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Med Sci (Paris). 38(1): 29–31.
doi: 10.1051/medsci/2021234.

Un rôle nouveau pour les thrombospondines dans la neuroplasticité anormale associée à des troubles comportementaux chez la souris adulte

Vincent Vialou1*

1Laboratoire Neuroscience Paris Seine - Sorbonne Université UM CR 18 - Inserm U1130 - CNRS UMR 8246 , 75005Paris , France
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Humains, Troubles mentaux, Souris, Plasticité neuronale, Thrombospondines

 

Les thrombospondines sont des glycoprotéines sécrétées qui sont impliquées dans les interactions entre les cellules et la matrice extracellulaire mais n’ont pas de rôle structurel [ 1 ]. Dans le cerveau, les thrombospondines participent à la formation des synapses excitatrices au cours du développement [ 2 ]. L’effet synaptogénique des thrombospondines dépend de la liaison à leur récepteur neuronal, la sous-unité auxiliaire α2δ-1 des canaux calciques dépendant du potentiel de membrane Ca v 1 et Ca v 2 [ 3 ]. Deux articles récents dévoilent un rôle nouveau des thrombospondines dans la formation de synapses chez l’adulte dans le contexte de deux maladies comportementales : le déficit de l’attention avec hyperactivité, et la rechute de la consommation de cocaïne [ 4 , 5 ]. Ces travaux se sont concentrés, pour l’un, sur le striatum dorsal, une structure cérébrale qui joue un rôle central dans la planification motrice et dont les dysfonctionnements sont associés à de nombreuses maladies neurologiques et psychiatriques y compris le trouble de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), et pour l’autre, sur le striatum ventral (noyau accumbens ), « centre de la récompense » qui joue un rôle essentiel dans la motivation, et qui est impliqué dans divers aspects de l’addiction aux drogues. Ces deux études apportent un éclairage nouveau sur le rôle d’un facteur astrocytaire dans la pathogénie de ces maladies.

Thrombospondine-1 et trouble de l’attention avec hyperactivité

L’équipe dirigée par Baljit Khakh a montré que dans le striatum dorsal, l’augmentation expérimentale des courants calciques astrocytaires par une technique chimiogénétique chez la souris [ 6 ] ( ) entraîne un comportement d’hyperactivité et de déficit de l’attention [ 4 ]. À ce comportement est associée une augmentation du nombre des épines dendritiques, des courants post-synaptiques excitateurs et de la fréquence des potentiels d’action des neurones épineux moyens. Afin de déterminer l’origine de ces changements, les chercheurs ont réalisé un séquençage des ARN messagers (ARNm) dans les astrocytes activés. Pour cela, ils ont utilisé un vecteur viral permettant d’exprimer une protéine ribosomique fusionnée avec l’hémagglutinine sous le contrôle d’un promoteur astrocytaire. L’immunoprécipitation des ribosomes grâce à l’hémagglutinine a ainsi permis d’isoler des ARNm en cours de traduction dans les astrocytes du striatum. L’activation des astrocytes altère l’expression de quelques centaines de gènes, parmi lesquels celui codant la thrombospondine-1, dont l’expression est augmentée. Compte tenu du rôle connu de cette protéine dans la formation des synapses excitatrices, les auteurs ont émis l’hypothèse que les effets observés pourraient être la conséquence de son expression. En effet, l’injection d’un antagoniste du récepteur α2d-δ des thrombospondines, la gabapentine, suffit à bloquer l’augmentation des épines dendritiques et des courants post-synaptiques excitateurs des neurones épineux moyens, ainsi que le comportement d’hyperactivité avec déficit de l’attention induits par la stimulation des astrocytes. Ces résultats indiquent que l’expression et la libération de la thrombospondine-1 par les astrocytes du striatum entraîne des changements dans la plasticité des neurones adjacents ( Figure 1 ). Cependant, les effets induits par l’activation expérimentale des signaux calciques astrocytaires ne durent pas longtemps : 48 heures après l’activation des astrocytes, le comportement d’hyperactivité et les changements électrophysiologiques ne sont plus observés. Ce résultat suggère que l’induction de l’expression de la thrombospondine dans les astrocytes ne suffit pas à produire des changements à long-terme. Un changement persistant de l’activité des signaux calciques à la suite d’une reprogrammation phénotypique des astrocytes du striatum pourrait avoir un rôle causal dans l’apparition de cette maladie chronique du comportement.

(→) Voir le Dossier technique de A.L. Hemonnot-Girard et al ., m/s n° 1, janvier 2021, page 59

Thrombospondine-2 et addiction à la cocaïne

L’équipe dirigée par Yan Dong a mis en évidence l’implication d’une autre thrombospondine, la thrombospondine-2, dans les effets cellulaires et comportementaux de la cocaïne chez la souris [ 5 ]. Dans un modèle d’auto-administration de drogues, la prise volontaire de cocaïne entraîne une augmentation du nombre de synapses dites silencieuses dans les neurones épineux moyens du noyau accumbens du striatum ventral : ces synapses expriment les récepteurs NMDA ( N-methyl-D-aspartate ) mais pas les récepteurs AMPA (α -amino-3-hydroxy-5-methyl-4-isoxazole propionic acid ) du glutamate, ce qui les rend impossibles à activer. Cette formation de synapses silencieuses est une forme de neuroplasticité nécessaire à la mémoire associée à la prise de drogue et qui sous-tend la rechute de la consommation de cocaïne. L’origine de ces changements était jusqu’alors inconnue. Les auteurs ont d’abord montré que la cocaïne entraînait une augmentation des courants calciques dans les astrocytes. Afin de tester le rôle de ces courants calciques astrocytaires dans les effets de la cocaïne, ces courants ont été réduits expérimentalement par l’expression d’une pompe qui expulse les ions calcium cytoplasmiques hors de la cellule. La diminution des signaux calciques dans les astrocytes du noyau accumbens entraîne une diminution du nombre des synapses silencieuses des neurones épineux moyens induites par la cocaïne. Les auteurs ont émis l’hypothèse que l’effet des astrocytes sur la plasticité induite par la cocaïne était assuré par une thrombospondine, car ces molécules induisent des synapses silencieuses dans le cerveau de souriceaux [ 3 ]. De fait, la diminution de l’expression de la thrombospondine-2 ou de son récepteur α2δ-1 grâce à l’utilisation d’un ARN interférent, ainsi que l’administration de gabapentine conjointement à celle de cocaïne pendant le protocole de sensibilisation et d’auto-administration, bloquent les changements structuraux (augmentation du nombre d’épines dendritiques), électrophysiologiques (augmentation du nombre des synapses silencieuses) et comportementaux (rechute de l’addiction) induits par l’auto-administration de cocaïne. L’ensemble de ces résultats indique que les modifications à long terme de la plasticité neuronale caractéristique de l’addiction résultent en partie de la libération de la thrombospondine-2 par les astrocytes activés ( Figure 1 ). Les changements de plasticité synaptique induits par la thrombospondine-2 concordent avec l’hypothèse qu’une augmentation de la neurotransmission glutamatergique est nécessaire à la rechute de l’addiction à la cocaïne [ 7 ]. Alors que ces résultats suggèrent que l’augmentation des courants calciques des astrocytes par la cocaïne favorise le comportement de rechute de l’addiction à la cocaïne, l’activation expérimentale, par une technique chimiogénétique, des signaux calciques astrocytaires a pourtant un effet inhibiteur sur ce comportement [ 8 ], ce qui souligne le rôle complexe des astrocytes dans la neurotransmission.

Conclusion

En conclusion, ces deux études montrent l’implication des thrombospondines dans la plasticité synaptique anormale du striatum associée à deux maladies du comportement chez l’adulte : le déficit de l’attention avec hyperactivité, et l’addiction à la cocaïne. Ces protéines synaptogéniques induisent un changement de la connectivité neuronale en augmentant le nombre de synapses excitatrices glutamatergiques sur les neurones épineux moyens. Ces changements structuraux ont des répercussions importantes pour le fonctionnement des circuits neuronaux des noyaux gris centraux. Cette famille de protéines étant très peu présente dans le cerveau adulte [ 2 ], l’expression hétérochronique des thrombospondines renforce l’hypothèse de l’existence d’un changement phénotypique des astrocytes dans les maladies chroniques du comportement.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

References
1.
Bornstein P. Thrombospondins as matricellular modulators of cell function. . J Clin Invest. 2001; ; 107 : :929. – 934 .
2.
Eroglu C. The role of astrocyte-secreted matricellular proteins in central nervous system development and function. . J Cell Commun Signal. 2009; ; 3 : :167. – 176 .
3.
Christopherson KS , Ullian EM , Stokes CC , et al. Thrombospondins are astrocyte-secreted proteins that promote CNS synaptogenesis. . Cell. 2005; ; 120 : :421. – 433 .
4.
Nagai J , Rajbhandari AK , Gangwani MR , et al. Hyperactivity with disrupted attention by activation of an astrocyte synaptogenic cue. . Cell. 2019; ; 177 : :1280. – 92.e20 .
5.
Wang J , Li KL , Shukla A , et al. Cocaine triggers astrocyte-mediated synaptogenesis. . Biol Psychiatry. 2021; ; 89 : :386. – 97 .
6.
Hemonnot-Girard AL , Ben Haim L , Escartin C , Hirbec H . De nouvelles techniques pour dévoiler le rôle des cellules gliales du cerveau. . Med Sci (Paris). 2021; ; 37 : :59. – 67 .
7.
Conrad KL , Tseng KY , Uejima JL , et al. Formation of accumbens GluR2-lacking AMPA receptors mediates incubation of cocaine craving. . Nature. 2008; ; 454 : :118. – 121 .
8.
Scofield MD , Boger HA , Smith RJ , et al. Gq-DREADD selectively initiates glial glutamate release and inhibits cue-induced cocaine seeking. . Biol Psychiatry. 2015; ; 78 : :441. – 451 .