8 ]. Ce type d’approche permet en effet d’impliquer les étudiants dans la construction de leur réflexion et de leurs connaissances, afin de marquer plus efficacement leur esprit avec ces concepts qui sont, pour la plupart d’entre eux, nouveaux. Des réunions de travail ( workshops ) associant des étudiants en master ont d’ailleurs été initiées à l’université de Paris (maintenant appelée université Paris Cité) par Claude Forest, Christian Hervé et Jacques Haiech, en appliquant ce type d’approche [ 6 ]. Ces premières réunions ont révélé une implication importante des étudiants, avec un intérêt de renouveler régulièrement ce type d’ateliers pour les étudiants en masters, mais aussi de les développer dès la licence.

Si une offre de formation initiale, dans les cursus de licence, master et doctorat, semble incontournable, une formation continue, tout au long de la carrière du chercheur, constituerait un complément ( Figure 1 ) . Cette formation permettrait en effet d’assurer un suivi régulier de l’activité des chercheurs et d’éviter des dérives qui pourraient parfois s’installer avec le temps, en raison de difficultés à prendre du recul sur leurs pratiques quotidiennes, ceux-ci étant plus préoccupés par leurs résultats que par la façon de les obtenir. En plus de garder les acteurs de la recherche dans une dynamique d’intégrité et d’actualiser leurs connaissances sur les bonnes pratiques, cette formation continue devrait permettre de maintenir un environnement éthique dans les équipes de recherche, offrant aux nouveaux arrivants et aux jeunes chercheurs un encadrement adapté transmettant les bases de l’intégrité scientifique. Une telle formation continue (comme celle qui existe déjà pour l’éthique en expérimentation animale) permettrait de créer un cercle vertueux au sein des structures de recherche ( Figure 2 ) et aiderait à la construction d’une communauté sensibilisée par l’intégrité scientifique [ 6 ]. Cette approche aurait ainsi un impact favorable sur les différents niveaux évoqués par le consortium SOPs4RI : environnement de travail, formation, encadrement. La sensibilisation régulière au respect de l’éthique de tous les acteurs de la recherche devrait ainsi conduire à la diminution du nombre d’inconduites.

Néanmoins, penser que l’amélioration de la formation, initiale ou continue, pourrait régler tous les problèmes de manquements à l’intégrité scientifique serait utopique. En effet, des facteurs autres que la mauvaise formation ou l’encadrement défaillant, participent au développement de ce genre de pratiques déviantes. Le fonctionnement global de la recherche, qui impose au chercheur (jeune ou sénior) une forte pression de publication, une course perpétuelle aux financements et une compétition importante pour son entrée ou pour l’évolution de sa carrière [ 2 , 6 , 8 ], est à l’origine de dérives les menant à des inconduites scientifiques, que celles-ci soient conscientes ou inconscientes.

Développer en France la recherche académique en éthique et intégrité scientifique, comme cela existe dans d’autres pays, tels que l’Irlande, les Pays-Bas ou la Suisse, apparaît une option importante. Les pays anglo-saxons semblent avoir pris conscience de cette nécessité. Un travail pour repenser la recherche, et notamment son évaluation, principale source d’inconduites [ 6 ] 3 , a en effet été débuté dans ces pays. Développer la recherche en éthique et intégrité scientifique en France permettrait donc de poursuivre l’amélioration de la formation des chercheurs, par l’étude des failles possibles dans l’intégrité scientifique existant dans les structures de recherche, et par la proposition de solutions visant à remédier à ces manquements. Ce développement pourrait être réalisé en coopération avec d’autres pays, notamment européens, afin d’harmoniser le cadre de l’intégrité scientifique et son évaluation au sein de la communauté internationale.

Exclure une donnée lors de l’analyse finale des résultats d’une étude, qui interfère avec celles majoritairement obtenues ou avec les résultats anticipés, n’est pas en soi une faute (elle peut correspondre à une erreur de manipulation, une réponse aberrante dans une expérience), mais cette exclusion nécessite d’être expliquée selon un cadre défini par des règles claires et adaptées à chaque discipline. Ces règles devront être connues de tous, grâce à une formation adéquate, afin de garantir une recherche qui soit intègre, et pour laquelle les résultats publiés par les uns ne seraient plus questionnables par les autres.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Remerciements

Ce travail a été effectué dans le cadre du cursus sur l’intégrité scientifique de l’ED563 (MTCI). Je remercie l’équipe éthique, déontologie et intégrité scientifique (EPEDIS) de l’UFR des sciences fondamentales et biomédicales de l’université de Paris pour son tutorat tout au long de la rédaction de cet article.

 
Footnotes
1 L’arrêté ministériel du 25 mai 2016 rend obligatoire, par son article 3, le suivi, au cours du Doctorat, d’une « formation à l’éthique de la recherche et à l’intégrité scientifique ».
2 Se dit d’une démarche procédurale hiérarchiquement ascendante, qui va du bas vers le haut.
3 Aubert Bonn N, Bouter L. Research assessments should recognize responsible research practices - Narrative review of a lively debate and promising developments. MetaArXiv. 2021. Disponible sur: https://osf.io/82rmj
References
1.
National Academies of Sciences, Engineering, and Medicine; Policy and Global Affairs; Committee on Science, Engineering, Medicine, and Public Policy; Committee on Responsible Science. . Fostering Integrity in Research. 5, Incidence and Consequences. . Washington (DC): : National Academies Press (US); , 2017 .
2.
Sculier JP . Les manques à l’intégrité scientifique et médicale. . Cahiers de psychologie clinique. 2015; ; 44 : :13. – 34 .
3.
Fanelli D. . How Many Scientists Fabricate and Falsify Research? A Systematic Review and Meta-Analysis of Survey Data. . PLoS ONE. 2009; ; 4 : :e5738. .
4.
SOPs4RI consortium. . Guidelines for promoting research integrity in research performing organisations. . 2020 .
5.
Corvol P , Gicquel R . Bilan et propositions de mise en Ĺ“uvre de la charte nationale d’intégrité scientifique. . Rapport ministériel. 2016 .
6.
Bommier C , Stoeklé HC , Filliatreau G , et al. Towards a pedagogy of research integrity. . Ethics, Medicine and Public Health. 2021; ; 16 ; :100623. .
7.
Forest C Haiech J Hervé C . Prévenir et guérir les manquements à l’intégrité scientifique. . Ethics, Medicine and Public Health. 2018; ; 6 : :59. – 62 .
8.
Bommier C , Haiech J , Stoeklé HC , et al. The “bottom-up” teachings in research integrity. . Ethics, Medicine and Public Health. 2021; ; 16 ; :100618. .
9.
Corvol P . L’envolée des publications scientifiques en temps de Covid-19. Séparer le bon grain de l’ivraie. . Med Sci (Paris). 2021; ; 37 : :315. – 6 .