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Med Sci (Paris). 38(1): 7–8.
doi: 10.1051/medsci/2022001.

médecine/sciences en 2022, une passion pour la recherche…

Jean-Luc Teillaud1*

1Rédacteur en chef de médecine/sciences, directeur de recherche émérite à l’Inserm, équipe « Microenvironnement immunitaire et immunothérapie », Centre d’immunologie et des maladies infectieuses (CIMI-Paris), Inserm UMRS 1135, Sorbonne université , 91 boulevard de l’Hôpital , 75013Paris , France
Corresponding author.

MeSH keywords: Recherche biomédicale, Humains

 

Certes, l’année 2021 fut un annus horribilis : une pandémie sans fin, marquée par des vagues de mutants viraux dont la dernière, la cinquième, est en plein essor. Une année faisant suite à une autre année également terrible : depuis le 26 janvier 2020, 5 416 318 décès ont été répertoriés au niveau mondial par le Center for Systems Science and Engineering de l’université Johns Hopkins (Baltimore), dont 124 174 en France, au 30 décembre 2021. À l’échelle mondiale, probablement environ trois fois plus, seul un nombre limité de pays pouvant fournir des informations fiables sur la mortalité qui les affecte.

Malgré ce sombre tableau, l’année 2021 a été marquée par des avancées remarquables, laissant présager de progrès débordant le cadre de la lutte contre le severe acute respiratory syndrome coronavirus 2 (SARS-CoV-2) : l’apparition de médicaments ciblant des molécules impliquées dans la réplication de celui-ci témoigne des efforts faits pour la recherche de molécules antivirales 1, . De même, la production de cocktails d’anticorps monoclonaux 2, , copies synthétiques d’anticorps neutralisants détectés chez des patients guéris, utilisés chez des patients à risque de formes sévères de COVID-19, constitue un autre exemple de ces efforts. Enfin, la mise au point de vaccins par l’industrie pharmaceutique a été faite en moins d’un an. Un exploit ! Que l’on songe qu’entre le séquençage du SARS-CoV-2 et les premières vaccinations se sont écoulés un peu moins de 12 mois 3, , 4, , du jamais vu dans l’histoire de la médecine. En moins de deux ans, neuf vaccins ont été recommandés par l’organisation mondiale de la santé (OMS) 5 . Ces progrès remarquables n’ont été rendus possible que par la mobilisation de dizaines de milliers de volontaires qui ont participé aux essais cliniques de ces molécules et vaccins, menés, au moins dans les démocraties, dans le cadre de protocoles de recherche respectant les règles bioéthiques : un don de soi fait pour la santé des autres !

Mais cette rapidité n’a été rendue possible que par un investissement à long terme dans la recherche académique. Les concepts et les premières tentatives de vaccination par ARNm ont vu le jour dans des laboratoires universitaires et des instituts de recherche, parfois avec l’aide de biotechs fondées par les chercheurs eux-mêmes. Faut-il rappeler les contributions de Katalin Karikó et Drew Weissman (alors à l’université de Pennsylvanie) sur les modifications des ARNm et leur impact sur les cellules dendritiques, au cœur de la réponse immunitaire spécifique [ 1 ], de Robert Malone (alors au Salk Institute et à l’université de Californie San Diego), avec l’aide de Philip Felgner (fondateur de la firme Vical, à San Diego), sur l’utilisation de liposomes pour encapsuler des ARN et les introduire dans des cellules in vitro , puis la démonstration que ces liposomes-ARN permettaient d’exprimer in vivo la luciférase [2, 3] ? Comment ne pas rappeler que les fondateurs de BioNTech, Özlem Türeci et Ugur Sahin, ont d’abord fait de la recherche sur les vaccins ARN anti-tumoraux [ 4 ] à l’université Johannes-Gutenberg de Mainz en Allemagne, à laquelle Ugur Sahin est toujours affilié ? De même pour le développement des médicaments anti-viraux : le molnupiravir a été initialement étudié à l’université Emory (Atlanta) pour combattre le virus de l’encéphalomyélite équine vénézuélienne, et des inhibiteurs de la protéase 3C comme le nirmatrelvir, développés contre le coronavirus porcin, ont été étudiés à l’université de Lübeck. Les anticorps tixagevimab et cilgavimab ont été fabriqués à l’université Vanderbilt (Nashville)… Ainsi, sans les soutiens dont ces recherches académiques, fondamentales et appliquées, ont bénéficié en Allemagne et aux États-Unis, la pandémie de Covid-19 serait beaucoup plus dévastatrice.

Mais qu’en est-il du soutien à la recherche biomédicale académique fondamentale et technologique dans notre pays ? Pour une grande partie de la classe politique, l’échec de la recherche française devant la pandémie traduirait le déclin de notre recherche en biologie, de notre recherche clinique, conduisant à notre absence industrielle. Une vision parcellaire, à propos de laquelle nos décideurs devraient s’interroger sur le fait qu’une biotech française, Valneva, ait d’abord convaincu… les britanniques de leur capacité à développer un vaccin anti-SARS-CoV-2 ! Les talents auraient déserté et une démobilisation vis-à-vis de la recherche gagnerait nos jeunes pousses ; celles-ci, pourtant, comme une rubrique de médecine/sciences le montre, ont du talent, tout comme nos collègues qui alimentent en Nouvelles et Synthèses les colonnes de la revue et se battent pour publier leurs travaux dans les revues les plus en vue. Oui, la passion pour les recherches fondamentale, appliquée et clinique existe toujours dans notre pays ! Ce qui n’existe que très peu, c’est une culture scientifique chez nos décideurs politiques, accompagnée d’une méconnaissance du fonctionnement des laboratoires, avec, comme conséquences, un défaut majeur de financements des laboratoires académiques de recherche, auquel vient s’ajouter une lourdeur administrative sans précédent, comme l’ont souligné quinze membres de l’Académie des sciences dans le journal Le Monde daté du 20 octobre 2021. Mais la responsabilité est partagée : c’est également une culture scientifique de notre milieu qui dissocie recherche cognitive fondamentale et recherche appliquée, contrairement à nos collègues étrangers, en particulier anglo-saxons, conduisant souvent à une faible capacité à évaluer et soutenir les travaux originaux « technologiques » pouvant se traduire en outils diagnostiques et thérapeutiques. Rappelons par exemple le travail pionnier de Frédéric Martinon et Jean-Gérard Guillet (alors dans l’unité Inserm 152 « Immunologie et virologie des cancers. Immunologie et oncologie des maladies rétrovirales », dirigée par Jean-Paul Lévy à l’hôpital Cochin) et de Pierre Meulien (alors directeur d’une équipe de Transgène puis chez Pasteur Mérieux Sérums et Vaccins) et de leurs collègues sur l’utilisation d’ARNm encapsulés dans des liposomes pour vacciner des souris contre le virus Influenza. Les auteurs de cet article, publié en 1993 [ 5 ], écrivaient alors cette conclusion prophétique : « … à notre connaissance, l’étude rapportée ici est la première à démontrer l’induction de lymphocytes T cytotoxiques spécifiques d’un virus par une administration d’ARNm in vivo . Les résultats présentés ici soulignent l’utilité de systèmes de délivrance d’ARNm pour immuniser contre un antigène viral bien défini. L’intérêt de cette nouvelle approche repose sur la facilité avec laquelle il est possible de préparer des liposomes contenant des ARNm… » [ 5 ]. Ainsi, peut-on se demander comment ce travail, effectué dans un environnement académique et industriel remarquable (y était aussi associé l’Institut Cochin de génétique moléculaire fondé par Axel Kahn), rassemblant des chercheuses et chercheurs de talent, n’a, in fine , débouché que sur… un article dans un journal que les indicateurs utilisés aujourd’hui qualifieraient de « moyen » et sur un brevet ultérieurement abandonné. La lucidité de ces chercheurs face à des choix économiques et scientifiques discutables et peu visionnaires…

Alors, forts de ces leçons, relevons avec force en 2022 les défis scientifiques, cliniques et bioéthiques posés par la pandémie qui se poursuit. Immunologie, virologie, épidémiologie, psychiatrie sont en première ligne, tout comme les biotechnologies… La pandémie oblige également à interroger dans ses multiples dimensions notre conception de l’accès aux soins pour tous et à la vaccination, à l’échelle du monde. Il s’agit enfin de s’emparer des découvertes faites en 2021 pour les utiliser dans d’autres champs de la recherche, découvertes dont la plus remarquable - outre l’élaboration d’antiviraux et de copies d’anticorps rappelée ci-dessus - est la révolution que représente la capacité à définir des structures 3D de protéines à partir de la séquence primaire de leurs acides aminés, à l’aide de programmes fondés sur l’intelligence artificielle.

C’est pourquoi, fidèle à elle-même, médecine/sciences continuera plus que jamais à rendre compte des avancées de la recherche biomédicale tous champs confondus, et des débats scientifiques, médicaux, et en sciences humaines et sociales afférents, au travers de la revue et de son site web. En souhaitant à tous nos chers lecteurs et auteurs, une bonne et heureuse année 2022 !

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 le Paxlovid™ (contenant le nirmatrelvir et le ritonavir) et le Lagevrio™ ou molnupiravir.
2 La combinaison casirivimab/imdevimab.
3 Le 10 janvier 2020, Edward Holmes a publié une séquence préliminaire du SARS-CoV-2 sur le site virological.org au nom d’un consortium chinois dirigé par Z. Yong-Zhen (Université Fudan, Shanghai). Le lendemain, trois autres groupes de chercheurs chinois déposaient cinq autres séquences du virus sur le site du GISAID ( https://www.gisaid.org/ ).
4 86 095 personnes avaient reçu la première injection du vaccin BioNTech-Pfizer le 13 décembre 2020, trois jours après son approbation (« Emergency Use Authorization (EUA) ») par la Food and Drug Administration .
References
1.
Karikó K , Buckstein M , Ni H , Weissman D . Suppression of RNA Recognition by Toll-like Receptors: The Impact of Nucleoside Modification and the Evolutionary origin of RNA. . Immunity. 2005; ; 23 : :165. – 175 .
2.
Malone RW , Felgner PL , Verma IM . Cationic liposome-mediated RNA transfection. . Proc Natl Acad Sci USA. 1989; ; 86 : :6077. – 6081 .
3.
Wolff JA , Malone RW , Williams P , et al. Direct Gene Transfer into Mouse Muscle in Vivo. . Science. 1990; ; 247 : :1465. – 1468 .
4.
Holtkamp S , Kreiter S , Selmi A , et al. Modification of antigen-encoding RNA increases stability, translational efficacy, and T-cell stimulatory capacity of dendritic cells. . Blood. 2006; ; 108 : :4009. – 4017 .
5.
Martinon F , Krishnan S , Lenzen G , et al. Induction of virus-specific cytotoxic T lymphocytes in vivo by liposome-entrapped mRNA. . Eur J Immunol. 1993; ; 23 : :1719. – 1722 .