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Med Sci (Paris). 38(3): 303–308.
doi: 10.1051/medsci/2022026.

Recherche à usage dual sur les pathogènes modifiés en laboratoire
Quel encadrement pour quels enjeux ?

Fanny Velardo,1*** Julie Prudhomme,1** Laura Temime,2 and Kévin Jean2

1École Pasteur, Conservatoire national des Arts et Métiers (Cnam) de Santé publique , 292 rue Saint-Martin , 75141Paris Cedex 03 , France
2Laboratoire MESuRS, Conservatoire national des Arts et Métiers (Cnam) , Paris , France
Corresponding author.
**Ces auteurs ont contribué de manière égale.
 

Vignette (© Fanny Velardo).

Les avancées de ces dernières années dans le domaine des biotechnologies et de la biologie de synthèse repoussent toujours plus loin les limites de nos capacités techniques à créer et modifier des virus en laboratoire. La fabrication de novo de virus ou l’augmentation de la pathogénicité ou de la transmissibilité de virus existants est maintenant possible, bien qu’ardue, et constitue des objectifs de recherche concrets mettant en jeu des techniques toujours plus sophistiquées. Récemment, les questionnements autour de l’émergence du SARS-Cov-2 ( severe acute respiratory syndrome coronavirus 2 ) et la polémique concernant son origine (naturelle ou pas), dont la suspicion que le virus ait pu être créé en laboratoire, illustre les craintes que ce domaine de recherche peut susciter. De tels travaux de recherche ont plusieurs fois défrayé la chronique dans les années 2010. En effet, si l’intention affichée était d’anticiper l’émergence de virus à potentiel pandémique pour s’en prémunir, les bénéfices de ces recherches ont été remis en question au regard de l’ampleur des risques encourus. De telles études entrent dans le champ de la recherche à caractère dual, c’est-à-dire une recherche destinée à être utile pour la société, mais qui pourrait être détournée à des fins malveillantes. La recherche sur les maladies émergentes est plus que jamais nécessaire, mais elle doit être menée avec éthique et dans un souci constant de respect de bio-sûreté. Dans cette revue, nous nous intéresserons à deux exemples qui reposent sur des techniques très différentes, mais qui s’inscrivent dans une problématique similaire. Nous retracerons, dans un premier temps, les controverses autour de travaux sur l’augmentation de la transmissibilité du virus de la grippe A/H5N1 et sur la synthèse du virus éteint de la variole équine. Nous interrogerons ensuite la façon dont ce type de recherche pourrait s’inscrire dans le paysage législatif français.

Des recherches qui posent la question de la balance entre bénéfices et risques

Seize ans après la création d’un virus de la poliomyélite à partir de fragments d’ADN [ 1 ] ( ), la publication par Evans et al , en 2018, de la synthèse artificielle du virus disparu de la variole équine [ 2 ] a entraîné une controverse majeure dans la communauté scientifique [ 3 ]. Si la néosynthèse d’un orthopoxvirus semblait possible, elle paraissait compliquée par la longueur du génome viral, et par les structures en tiges-boucles de ses extrémités. Evans et ses collaborateurs ont apporté la démonstration formelle de sa faisabilité et la méthode décrite pourrait être appliquée pour synthétiser n’importe quel virus de la famille des orthopoxvirus. Ces travaux ont suscité la polémique, car le plus illustre membre de cette famille est le virus de la variole, fléau historique éradiqué en 1980 grâce à une campagne de vaccination mondiale coordonnée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) [ 1 ]. Aujourd’hui, la population mondiale n’est en grande partie plus immunisée contre ce virus très contagieux, hautement pathogène, et, dans le cas de la forme majeure, fatal dans environ un tiers des cas [ 4 ]. Ces trois propriétés, contagiosité, pathogénicité et absence d’immunité, définissent ce qui est désigné sous l’acronyme PPP, pour pathogène à potentiel pandémique [ 5 ]. La publication de cette étude dans la revue PloS Pathogens a soulevé de vives inquiétudes, car elle permettrait à tout individu ou organisation de s’en servir à des fins malveillantes [ 2 ]. La synthèse du virus de la variole pourrait en effet entraîner une catastrophe à l’échelle mondiale et l’accès à une telle technologie brise les barrières de sécurité renforcées mises en place pour limiter l’accès aux souches naturelles qui sont conservées jusqu’à aujourd’hui dans différents pays [ 1 , 6 ]. La publication des détails méthodologiques, au cœur de la polémique, semble, selon certains auteurs, d’utilité limitée pour démontrer la qualité du vaccin, objectif initial de l’étude [ 2 , 6 ]. De ce fait, fournir les instructions complètes d’un protocole pouvant être détourné à des fins malveillantes apparaît pour beaucoup déraisonnable [ 1 , 6 - 9 ], et d’autant plus effrayant que la synthèse du virus variolique n’a nécessité qu’un financement assez dérisoire [ 7 , 8 , 10 ].

(→) Voir le Forum de J.N. Tournier, m/s n° 2, février 2019, page 181

La teneur de ces débats n’est pas sans rappeler une controverse d’ampleur similaire qui a agité, en 2012, la communauté scientifique et la presse généraliste, après la publication de deux études distinctes qui visaient à augmenter la contagiosité du virus de grippe A de type H5N1 [ 11 - 13 ]. D’abord identifié en Asie, ce virus de la grippe aviaire s’est propagé en Europe et en Afrique et a provoqué des épizooties dévastatrices dans les élevages de volaille [ 14 , 15 ] ( ).

(→) Voir les Repères de P. Loulergue, m/s n° 11, novembre 2006, page 990, et de F. Lanternier et al., m/s n° 3, mars 2008, page 314

Depuis 2003, des cas occasionnels de transmission de l’oiseau à l’homme ont causé dans le monde plus de 800 cas d’infection, dont 455 décès, soit un taux de létalité supérieur à 50 % [ 16 ]. Seule la très faible capacité de transmission interhumaine limite, aujourd’hui, le potentiel pandémique de ce pathogène hautement contagieux, et contre lequel la population mondiale n’est pas immunisée.

Les deux équipes de recherche à la source de ces travaux avançaient qu’identifier les mutations nécessaires et suffisantes pour rendre le virus H5N1 contagieux permettrait de développer un vaccin, en amont de l’émergence naturelle de la souche. Consulté au cours du processus de révision des deux articles soumis fin 2011, le NSABB ( National Science Advisory Board for Biosecurity ), aux États-Unis, a recommandé d’exclure de la publication les détails techniques et l’indication des mutations spécifiques portant sur la modification de virus [ 17 ]. L’intensité des débats et des inquiétudes soulevées ont conduit les experts à décider d’une interruption de 60 jours de toutes les recherches visant à augmenter la transmissibilité du virus H5N1 chez les mammifères, afin de favoriser le dialogue entre chercheurs [ 13 , 18 ].

Au-delà des questions posées par la publication des détails méthodologiques, le danger que représente une éventuelle fuite de laboratoire pourrait constituer une menace qui serait la plus préoccupante ( Figure 1 ) [ 5 , 19 ]. Des travaux d’évaluation de risque estiment à 0,2 % par laboratoire et par an, le risque de contamination accidentelle non immédiatement détectée d’un expérimentateur en laboratoire L3 1, . Selon les calculs du modélisateur américain Lynn Klotz, en supposant que 10 laboratoires travaillent sur des PPP dans le monde, on atteint un risque de 18 % en l’espace de 10 ans de recherche [ 5 , 20 ]. En considérant des contaminations secondaires dans les transports en commun, qui limitent largement l’efficacité des actions d’identification des contacts avec la personne contaminée ( contact tracing ) et de leur isolement, le risque est qu’une fuite accidentelle de laboratoire entraînerait une pandémie qui toucherait 1,1 % de la population, pour un virus ayant un taux de reproduction (R 0 ) fixé fictivement à 2 [ 5 , 20 ]. Le risque pandémique n’est donc pas négligeable et doit être mis en regard de la mortalité en cas de pandémie au niveau mondial, avec, pour exemples, des taux de létalité de plus de 30 % pour les grippes H5N1 et H7N9 [ 20 ].

Malgré les diverses recommandations émises après la polémique autour des deux études sur la grippe, la parution, six ans plus tard, de l’étude permettant de synthétiser le virus de la variole équine a soulevé des questions similaires. Rien n’est encore tranché et la situation illustre le besoin criant d’un consensus international. Le nombre de nouvelles menaces étant potentiellement infini, l’asymétrie qui existe entre la facilité évidente de la création de pathogènes et la complexité grandissante de la maîtrise des conséquences en cas d’accident ou de détournement malveillant semble particulièrement préoccupante [ 13 ]. Il paraît alors nécessaire et urgent d’établir, en amont, une discussion sur l’utilité et la nécessité de chaque projet de recherche comportant des risques évidents pour l’humanité.

Les débats que soulèvent aujourd’hui la création ou la modification hypothétique du SARS-Cov-2 en laboratoire le montrent encore. En effet, si l’hypothèse dominante dans la communauté scientifique est une origine zoonotique du virus, la piste d’une transmission via le pangolin a toutefois été plus ou moins exclue, et la recherche d’un hôte intermédiaire entre le réservoir viral et l’homme est d’autant plus ardue que le patient zéro n’a jamais été identifié. L’omerta opposée par les autorités chinoises a rendu difficiles les investigations des organisations autour de l’origine de la pandémie de Covid-19 [ 21 , 22 ]. Ce manque d’information a ainsi conduit certains spécialistes à s’interroger quant à l’hypothèse d’une fuite accidentelle de laboratoire, d’autant que les travaux du laboratoire P4 de virologie de Wuhan, proche du site d’où est partie l’épidémie, soulèvent des questions. Entre 2012 et 2013, l’équipe de chercheurs de ce laboratoire avait prélevé de nombreux échantillons de coronavirus, à partir d’excréments de chauve-souris ayant colonisé une grotte minière dans laquelle des ouvriers avaient contracté une maladie pulmonaire inconnue, près de la ville de Tongguan du Xian autonome Hani de Mojiang, dans le Yunnan. Parmi les échantillons recueillis, se trouvait le RaTG13, une souche nouvelle de coronavirus, la plus proche cousine connue du SARS-CoV-2. Ce laboratoire mène, depuis plusieurs années, en collaboration avec des laboratoires américains, des expériences de gain de fonction sur les virus visant à sélectionner et étudier des mutants rendus contagieux pour l’homme [ 21 , 22 ]. Bien que le rapport des experts-enquêteurs envoyés en Chine par l’OMS estime comme improbable l’hypothèse que le SARS-Cov-2 provienne d’une fuite de laboratoire, le directeur général de l’Organisation a souligné les difficultés rencontrées pour l’accès aux données chinoises et a réclamé des missions d’enquête supplémentaires, en particulier sur l’hypothèse d’un accident de laboratoire à l’origine de la pandémie [ 23 ]. Une tribune publiée dans Science par plusieurs scientifiques a soutenu cette demande et a appelé à un examen de cette hypothèse [ 24 ].

Une création qui échappe au maillage législatif français

En France, une liste regroupant des micro-organismes et toxines hautement pathogènes (MOT) est soumise à une réglementation spécifique, inscrite dans le Code de la santé publique [ 25 ]. Cette liste inclut notamment les virus de grippe aviaire de type A et de sous-type H5, ainsi que le virus de la variole humaine, mais pas celui de la variole équine. Toute utilisation de ces MOT est soumise à une autorisation préalable. Elle sera refusée ou suspendue s’il apparaît que les opérations envisagées sont « susceptibles de présenter un risque pour la santé publique ». Les « organismes génétiquement modifiés issus ou intégrant des éléments génétiques [de ces] micro-organismes » tombent également sous la juridiction du décret relatif aux MOT, et l’avis du Haut Conseil des biotechnologies est également recueilli.

Le CNCB (Comité national consultatif pour la biosécurité), créé en 2015, a rendu en 2017, un rapport sur « les risques associés à un usage dual des techniques de synthèse et de modification programmée des génomes ». Le rapport signalait que « le développement de nouvelles technologies dans le domaine de la synthèse de l’ADN et la multiplication des sociétés privées maîtrisant ces technologies (...) [posait] une vraie question de sûreté et de prolifération potentielle » [ 26 ]. Il proposait, comme recommandations générales, la sensibilisation des chercheurs aux risques de détournements malveillants de biotechnologies, le renforcement de la protection des laboratoires de microbiologie via le dispositif de PPST (Protection du Potentiel Scientifique et Technique de la nation), la mise en place de systèmes automatisés de surveillance des bases de données publiques ou privées répertoriant les agents pathogènes, la création de systèmes de détection de commandes de synthèse de gènes d’agents biologiques de menace, ainsi que le renforcement du contrôle de l’exportation des appareils utilisés pour la synthèse d’ADN. Des efforts nécessitent néanmoins d’être portés sur l’application de ces lois à l’échelle européenne, afin qu’elles ne puissent être contournées.

Le PPST permet de protéger l’accès aux savoirs et savoir-faire stratégiques et aux techniques sensibles au sein des établissements publics ou privés, notamment si le détournement de ceux-ci peut permettre le développement d’une arme ou être utilisé à des fins terroristes [ 27 ]. Ce dispositif réglementaire non coercitif repose sur une concertation entre les pouvoirs publics et les établissements. Il offre une protection juridique et administrative aux informations sensibles par la restriction, dans les établissements de ZRR (Zones à Régime Restrictif), de la circulation des personnes.

Si la législation française réglemente le travail sur certains pathogènes, via le décret relatif aux MOT, la manipulation des micro-organismes tendant à augmenter le risque pandémique et le caractère dual de la recherche ne font l’objet que de dispositions à caractère essentiellement consultatif. Des instances et des structures existent toutefois déjà et pourraient être mises à contribution dans une démarche d’encadrement légal de ce type de recherche, qui pose des questions d’éthique et de bio-sûreté.

Vers un encadrement légal de la recherche à usage dual sur les pathogènes à potentiel pandémique

L’encadrement légal de la création de pathogènes à potentiel pandémique n’a de sens que dans un contexte de connaissance et de sensibilisation des acteurs de la recherche sur le sujet. La formation et la sensibilisation des chercheurs et des étudiants en sciences de la vie à l’éthique de la recherche s’inscrit dans un agenda global. L’arrêté du 25 mai 2016 recommande en effet aux écoles doctorales de veiller « à ce que chaque doctorant reçoive une formation à l’éthique de la recherche et à l’intégrité scientifique » [ 28 ]. Un meilleur niveau de connaissances sur le sujet permettrait un repérage éclairé des projets de recherche à usage dual, ce qui devrait entraîner la consultation des instances décisionnaires compétentes. Le contrôle de ces projets doit se faire à la fois au niveau des écoles doctorales, des tutelles, des agences d’évaluation, mais aussi des agences de financement. L’établissement d’un rapport bénéfices-risques par un comité constitué d’experts en éthique et en biosécurité, de chercheurs, et de représentants de la société civile, serait ainsi nécessaire pour autoriser ces projets de recherche, avec un objectif de prudence et de sagesse pratique. Comme c’est le cas pour l’expérimentation animale [ 29 ], l’évaluation d’un projet de recherche impliquant la création (par synthèse de novo ou par modification) de pathogènes à potentiel pandémique devrait vérifier le caractère nécessaire de la recherche et demander que les pathogènes soient remplacés, lorsque cela est possible, par des pathogènes fragmentés ou atténués. Des précautions complémentaires pourraient être exigées par le comité d’évaluation au cas par cas, comme la mise à disposition d’un vaccin ou d’un traitement (s’ils existent), la présence de chambres de quarantaine, ou la destruction du matériel biologique en fin d’étude ( Figure 2 ) . Une procédure d’inspection du respect des bonnes pratiques et des conditions de biosécurité pourrait être envisagée. Le suivi de toutes les recherches, identifiées comme étant à usage dual et menées sur le territoire français, devrait être centralisé au sein d’un même organisme qui aurait aussi à charge de répertorier les accidents de laboratoire, assurant ainsi la transparence des recherches. Le PPST pourrait devenir une obligation légale, dès lors que les pathogènes manipulés présentent un risque pandémique, entraînant donc des normes de biosécurité renforcées selon les évaluations du comité. Dans un monde idéal, l’utilisation d’une structure possédant un laboratoire de niveau P4 serait obligatoire en cas d’utilisation d’un pathogène à potentiel pandémique entier et, si les travaux venaient à se multiplier, un laboratoire dédié à haut niveau de biosécurité pourrait être créé dans une zone isolée, avec une faible densité de population, réduisant ainsi le risque de propagation en cas de fuite [ 19 ]. En pratique, cela se révèle peu réalisable au vu des surcoûts logistiques et financiers de biosécurité/bio-sûreté qu’engendrerait ces structures.

En parallèle, et à l’image des prérogatives de l’IGSC ( International Gene Synthesis Consortium ou Consortium International de Synthèse Génétique), l’établissement de recommandations à l’usage des entreprises de biotechnologies françaises sécuriserait les commandes de séquences génétiques. Par l’instauration du contrôle de l’identité du client – antériorités et institution de rattachement – ainsi que par le criblage de la séquence d’ADN commandée, les entreprises de biotechnologies instaureraient une barrière de sûreté en amont du projet de recherche. La RPD ( Regulated Pathogen Database) , une banque de données spécifique, permet déjà d’estimer si une séquence d’ADN est dangereuse ou non [ 30 ].

Les données sensibles, au lieu d’être publiées en libre accès, pourraient être conservées au sein d’institutions internationales dédiées, comme le suggère Kevin Esvelt en réaction à la publication de la méthode de synthèse du virus de la variole équine [ 9 ]. Ces données resteraient accessibles aux scientifiques, mais uniquement sur demande justifiée, ce qui permettrait de limiter et d’identifier les personnes ayant accès à ces informations sensibles.

Mener une réflexion concertée pour une recherche au bénéfice de la société

La recherche, notamment en sciences de la vie, a pour objectif fondamental l’amélioration et l’acroissement des connaissances scientifiques, dont le but est d’apporter des retombées sociétales et un bénéfice collectif. Elle permet notamment le développement de nouveaux traitements, de vaccins ou de techniques permettant l’amélioration de la vie des personnes. Cependant, de nombreuses questions d’ordre éthique et de bio-sûreté que pose cette recherche à usage dual apparaissent. La crainte grandissante des pathogènes émergents, et les progrès technologiques qui élargissent toujours plus le champ des possibles en biologie de synthèse, créent un contexte propice à l’éclosion de projets de recherche visant à étudier des pathogènes à potentiel pandémique créés ou modifiés. La législation française réglemente la manipulation des micro-organismes déjà connus et identifiés mais un vide juridique subsiste autour de la création de nouveaux agents hautement pathogènes. Établir un cadre légal constituerait un premier pas vers une recherche plus sûre. La recherche à caractère dual ne dépendrait ainsi pas exclusivement de l’obtention de financements. À l’inverse, les financeurs auraient l’assurance d’un projet encadré, sûr et bénéfique, lorsqu’il porte sur des pathogènes potentiellement dangereux. Le cadre législatif à poser doit être réfléchi en concertation avec les acteurs de la recherche afin de parvenir à une réglementation qui assure la bio-sûreté des projets sans pour autant constituer un frein à la recherche.

Afin d’évaluer le rapport bénéfices-risques d’un projet, un temps de concertation avec l’ensemble des parties prenantes est une étape clé et nécessaire, en amont de tout projet de recherche à caractère sensible. Toutes les alternatives méthodologiques devraient être évaluées, afin de choisir celle proposant le moindre risque. Cependant, l’injonction de publier toujours plus et toujours plus vite va à l’encontre de ce temps nécessaire d’échanges préalables entre pairs. Un système compensatoire pourrait être mis en œuvre, par exemple via l’attribution de « points de qualité » au projet au cours de son évaluation, à intégrer au sein du système français SIGAPS qui conditionne les candidatures aux postes hospitalo-universitaires.

Avec la baisse des coûts de l’ingénierie génétique, fabriquer du matériel biologique potentiellement dangereux devient de plus en plus accessible, rapide et abordable, comme l’illustre le développement de la « biologie de garage » ( do it yourself biology ), une pratique non institutionnelle de la biologie [ 31 ] ( ).

(→) Voir la Nouvelle de W. Zhang et al ., m/s n° 1, janvier 2013, page 36

Il pourrait en effet être possible, dans le futur et pour tout un chacun, de commander du matériel permettant la synthèse de séquences génétiques. Le contrôle des commandes officielles des laboratoires, par un système similaire à celui de l’IGSC, permettrait, par ailleurs, de les sécuriser en contrôlant l’identité du client et le type de séquence génétique commandée.

L’interdiction de publier les détails méthodologiques et le stockage des données sensibles à un niveau international sécuriserait d’autant plus le risque d’usage malveillant par des tiers. Cependant, différencier ce qui est sensible de ce qui ne l’est pas n’est pas chose aisée. Des comités de relecture spécifiquement agréés pourraient, en ce sens, établir une définition formelle de ce qui représente des données sensibles et se charger de les repérer dans les articles d’ingénierie génétique concernés. Le comité de biosécurité des États-Unis, le NSABB, a établi une réglementation et un ensemble de recommandations en ce sens qui ont un impact étendu grâce à l’influence mondiale des États-Unis.

La pandémie de Covid-19, qu’elle soit d’origine naturelle ou accidentelle, met en exergue les conséquences désastreuses que pourrait avoir la fuite accidentelle d’un pathogène à potentiel pandémique. Poser un cadre légal pour sécuriser la recherche sur les pathogènes à potentiel pandémique créés ou modifiés pourrait nous éviter de provoquer nous-mêmes la catastrophe sanitaire contre laquelle nous cherchons précisément à nous prémunir.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Laboratoire confiné dans lequel sont utilisés des agents pathogènes de classe 3 : des micro-organismes qui peuvent provoquer une maladie grave chez l’homme mais pour lesquels il existe une prophylaxie ou un traitement efficace, contrairement aux pathogènes de classe 4, expérimentés dans les laboratoires L4.
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