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Med Sci (Paris). 38(1): 21–22.
doi: 10.1051/medsci/2021235.

Premiers pas de l’intelligence artificielle pour guider les thérapies en oncologie

Christophe Le Tourneau,1,2,3* Ivan Bièche,4 and Maud Kamal1

1Department of drug development and innovation (D3i), Institut Curie , Paris , France
2Inserm U900, Institut Curie , Saint-Cloud , France
3Université Paris-Saclay , Paris , France
4Service de génétique, Institut Curie , Paris , France
Corresponding author.

MeSH keywords: Algorithmes, Intelligence artificielle, Humains, Oncologie médicale

 

Jusqu’à la fin du siècle dernier, le choix des traitements en oncologie (principalement chirurgie, radiothérapie et chimiothérapie) était fondé uniquement sur la localisation et l’aspect histologique de la tumeur. Une meilleure compréhension du fonctionnement de la cellule tumorale et de son microenvironnement a conduit, à la fin des années 1990, à la synthèse de nouveaux médicaments permettant des thérapies ciblées, sur la base des altérations moléculaires (biomarqueurs) qui distinguent les cellules cancéreuses des cellules normales. Le concept de médecine de précision en oncologie est né à ce moment-là, où l’on pensait être un jour capable de traiter chaque patient atteint de cancer de façon individualisée en fonction des caractéristiques moléculaires de sa tumeur.

Les premières cibles identifiées ont été des modifications génétiques de l’ADN des cellules tumorales favorisant leur prolifération. Le développement de ces thérapies ciblées s’est d’abord déroulé selon le modèle de la chimiothérapie, chez des patients tous atteints du même cancer. Par exemple, le gefinitib, inhibiteur du récepteur du facteur de croissance épidermique EGFR ( epidermal growth factor receptor ), a été utilisé pour traiter des patients ayant un cancer du poumon avec une mutation de EGFR (5 % des patients atteints de cancer bronchique) [ 1 ]. De nombreuses autres thérapies ciblées ont ensuite été développées sur la base d’altérations moléculaires spécifiques dans différents types de cancer.

Cependant, il s’est avéré que certaines altérations moléculaires existaient dans plusieurs types de cancer, bien qu’avec une incidence variable. Certaines thérapies ciblées semblaient efficaces dans plusieurs types de cancer, à condition que la tumeur exprime le biomarqueur correspondant. L’année 2017 fut marquée par l’apparition d’un nouveau paradigme en oncologie, avec la commercialisation de deux nouvelles thérapies ciblées fondées sur la présence d’un biomarqueur, et non plus sur la nature du cancer [ 24 ]. On dispose actuellement, en oncologie, d’une cinquantaine de thérapies ciblées administrées aux patients sur la base de la présence d’un biomarqueur, que ce soit dans un type de cancer particulier ou sans sélection préalable de la nature de la tumeur. Or, l’analyse exhaustive du génome d’un grand nombre de tumeurs cancéreuses de nature différente a révélé près de six millions d’altérations géniques concernant environ 600 gènes, dans des régions codantes ou non codantes [ 5 ]. Ces altérations sont très variables d’un patient à l’autre, y compris chez des patients atteints d’un même cancer, bien que certaines mutations soient fréquemment associées à certaines tumeurs. Cette analyse a non seulement montré que 95 % des patients devaient avoir au moins une altération génique tumorale accessible à des thérapies ciblées, mais également que chaque patient avait en moyenne quatre ou cinq altérations pouvant être ciblées [ 6 ]. Par ailleurs, la plupart de ces altérations sont très rares [ 7 ].

Jusqu’à présent, le développement des thérapies ciblées tenait compte de la présence du biomarqueur correspondant, en faisant abstraction des autres altérations géniques présentes dans les cellules tumorales, ce qui pourrait expliquer en partie l’efficacité limitée dans le temps des thérapies ciblées lorsque l’effet d’autres altérations non ciblées devient prédominant. Des échelles d’« actionnabilité » ont été créées afin de pouvoir hiérarchiser les altérations géniques tumorales existantes, mais aucun outil ne permet aujourd’hui de tenir compte en même temps de toutes les altérations présentes dans les cellules tumorales d’un même patient et de leur possible implication dans la résistance au traitement [ 8 ]. Or, il existe dans la littérature scientifique une très grande quantité de données issues d’études précliniques et cliniques évaluant les liens entre différentes altérations géniques et l’efficacité de thérapies ciblées.

L’outil d’intelligence artificielle développé par Oncompass® a pour objectif de classer les différentes mutations des cellules tumorales d’un patient donné en tenant compte de leurs interactions, afin de proposer le traitement le plus pertinent [ 9 ]. Afin de valider cette approche, nous avons repris les données d’efficacité des thérapies ciblées utilisées dans l’essai clinique multicentrique SHIVA01, qui évaluait l’efficacité de plusieurs thérapies ciblées en faisant abstraction de l’origine de la tumeur, et nous avons fait calculer en aveugle, par ce nouvel algorithme, le score de pertinence de ces thérapies, qui avaient été utilisées dans cet essai selon un schéma ne tenant pas compte des interactions entre les mutations [ 10 ]. Nous avons montré que les patients qui avaient le mieux répondu aux thérapies ciblées sont ceux pour lesquels le score établi par l’outil d’intelligence artificielle était le plus élevé, ce qui indique que ce nouvel outil, qui suscite beaucoup d’espoir, pourrait aider les cliniciens oncologues à choisir pour leurs patients le traitement le plus efficace. Il reste cependant à prouver son utilité clinique par un essai prospectif.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

References
1.
Maemondo M , Inoue A , Kobayashi K , et al. Gefitinib or chemotherapy for non-small-cell lung cancer with mutated EGFR. . N Engl J Med. 2010; ; 362 : :2380. – 2388 .
2.
Drilon A , Laetsch TW , Kummar S , et al. Efficacy of Larotrectinib in TRK fusion-positive cancers in adults and children. . N Engl J Med. 2018; ; 378 : :731. – 739 .
3.
Doebele RC , Drilon A , Paz-Ares L , et al. Entrectinib in patients with advanced or metastatic NTRK fusion-positive solid tumours: Integrated analysis of three phase 1–2 trials. . Lancet Oncol. 2020; ; 21 : :271. – 82 .
4.
du Rusquec P , Le Tourneau C . Drug development in tissue-agnostic indications. . Cancers (Basel). 2021; ; 13 : :2758. .
5.
Tate JG , Bamford S , Jubb HC , et al. COSMIC: the catalogue of somatic mutations in cancer. . Nucleic Acids Res. 2019; ; 47 : :D941. – D947 .
6.
ICGC/TCGA Pan-Cancer Analysis of Whole Genomes Consortium. Pan-cancer analysis of whole genomes. . Nature. 2020; ; 578 : :82. – 93 .
7.
Westphalen CB , Krebs MG , Le Tourneau C , et al. Genomic context of NTRK1/2/3 fusion-positive tumours from a large real-world population. . NPJ Precis Oncol. 2021; ; 5 : :69. .
8.
Mateo J , Chakravarty D , Dienstmann R , et al. A framework to rank genomic alterations as targets for cancer precision medicine: the ESMO Scale for Clinical Actionability of molecular Targets (ESCAT). . Ann Oncol. 2018; ; 29 : :1895. – 1902 .
9.
Petak I , Kamal M , Dirner A , et al. A computational method for prioritizing targeted therapies in precision oncology: performance analysis in the SHIVA01 trial. . NPJ Precis Oncol. 2021; ; 5 : :59. .
10.
Le Tourneau C , Delord JP , Gonçalves A , et al. Molecularly targeted therapy based on tumour molecular profiling versus conventional therapy for advanced cancer (SHIVA): a multicentre, open-label, proof-of-concept, randomised, controlled phase 2 trial. . Lancet Oncol. 2015; ; 16 : :1324. – 1334 .