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Med Sci (Paris). 38(3): 309–311.
doi: 10.1051/medsci/2022030.

Questionnement éthique sur la posture du médecin-chercheur

Virgile Clergue-Duval1,2*

1Département de psychiatrie et de médecine addictologique, Hôpital Lariboisière Fernand-Widal, Groupe hospitalo-universitaire AP-HP. Nord - Université de Paris, Inserm UMR-S 1144, Optimisation thérapeutique en neuropsychopharmacologie , Paris , France
2École doctorale Médicament, Toxicologie, Chimie, Imageries (MTCI ED 563), Université de Paris , France
Corresponding author.
 

Vignette (Photo © Inserm - Koulikoff, Frédérique/Pinci, Alexandra).

Contextuellement, j’incluais ce patient pour l’une des recherches que je coordonnais. En pratique, la participation demandée aux patients dans le cadre de ces recherches (la collecte d’un tube de sang supplémentaire à une prise de sang standard) était minime, mais ce patient m’a répondu préférer regarder la télévision, dès qu’il a eu l’information que sa participation n’était pas « obligatoire ».

J’ai trouvé en cela qu’il faisait preuve d’une particulière ingratitude. Mais ce qui a induit mon questionnement provenait de la confrontation de cette « ingratitude » supposée au paradoxe de sa situation sociale. Ce patient était en effet sans domicile fixe, il accumulait les vulnérabilités et était en demande d’aides médicale et sociale. Cette place particulière, à la marge des rapports sociaux institutionnels, qu’il présentait pouvait conduire logiquement à une défiance et à une affirmation de l’existence de son libre arbitre par le refus, tout autant qu’à une soumission contrainte à l’autorité médicale et hospitalo-universitaire. En miroir, elle me semblait souligner l’ obsequium (l’obéissance de bon gré) des autres patients dans leur participation à la recherche. Cette situation m’a ainsi conduit à me questionner sur la réelle capacité et l’autonomie d’un patient à refuser une participation à une recherche.

Comment faire concorder éthiquement le chercheur et le médecin addictologue dans une même pratique ? Un patient peut-il refuser de participer au projet de recherche de son médecin ?

Le droit au refus d’un patient de participer à un projet de recherche est au centre de l’intégrité de la recherche scientifique. Ce droit est institué légalement par le législateur qui demande un acte volontaire et traçable : le plus communément, la signature d’un formulaire de consentement. Au-delà de cet acte, qui marque le respect de l’autonomie et la validité du consentement, la question posée est celle de l’absence de conséquence du refus sur l’accès au soin et à la poursuite des soins, et donc de la dissociation entre recherche et soins. Pour autant, s’en tenir à cette approche déontologique suffit-il à maîtriser l’asymétrie de pouvoir entre un patient et son médecin ? La maladie induit un état de nécessité et une asymétrie de pouvoir spécifiques. Cette question dépasse largement la question du patient face aux actes manifestement malfaisants . Elle expose la confrontation d’intérêts différents, entre patient, médecin-chercheur et collectivité, et révèle la dualité du médecin-chercheur dans sa relation avec le malade.

La pratique de la recherche clinique introduit ouvertement la notion d’intérêt général. En effet, les seuls bénéfices attendus de la recherche sont, en théorie, collectifs. La participation du patient s’apparente ainsi à un don pour la collectivité. Or, dans mon expérience d’investigateur, la discussion qui précède l’acceptation s’élabore en évoquant des acteurs bien plus proches, comme les médecins ou le personnel du service hospitalier. Un patient qui accepte de participer à un projet de recherche clinique, utilise très souvent la notion d’échange soins-recherche ou la notion de dette et le vocabulaire de l’évidence pour justifier son accord.

Deux lectures de ces échanges sont alors possibles, mais aucune ne rejoint la fonction attendue du soignant.

La première lecture, évoquant le donner-recevoir-rendre de Marcel Mauss [ 1 ], place le médecin comme premier donateur de ses services à qui il conviendrait de rendre en retour. Ne pas le faire, ce serait faire preuve d’ingratitude.

La seconde lecture place le médecin comme acteur d’un échange économique utilitariste. Il pourrait alors retenir certains de ses services en cas de refus ou fournir un avantage à un participant : un avantage réel ou la croyance en l’attribution d’un avantage ?

Or, le médecin hospitalier n’est pas un acteur économique, ni un être charitable agissant gratuitement, malgré ce qu’en dit le discours du « sacerdoce », construit depuis le XIX e siècle [ 2 ]. Il est institué par la collectivité et rémunéré via la cotisation sociale. Un consentement issu de telles considérations n’est-il pas d’emblée biaisé car fondé sur une falsification de la fonction du médecin-chercheur ?

Et au-delà de ce discours professionnel du face-à-face, la place du patient est aussi un fait social qui résulte d’une organisation clinique. Comme l’expose Michel Foucault dans la Naissance de la clinique [ 3 ], depuis la fin du XVIII e siècle, la structuration hospitalière ajoute, à l’identité du patient comme un sujet de soin, celle d’objet d’étude et d’enseignement. Refuser de participer à la recherche serait ainsi avoir les « avantages qui résultent de la sociabilité sans payer le tribut de la reconnaissance » (Chambon de Montaux [ 4 ] cité par Michel Foucault) et, là aussi, ce serait faire preuve d’ingratitude [ 3 ]. Depuis la fin des années 1950 1 , la mise en place des Centres hospitalo-universitaires a formalisé une organisation où les soins, les enseignements et la recherche cliniques sont réalisés conjointement, dans les mêmes lieux, et avec la même temporalité. Là où la place des étudiants et des médecins-enseignants est imposée par l’organisation de l’hôpital, voire même, simplement, par le travail de soin des internes et des étudiants en soins infirmiers ou en médecine, la participation à la recherche serait donc optionnelle pour le patient. Mais est-ce réellement possible dans les rapports entre patients et médecins-enseignants-chercheurs ?

Le médecin-chercheur réalise deux tâches : inclure le patient dans la recherche et le soigner. Ces deux postures, qu’il prend en parallèle, doivent donc être indépendantes. C’est ce que met en lumière l’acte du refus du patient pour la recherche mais pas pour le soin. Comment cette indépendance est-elle possible pour un même individu ? D’autant plus quand l’implication du médecin dépasse celle d’un exécutant. En effet, dans nos projets de recherche qui visent théoriquement l’intérêt général, nous avons des intérêts particuliers qui viennent interférer avec nos conduites et ruinent la vision conséquentialiste de la participation du sujet. Ces intérêts particuliers peuvent être économiques, symboliques ou viser la reproduction de rapports de domination ou, simplement, la reproduction de nos moyens de travail. S’il y a bien quelque chose qui se pérennise, dans un monde où il faut « publier ou périr », ne serait-ce pas l’inquiétude acquise dans la crainte de l’inaboutissement de notre travail de thèse ? Pour un médecin, le travail de thèse constitue un investissement lourd, avant tout de nous sur nous, mais aussi de nos collectifs de recherche sur nous. Quel en serait, pour nous doctorants, le coût de l’abandon ? La thèse est-elle un sacrifice, un labeur, dont la gratification et les bénéfices seraient différés dans le temps, ou une activité enrichissante par elle-même, même en cas d’échec dans la carrière espérée ? Et là où la nature des éventuels futurs bénéfices chez nos camarades doctorants uniquement scientifiques semble plus évidente et centrée sur l’action même de la recherche (l’accès à l’emploi de chercheur et au laboratoire, par exemple), pour nous médecins, cette question se complexifie et est plus ambiguë. Le diplôme de doctorat de science est un passage qui permet de gravir la hiérarchie médicale hospitalo-universitaire. Il représente également un futur sésame, y compris pour atteindre ou pérenniser des fonctions uniquement hospitalières : il permet l’accès à des positions de domination, dans la recherche mais aussi dans l’hôpital et le soin, face à des collègues qui ne seraient que « soignants ».

Dans ce contexte, le médecin-chercheur a besoin, pour ses travaux de recherche, de la participation du patient. Cette participation lui est nécessaire pour la réalisation de ses projets et donc sa reconnaissance sur le plan scientifique. Le refus du patient d’être l’objet d’une recherche fragilise donc cette construction et ce cheminement professionnel. Ces besoins sont différents de ceux du médecin soignant. Celui-ci est en effet institué médecin par la reconnaissance du patient comme sujet de ces soins. La potentialité du refus de se prêter à la recherche ne vient alors que renforcer l’existence de son autorité médicale. Comment peut se poursuivre un contre-transfert serein dans ce dilemme ? Comment le patient qui refuse la demande du chercheur pourrait-il être « autre chose » que de cesser d’être un patient pour le médecin-chercheur ?

La possibilité de refus de participer à une recherche serait-elle le lieu de partage entre deux pleonexia : l’ingratitude du patient dans l’affirmation existentielle de son libre arbitre, et le désir de puissance du médecin-chercheur qui le conduit à désirer peut-être prendre plus que ce qui lui revient ?

Cela ne fait pas le constat qu’une pratique éthique de la recherche est impossible en milieu de soins hospitalier, mais celle-ci s’inscrit dans des nécessités et des rapports humains qui n’ont pas été définis pour elle et par elle. La démarche éthique n’est pas une espérance, elle existe par l’action. C’est une intention qui veut la fin et les moyens de l’obtenir , nous dit Vladimir Jankélévitch dans son Traité des vertus [ 5 ]. Il propose que la fin et les moyens soient indissociables dans la conduite éthique du processus de recherche clinique. Faire de la recherche demande donc d’analyser les bénéfices en jeu et les rapports de force, de clarifier ce qui s’y joue pour les différents acteurs impliqués, dont nous-mêmes, et de s’employer à mettre en place un dispositif favorable à ces instants éthiques dans l’organisation du travail quotidien, respectant l’autonomie du patient et la possibilité de son refus. Mais le médecin-chercheur est-il toujours en position de faire seul cette analyse ? N’est-ce pas là que, à nouveau, on peut introduire l’intérêt du questionnement éthique dans un cadre collectif et redonner toute sa valeur à la confrontation avec d’autres visions de ces questions ?

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Remerciement

Ce travail a été effectué dans le cadre du cursus sur l’intégrité scientifique de l’ED563 Médicament, toxicologie, chimie, imageries (Université de Paris). Je remercie l’équipe éthique, déontologie, intégrité scientifique (EPEDIS) de l’UFR des sciences fondamentales et biomédicales de l’Université de Paris pour son tutorat.

 
Footnotes
1 Ordonnance 58-1373 du 30 décembre 1958 relative à la création de centres hospitaliers et universitaires.
References
1.
Marzano-Parisoli MM . Don et réciprocité. . In: Canto-Sperber M , editor. Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale. Quadrige Dicos poche. . Paris: : Presses Universitaires de France; , 2004 : :550. – 5 .
2.
Klein A . Du corps médical au corps du sujet. Étude historique et philosophique du problème de la subjectivité dans la médecine française moderne et contemporaine. . Thèse de doctorat en philosophie et histoire des sciences. . Nancy: : Université de Lorraine; . 2012 : p. :197. – 213 .
3.
Foucault M . Naissance de la clinique. . Paris: : Presses Universitaires de France; , 1963 , :214. p
4.
Chambon de Montaux N . Moyens de rendre les hôpitaux plus utiles à la nation. . Paris: , 1787 : :274. p.
5.
Jankélévitch V . Traité des vertus - Tome 1, Le sérieux de l’intention. . Paris: : Flammarion; , 1983 : :275. p.