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Med Sci (Paris). 38(2): 198–204.
doi: 10.1051/medsci/2022005.

Les incitations financières à la réalisation d’objectifs comportementaux liés à la santé
État des lieux et questions en suspens

David Crainich1*

1 Univ. Lille, CNRS, IESEG School of management , UMR 9221 - LEM (Lille Économie Management) , 3 rue de la Digue , F-59000Lille , France
 

Vignette (© Santé publique France).

Les cancers sont la première cause de mortalité chez les hommes et la deuxième chez les femmes en France. Certains d’entre eux pourraient être évités : 41 % des cancers sont attribués à des facteurs de risque tels que la consommation d’alcool, la consommation de tabac et le surpoids/l’obésité [ 1 ]. Le taux de tabagisme (29 % des individus de 15 ans et plus fument) et la consommation moyenne d’alcool (l’équivalent de 8,6 litres d’alcool pur par adulte et par an) sont plus élevés en Europe que dans les autres régions du monde, tandis que les proportions d’adultes en surpoids et obèses - respectivement égales à 58,7 % et 23,3 % - ont triplé dans de nombreux pays depuis les années 1980 [ 2 ]. La promotion d’un mode de vie sain constitue un des défis majeurs auxquels sont confrontés les pays européens.

Les taxes sur les produits mis en cause, les campagnes d’informations, et d’autres mesures ciblant plus particulièrement la consommation de tabac et/ou d’alcool (interdiction de vente aux mineurs, prohibition de la publicité, interdiction de fumer dans les lieux publics, etc.) et les aliments favorisant l’obésité (obligation de mentionner la composition des produits sur les étiquettes, etc.) constituent les principaux instruments utilisés par les pouvoirs publics afin d’infléchir les comportements individuels. Leur mise en place plus ou moins concomitante rend difficile l’évaluation de leurs efficacités respectives. Mais ces instruments n’ont manifestement pas atteint leurs objectifs, notamment s’agissant de l’obésité qui est en progression constante. De surcroît, certains présentent d’importants inconvénients. La taxation des produits néfastes à la santé peut ainsi avoir des effets potentiellement préjudiciables si elle ne provoque pas une réduction de la consommation de ces produits, conduisant, de ce fait, à la diminution du budget disponible pour l’achat par la famille d’autres biens et services (notons que cet effet est plus susceptible de se manifester parmi les populations les plus pauvres [ 3 , 4 ]).

Il semble dès lors utile d’évaluer l’efficacité de nouveaux outils de prévention qui pourraient compenser les faiblesses des instruments existants. Une des raisons de l’échec relatif de ces derniers réside dans le décalage qui existe entre les coûts qu’ils engendrent et les bénéfices des efforts de prévention qu’ils sont censés promouvoir : alors que la pénibilité liée au sevrage tabagique et/ou alcoolique et aux tentatives de perte de poids est immédiatement ressentie par l’individu, les bénéfices qu’il perçoit de telles actions sont aléatoires, non quantifiables et différés dans le temps. Les instruments de prévention traditionnels pourraient donc être avantageusement complétés par la mise en place de dispositifs qui gomment ce décalage en associant un gain financier certain, quantifiable et immédiat à des comportements sains.

C’est le cas d’incitations financières accordées lorsque des objectifs de santé sont atteints. Ces dispositifs fonctionnent de la façon suivante : une somme d’argent est promise aux sujets à condition qu’ils réalisent un objectif comportemental contraignant pendant un certain temps (arrêter de fumer pendant six mois, perdre 7,25 kg en 16 semaines, etc.). S’ils atteignent leur objectif, la somme en question leur est versée à l’issue du programme. Le but est d’encourager les individus à entreprendre les premiers efforts, particulièrement ardus, pour arrêter de fumer et de boire de l’alcool, faire de l’exercice ou manger sainement. L’hypothèse est qu’une fois ces efforts initiaux entrepris, les efforts ultérieurs leur sembleront relativement moins difficiles. Le maintien de ces efforts initiaux au-delà de la période du programme d’incitation serait ainsi facilité, et ces efforts ultérieurs pourraient de ce fait conduire à des changements comportementaux durables.

Les programmes d’incitations financières à la réalisation d’objectifs comportementaux liés à la santé n’en sont, pour le moment, qu’au stade de l’expérimentation. Afin d’illustrer la façon dont ils sont mis en place, nous décrirons la conception et les résultats de deux expériences visant respectivement à réduire la consommation tabagique et à encourager la perte de poids 1 . Nous dégagerons ensuite les premiers enseignements que l’on peut tirer des nombreuses études ayant été menées à ce sujet. Nous évoquerons finalement les questions que ces premiers travaux suscitent, et la façon dont les futures expériences devraient être menées afin de pouvoir y répondre.

Exemples d’expérimentations : l’arrêt du tabagisme et la perte de poids
L’arrêt du tabagisme
L’expérimentation menée par Halpern et al. [ 7 ] avait pour objectif d’évaluer différents modes d’octroi d’incitations financières à l’arrêt complet du tabagisme. Elle a été menée parmi 2 538 fumeurs dont la consommation était supérieure ou égale à 5 cigarettes par jour, et qui étaient les employés d’une entreprise américaine. Les sujets ont été répartis de façon aléatoire dans cinq groupes se distinguant par le mode d’allocation des récompenses en cas d’abstinence tabagique, le groupe E étant le groupe témoin. Plus précisément, les récompenses octroyées après 14 jours, 30 jours et six mois d’abstinence aux sujets des groupes A et B étaient individuelles, alors que celles dont ont bénéficié les sujets des groupes C et D étaient collectives. La participation aux programmes B et D était conditionnée au paiement d’un montant de 150 dollars par les sujets. Le Tableau I précise les récompenses octroyées aux sujets des cinq groupes en cas d’abstinence tabagique. Notons que les sujets n’avaient pas la possibilité de choisir un mécanisme incitatif, mais uniquement d’accepter ou de refuser celui qui leur était proposé.

Le résultat principal de cette expérimentation est que l’abstinence à six mois des sujets des quatre groupes ayant bénéficié des incitations financières a été significativement plus élevée que celle des sujets du groupe de contrôle (elle était située entre 9,57 % et 15,99 % pour les quatre groupes de traitement, et était de 5,98 % dans le groupe témoin). L’abstinence a été plus élevée parmi les sujets ayant reçu l’incitation financière sans devoir effectuer de paiement préalable (15,63 % pour les groupes A et C) que parmi ceux pour qui la participation était payante (10,23 % pour les groupes B et D). Ce résultat s’explique par les différentes propensions des participants à accepter les deux types de dispositifs. La participation aux programmes B et D se soldant par une perte financière équivalant au paiement initial de 150 dollars pour les sujets n’ayant pas atteint leur objectif après 14 jours, le taux d’acceptation de ces programmes n’était que de 13,83 % alors qu’il était de 89,87 % pour les programmes A et B. Toutefois, le taux d’abstinence à six mois des sujets ayant accepté les incitations financières conditionnées à un paiement initial a été largement plus élevé (73,97 %) que celui des sujets ayant accepté les incitations financières sans condition (17,4 %). L’étude n’a pas révélé de différences significatives d’abstinence tabagique entre les sujets participant aux programmes individuels et collectifs. Enfin, la moitié des sujets abstinents à la fin du programme ont recommencé à fumer six mois plus tard. Les taux d’abstinence à 12 mois des individus des groupes A et C étaient toutefois significativement plus élevés que ceux des individus du groupe de contrôle.

La perte de poids
Cawley et Price [ 8 ] ont mené une expérience d’incitation financière à la perte de poids auprès de 2 635 employés d’une même entreprise, répartis sur différents sites. Seuls les sujets dont l’indice de masse corporelle (IMC) était supérieur à 25 étaient éligibles au programme. Ces derniers ont été répartis dans trois groupes de traitement et dans un groupe témoin en fonction de leur lieu de travail (le choix du traitement qui s’appliquait à chaque sujet du même site a été effectué par le directeur du site, les sujets pouvaient seulement accepter ou refuser le traitement). Le Tableau II précise les montants octroyés aux sujets en fonction de leur perte de poids en point de pourcentage par rapport à leur poids de départ et en fonction du type de traitement choisi par le directeur de leur site. Afin d’éventuellement bénéficier des récompenses financières associées aux programmes B et C, les sujets devaient au préalable payer un certain montant (équivalent à 109,45 dollars pour ceux qui sont allés au bout du programme, moins élevé pour ceux qui ont abandonné avant). Ce paiement rendait risquée la participation à ces deux programmes, dans la mesure où celle-ci était susceptible de conduire les sujets n’ayant pas atteint leur objectif à une perte financière.

L’expérience a mis en évidence le fait que les taux d’abandon ont été plus élevés dans les trois groupes ayant bénéficié des incitations financières que dans le groupe témoin (75,8 % des sujets du groupe A ont abandonné avant 12 mois, alors que cela n’a été le cas que de 58 % des sujets des groupes B et C et de 48 % des sujets du groupe témoin). Les pertes de poids à 12 mois ont été en moyenne significativement plus élevées parmi les sujets qui se sont vu proposer les programmes pour lesquels leur participation était conditionnée à un paiement initial (groupes B et C) que dans le groupe contrôle. Il n’y a pas eu de différence significative de perte de poids entre les sujets du groupe A (récompense financière sans paiement initial des sujets) et ceux du groupe témoin. Plus que la façon d’octroyer la récompense (proportionnelle ou uniquement si l’objectif est atteint), c’est le paiement initial des participants qui semble provoquer des pourcentages de perte de poids plus importants. Notons toutefois que l’article ne mentionne pas dans quelle mesure ces paiements préalables ont affecté le consentement des sujets à participer aux programmes B et C.

État des lieux

Les travaux expérimentaux sur les incitations financières à la réalisation d’objectifs comportementaux proposent des mécanismes incitatifs très variables. Ainsi, comme nous l’avons montré, la participation au programme peut être conditionnée ou pas à un paiement préalable de la part du sujet ; les montants attribués en cas de succès peuvent être très différents ; les récompenses offertes sont souvent prédéfinies, mais peuvent parfois aussi être aléatoires lorsqu’elles prennent la forme de billets de loteries ; les programmes d’incitations à la perte de poids peuvent récompenser les participants uniquement s’ils atteignent un objectif ou proportionnellement au nombre de kilos perdus ; les incitations peuvent être individuelles ou collectives, etc. La diversité des modalités d’octroi de ces incitations financières empêche souvent d’isoler l’effet d’une caractéristique particulière d’un dispositif, et donc de tirer des conclusions générales. Certaines grandes tendances peuvent toutefois être mises en évidence.

Tout d’abord, les incitations financières semblent, au moins à court terme, favoriser l’arrêt du tabagisme [ 912 ] et la perte de poids [ 1316 ]. Ce premier constat étant effectué, d’autres conclusions se dégagent de ces articles. Ces dernières permettront de mettre en exergue des pistes de recherche susceptibles d’améliorer l’efficacité des programmes d’incitation financière à la réalisation d’objectifs comportementaux liés à la santé.

Une réserve s’impose concernant la première conclusion relative à l’efficacité des incitations financières : si la littérature souligne leur effet significatif sur la propension à arrêter de fumer et à perdre du poids à l’issue du programme, un tel effet n’a pas été mis en évidence au-delà de la durée du programme, comme le soulignent les revues de la littérature spécifiquement consacrées aux effets à long terme des incitations financières à la cessation du tabagisme [ 17 ] et à la perte de poids [ 18 ]. En ce sens, ces programmes n’atteindraient pas nécessairement leur objectif fondamental, qui est de promouvoir des changements de comportements durables. Notons toutefois que ces revues de la littérature ne concluent pas à l’absence d’effets à long terme de ces dispositifs, mais insistent plutôt sur l’absence de preuves scientifiques de ces effets [ 19 ].

Les dispositifs qui conditionnent l’obtention éventuelle de la récompense à un paiement préalable de la part des participants semblent plus à même de permettre à ces derniers d’atteindre leur objectif [ 20 ]. Le niveau du paiement initial semble par ailleurs, au moins pour les programmes visant à la perte de poids, améliorer l’efficacité des mécanismes incitatifs [ 21 ]. Toutefois, ces paiements donnent aussi logiquement lieu à de plus faibles taux de participation des individus, dans la mesure où ces montants ne sont pas récupérés en cas de non atteinte de l’objectif prédéfini. L’efficacité relative des dispositifs avec ou sans paiement initial des sujets doit être évaluée à l’aune de ces deux éléments. Les expérimentations proposées dans la littérature ne permettent cependant pas de telles comparaisons dans la mesure où elles n’évaluent pas des dispositifs avec ou sans paiement initial des sujets qui offrent à ces derniers la même espérance de gain (c’est notamment le cas des études [ 7 ] et [ 8 ] que nous avons décrites). De même, la littérature ne nous éclaire pas sur les freins que peuvent éventuellement constituer ces paiements préalables pour les populations les plus pauvres, ces dernières ne pouvant pas nécessairement se permettre de prendre le risque ne pas atteindre leur objectif comportemental.

Enfin, il semble que c’est moins le niveau de la récompense en cas d’atteinte de l’objectif, que l’existence de cette récompense qui provoque des changements de comportement [ 22 ]. Cette conclusion semble indiquer que les sujets souhaitant arrêter de fumer ou perdre du poids ont avant tout besoin d’un cadre qui précise des objectifs clairement définis dans le temps. Si ce principe est avéré, il existerait un niveau optimal de récompense au-delà duquel il ne serait pas utile d’aller (voir la discussion proposée par [ 17 ]). Les expérimentations menées jusqu’ici n’ont cependant pas abordé cette question.

Des questions en suspens

La propension des programmes d’incitations financières à promouvoir de façon durable des comportements bénéfiques à la santé reste à démontrer. L’efficacité de ces programmes est toutefois susceptible d’être sous-évaluée s’ils ne reposent pas sur des mécanismes incitatifs optimaux. Il est donc crucial que la réflexion autour de ces dispositifs se concentre sur la façon dont les récompenses, en cas d’atteinte de l’objectif comportemental préalablement défini, devraient être octroyées. Les recherches effectuées jusqu’à présent ne permettent pas de dégager de grandes tendances à cet égard. Deux raisons expliquent cette incapacité. D’une part, les travaux de cette littérature évaluent des mécanismes incitatifs très différents, ce qui rend l’identification des constituants de leurs attractivités relatives compliquée. Ainsi, les sujets inclus dans le groupe B de l’expérience de Cawley et Price [ 8 ] ( Tableau II ) ont-ils perdu en moyenne plus de poids que ceux du groupe A parce qu’ils ont dû payer une certaine somme d’argent afin de participer au programme, parce qu’ils devaient perdre au moins 10 % de leur poids initial avant d’envisager le moindre gain, ou parce que les montants proposés semblaient plus élevés compte tenu de la perte de poids qu’ils pensaient pouvoir atteindre (ou les trois à la fois) ? Faute de pouvoir isoler l’importance relative de chacun de ces éléments, il est difficile de dégager des conclusions de portée générale sur l’efficacité des différents mécanismes incitatifs. La mise en place d’expérimentations plus standardisées permettrait certainement de remédier à cette lacune en facilitant la comparaison de différents programmes.

D’autre part, la littérature n’exploite pas les éclairages de la théorie économique dans le but de mettre en évidence les éléments susceptibles d’améliorer l’efficacité des dispositifs incitatifs. Le recours à l’économie comportementale est souvent invoqué afin d’inspirer la conception des programmes d’incitation [15, 23, 34]. L’aversion à la perte, phénomène bien documenté depuis son introduction dans la littérature par Kahneman et Tversky [ 25 ], qui désigne l’inclinaison naturelle qu’ont les individus à être moins sensibles au gain d’un certain montant qu’à la perte de ce même montant, justifierait par exemple la plus grande efficacité des programmes qui imposent aux sujets le paiement préalable d’une somme d’argent.

La modélisation théorique des différents dispositifs devrait permettre d’aller plus loin que cette simple recommandation. Elle pourrait par exemple donner des indications sur un niveau de paiement initial de la part des sujets qui ne serait ni trop faible (pour les inciter à effectuer des efforts afin d’atteindre leur objectif), ni trop élevé (afin de ne pas les dissuader d’accepter le programme). La formalisation théorique (couplée avec une expérience de terrain) pourrait aussi permettre de déterminer si la participation des sujets lorsqu’un paiement initial leur est imposé est expliquée par leur faible degré d’aversion au risque ou par leur quasi-certitude d’atteindre leur objectif. Cette dernière information serait particulièrement importante dès lors qu’elle permettrait de déterminer si les dispositifs conditionnés au versement d’un paiement initial de la part des sujets ne fournissent pas des incitations à ceux qui en ont le moins besoin (c’est-à-dire, à ceux qui auraient atteint leur objectif même en l’absence d’incitations financières). À l’inverse, on peut imaginer que les sujets qui acceptent de participer à des programmes imposant un paiement initial, et donc éventuellement une perte d’argent, ont une motivation intrinsèque plus important que les sujets qui n’acceptent pas ces programmes. Il est donc vraisemblable que les premiers poursuivent avec plus de succès leurs efforts comportementaux au-delà du programme d’incitation que les seconds. Cette hypothèse devrait aussi être testée afin de mesurer s’il est préférable de conditionner la participation à ces programmes d’incitations à un paiement de la part des sujets. Enfin, l’effet d’une perte financière est plus durement ressenti par les individus les plus pauvres. Ces derniers sont donc automatiquement moins enclins à risquer de prendre part à un programme qui exige un paiement préalable définitivement perdu si l’objectif comportemental n’est pas atteint. C’est un élément qu’il convient de garder à l’esprit au moment de concevoir ces mécanismes incitatifs, afin que ces derniers ne bénéficient pas uniquement aux populations les plus aisées.

La complémentarité entre les études théoriques et les expérimentations devrait aussi être mobilisée afin d’optimaliser la façon dont les objectifs de perte de poids sont définis dans le cadre de dispositifs incitatifs 2, . Les expériences menées à cet effet assignent souvent, sans le justifier, des objectifs 3 qui correspondent à un nombre de kilos perdus [ 15 ] ou à la perte d’un certain pourcentage du poids de départ [ 8 , 14 ]. La combinaison optimale de l’objectif de perte de poids et de la récompense qui est octroyée en cas d’atteinte de cet objectif mérite pourtant que l’on s’y attarde. Les sujets n’ont pas tous les mêmes attitudes face à la situation d’incertitude qui caractérise ces programmes. Par conséquent, il est vraisemblable que certains sujets effectuent plus d’efforts pour atteindre un objectif de perte de poids exigeant mais très rémunérateur, alors que d’autres sont davantage motivés par un objectif raisonnable, même s’il offre une récompense moindre en cas de succès. De même, les efforts fournis par un troisième groupe de sujets pourraient être plus importants si on proposait à ceux-ci une récompense proportionnelle à la perte de poids qu’ils auront atteinte. Cette discussion doit en outre garder à l’esprit que l’objectif final de ces dispositifs n’est pas la perte de poids pendant la durée du programme, mais la poursuite des efforts comportementaux de façon durable. À cet égard, on peut aussi se demander si des objectifs de poids très exigeants combinés avec des gains importants n’incitent pas les sujets à perdre trop rapidement beaucoup de poids, et s’ils ne sont pas de surcroît susceptibles d’intéresser des sujets surtout attirés par la récompense financière. Dans les deux cas, la poursuite des efforts au-delà du programme serait vraisemblablement compromise.

Conclusion

Rien ne permet à ce stade d’affirmer que les incitations financières à la réalisation d’objectifs de santé provoquent des changements comportementaux durables. Cet article souligne l’importance d’une réflexion sur la conception de ces dispositifs. Plus précisément, la spécification des modalités de mise en place de ces programmes devrait se fonder sur des modèles théoriques issus de l’économie comportementale. Les expérimentations visant à identifier et à mesurer les préférences face à des situations de risque ont mis en évidence le fait que ces dernières pouvaient être très différentes d’un individu à l’autre. La conséquence logique de cette conclusion est que les mécanismes visant à favoriser la cessation du tabagisme et la perte de poids devraient, contrairement à ce qui a été proposé jusqu’à présent dans la littérature, être taillés sur mesure en fonction des préférences individuelles.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Il n’y a, à notre connaissance, pas d’expérience similaire visant à réduire la consommation d’alcool, sans doute parce que cette dernière ne peut être détectée de façon rétrospective. Les incitations financières à la pratique d’exercices physiques ont fait l’objet d’évaluations similaires ([ 5 , 6 ]). Elles entrent toutefois dans une catégorie différente, dans la mesure où elles récompensent un moyen et non une fin. Elles ne seront donc pas évoquées dans cet article.
2 La question ne se pose pas de la même façon pour les programmes d’incitation à l’arrêt du tabagisme qui conditionnent systématiquement les récompenses financières à l’abstinence totale. Cela s’explique sans doute par le fait que des techniques permettent de vérifier cette dernière a posteriori, mais pas de déterminer le nombre de cigarettes que les sujets ont fumé. La récompense ne peut donc être conditionnée à un objectif intermédiaire.
3 Plus rarement, l’objectif est de retrouver un poids idéal défini par le corps médical qui suit le patient [ 22 ].
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