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Med Sci (Paris). 38(2): 141–144.
doi: 10.1051/medsci/2021256.

Les phtalates
Un facteur de risque pour la fonction cérébro-vasculaire chez la souris mâle

Delnia Ahmadpour,1 Sakina Mhaouty-Kodja,1 and Valérie Grange-Messent1*

1CNRS UMR 8246, Inserm U1130, Institut de biologie Paris-Seine, Sorbonne Université , 7 quai Saint-Bernard , 75005Paris , France
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Exposition environnementale, Polluants environnementaux, Humains, Mâle, Souris, Acides phtaliques, Appréciation des risques, Facteurs de risque

La barrière hémato-encéphalique : une interface contrôlant les échanges entre le sang et le tissu cérébral

Le cerveau est protégé de la toxicité des xénobiotiques circulants et des agents pathogènes par une interface spécifique avec le sang des capillaires cérébraux : la barrière hémato-encéphalique. Celle-ci assure également l’homéostasie essentielle à l’activité neuronale.

La barrière hémato-encéphalique joue un rôle de filtre sélectif qui contrôle la communication entre, d’une part, les systèmes circulatoire et immunitaire, et, d’autre part, le parenchyme cérébral. Elle est constituée de cellules endothéliales reliées entre elles par des jonctions serrées et des jonctions adhérentes limitant la diffusion paracellulaire des molécules. Les échanges entre le compartiment sanguin et le parenchyme cérébral sont contrôlés par les transporteurs et les vésicules d’endocytose issues de cavéoles des cellules endothéliales, qui limitent également le passage transcellulaire des molécules. Les cellules endothéliales sont entourées par une membrane basale englobant des péricytes. Elles interagissent, par l’intermédiaire de cette membrane basale avec des cellules gliales (astrocytes et cellules microgliales) et des neurones ( Figure 1A ) [ 1 ]. Un dysfonctionnement de la barrière hémato-encéphalique est associé à certaines maladies neurodégénératives. Celui-ci peut également compliquer la récupération à la suite d’un accident vasculaire cérébral [ 1 ].

Les capillaires cérébraux sous contrôle des hormones stéroïdes sexuelles

Le rôle des hormones stéroïdes sexuelles ne se limite pas aux fonctions neuroendocrines et aux comportements liés à la reproduction : elles agissent également sur les vaisseaux cérébraux, qui font partie de leurs tissus cibles. Il existe d’ailleurs une différence de sensibilité vasculaire aux stéroïdes sexuels dépendante du genre, en relation avec l’évolution de la concentration plasmatique des œstrogènes et de la testostérone au cours de la vie. Ces hormones peuvent modifier le tonus vasculaire, le fonctionnement des cellules endothéliales, la réponse au stress oxydant et la réponse inflammatoire [ 2 ]. La testostérone peut agir soit directement, via les récepteurs des androgènes, soit indirectement, par activation des récepteurs des œstrogènes. Nous avons précédemment montré un rôle réversible de la testostérone sur le fonctionnement de la barrière hémato-encéphalique et sur la neuroinflammation chez la souris mâle adulte, dans l’aire préoptique médiane de l’hypothalamus, impliquée dans le comportement sexuel. Une déplétion chronique en testostérone circulante induit une augmentation de la perméabilité de la barrière hémato-encéphalique avec une altération des jonctions serrées entre les cellules endothéliales, qui s’accompagne d’une activation des cellules gliales (astrocytes et microglie), d’une augmentation de la production de molécules impliquées dans la réaction inflammatoire, et d’une dégénérescence cellulaire [ 3 ].

Perturbation endocrinienne par les phtalates

Les phtalates sont des composés chimiques entrant dans la composition de produits en matière plastique. Ce sont des perturbateurs endocriniens, c’est à dire des substances capables d’altérer le fonctionnement des systèmes endocriniens d’organismes vivants ou de leur progéniture [ 4 ], comme l’a montré leur capacité à diminuer la production de testostérone fœtale [ 5 ]. En raison de leur importante utilisation, les phtalates, en particulier le di(2-éthylhexyl) phtalate (DEHP), sont très présents dans notre environnement [ 6 ], et leurs effets nocifs représentent un véritable enjeu de santé publique. Jusqu’à présent, la majorité des études in vivo portant sur les effets de l’exposition aux phtalates sur le système nerveux se sont concentrées sur leurs effets lors d’une exposition périnatale, ou lors d’une exposition plus tardive, mais à des doses élevées. En revanche, les effets d’une exposition à de faibles doses de phtalates à l’âge adulte ont été peu étudiés.

Nous avons récemment montré que l’exposition par voie orale, à l’âge adulte, à de faibles doses de DEHP, perturbe le comportement sexuel des souris mâles [ 7 ]. Cette altération comportementale n’est pas due à des modifications des taux de testostérone circulante, mais est associée à une diminution de l’expression du récepteur des androgènes dans l’aire préoptique médiane [ 7 ]. Cette diminution induite par l’exposition à de faibles doses de DEHP, sans affecter le nombre de récepteurs des œstrogènes α (ERα), s’accompagnent d’une activation des astrocytes [ 7 ]. Nos résultats préliminaires ont montré également une diminution de l’expression du récepteur des androgènes dans une autre région cérébrale sensible à ces hormones : l’hippocampe, où ce récepteur joue un rôle important dans la modulation des processus cognitifs.

Dans ce contexte, cette nouvelle étude avait pour objectif de documenter l’impact de l’exposition de souris mâles adultes à de faibles doses de DEHP, seul ou dans un mélange contenant également d’autres phtalates présents dans l’environnement, sur l’intégrité de la barrière hémato-encéphalique et du parenchyme cérébral environnant.

Effets de l’exposition, à l’âge adulte, à de faibles doses de DEHP, seul ou dans un mélange de phtalates, sur la perméabilité de l’endothélium des capillaires cérébraux chez la souris mâle

Nous avons exposé des souris mâles C57BL/6J adultes à une nourriture contaminée par les phtalates [ 8 ]. Ces souris ont été alimentées avec de la nourriture sans phtalates (groupe témoin), ou contenant le DEHP seul, à la dose journalière de 50 µg/kg de poids corporel, correspondant à la dose journalière tolérable (DJT) 1 , ou à la dose de 5 µg/kg/jour, une valeur située dans la gamme de l’exposition environnementale [ 9 , 10 ]. Les souris d’un quatrième groupe ont été exposées à un mélange de phtalates pertinent pour l’exposition environnementale et incluant le DEHP : DEHP (5 µg/kg/jour), DBP (0,5 µg/kg/jour), BBP (0,5 µg/kg/jour), DiBP (0,5 µg/kg/jour), et DEP (0,25 µg/kg/jour) 2 [ 11 ] ( ).

(→) Voir la Nouvelle de N. Adam et S. Mhaouty-Kodja, m/s n° 11, novembre 2021, page 973

Après six semaines de traitement, les cerveaux de ces animaux ont été prélevés. Des analyses ont été réalisées dans les deux régions cérébrales sensibles aux androgènes précédemment citées : l’hypothalamus et l’hippocampe. Nos résultats ont montré un effet du DEHP, seul ou mélangé avec d’autres phtalates, sur la perméabilité de la barrière hémato-encéphalique, effet qui s’est traduit par une fuite du compartiment sanguin vers le parenchyme cérébral d’un traceur exogène (colorant Bleu Evans), et des immunoglobulines G (IgG) endogènes circulantes dans l’aire préoptique médiane de l’hypothalamus ( Figure 1B ) et les régions CA1 et CA3 de l’hippocampe [ 8 ]. Ce défaut d’imperméabilité de la barrière hémato-encéphalique pourrait résulter d’une altération de la diffusion paracellulaire ou transcellulaire des solutés. En revanche, aucune fuite n’a été détectée dans le territoire du gyrus denté de l’hippocampe, quelle que soit la dose d’exposition.

Nous avons montré que l’augmentation de la perméabilité de la barrière hémato-encéphalique de l’hypothalamus induite par l’exposition au DEHP seul à la dose journalière de 5 ou 50 μg/kg, ou au DEHP à la dose journalière de 5 μg/kg dans un mélange de phtalates, était associée à une forte diminution de la quantité de la protéine jonctionnelle zonula occludens 1 (ZO-1) associée aux jonctions serrées, et pour l’exposition au DEHP seul à la dose journalière de 50 µg/kg ou au DEHP à la dose journalière de 5 µg/kg dans le mélange de phtalates, à une diminution significative de la quantité de la cavéoline-1 (Cav-1) ( Figure 1C ). Cette augmentation de la perméabilité de la barrière hémato-encéphalique de l’hypothalamus s’est parfois accompagnée d’une réaction gliale, marquée par une activation des astrocytes et de la microglie, et par une augmentation des quantités de molécules impliquées dans la réaction inflammatoire, comme l’isoforme inductible de l’oxyde nitrique synthase (iNOS) et comme la cyclo-oxygénase de type 2 (COX-2) ( Figure 1D ).

Dans l’hippocampe, la perméabilité accrue de la barrière hémato-encéphalique consécutive à une exposition au DEHP à la dose journalière de 50 µg/kg était associée à une augmentation de la quantité de ZO-1 et à une diminution de celle de Cav-1 dans les régions CA1 et CA3. Aucune activation astrocytaire n’a été détectée. En revanche, nous avons observé une activation microgliale dans les régions CA1 et CA3 à la suite d’une exposition au DEHP seul ou dans un mélange de phtalates, alors qu’aucun changement du marquage par un anticorps spécifique de la protéine COX-2 dans cette région n’a été constaté [ 8 ].

Ainsi, l’exposition des souris mâles adultes à de faibles doses de phtalates, proches de celles de l’exposition environnementale, provoque un dysfonctionnement de la barrière hémato-encéphalique dans l’hypothalamus et dans l’hippocampe, souvent associé à une réaction neuroinflammatoire, avec, cependant, des différences de sensibilité à l’exposition entre ces deux régions du cerveau, en particulier pour l’activation des astrocytes [ 8 ]. Cette étude révèle que l’exposition aux phtalates, des perturbateurs endocriniens à action anti-androgénique, a des effets indésirables sur les capillaires cérébraux dans des régions cérébrales sensibles aux androgènes ( Figure 2 ). L’exposition aux perturbateurs endocriniens peut donc désormais être considérée comme un facteur de risque environnemental pour la fonction cérébro-vasculaire. En outre, nous montrons que ces effets indésirables de l’exposition au di(2-éthylhexyl)phtalate (DEHP) se produisent pour de faibles doses, équivalentes ou inférieures à la DJT (50 µg/kg/jour) actuellement établie par l’EFSA ( European Food Safety Authority ) [ 5 ], ce qui conduit à s’interroger sur la pertinence des méthodes classiquement utilisées pour déterminer la dose de phtalates pouvant être ingérée quotidiennement sans danger pour l’homme.

Liens d’intérêt

Les auteures déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Dose pouvant être ingérée quotidiennement sans danger pour l’homme, calculée à partir de la dose expérimentale sans effet nocif constaté chez l’animal, après application d’un facteur d’incertitude tenant compte de la variabilité inter-individuelle et des différences entre espèces.
2 Dibutyl phtalate (DBP), benzyl butyl phtalate (BBP), diiso-butyl phtalate (DiBP), diéthyl phtalate (DEP)
References
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