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Med Sci (Paris). 38(3): 294–295.
doi: 10.1051/medsci/2022015.

Les jeux vidéo cérébraux
Un outil efficace pour lutter contre le déclin cognitif

Bruno Bonnechère1*

1REVAL rehabilitation research center , Faculty of rehabilitation sciences , Université Hasselt , Agoralaan Gebouw A , 3590Diepenbeek , Belgique
Corresponding author.

MeSH keywords: Encéphale, Encéphalopathies, Cognition, Dysfonctionnement cognitif, Humains, Jeux vidéo, prévention et contrôle

 

Vignette (© Bruno BonnecheĢ€re).

L’augmentation de l’espérance de vie pose de nombreux défis aux systèmes de santé. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime qu’il y aura 1,5 milliard de personnes âgées de 65 ans ou plus en 2050, alors que leur nombre est d’environ 700 millions actuellement. Le vieillissement est associé à une augmentation des maladies chroniques : maladies cardio-vasculaires, maladies respiratoires chroniques, cancers, diabète. La démence représente également un problème de santé majeur. Elle entraîne une perte d’autonomie significative et représente un poids important pour les proches, aidants et soignants. À l’échelle mondiale, le nombre actuel de personnes atteintes de démence est estimé à 50 millions, avec près de 10 millions de nouveaux cas chaque année. Le déclin cognitif et la démence représentent donc un problème mondial de santé publique, identifié comme l’un des défis majeurs du xxi e siècle par l’OMS.

Les études épidémiologiques portant sur de grandes cohortes ont permis d’identifier de nombreux facteurs de risque de démence, modifiables (mode de vie) ou pas (facteurs génétiques). On estime actuellement que la démence pourrait être prévenue, ou au moins retardée, dans 40 % des cas [ 1 ]. Parmi les facteurs de risque modifiables identifiés, le niveau d’éducation est l’un des plus importants. L’éducation améliore la réserve cognitive et semble donc offrir une protection contre la démence [ 2 ]. Il convient cependant de noter que l’éducation n’est pas le seul moyen d’augmenter ou de maintenir la réserve cognitive. En effet, l’apprentissage permanent, par la réalisation d’activités – professionnelles ou de loisirs – stimulant la cognition, permettrait également d’augmenter cette réserve cognitive, donc de lutter contre le déclin des fonctions cognitives lié au vieillissement.

Au cours de la dernière décennie, l’accessibilité et l’utilisation des smartphones et de l’internet mobile se sont rapidement développées dans le monde entier. Parallèlement à cette croissance rapide, le secteur des applications mobiles explose. Les applications liées à la santé représentent une part importante de ce nouveau marché, et parmi les plus populaires des applications de santé ( mHealth ), on trouve les applications destinées à la santé mentale (selon une étude de l’OMS, 29 % des applications mHealth se concentrent sur le diagnostic de la santé mentale). De nombreuses applications ont ainsi été développées pour « entraîner » la cognition, comme le célèbre jeu Quel âge a votre cerveau ? développé par le Dr Kawashima en 2006. Bien que de telles applications aient été développées auparavant, c’est réellement celle-ci qui a fait connaître ce genre d’applications au grand public et aux cliniciens, et cela a ouvert la voie à leur développement et à leur utilisation en recherche et en médecine.

Ces applications offrent, en théorie, de nombreux avantages : une grande disponibilité (des applications elles-mêmes, mais également des smartphones et tablettes), un niveau d’engagement et d’amusement généralement plus élevé par rapport aux exercices traditionnels, et la possibilité d’enregistrer l’évolution des performances des joueurs et de se comparer aux autres participants (effet de la compétition sur les réseaux sociaux très important pour maintenir la motivation). Mais qu’en est-il de l’efficacité clinique de ces applications ? Ces jeux sont-ils seulement destinés à se divertir, ou peuvent-ils réellement améliorer nos fonctions cognitives ?

Il est utile de faire ici la distinction entre deux types d’approches : l’utilisation d’applications spécifiquement conçues dans un but de recherche, et les applications commerciales conçues (majoritairement) dans un but d’amusement et de divertissement. Bien que ces dernières soient développées en collaboration avec des « experts » (en neurosciences, en psychologie, en pédagogie), la composante « jeu » prend le dessus sur la composante « scientifique ». Les applications commerciales offrent l’avantage d’une grande disponibilité, d’une facilité d’utilisation et d’une plus grande stabilité (de nombreux tests précèdent leur mise sur le marché).

Nous considérerons ici uniquement les applications mobiles directement disponibles en téléchargement. Dans une méta-analyse synthétisant les résultats de 16 études (1 543 participants), nous avons montré que les jeux vidéo cognitifs commerciaux pouvaient effectivement être utilisés comme outil d’entraînement cérébral chez des personnes âgées de plus de 60 ans, sans trouble cognitif [ 3 ]. L’effet global est limité (avec une différence moyenne standardisée de 0,17 [0,10 - 0,23]), mais significatif. On observe cependant des différences importantes entre les différentes fonctions cognitives, l’effet le plus marqué concernant la vitesse de traitement de l’information. Or cette dernière est un indicateur important de la fonction cognitive chez les personnes âgées, et un bon indicateur du risque de démence [ 4 ]. L’âge des participants n’influe pas sur les résultats, ce qui indique que la capacité d’apprendre, un facteur clé dans la prévention de la démence, est préservée chez les personnes âgées en bonne santé.

Des résultats encourageants ont également été observés chez les personnes souffrant d’un déficit cognitif léger et utilisant des jeux vidéo cognitifs, sans que l’on sache encore si cet usage réduit ou ralentit le passage au stade de démence [ 5 ]. Chez les patients déjà atteints de démence, le petit nombre d’études disponibles ne permet pas de déterminer si l’utilisation de ces jeux cognitifs ralentit le déclin des fonctions cognitives ou les stabilise [ 6 ].

Les résultats chez les personnes âgées sans grand déficit cognitif nous incitent à nous pencher sur les raisons pour lesquelles ces applications commerciales ne sont pas davantage utilisées au quotidien, alors qu’elles sont facilement disponibles (certaines sont gratuites, tandis que d’autres nécessitent un abonnement annuel entre 20 et 80 €) et semblent utiles pour prévenir la démence. Rappelons que, malgré certains résultats prometteurs d’études en cours, on ne dispose pas encore d’un traitement médicamenteux préventif ou curatif de la maladie d’Alzheimer [ 7 ].

Quatre principaux obstacles à l’utilisation des outils de la santé numérique ( eHealth ) chez les personnes âgées ont été identifiés : l’état cognitif, la motivation, la capacité physique et la perception du bien-fondé de cette technique. S’y ajoute le manque de connaissance de ces outils, tant par les professionnels de santé que par les personnes concernées elles-mêmes. L’information du grand public et la formation des professionnels de santé sont donc primordiales. D’autres arguments plaident en faveur de l’utilisation de ces outils. En effet, en plus des bénéfices directs pour les fonctions cognitives, on peut observer des améliorations des fonctions motrices, ce qui ouvre de nouvelles perspectives pour la prise en charge précoce des patients alités [ 8 ] ( ). Un autre avantage est que l’ensemble des paramètres liés à l’entraînement sont enregistrés et peuvent être ensuite analysés pour suivre l’adhésion à l’entraînement cognitif, l’évolution du statut cognitif, et ainsi prendre des mesures plus précoces en cas de dégradation des fonctions cognitives [ 9 ]. Enfin, des études récentes ont souligné l’importance des appareils numériques en tant que plateformes d’activités cognitives stimulantes pour retarder le déclin cognitif chez les personnes âgées : celles qui possèdent un smartphone ont ainsi un risque de démence légèrement moindre [ 10 ].

(→) Voir la Synthèse de B. Bonnechère, m/s n° 10, octobre 2017, page 887

Nous avons montré qu’un entraînement cognitif utilisant des jeux cérébraux est utile pour améliorer les fonctions cognitives. Il s’agit d’une méthode peu onéreuse et facilement accessible. Très peu d’effets indésirables sont rapportés dans la littérature. Ce type d’entraînement devrait être combiné à un mode de vie sain (activité physique, arrêt du tabac), et au contrôle des facteurs de risques identifiés (hypertension artérielle, diabète, surpoids), afin de lutter contre le déclin des fonctions cognitives chez les personnes âgées, et ainsi prévenir la démence.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

References
1.
Livingston G , Huntley J , Sommerlad A , et al. Dementia prevention, intervention, and care: 2020 report of the Lancet Commission. . Lancet Lond Engl. 2020; ; 396 : :413. – 46 .
2.
Wang HX , MacDonald SWS , Dekhtyar S et al. Association of lifelong exposure to cognitive reserve-enhancing factors with dementia risk: A community-based cohort study. . PLoS Med. 2017; ; 14 : :e1002251. .
3.
Bonnechère B , Langley C , Sahakian BJ . The use of commercial computerised cognitive games in older adults: a meta-analysis. . Sci Rep. 2020; ; 10 : :15276. .
4.
Michely J , Volz LJ , Hoffstaedter F et al. Network connectivity of motor control in the ageing brain. . NeuroImage Clin. 2018; ; 18 : :443. – 455 .
5.
Gates NJ , Vernooij RW , Di Nisio M , et al. Computerised cognitive training for preventing dementia in people with mild cognitive impairment. . Cochrane Database Syst Rev. 2019; ; 3 : :CD012279. .
6.
Hill NTM , Mowszowski L , Naismith SL et al. Computerized cognitive training in older adults with mild cognitive impairment or dementia: A systematic review and meta-analysis. . Am J Psychiatry. 2017; ; 174 : :329. – 340 .
7.
Yu JT , Xu W , Tan CC , et al. Evidence-based prevention of Alzheimer’s disease: systematic review and meta-analysis of 243 observational prospective studies and 153 randomised controlled trials. . J Neurol Neurosurg Psychiatry. 2020; ; 91 : :1201. – 9 .
8.
Bonnechère B. Revalidation physique, entraînez le cerveau ! . Med Sci (Paris). 2017; ; 33 : :887. – 890 .
9.
Bonnechère B , Klass M , Langley C , et al. Brain training using cognitive apps can improve cognitive performance and processing speed in older adults. . Sci Rep. 2021; ; 11 : :12313. .
10.
Jin Y , Jing M , Ma X Effects of digital device ownership on cognitive decline in a middle-aged and elderly population: longitudinal observational study. . J Med Internet Res. 2019; ; 21 : :e14210. .