MINISTÈRE DE LA SANTÉ PUBLIQUE ET DE LA SÉCURITÉ SOCIALE MONOGRAPHIE DE L’INSTITUT NATIONAL DE LA SANTE ET DE LA RECHERCHE MÉDICALE p. 36 RÉUNION D’INFORMATION SUR LES PRODUITS TOXIQUES DONNANT LIEU A ABUS VIRTVTE DVCE CO MITE FORTITVDINE COLLEGIVM CIVILE AD SANITATEM INSTITUT NATIONAL DE LA SANTE DE LA RECHERCHE MÉDICALE PARIS 1970 Oraanisée par : M. le Directeur général de l’Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale. M. le Directeur général de la Santé Publique. M. le Chef du Service central de la Pharmacie et des médicaments. Le 17 janvier 1970 a Paris SOMMAIRE 1. — Origine et classification des produits toriques donnant tien a abus. P° J.-R. Boussien. I. — Etude pharmacologique des substances toxiques donnant lien a abus. Pr l. SINON. HI1. - Etude expérimentale de la pharmaco-dépendance, Pr loseph Jacon IV. — Possibilités de dépistage des toxicomanies, P° E. FOURNIER. V. — Evolution du concept international de lutte contre l'abus des « drogues ». D° J. MABILEAL. VI. — Aspects de la toxicomanie en France, M. P. OTTAVIOLI. VII. — Pharmacologie clinique des abus. P° P. DENIREI et D° D. GISESTET. VIL. — Psychoses cannabiques. Dr B. DEFER. IX. — Centre antipoisons et pharmaco-dépendance. Pr M. GAULTIEn. N. — Prévention et thérapeutique de l’abus des substances psychotropes, Table ronde présidée par le P° P. DENIKER INTRODUCTION La séance est ouverte à 9 heures, par M. CHARRONNEAE, représentant M. le Ministre de la Sante Publique et de la Sécurité Sociale. M. Charbonneau. — Au nom du Ministre de la Santé Publique et de la Sécurité Sociale, j’ouvre cette séance d’information sur les produits toxiques donnant lieu à abus. Je ne vais pas vous faire un long discours, car vous êtes comme moi très désireux d’entendre les orateurs, le désire simplement remercier tous ceux qui vont aujourd’hui prendre la parole et nous entretenir de tous ces produits toxiques qui donnent lieu à abus, afin, d’une part, de nous les faire mieux connaitre, car si beaucoup parmi vous sont informés, d’autres, comme moi, les ignorent, et. d’autre part, surtout de nous apprendre la pharmaço-dépendance de ces médica¬ ments et la pharmacologie clinique, ainsi que les problèmes thérapcutiques. Quand, il y a quelques mois, la drogue est arrivée au premjer plan des pré¬ occupations, on s’est apercu que beaucoup de médecins n’étaient pas au fait de ces problèmes. Aussi a-t-on pensé qu’il était nécessaire d’instruire le corps médical, d’où l’utilité et l’intérêt de cette journée. le remercie encore une fois, avant de donner la présidence à M. MALANGEAU, ceux qui ont bien voulu se déranger pour s’ins¬ truire et surtout ceux qui ont préparé ces exposés. M. le Doyen, je vous donne la présidence, et vais écouter moi-même les orateurs. M. Malanaean, Président. — Mesdames Messieurs. M, le Directeur de l’Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale m’a demandé d’assurer la présidence de cette réunion. A la vérité, je ne suis pas particulièrement qualifié pour le faire, parce que je n’appartiens à aucune des puissances invitantes, pas Dlus à l’INSERM, qu’à la Direction générale de la Santé Publique, ou au Service central de la Pharmacie, mais je crois qu’il est évident qu’en agissant de la sorte. on a voulu marquer l’intérêt qui s’attache sur le plan pratique aux différents problèmes qui seront traités aujourd’hui, et l’intérêt que ne peut manquer d’y porter la commission interministérielle des stupéfiants et son président. 19 RÉUNION D’INFORMATION Je m’efforcerai donc d’être un président fonctionnel, sur le plan technique simplement, et je demande à l’avance votre indulgence car nous avons un pro¬ gramme assez chargé. Si nous voulons mener à bien ce qui nous est proposé, il nous faudra respecter avant tout le plus possible notre horaire, de facon assez scrupuleuse, si bien que sans tarder, je vais demander au Professeur BOIssIER de bien vouloir s’approcher pour le premier exposé : « Origine et classification des produits toxiques donnant lieu à abus. » Après lui, prendront la parole : — M. le Professeur SIMON; — M. le Professeur JACOR; — M. le Professeur FOURNIER. Une discussion sera ouverte à la suite de ces quatre rapports. 2 SUBSTANCES TOXIQUES DONNENT LIEU A ABUS JACQUES-R. BOISSIER (1) Substances toxiques donnant lieu à abus l Cette périphrase prétend désigner. pour mieux couvrir son objet, ce que tout un chacun appelle aujourd’hui la « drogue ». Contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’utilisation d’une telle locution ne simplifie guère la tâche de l’orateur chargé de vous entretenir de l’origine et de la classification de ces substances. Encore est-il heureux qu’il s’agisse de substances, ce qui exclut de mon propos le bourrage de crâne, la propagande, la torture, l’électrochoc et la psychanalyse qui peuvent, être toxiques et donner lieu à abus. Il est vrai que l’on doit supposer qu’il s’agit d’un abus effectué par l’utilisateur et non par le prescripteur, ce qui m’évitera d’aborder les erreurs thérapeutiques, Toxiques enfin: mais existe-t-il des substances non toxiques 2 Bien peu probablement, puisque tout réside dans la dose et le mode d’administration. Mais comment choisir 2 où arrêter la liste 2 où même la commencer 2 car s’il est bien deux substances toxiques donnant lieu à abus, ce sont l’alcool et le tabac. Et ce n’est pas tout. La phénacétine donne lieu à bien des abus en Suisse où ils sont très répandus, mais encore et surtout en Suède où ils ont été étudiés et classés chez certaines catégories de mineurs. Je ne pense pas que cet anal¬ gésique ait parfois intéressé la Mondaine. Où commence l’abus 2 Les quelques tasses de thé ou de café ont rarement provoqué la critique des censeurs, muais la plupart des moralistes foudroient sans appel le fumeur de deux cigarettes occasionnelles de Marihuana. Les Yéménites peuvent s’intoxiquer lentement avec le Khat et les Indiens de l’Amazonie s’abrutir en buvant du vagé ou en fumant du Cohoba, personne ne s’en soucie. Il s’agit pourtant là de substances toxiques donnant lieu à abus. C’est dire que c’est l’abus dans notre Société qu’il faut envisager. Depuis des années, des réunions scientifiques internationales ont souligné le danger, montré le nouveau visage de la « drogue », insisté sur le caractère original de cette pharmacomanie d’un nouveau genre par rapport aux toxicomanies dites anciennes, étudié comment elle progressait et réclamé des (1) Directeur scientifique de l’Unité de Neuro-Psychopharmacologie de l’IN.SE.R. M. Professeur de Pharmacologie à la Faculté de Médecine de Paris. UE.R. des Cordeliers. 12 RÉUNION D’INFORMATION fonds pour comprendre, expliquer, prévenir. Ce préambule expliquera peut-être mon désarroi devant le sujet qui m’a été confié. Il est plaisant, comme le faisait Ernox en 1967, de faire remonter l’usage des agents psychotropes à Adan pour qui la pomme pouvait être considérée comme un « psycho-energizer ». Il est également classique de parler du Père Noé pour invoquer l’action psychopharmacologique de l’alcool, des Sumériens pour situer le premier graphisme concernant le pavot et d’Hélène (la belle) pour rappeler que le Nepenthes offert à Ménélas était une décoction de pavot, ce que d’ailleurs personne ne saura jamais. Tout cela est fort utile pour meubler savam¬ ment une conférence de salon ou un article de journaliste, mais ne nous avance guère dans le problème, de la drogue. C’est en 1845 seulement qu’apparait la première étude sérieuse sur le Haschisch avec l’ouvrage monumental de Jacques-Joseph MOREAU, natif de Montrésor, élève de BRETONNEAU à Tours puis D’ESQUINOL, à Charenton. MOREAU pouvait donner unc description précise des symptômcs cannabiques en obser¬ vant des intoxiqués et en expérimentant sur lui-même et sur ses assistants. On doit citer ensuite Enssr vox BInnA qui étudie l’amanite, puis GEORG NOEL. DRAGESDOREE qui s’attache à caractériser les principes actifs de nombreuses drogues végétales, et surtout les noms de EMIL KRAEDELING et de son élève LoUIS LENIN, ce dernier donnant une classification encore partiellement valable aujourd’hui. Nous conserverons uniquement, parini les substances donnant licu à abus, les substances — pour la plupart des médicangents — capables de provoquer une. déviation de l’activité mentale et dont la plupart entrainent une dépendance au moins psychique. Il s’agit donc de substances possédant des propriétés psychodysleptiques. Ce dernier terme a été retenu à Québec cu 1967 pour remplacer les termes d’hallucinogènes, d’onirogènes, de psychomimétiques, de psychodéliques, etc. La classification de LEWIN garde encore toute sa valeur et il est à peine besoin de la rajeunir pour couvrir l’ensemble des psychodysleptiques. Six caté¬ gories recouvrent les substances qui nous intéressent. On doit remarquer que les stupéfiants sont, pour la plupart, utilisés en thérapeutique comme analgésiques. Les hypnotiques et les psychoanaleptiques ne presentent de propriétés, psychodysleptiques, que dans des conditions partis culières. SUR LES PRODUITS TOXIQUES DONNANT LIEU A ABUS 13 HALLUCINOGENES On peut les rassembler dans le tableau I TABLEAU 1 HIALLUCINOGÈSES (Phanlastica de LENIN) 1. Phéguléthylamines: Pevotl et mescaline. Amphetamines et conutenres (STI). Khat et Kathine. Noix muscade et mnvristicine. Acore et asarone. Rava-hava et méthysticine. Sassafras et safrolc. 2. Acide luserptque : Lysergamide. Oioliuqui (Rivea Corumbosa). 3, Indoles : cohoha et bufoténine. Dialcoyltryptamines. lboga et ibogaine. Yage et harmine. Psilocybes et psilocybine. Vohimbine. 4. Chanpre indien. 5. Amanite tue-mouches: Muscimot 1. — PHÉNYLÉTHYLANMINES a) Pcuotl et mescaline. En 1560, BERNARDINO DE SAHAGUx rapporte l’usage de Pevotl par les Indiens mexicains, ce cactus est connu par LENIN dès 1886, commence à être étudié en 1890 par HAVELOK ELLIs et fait l’objet d’une étude plus poussée par KNAUER et MALONEY Chez KRAEPELIN en 1913. Une dizaine d’alcaloides appartenant au groupe des tétrahydroisoquinolines et des e-phénvléthylamuines sont isolés, Partui ceux-ci, l’hordénine (anhaline). la candicine, la corynéine, la trichocéréine et la mescaline qui, seule, est hallu¬ cinogène. Celle-ci est la 3,4,5 triméthoxvamphétamine. 14 RÉUNION D’INFORMATION Les Apaches mescalero des Grandes Plaines érigent l’usage du Pevotl en religion, qui fait des adeptes aux Etats-Unis où la « Native American Church » crée le pevotisme qui soutient que Dieu a mis une partie de l’Esprit Saint dans le Pevotl. Les fidèles de cette Ealise ont légalement le droit, aux ltats-Unis, de consommer le Pevotl. On doit remarquer que cette consommation a une signif¬ cation sacramentelle et n’est jamais effectuée dans un but orgiaque. b) Amphétamines et congénères L’amphétamine et, plus spécialement, son isomère droit (dexamphétamine) sont couramment utilisés et exercent par voie intraveineuse des propriétés hallucinogènes indiscutables. Un nombre considérable d’amphétamines substi¬ tuées ont été synthétisées ct le DOM (dihydroxyméthylamphétamine) ou STP (serenity, tranquillity, peace) semble le plus actif. Certaines méthylènedioxvamphétamines semblent douées également de pro¬ priétés hallucinogènes. c) Khat. Le Catha edulis est un buisson ou un petit arbre originaire d’Ethiopie, dont la culture s’est repandue au Renva, en Nvasaland, en U'ganda, au Tancanvka, er Arabie, au Congo et en Rodhésie. D’après GALKIN et MIRONYCHEY, en 1964, 80 pour cent de la population du Yemen consomment le Khat. Le principe actif de la plante est le Kathine ou d-norisoéphédrine. Ses effets seraient tempérés par la présence d’acide ascorbique dans la plante. d) Noix muscade. La consommation de la graine de Muristica fraoans est classique aux Etats¬ Unis chez les prisonniers et les beatniks. L’absorption de deux noix suffirait pour provoquer des phénomènes hallucinatoires. Le principe actif est la myristicine. SUR LES PRODUITS TOXIQUES DONNANT LIEU A ABUS Il est tout à fait remarquable de constater que certains Indiens du Venezuela consomment en inhalation, sous le nom de vakee ou Parica, une écorce résineuse d’un Mvristicacege connu sous le nom de Virola calophulla et Virola calo¬ philloidea. 15 e) Acore. La racine de l’Acorus calamus était chiquée depuis fort longtemps à la place de tabac par certaines populations indiennes du Nord Canada dans la province de l’Alberta. Les consominateurs lui reconnaissent des actions anti-fatique, anal¬ gésique, anti-asthmatique et hallucinogène. Le principe actif serait le R-asarone dont l’action serait comparable à celle du LSD. f) Kapar-Kapa. Encore connu sous le nom de Kawa, Ava. Vagona. Wati, la racine de Piper methusticum est consommée sous forme de décoction par les indigènes des lles Fidi et de Nouvelle-Guinée sous le nom de Reu. Le principe actif semble être la kavaine qui semble douée de propriétés hypnotiques et hallucinogènes. 2. — AGIDE LySERGIQUE a) Luseraamide. Le LSD 25 ou lysergamide synthétisé par HorrMAN chez Sandoz est trop connu pour que nous nous y attardions. Il est tout à fait remarquable que cet hallu¬ cinogène typique, donnant une dépendance uniquement psychique, ait été retrouvé après sa synthèse dans une plante. REUNION D'INFORMATION 2P b) Qtoliutoui. L’Ololiuqui ou Coaxihuitlt est consoumé par les Indiens de l’Amérique Centrale et de l’Amérique du Sud pour ses propriétés hallucinogènes. La consom¬ mation se fait sous forme d’une décoction de graines obtenue à partir du Morning glory ou Volubilis des jardins, qui correspond au Ripea corumbosa appartenant à la famnille des Convolvulacea. Le principe actif, longtemps inconnu, a été identifé au lysergamide. 3. — INDOLES. a) cohoba. Les graines de Piptadenia peregrina fournissent une préparation utilisée comme narcotique et hallucinogène dans l’ancien Haiti. La consommation se faisait en inhalation par les deux narines à la fois, l’inhalateur était constitué par un tube en Y. Les propriétés hallucinogènes considérables sont dues à la présence de bufoténine et de NiN-diméthyltryptaminc. SUR LES PRODVITS TOXIQUES, DONNANT LIEU A ABUS 17 MONOGR, INSERM. REUNION D'INFORMATION 18 b) Diatcoultruptamines. De nombreuses plantes renferment des N-dialcoyltryptamines doués de pro¬ priétés hallucinogènes. Sont utilisés localement le Prestonia amasonicum, le Banisteria cuapi, le Phalaris rundicea et le Phalaris tuberosa. c) Iboya. L’écorce de racine de Tabernapthe iboga renferme 12 alcaloides dont le principal, l’ibogaine, semble posséder, à cêté de propriétés anti-fatigue et aphro¬ disiaque, des actions psychodysleptiques. Le Banisteriopsis caapi, qui pousse dans les zoues équatoriales de l’Ouest sud-américain, doit ses propriétés hallucinogènes à la présence de harmine. L’action pharmacologique de la harmine est complexe, car elle possède une action inhibitrice de la mono-amino-oxydase. e) Psilocube. Les expéditions du P° HEIM et des WAssON au Mexique ont permis d’iden¬ tifier un certain nombre de champignons mexicains, parmi lesquels le Psilocube mexicana, consommé par les indigènes au cours de cérémonie rituelle et qui entraine des manifestations psychodysleptiques évidentes. La psilocybine, dérivé de l’indole, a été isolée par HorrMAN à partir de ces champignons. SUR LES PRODUITS TOXIQUES DONNANT LIEU A ABUS 19 4. — CHANYRE LXDIES Le D DEFER vous parlera cet après-midi du chanvre indien. C’est pourquoi je me contenterai de vous indiquer, à titre folklorique, dans le tableau II. quelques synonymes donnés aux sommités femelles du Cannabis sativa, à sa résine ou ses mélanges avec du tabac. Le principe actif est le tétrahydrocannabinol, qui est réputé entrainer une dépendance psychique considérable sans dépendance physique. 5. — AMASITE TuE-MoucHES La fausse oronge est encore consommée comme hallucinogène par certaines populations indigènes du Nord-Est Sibérien. L’intoxication accidentelle entraine d’ailleurs un délire hallucinatoire que l’on mettait sur le compte de la puscarine. On sait maintenant que le principe actif responsable est le Muscimol, qui possède des propriétés pharmacologiques voisines des substances cholinergiques cen¬ trales, capables d’entrainer une dissociation entre l’EE G, et le comportement (LONGO, Me BUSER). TABLEAU II Bangue Chira. Kif. Takrouri. Majoum. lierba verde. Bhana. Mala vita. Gania. Marihuana. Charas. Mariquita. Davamesk. Planta de felicitade. 69zab. Rosa maria Nafvol. Weed. zahrat. Canape. SticE Tchelem. Canamo. Joint. Root. Mampa. Mayran. Tea. Merde. Mary Varner. Herbe. P9t. Marie-leanne. Grass. 3 20 RÉUNNION D’INFORMATION STUPÉFIANTS (tableau III) Les stupéfiants sont définis comme les substances étant inscrites sur une liste par une Organisation Internationale et dont la fabrication et la distribution sont soumises à un contrôle international admis par les pays signataires. Ils comprennent l’opjun, ses préparations, ses alcaloides analgésiques, les dérivés hémisynthétiques analgésiques et les analgésiques centraux dits morphino¬ mimétiques, toutes ces substances entrainant à la fois une dépendance physiquc et psychique. Ils comprennent également le chanvre indien et la coca, Toutes ces substances sont trop connues pour que j’y insistc et je préfère renvoyer aux listes publiées par l’O.M.S, ou plus siuplement, en France, par le Ministère de la Santé Publique (Service Central de la Pharmacie). TABLEAU III STUPÉFLANTS (Euphorica de LEWIN). 1. Opium, poudre, extraits, élirir parégorique. :. — Morphine, codéine. Nombreux dérivés hémi - synthétiques dont héroine. 2. Analaésiques « centraux », « morphinomimétiques ». Petbidine, méthadone. 2 — Dextromoramidl, Fentanxl . 3. Chanore indien, tétrahndrocannayinol 4. Coca et cocaine. ENIVRANTS Les enivrants (tableau IV) comprennent des substances volatiles qui entrainent une ivresse recherchée par les utilisateurs. L’éther, le benzène, le trichloréthylène sont relativement peu utilisés. La faveur des jeunes, à partir de l’âge de 8 ans, s’adresse plus spécialement à la colle pour modèle réduit ou au vernis à ongles. Ces liquides sont versés dans un sac en plastique et les jeunes bambins respirent avec délice les effluves odorantes qu’ils laissent échapper du sac qu’ils ferment ou ouvrent à volonté avec le poing. La plupart du temps, ces inhalations entrainent une ivresse reconnue comme agréable, mais ces jeux apparemment innocents ont entrainé plusieurs cas de mort par intoxication aigué. Unc enquête québécoise a montré que l’utilisation de ces enivrants était le premier stade de l’escalade vers le chanvre indien puis l’opium. TARLEAU IV TABLEAU V SUR LES PRODUITS TONIQUES DONNANT LIEU A ABUS 21 Enivrants (Inebriantica de LENIN) : Alcool Ether, chloroforme, NO. Benzène, toluêne, essence. Colle (« glue »). Vernis a onale (acétone). DÉLIROCENES (tableau On groupe sous ce nom des substances avant en commun des propriétés cholinergiques centrales qui entrainent une augmentation de l’activité motrice accompagnée d’une synchronisation paradoxale de l’E.E.G. Ces substances pro¬ voquent un délire dont la mémorisation est en général faible. Des substances synthétiques comme le Sernyl" et le Ditran " n’ont pu être utilisées comme analgésiques, malgré leur puissance, en raison de cette action délirogène. Cette activité est comparable à celle déjà connue chez les alcaloides des Solanaceg comme l’atropine, dont l’intoxication est caractérisée par une folie furieuse. Les anti-parkinsoniens commencent à être utilisés par un certain nombre de drogués (pour leurs propriétés délirogènes mineures). DÉLIROCÈNES : Sernul". Ditran ". Solanacex. Benactusine. Anti-parkinsoniens. HYPNOTIQUES (tableau vI) Tous les hypnotiques peuvent posséder des proprites psychodysleptiques lorsqu’ils sont utilisés à fortes doses et d’une façon continue. Ils entrainent des phénomènes de dépendance psychique mais parfois également de dépendance physique. Les barbituriques sont de très loin les produits les plus souvent utilisés et leur association avec les amphétamines constitue l’une des toxico¬ 25 RÉUNION D'INFORMATION manies les plus souvent rencontrées à l’heure actuelle et probablement la plus redoutable. L’action des quinazolones semble avoir été très surfaite, car il semble nécessaire d’associer des boissons alcoolisées pour obtenir une action psycho¬ dysleptique. Il semble, par contre, que l’action pré-hypnotique des quinazolones s’accompagne d’une action vertigineuse. TABLEAU VI HyENOTIQUES (Hapnotica de LENIN) : Barbituriques. Hudrate de chtorat. ouinasolones. Kapa-kapa (Méthysticine). DSYCHOANALEPTIOUES (tableau VI) l’ai déjà signalé les phénvléthylamines et le Khat qui sont à la fois des substances stimulantes et hallucinogènes. Les phénvléthylamines ont provoqué des psychoses réversibles qui traduisent bien leur action psychodysleptique et hallucinogène dans certaines conditions d’emploi. Quant à la caféine, je dois simplement citer les plantes qui en renferment et qui font partout, dans le monde, l’objet d’une consommation colossale, avec en priorité le Maté et la Kola. TaELeaU MII PSYCHOANALEPTIQUES (Excitantia de LEwIN) : Phénytéthutamines. Catéine (The. Caff, Rola, Mate. Cacao Guarana). Fhat (Kathine). Voilà donc dressé le panorama des substances psychotropes pouvant donner lieu à abus. Dans cet inventaire, il y en a pour tous les goûts. Un très petit nombre de ces substances ont fait leur apparition dans les pays dits développés mais, depuis quelques années, on assiste à une recherche systématique de nou¬ velles substances. Les sujets qui ont tendance à abuser de ce type de substances possédent une bibliographie parfaitement tenue à jour et on a parfois l’impression qu’ils choisissent au hasard leur « drogue » dans le dictionnaire des spécialités pharnaceutiques. Il est tout à fait remarquable d’ailleurs que la plupart des 23 SUR LES PRODUITS TOXIQUES DONNANT LIEU A ABUS médicaments n’aient jamais fait l’objet d’une étude systématique de leur action psychotrope. Ces utilisateurs raffinés savent parfaitement quelles sont les substances utilisées dans telle ou telle région du globe pour produire des actions de type dysleptique et, si nombre de ces substances ne sont pas plus consommées. c’est qu’il est relativement difficile de s’en procurer; mais sans être un prophète de malheur, on peut prévoir l’apparition dans nos pays de « drogues » réservées jusqu’ici à un usage strictement local. On a déjà vu avec stupéfaction l’apparition aux États-Unis du Kawa-Kawa., mais il resterait à démontrer l’action réellement hallucinogène de la kavaine qui n’a jamais fait l’objet d’études pharmacologiques. Un autre point important, corollaire du précédent, est l’existence de poly¬ intoxications. Il est de plus en plus rare de trouver des consommateurs s’adon¬ nant à une « drogue » comme l’héroine ou la cocaine au cours des années 1920. 1930. Les jeunes consommateurs actuels ajoutent une substance à une autre et le type de cette poly-intoxication est l’association amphétamines-barbituriques ou chanvre indien-héroine. Un autre point est la recherche de nouvelles voies d’administration en général assez peu classiques. La consommation d’élixir parégorique par voie intra¬ veineuse, après élimination de l’alcool, est classique; moins connues sont les consommations de barbituriques ou d’héroine en inhalation (queue du dragon, tir anti-aérien). Un dernier point enfin qui doit être signalé concerne les observations portant sur les « drogués » et celles obtenues sur des volontaires par les psy¬ chiatres. On peut se demander si les différencies observées ne sont pas dues au fait que la substance consommée clandestinement est différente dans sa nature ou dans sa pureté de la substance chimiquement définie. Il est probable que le LSD de contrebande, fabriqué par les chimistes amateurs, n’est pas parfaitement purifié et l’on peut se demander si certaines impuretés n’interviennent pas pour modifier le tableau clinique. Parmi les substances que nous avons passées en revue, celles qui semblent avoir la faveur des jeunes générations actuelles, qui seules nous intéressent aujourd’hui, semblent être les amphétamines, le lysergamide (à un moindre degré), certains morphinomimétiques dont l’héroine, le chanvre indien, la colle. les anti-parkinsoniens, les barbituriques. Chaque jour voit une augmentation de l’arsenal utilisé et it m’apparait indispensable, dans une prévention efficace. de considérer l’ensemble des possibilités offertes pour pouvoir lutter efficacement et intelligemment contre un fléau qui augmente sans cesse. PHARMACOLOGIE DES SUBSTANCES DONNANT LIEU A DES ABUS PIERRE SIMON (1) Tout médicament et même tout aliment peut donner lieu à abus. Le thème de cette journée limite cependant le sujet aux substances à action psychotrope qui entrainent des abus. Après les morphiniques classiques, parmi lesquels morphine et héroine trouvent toujours une place de choix, nous étudierons la cocaine, les barbi¬ turiques, les amphétamines, et enfin le groupe des hallucinogènes, de plus en plus large et de plus en plus diffcile à cerner. Un certain nombre de problèmes importants sortent du cadre des discussions de cette journée : le café, le tabac. l’alcool.. On ne saurait évidemment en déduire que les abus sont moins fréquents ou moins graves; l’alcool, en particulier, peut sembler injustement négligé. Le détail des troubles psychiques observés chez l’Homme et les divers aspects liés à la toxicomanie et à la dépendance, aussi bien chez l’Animal que chez l’Homme, font l’objet d’autres rapports. Notre sujet parait ainsi bien délimité et, de limitation en limitation, on pourrait penser qu’il ne reste que des aspects sans importance. Pour le médecin cependant, la connaissance des données pharmacologiques et toxicologiques concernant ces substances est capitale. Diagnostiquer une intoxication aigué ou chronique, en connaitre les dangers, avertir des contre-indications, prévoir les difficultés de thérapeutiques associées, autant de conduites qui trouvent — ou devraient trouver — leur base scientifique dans la pharmacologie et la toxicologie. On aimerait voir en outre figurer dans chaque chapitre le mécanisme des effets centraux; seules des hypothèses peuvent être émises; souvent peu convain¬ cantes et très controversées, elles ne seront pas discutées ici. 1. — MORPHINE ET DÉRIVES VOISINS La morphine est peut-être la substance chimique qui a donné lieu au plus grand nombre de travaux expérimentaux : sa pharmacologie est bien connue et il ne s’agira ici que d’un bref rappel. Les autres substances ont des propriétés trop voisines pour être étudiées séparément. Il faut noter que peu de travaux récents ont été consacrés à l’héroine. (1) Professeur agrége. Unité de recherches de Neuro-Psycho-Pharmacologie LN S.E.R M., 2, rue d’Alésia, Paris (14°). asphyxique, apparait une mydriase. ratoire — et de manifestations cutanées. 26 REUNION D'INFORMATION SYSTEME NERVEUX CENTRAL A côté de leur action analgésique — dont le mécanisme, adrénergique pour. certains, cholinergique pour d’autres, n’est pas élucidé —, les morphiniques exercent d’autres effets sur le système nerveux central : — Action psychomotrice très variable selon l’espèce animale. Chez l’Homme. i1 s’agit le plus souvent d’une action sédative, mais parfois — selon les doses et la sensibilité individuelle — d’une action excitante. — Action psychodysleptique, le plus souvent avec euphorie; mais cette euphorie peut être remplacée par un état dysphorique et anxieux, en particulier chez la femme et l’adolescent. Ces effets psychologiques peuvent se poursuivre quelques heures après la fin de l’analgésie, rendant difficile la répétition des doses lorsque l’on cherche à calmer une douleur tenacc. — Action dépressive respiratoire par diminution de la sensibilité du centre respiratoire bulbaire au taux sanguin de saz carbonique. Cette dépression respi¬ ratoire, rapide après administration par voie veineuse, peut apparaitre tardi¬ vement (jusqu’à 90 minutes) après injection par voie sous-cutanée. La nalorphine exerce un antagonisme remarquable sur cette dépression respiratoire. — Action complexe sur les centres du vomissement : d’abord stimulation de la « chemoreceptive trigger zone » (CI7), d’où les vomissements, mais ensuite dépression du centre de vomissement. La première action prédomine aux doses cliniques, expliquant la fréquence des nausées et des vomissements. On pourrait théoriquement s’y opposer par une nouvelle injection de morphine, mais on risque alors de provoquer une dépression respiratoire sévère. — Mvosis d’origine centrale, cédant aux parasympatholytiques; la pupille punctiforme est caractéristique de l’intoxication : cependant, à la phase SYSTEME CARDIO-VASCULAIRE Les effets des morphiniques portent à la fois sur le système sympathique, avec libération de catécholamines au niveau de la médullo-surrénale, et sur le systême parasympathique, par stimulation du noyau du pneumogastrique. Pour les doses moyennes, ces effets restent modérés et se traduisent surtout par une instabilité tensionnelle. A dose plus élevée peut apparaitre une chute tensionnelle importante. s’expliquant probablement en partie par une histamino-libération; cette action histamino-libératrice peut être également responsable d’une bronchoçonstriction — dont le résultat sur la ventilation viendra s’ajouter à la dépression respis¬ SUR LES PRODUITS TOXIQUES DONNANT LIEU A ABUS 27 FIBRES LISSES Au niveau du tractus gastro-intestinal, le tonus, en particulier des fibres circulaires, est augmenté jusqu’au spasme. Des effets identiques sont observes au niveau du tractus biliaire, de l’uretère et de la vessie; par contre, l’utérus parait peu touché. Les effets spasmogènes peuvent être, en partie seulement. antagonises Dar les atropiniques. DONNÉES MÉTAHOLIQUES Bien résorbés et diffusant facilement, en particulier à travers la harrière placentaire, les morphiniques sont transformés au niveau du foie et les méta¬ bolites formés sont éliminés surtout par le rein, mais aussi par le lait. Ainsi s’expliquent les dangers, donc les contre-indications chez la femme enceinte ou allaitante et chez les insuffisants hépatiques ou rénaux Sur le plan métabolique, l’héroine est un peu à part; sa diffusion très rapide explique ses effets presque immédiats. Elle est rapidement hydrolysée en un métabolite actif, la 6-monoacétylmorphinc, dont les taux cérébraux sont impor¬ tants. Ce dérivé est ensuite hydrolysé en morphine, l’élimination s’efectuant par l’urine sous forme de morphine libre ou conjuguéc. CONTRE-INDICATIONS A côté des contre-indications liées au métabolisme des morphiniques, les plus importantes sont en rapport avec l’action dépressive respiratoire: insuf¬ fisances respiratoires aigués ou chroniques, en particulier l’asthme, l’emphy¬ sème, le cœur pulmonaire chronique, l’obésité importante, les malformations de la cage thoracique. L’enfant et le vieillard sont particulièrement sensibles à cette action dépressive respiratoire. Deux autres contre-indications classiques sont importantes : le ventre aigu chirurgical et la diverticulose sigmoidienne. On ne saurait manquer de rappeler que la pripcipale contre-indication des morphiniques est représentée par les cas où l’on peut utiliser d’autres analgésiques. PROBLEMES PARTICULIERS LIÉS A L’EMPLOI PAR LES TOXICOMANES A côté de la déchéance physique et psychique liée à l’utilisation chronique de morphiniques et des complications infectieuses et virales liées au manque souvent total d’asepsie lors des injections (mais ceci est vrai pour toutes les sub¬ stances injectables), il faut signaler les problèmes particuliers de dépendance aux morphiniques et surtout à l’héroine chez le nouveau-né; il faut alors penser aux signes classiques de sevrage ou de dépendance, mais aussi se méfier du IL. — BARBITURIQUES 28 RÉUNION DINFORMATION diagnostic d’occlusion intestinale qui conduirait souvent à une intervention sans objet. A côté des morphiniques majeurs, parmi lesquels il ne faudrait oublier ni la péthidine (Dolosals), ni le dextromoramide (Palfiums), il faut également classer la codéine et certains antitussifs de synthèse dont les propriétés pharma¬ cologiques sont voisines. Pour certains, le groupe des antimorphiniques, dont bcaucoup de propriétés pharmacologiques sont proches de celles des morphiniques, serait dénué de tout effet toxicomanogènc. Le recul dont nous disposons nous semble insuffisant pour l’affirmer. I1. — COCAINE A doses moyennes, la cocaine entraine une élévation de l’humeur, donc une action de type thymoanaleptique avec souvent excitation, euphorie et suresti¬ mation des possibilités. Ces effets s’accompagnent d’une diminution de la sensa¬ tion de faim et de fatigue et d’une indifférence à la douleur. Si le rythme resni¬ ratoire est souvent augmenté, l’amplitude est diminuée. Ces effets sont assez brefs en raison de la rapide détoxication hépatique: lorsque la cocaine est iniectée par voic veineuse, ils ne durent guère plus de quelques minutes et sont suivis d’une période dépressive, ce qui explique les très nombreuses répétitions d’iniections, parfois une dizaine ou plus en quelques heures. A doses très élevées, la cocaine pett entrainer des effets centraus semblables à ceux de fortes doses d’amphétamine; les barbituriques par voie veineuse peuvent être utilisés pour traiter ces signes centraux. Peuvent se manifester également une action toxique directe sur le mvocarde et une dépression brutale du centre respiratoire parfois fatales. Au niveau du systême nerveux autonome, la cocaine exerce une action sym¬ pathomimétique indirecte, expliquée au moins en partie par l’inhibition du. phénomène de recaptage de la noradrénaline; le sujet présente tous les signes d’une stimulation sympathique, en particulier tachycardie, hypertension arté¬ rielle et mydriase. L’action vasoconstrictrice explique les perforations de la cloison nasale, assez fréquentes chez les suiets qui absorbel COCAHI DAr DrISeS Hasors. De nombreux dérivés de cette sérit sont utilisés en thérapeutique pour leurs propriétés hypnotiques, sédatives, anti-épileptiques ou anesthésiques générales. Ces dérivés possédent des propriétés pharmacologiques qualitativement voisines. et les difrérences s’expliquent par des raisons métaboliques. En fonction : — du degré de fixation sur les protéines plasmatiques: — du phénomène de redistribution entre les divers tissus: SUR LES PRODUITS TOXIQUES DONNANT LIEU A ABUS 29 — des transformations métaboliques (Ndéalcoylation, désufuration, ouver¬ ture du cycle, inais surtout hydroxylation avec formation de dérivés plus polaires. moins actifs mais plus facilement excrétés):. — de l’importance de l’élimination rénate. Chaque dérivé possède une cinétique d’action particulière qui explique son emploi préférentiel dans telle ou telle indication. 7 Les propriétés pharmacologiques des barbituriques ne seront ici que briève¬ ment rappelées. SYSTEME NERVEUX CENTRAL. On peut observer tous les degrés de dépression du système nerveux, depuis la sédation légère jusqu’au soumeil, à l’anesthésie générale et au coma Dans certaines conditions (faibles doses ou avant l’apparition du sommcil, ou lorsqu’une tolérance à l’effet hypnotique s’est établie), les barbituriques peuvent entrainer une excitation, une euphorie, voire un état de confusion ébrieuse. Au cours du sommeil provoqué par les barbituriques, on observe une diminution de la durée du sonmeil paradoxal, considéré par certaips comme un phénomène qu’il n’est pas souhaitable de modifier. A fortes doses, les barbituriques provoquent une dépression respiratoire par augmentation du seuil de sensibilité au gaz carbonique. SYSTEME CARDIO-VASCULAIRE Les actions chronotrope et inotrope négatives des barbituriques sont modé¬ rées. L’hypotension est discrète, sauf aux doses importantes. Les barbituriques exercent un effet antidiurétique en rapport avec cette hypotension, mais surtout avec une augmentation de sécrétion de l’hormone antidiurétiques MUSCLES LISSES D’une façon générale, on observe une diminution du tonus et de l’amplitude des contractions au niveau du tube digestif, de la vessie et des uretères. La force et la fréquence des contractions utérines sont diminuées, mais le danger pour le fœtus provient plutôt d’une action dépressive directe, les barbituriques fran¬ chissant facilement la barrière placentaire. FOIE La toxicité des barbituriques est faible, Par contre, ils stimulent divers systèmes enzymatiques entrainant en particulier : — une augmentation de l’incorporation des acides aminés: — une augmentation de la synthèse de l’acide ascorbique: — une augmentation de l’ALA synthétase : à partir du succénylcoenymle A rapidement dans ce dernier groupe. 30 RÉUNION D’INFORMATION, et du glycocolle, la formation d’acide delta-aminolévulinique est accrue. Cet acide est un précurseur des porphvrines, d’ou la contre-indication et les dangers des barbituriques dans les porphvries. — une augmentation de l’activité des systèmes enzymatiques chargés de la dégradation de la plupart des médicaments. Ainsi s’expliquent les problèmes qui peuvent résulter des associations entre les barbituriques et les imipraminiques. les inhibiteurs de la monoamine oxydase, le méprobamate et surtout les anti¬ vitamines K. INTOXICATION ALQUE Les signes du coma barbiturique sont bien connus et son traitement actuel¬ lement bien codifé. Bappelons seulement que les analeptiques ne doivent plus être utilisés, sauf circonstances exceptionnelles. TOLÉRANCE AUX BARBITURIQUES Après des prises répétées et rapprochées, une tolérance s’installe. Deux. mécanismes en sont responsables : — Un mécanisme métabolique, car les barbituriques stimulent les enzymes hépatiques chargés de leur dégradation,. Ainsi, la détoxication est plus rapide. l’activité diminue et la quantité nécessaire pour obtenir une concentration tissu¬ laire donnée augmente. — Une adaptation du tissu nerveux; il apparait souvent une tolérance aux effets dépresseurs et hypnotiques fles barbituriques, tolérance alors croisée avec les autres dépresseurs du systême nerveux; les doses nécessaires sont plus impor¬ tantes, mais les effets indésirables sur les autres organes ne sont alors pas obli¬ gatoirement diminues. IV. — NOOANALEPTIQUES DÉRIVES DE LA PHENYLETHYLAMINE L’amphétamine est le chef de file de ces nooanaleptiques ou stimulants de la vigilance. Très voisins, tant par leur structure chimique que par leurs propriétés pharmacologiques, se situent la méthamphétamine, le lévacétopérane, le pipra¬ drol, le méthylphénidate et la pémoline. En outre, tous les anorexigènes possédent dans leur structurc chimique le squelette plus ou moins masqué de la phényl¬ éthylamine; leurs propriétés pharmacologiques sont assez voisines de celles de l’amphétamine; cependant, pour certains, l’action stimulante centrale est très peu marquée. D’autres dérives plus récents, telle la 2 5-dimétboyy-4-méthylamphétamine (DOM ou STP), chimiquement voisins, n’ont donné lieu qu’à peu d’études pharma¬ cologiques; surtout connus pour leurs propriétés hallucinogènes, ils seront étudiés artérielle, une contraction du sphincter vésical. Au niveau des autres muscles SUR LES PRODUITS TOXIQUES DONNANT LIEU A ABUS 31 SYSTEME NERVEUX CENTRAL L’action stimulante des amphétaminiques se manifeste de plusieurs façons : — augmentation de la vigilance et augmentation du nombre de stimuli percus dans des conditions données; — action anti-sommeil; — augmentation de la mémoire, surtout des faits anciens: — stimulation du centre respiratoire bulbaire, surtout si une dépression, de ce centre existe préalablement; — action antifatigue avec amélioration des performances, surtout lors de l’effort prolongé (« doping 2); — à doses très élevées, peuvent apparaitre des hallucinations. A ces effets stimulants, généralement assez transitoires, fait suite une phase de dépression secondaire, ce qui entraine une nouvelle prise de toxique. L’action antisommeil semble plus prolongée, d’où l’utilisation associée de barbituriques et l’instauration fréquente d’une polytoxicomanie. A côté de ces effets, les amphétaminiques exercent un effet anorexigène sou¬ vent recherché en thérapeutique et entrainent une potentialisation des effets analgésiques des morphiniques. Ils n’exercent pas, contrairement à une opinion assez répandue, d’effets convulsivants. Chez l’animal, les doses élevées d’amphétaminiques entrainent deux phéno¬ mènes remarquables : — Une toxicité beaucoup plus élevée chez les souris groupées que chez les souris isolées (phénomène de « toxicité de groupe »). — Des stéréotypies soit de déplacement, soit surtout de mouvements de la tête et de la sphère buccale avec rongements, lèchements, etc. Sans pouvoir assimiler directement ces troubles du comportement à la phase : d’hyperexcitation ou aux phénomènes hallucinatoires obscrvés chez l’Homme, il faut cependant noter qu’ils sont antagonisés de façon spécifique par les neuroleptiques constituant ainsi une très bonne méthode d’étude de cette classe de psychotropes. SySTEME NERVEUX AUTONONE L’amphétamine est un symnathomimétique indirect agissant, comme la tyra¬ mine, par libération des médiateurs de leurs granules de stockage de la termi¬ naison nerveuse sympathique post-ganglionnaire; les médiateurs ainsi libèrés peuvent exercer leurs efrets au niveau des récepteurs périphériques aussi bien que 8. Les principaux egets obcerves sont une mydriase active, une bronchodila¬ tation, une vasoçonstriction périphérique avec augmentation de la pression 32 RÉUNION D’INFORMATION lisses du tube digestif, l’action est moins nette. Sur le cœur, les actions chrono¬ trope et inotrope positives sont souvent masquées par la bradycardie réflexe d’origine vagale; par contre, l’apparition d’arythmie n’est pas rarc. TOLÉRANCE La tolérance aux amphétaminiques peut être extrêmement importante, puisque l’observation d’un sujet absorbant chaque jour 1 70 me de dexamphetanine a été rapportée. Les effets périphériques s’atténuent, peut-être par épuisement des stocks de médiateurs, l’effet anorexigène tend à disparaitre, les effets stimulants centraux peuvent diminuer considérablement. Cette tolérance est cependant très irrégulière puisque plusieurs syndromes de Gelineau ont pu être traités avec succès pendant plusieurs années sans qu’il soit nécessaire d’augnenter les doses d’amphétamine. INTOXICATION AIGUË L’absorption d’une dose trop importante d’amphétanuinique entraine des effets périphériques (en particulier poussées hypertensives avec possibilité d’hémorragie cérébrale, mais aussi risque de collapsus lié à l’apparition de graves troubles du rythme), mais surtout des effets centraux. Les signes centraux peuvent aller de l’anxiété, de l’agitation, de l’irritabilité extrême à l’état de panique, aux tendances suicidaires et homicides. Le traitement le plus logique est constitué par les adrénolytiques a, mais surtout par les neuroleptiques qui joignent à leurs propriétés centrales antago¬ nistes de l’amphétamine des propriétés adrénolytiques a. Quelques accidents avant été récemment signalés lors du traitement par la chlorpromazine d’intoxi¬ cations par le DOM, une certaine prudence semble cependant nécessaire en atten¬ dant une expérimentation sérieuse à ce sujet. INTOXICATION CHRONIQUE Ce sujet devant être abordé dans d’autres rapports, signalons seulement la prédominance du tableau psychiatrique à type de psychose toxique et la perte de poids parfois très importante. Y. — AUTRES PSYCHODYSLEPTIQUES Autant la pharmacologie des quatre groupes de substances que nous venons d’étudier était assez bien connue, autant la tâchc devient difficile lorsque l’on cherche à faire le point sur les autres psychodysleptiques. Avant d’envisager quelques particularités concernant ces diverses -substances, nous voudrions. évoquer quelques-unes des raisons qui rendent ce problème si complexe. Dans beaucoup de cas, le manque de références cliniques convenables enlève 33 SUR LES PRODUITS TOXIQUES DONNANT LIEU A ABUS tout point de départ solide aux travaux pharmacologiques, Parmi les nombreuses substances suspectées d’activité psychodysleptique, toutes sont-elles hallucino¬ gènes 2 A quelle dose 2 utilisées seules 2 Distingue-ton des symptomatologies différentes d’une substance à l’autre, permettant d’effectuer des regroupements précieux 2.. Beaucoup de ces questions restent malheureusement sans réponse. Les raisons de ces incertitudes sont d’ailleurs multiples : — Il est souvent difficile de se procurer les substances sous leur forme utilisée par les toxicomanes ou même sous une autre forme. La législation en vigueur ne facilite pas les choses. Cette difficulté d’approvisionnement est d’ail¬ leurs la même pour les pharmacologues travaillant chez l’Animal. — Un grand nombre de travaux couverts par le secret militaire restent inconnus de la majorité des chercheurs. Peut-être en est-il qui intéresseraient au plus haut point les pharmacologues civils. — Il est parfois difficile, tout au moins dans certains pays, de déceler les travaux effectués avec les garanties scientifiques requises. Un souci de publicité ou d’obtention de crédits, sur un sujet dont on sait les gouvernements préoccupés. semble parfois l’emporter sur le souci du progrès scientifique. Si l’on a pu, proba¬ blement à juste titre, trouver un profil psychologique particulier aux volontaires qui acceptent de prendre une « drogue s, il ne serait pas dénué d’intérêt de sou¬ mettre aux mêmes tests certains expérimentateurs. Le pharmacologue voudrait pouvoir être en mesure d’apporter une solution satisfaisante à deux problèmes : — Éclairer le clinicien sur les propriétés pharmacologiques de ces diverses substances, lui permettre de prévoir la symptomatologie d’une intoxication aigué ou chronique, lui proposer un traitement satisfaisant de ces intoxications. — Disposer d’une batterie de tests, d’exécution possible dans la pratique et d’interprétation simple, permettant en face d’une substance nouvelle, qui n’aurait jamais été administrée chez l’Homme, de prévoir si cette substance possède des propriétés psychodysleptiques. Il semble dès maintenant évident que l’on ne pourra trouver de test dont les résultats seraient positifs avec tous les psychodysleptiques et seulement avec eux. Il est vraisemblable que plusieurs groupes apparaitront, dont les spectres pharmacologiques seront différents. reflétant ainsi des mécanismes d’action différents. Les tentatives de pharmacologie prévisionnelle en ce domaine doivent donc éviter d’être simplistes Pour être valables, les solutions proposées devront répondre à deux conditions : — chacune des substances reconnues psychodysleptiques devra répondre à l’un des spectres. — aucune substance non psychodysleptique ne devra présenter un spectre analogue. Envisageons maintenant les problèmes liés à l’étude des effets centraux des psychodysleptiques chez l’Animal. Le seul fait d’associer ces deux termes — Dsy¬ chodysleptique et animal — soulève des objections majeures. Sans nous attarder, nous rappellerons simplement la prudence avec laquelle nos expériences doivent être interprétées comme l’a ecrit J. Jaçob, « la voie est troite entre un anthro¬ pomorphisne induisant en erreur et un objectivisme qui confine au négativisme » MONOCR. INSEHIM. 3 éventuel passage à l’Homme. 34 RÉUNION D’INFORMATION Les études effectuées jusqu’alors — et la grande majorité a été consacrée au lysergamide — n’apportent pas la solution souhaitée. Nous ne ferons ici que les envisager rapidement. — Des anomalies du comportement induites par ces substances ont été décrites chez des espèces animales aussi variées que la Fourmi, l’Eléphant. l’Araignée, la Chèvre ou l’Escargot,. On en a, bien entendu, décrit également chez des espèces plus courantes du laboratoire, tels Rat, Souris ou Singe, Parfois. elles sont subjectives et discutées par d’autres expérimentateurs, souvent surtout elles nécessitent des doses importantes et décider si elles correspondent à une atteinte neurologique ou à un syndrome dysleptique est bien délicat. — Des perturbations des réflexes conditionnés ont été rapportées par de nombreux auteurs. Le choix des protocoles, presque toujours différents et souvent fort complexes, rend multiples les interprétations possibles. On ne saurait oublier que toute substance à action centrale est capable, dans des conditions variables selon l’espèce animale, la dose, la voie et le temps d’administration et le proto¬ cole choisi, d’entrainer des modifications des réflexes conditionnés. — Les études neurophysiologiques, électroencéphalographiques et biochi¬ miques n’ont fourni que des résultats peu convaincants. Malgré leur raffinement apparent, ces techniques sont encore trop grossières pour mettre en évidence les modifications, certainement discrètes et réversibles, responsables de l’action psychodysleptique. — Les antagonismes exercés vis-à-vis des effets anti nociceptifs de la mor¬ phine ou de l’arécoline ont fait l’objet, par JAcoR et ses collaborateurs, d’une étude systématique rendue possible par la simplicité de la méthodologie. Les résultats rapportés par ces auteurs ont permis d’éclairer un peu la situation. — L’action hyperthermisante chez le lapin des hallucinogènes dérivés de l’indole et de la phénvléthylamine, sans être entièrement spécifique puisque d’autres substances tels le dinitrophénol et des pyrogènes bactériens l’exercent également. mérite cependant d’être retenue. Le mécanisme n’en est pas élucidé, mais lorsqu’une substance entraine chez le lapin une hyperthermie qui n’est pas prévenue par les antipyrétiques, une grande prudence est de rigueur avant un 4. LYSEIGAMIDE DU 15 29 Depuis sa synthèse par HOrMANN en 1938 et la découverte fortuite par ce chimiste de ses propriétés hallucinogènes en 1943, le L50 25 a fait l’objet de nombreux travaux (environ 1 500 publications). Des substances voisines ont été synthétisées, mais aucune d’entre elles n’approche l’activité psychodysleptique du LSD 25. 2 La toxicité aigué du LSD 25 varie notablement d’une espèce à l’autre. Si par e BL LDouUloDuh ons tuoenes coudauo apos exemple le Lapin (et l’Eléphant :) semble extrêmement sensible, la Souris supportc 35 SUR LES PRODUITS TOXIQUES DONNANT LIEU A ABUS Chez l’Homme, si des suicides ou des accidents consécutifs à l’absorption de L5D 25 ont été rapportes, on ne connait pas de mort en rapport direct avec la toxicité de cette substance. Action tératogène Il est difficile actuellement de se prononcer sur cette question. Plusieurs expérimentateurs font état d’une action tératogène chez diverses espèces animales. D’autres auteurs n’ont pu confirmer ces résultats. On connait par ailleurs au moins une centaine de jeunes femmes avant pris du LS1 25 pendant la période critique de leur grossesse sans qu’aucune malformation n’ait été notée chez les enfants. La découverte d’anomalies chromosomiques dans les leucocytes de sujets avant pris du L5b) 25 n’est pas sans inquiéter: la signification de ces anomalies et la responsabilité du LD 25 restent cependant discutées. Action vasoconstrictrice. Peu marquée avec le LSD 25, cette action est plus intense avec l’amide de l’acide isolysergique, constituant de certains volubilis qui peuvent être respon¬ sables de gangrènes « ergotiques ». Action utérotonique. Cette action commune à tous les dérivés de l’ergot est très faible avec, le Lsp 25 et peut être considérée négligeable aux doses habituellement utilisées. ActoR antisérotonine. Le LSD 25 est un puissant inhibiteur des effets périphériques de la sérotonine et est souvent employé au laboratoire comme antisérotonine de référence. Si l’on a voulu expliquer les effets hallucinogènes par cette action antisérotonine, il semble bien qu’actuellement de nombreuses données s’opposent à cette concep¬ tion trop simpliste. Action sumpathomimétique. Cette action, de mécanisme central, s’observe surtout lors des surdosages en LSD 25 : mydriase, piloérection, tremblement, hyperthermie, etc. Action anticholinestérasique. Peu marquée aux doses utilisées, cette action serait, pour certains, respon¬ sable des nausées et des vomissements observés chez certains sujets sensibles. lement démontrés. RÉUNION D’INFORMATION 36 Métabolisme. Chez l’Homme, la résorption intestinale est très rapide, mais la demi-vie plasmatique est prolongée (environ 3 heures), Il ne semble pas qu’il y ait une affinité particulière pour le cerveau. Parmi les métabolites retrouvés dans l’urine. le 2-Oxy-LSD) et des dérivés glycuroconjugués de hydroxy-LSp) et de hydroxy-iso¬ LSD ont été signalés. Etant donné la rapidité d’action après administration par voie orale, il semble que la forme active soit la substance initiale non transformée. Antagonistes. La chlorpromazine s’est révélée l’antagoniste le plus efficace des divers symp¬ tômes provoqués par le L5D 25. Les essais effectués avec l'’azacyclonol, l’acide nicotinique, l’acide glutamique, la progestérone ou d’autres substances sont restés négatifs. La réserpine, par contre, semble potentialiser les effets du LSD 25. Tolérance Après quelques jours, aussi bien chez l’Animal que chez l’Homme, s’établit une tolérance aux effets comportementaux du L5D 25. Cette tolérance est croisée avec la psilocybine et la mescaline et ne serait donc pas métabolique. B. — AUTRES DÉRIVES INDOLIOLES De nombreux dérivés possédant une structure indolique sont réputés hailu¬ cinogènes. La plupart sont des alcaloides retirés des plantes utilisées dans diverses parties du monde pour leurs propriétés psychodysleptiques : la N-N-dimnéthyl¬ tryptamine, la bufoténine, la psilocybine (la seule parmi ces substances à avoir fait l’objet d’études relativement poussées), la psilocine, l’harmaline et l’harmine (qui sont également utilisées comme réactifs pharmacologiques en raison de leur action inhibitrice de la monoamine oxydase rapidement réversible), l’ibogaine. la mitragvrine, etc. D’autres ont été préparées par synthèse, telle l’a-méthyl¬ tryptaminpe. Les données pharmacologiques dont nous disposons sont trop peu nombreuses et trop souvent sujettes à caution pour permettre un exposé cohérent et même. pour certaines de ces substances, les effets hallucinogènes ne sont pas formel¬ C. — CHANVRE INDIEN Les diverses préparations à base de chanvre indien (Cannabis sativa L.) ont donné lieu récemment à une nouvelle vague de travaux. L’isolement de la sub¬ stance active, le tétrahydrocannabinol (l’isomère A-1-2 trans semble responsable de la majorité des phénomènes observés), a permnis des études plus précises, mais cependant trop peu spécifiques pour permettre le diagnostic. Après administra¬ tion chronique, on a décrit des bronchites chroniques, des conionctivites, des Une étude récente chez le Rat (LIfe Sci, 1969, 8, p. 607-620) signale l’appari¬ tion d’un comportement agressif après administration chronique de marihuana. ces troubles du comportement survenant beaucoup plus fréquemment chez les animaux maintenus en restriction de nourriture. L’intérêt de cette expérience rend souhaitables des tentatives de confirmation, mais toute extrapolation anthro¬ pomorphique serait abusive. SUIR LES PRODUITS TOXIOUES DONNANT LIEU A ABUS 37 les difficultés de dosage dans les diverses matières premières rend difficile l’extra¬ polation des résultats. La toxicité de ces préparations est certainement peu élevée. Autre les troubles psychiques qui seront détaillés dans d’autres rapports, divers signes physiques peuvent accompagner la prise de préparations de chanvre indien : mydriase. tremblements, vertiges, tachycardie, congestion des vaisseaux de la conjonctive, hyperréflexie, sécheresse de la bouche, nausées ct vomissements. Ces signes sont troubles digestifs et une tendance à l’insomnie. D. — MESCALINE ET AUTRES DÉRIVÉS DE LA PHENYLÉTHYLAMINE La mescaline ou 3,4,5-triméthoxyphényl-éthylamine est voisine, par sa struc¬ ture, des amphétamines. Sa puissance est faible et les doses « efficaces » chez l’Homme sont de l’ordre de 7 m/kg. Ses effets centraux ne se développent qu’avec un certain retard, alors qu’une fraction importante de la dose administrée est déjà éliminée. L’action hallucinogène serait donc due à un métabolite : la mesca¬ line est transformée par désamination oxydative en aldéhyde; une partie de cet aldéhyde est réduite en alcool primaire, alors que l’autre partie est oxydée en acide; l’alcool et l’acide formés seraient des hallucinogènes plus puissants que la mescalinc. Un certain nombre d’effets périphériques apparaissent peu de temps après l’administration : effets sympathomimétiques, hyperréflectivité, tremblements. mais ces effets disparaissent en 1 à 2 heures, alors que les hallucinations peuvent persister 5 à 12 heures. De nombreuses substances voisines ont été synthétisées mais n’ont donné lieu qu’à peu d’études; la limite est difficile à établir et très arbitraire entre cette catégorie de substance et les amphétaminiques. La 2,5-diméthoxy-A-méthyvamphétaminc (DOM ou STP) semble assez compa¬ rable à la mescaline (avec des composantes excitantes et euphorisantes plus nettes), mais environ 50 fois plus puissante. L’absence d’aptagonisme et même une éventuelle potentialisation de toxicité par la chlorpromazine ne sont pas admises par tous mais doivent cependant inciter à la prudence. L’étude de la. répartition de ce composé chez le Chat a montré une fixation cérébrale impor¬ tante, surtout au niveau de l’hypothalamus, de l’amygdale et des aires visuelles. la concentration cérébrale étant encore élevée 6 heures après l’adiministration; chez l’Homme, les efets sont prolontés (7 à 8 hecures). 38 RÉUNION D’INFORMATION E. — ANTICHOLISERGIQUES DÉRIVES DE LA PIPÉRIDINE De structures chimiques assez voisines, possédant en commun une puissante action anticholinergique, les composés qui forment ce groupe se caractérisent également par le caractère des troubles psychiques — confusion mentale et dépersonnalisation — qu’ils entrainent. Dans la mesure où les sensations provo¬ quées sont peu agréables et où il existe une certaine amnésie, de l’expérience. on comprend que ces substances, regroupées par certains sous le terme de « schizophrénomimétiques », ne donnent lieu qu’à peu d’abus. Les dérivés les plus représentatifs de ce groupe sont les esters glycoliques ou benzyliques de pipéridyle, de quinuclidyle et de pyrrolidyle, parmi lesquels le Ditran ", et un dérivé pipéridiné sans fonction ester, le 1-f-phénvlcyclonexyl¬ nexyl) pipéridine (phéncyclidine ou Sernyls). Il semble que l’on puisse Y adioindre le phénothiazinvl-10-dithiocarbosylate de diéthylaminoéthyle ou 7360 BP. Leur activité dysleptique a été d’emblée apparentée à celles qu’exercent à doses élevées l’atropine, la scopolamine et l’hvoscvamine. Après leur admi¬ nistration, on observe des signes périphériques caractéristiques d’une action parasympatholytique : mydriase passive avec cycloplégie et augmentation de la pression intra-oculaire (d’où le danger en, cas de glaucome), sécheresse de la bouche, tachycardie avec légère hypertension artérielle, diminution du tonus des muscles lisses. Outre les signes psychiques qu’ils provoquent, il convient de signaler une analgésie profonde, des signes pyramidaux et parfois un « oubli de respirer » qui peut mettre en danger la vie du sujet. Pour certains d’entre eux tout au moins. l’action semble pouvoir être bloquée rapidement par administration d’une substance à action anticholinestérasique, la tétrahydroaminoacridine. CONCLUSION On pourra regretter de ne trouver dans ce rapport que des données connues. Malgré de nombreux travaux récents, beaucoup d’inconnues persistent et la tâche qui reste à accomplir aux pharmacologues est écrasante. D’autres substances psychotropes peuvent donner lieu à abus, qu’il s’agisse des tranquillisants, des hypnotiques non barbituriques ou des antiparkinsoniens. Actuellement, ces abus ne semblent pas poser en France de problèmes très graves; c’est afin de ne pas transformer ce rapport en un lourd manuel de pharmacologie que ces médicaments n’ont pas été traités; les dangers qu’ils peuvent présenter ne doivent cependant pas être oubliés. Enfin, les toxicomanes semblent de plus en plus recourir à des mélanges parfois ahurissants; l’étude pharmacologique de ces mélanges n’a pas été entre¬ prise mais, dans bcaucoup de cas, ces polytoxicomanies paraissent redoutables. ÉTUDE EXPÉRIMENTALE DE LA PHARMACO-DEPENDANCE JOSEPH JACOB (1) La dépendance aux drogues a été récemment définie par un Comité O.M.S. d’Experts de la façon suivante : « Etat psychique et quelquefois également physique, résultant de l’interaction entre un organisme vivant et une substance, se caractérisant par des modifications du comportement et par d’autres réactions, qui comprennent toujours une com¬ pulsion à prendre le produit de façon continue ou périodique afin de retrouver ses effets psychiques et quelquefois d’éviter le malaise de la privation. Cet état peut s’accompagner ou non de tolérance. Un même individu peut être dépendant. de plusieurs produits. » Dans cette définition est tout d’abord soulignée la nature essentiellement psuchique de la dépendance — qui se traduit par un désir souvent irrépressible de répéter les prises. L’est également l’importance primordiale de la propriété qu’ont les drogues de provoquer des sensations agréables ou extraordinaires. Ce sont là en effet les caractéristiques communes à toutes les drogues. Par contre, la dépendance phusique — qui se manifeste lors de la suspension des prises par l’apparition de signes somatiques divers (syndromes de sevrages). — existe seulement pour certaines drogues, mais non pour toutes (ceci, tout au moins, dans la mesure où les méthodes d’investigation actuelles ne permettent pas encore d’objectiver des équivalents somatiques de la dépendance psychique). Enfin, la tolérance — c’est-à-dire la diminution des effets d’une dose déter¬ minée lors de sa répétition, phénomène qui conduit à accroitre les doses pour obtenir à nouveau les effets recherchés — existe aussi seulement pour certaines drogues. Comme inversement, il existe de nombreux produits qui présentent ce phénomène sans qu’il soit connu qu’ils engendrent une dépendance physique ou psychique, il convient, dans l’état actuel de nos connaissances, de dissocier tolérance et dépendance. Il convient aussi de rappeler, dans ce préambule, que l’on ne peut parler de dépendance sans en préciser le type, défini lui-même par les principaux produits qui l’engendrent. Ces types se distinguent par : la nature des effets psychiques qui sont induits, les degrés de la dépendance psychique et la rapidité de son installation; le caractère — thérapeutique ou uon — du produit ou des (1) Professeur. Chef du Service de Pharmacologie et Toxicologie de l’Institut Pasteur. 40 REUNION D’INFORMATION doses conduisant à la dépendance; l’existence d’une dépendance physique et. dans cette éventualité, de ses signes et caractères; l’existence d’une tolérance. On rappellera brièvement les principales catégories, telles qu’elles ont été définies par Eppy et al. (1965), dans le travail desquels on trouvera des descriptions plus circonstanciées. a) Type morphine réalisant la triade complète : dépendance psychique. dépendance physique et tolérance, le processus pouvant être déclenché par des doses faibles, thérapeutiques, caractérisé aussi par un syndrome de sevrage qui affecte toutes les fonctions nerveuses principales. b) T’ype barbiturique-alcool, réalisant aussi la triade complête, le processus étant cependant considéré comme déclenché seulement par des doses supérieures aux doses thérapeutiques ou usuelles : le syndrome de sevrage est différent du précédent. c) Type amphétamine où l’existence d’une dépendance physique est contro¬ versée; en effet, le sevrage est suivi d’un profond état de dépression non seulement psychique, mais aussi physique, qui est considéré par certains auteurs comme la manifestation de la dépendance, par d’autres comme la résurgence de la fatigue chronique qui était masquée par les prises de la drogue. Il y a tolérance. d) Type lusergamide, avec tolérance, où aucun syndrome de sevrage n’a été observé. e) Type cocaine où seule existe la dépendance psychique. Les quantités considérables de cocaine que les cocainomanes peuvent s’administrer à de brefs intervalles ont fait croire à f’existence d’une tolérance, mais la rapidité de la destruction de la cocaine dans l’organisme suffit pour en rendre compte. f) Type Khat et g) type Cannabis où ni dépendance physique ni tolérance n’ont été observées. ETUDE ENPÉRTMENTAILE DE LA DÉPENDANCE Chez l’Homme, l’étude expérimentale de la dépendance, telle qu’elle 8 réalisée au Centre de Recherches sur l’Addiction de Lexington, repose essentiel¬ lement sur trois types d’épreuves. Dans la première, qui est une épreuve aiqué, préalable mais nécessaire, le produit étudié est administré à diverses doses, chaque dose faisant l’objet d’un essai propre, et ses effets sont comparés — grâce à divers examens et questions à ceux des substances de référence connues pour être toxicomanogène. Dans la deuxième, dite d’addiction directe, le produit est administré de façon répétée pendant des durées déterminées ct selon des schémas posologiques soigneusement établis. Le traitement est alors interrompu et de nouveaux examens et interrogatoires permettent, grâce à des codes, d’estimer des potentiels de dépendance. Dans le cas des morphiniques, une variante — souvent addi¬ tionnelle — de cette méthode consiste à administrer de la nalorphine ou de la nalosone en fin de traitement, ce qui est utile tout particulièrement pour des prodits à propriétés complexes. 41 SUR LES PRODUITS TOXIQUES DONNANT LIEU A ABUS La troisième épreuve enfin, dite de substitution, consiste à rechercher si le produit étudié peut se substituer à une drogue connue lorsque les administrations de cette dernière sont interrompues. On estime alors, toujours grâce à des examens et interrogatoires codifiés, si et dans quelle mesure le produit diminue l’intensité du syndrome de sevrage. Cette épreuve est un complément nécessaire de la seconde, car elle précise les similitudes et différences quantitatives et quali¬ tatives pouvant exister entre les dépendances au produit étudié et à la substance de référencc. Elle est, par ailleurs, souvent réalisée avant l’épreuve d’addiction directe et cela parce qu’elle est techniquement plus simple. Ces épreuves d’addiction directe et de substitution sont réalisées selon diverses modalités dont la description sort du cadre de cet exposé Chez l’animal, ce sont essentiellement les mêmes épreuves qui sont réalisées et qui l’auront été, ainsi que bien d’autres, pour recueillir les données nécessaires à une expérimentation humaine valide et nécessairement limitée. Avant de commenter successivement les études expérimentales concernant la dépendance psychique puis la dépendance physique et enfin — très briève¬ ment — la tolérance, on rappellera que, comme chez l’Homme, les études de la dépendance chez l’animal ont comme nécessaire préalable la connaissance de ses divers effets et notamment de leurs effets psychotropes. On se limitera ici à rappeler qu’il existe des épreuves capables de caractériser, chez l’animal de laboratoire, des effets comportementaux, autonomes, électrophysiologiques et bio¬ chimiques propres aux produits morphiniques, barbituriques, aux amphétamines. au lysergamide et aux hallucinogènes apparentés, à la cocaine et, plus récemment. sinon au chanvre indien et à ses multiples préparations, tout au moins aux plus actifs de ses principes, les A1 et A6 3,4 trans-tétrahydrocannabinols. DÉPENDANCE PSYCHIQUE Chez l’Homme, la dépendance psychique est évaluée en fonction des réponses du sujet et de son comportement. Dans l’épreuve aigué où le sujet n’est pas encore dépendant du produit étudié, il doit en particulier identifier ou non le produit à une drogue qu’il connait et — peut-être surtout — faire connaitre si le produit lui procure des sensations agréables ou particulières, et s’il aimerait — et à quel degré — en recevoir encore. Dans les épreuves chroniques, c’est la quête compulsive du produit qui servira d’estimation lors du sevrage ou bien la levée de cete quête lors de la substitution. La réplique en expérimentation animale reposc sur les méthodes d’auto¬ administrations. On recherche à quelle fréquence et en quelles quantités l’animal s’administrera le produit étudié et on admet qu’il existe une relation entre la fréquence des auto-administrations (et éventuellement divers autres paramêtres) et l’appétence qu’a l’animal pour la drogue. On notera que cette appétence peut être ainsi mesurée, même dans les expériences brèves, seulement si l’animal se ré-administre le produit, en conséquence, c’est déjà une espèce de dépendance 42 REUNION DINFORMATION qui est ainsi mesurée puisque l’animal tente de retrouver (ou de prolonger) les effets. La technique la plus simple d’auto-administration est de remplacer l’eau de boisson par une solution du produit étudié, et elle a été effectivement utilisée chez le Bat pour l’étude de l’intoxication alcoolique et celle d’analgésiques très puissants. Son principal défaut est que la plupart des substances à étudier ont. aux concentrations utiles, une odeur ou une saveur qui ne plaisent pas aux animaux, que les quantités de liquides sont limitées ou influencées par la soif et par bien d’autres conditions expérimentales. C’est pourquoi d’autres techniques. recourant à des auto-injections soit intragastriques, soit intraveineuses, ont été mises au point chez le Singe (DENEAU. VANAGTA et SEEVERS, 1965) et chez le Rat (PICKENS et THOMPSON, 1967). Les auto-iniections sont alors réalisées grâce à une pompe à infusion, elle-même actionnée lorsque l’animal appuie sur un levier. Pendant une première période, on établit la fréquence dite de curiosité des auto¬ iniections, le liquide injecté étant seulement de l’eau physiologique. Lorsque cette fréquence est stabilisée, elle est considérée comme fréquence de base et l’essai proprement dit commence, le liquide physiologique étant remplace par la solution du produit à étudier. Dans ces conditions, des auto-adninistrations fréquentes ont été observées avec toute une série de substances connues pour être appréciées par les toxico¬ manes : morphine, mépéridine (YANAGTA et al., 1965), méthadone (SCHVSTER et al. 1969 a), cocaine, phenmétrazine, amphétamine (SCHUsTER et al, 1969 b), phéno¬ barbital et alcool (VANAGTTA et al, 1969), Inversement, il n’y avait pas d’auto¬ administration dans le cas de la nalorphine (DENEAU et al.) ni de la pémoline (SCHIUSTER et al, 1969 b). Cependant, et comme dans l’expérimentation chez l’Homme, l’interprétation reste délicate et ne peut surtout pas être basée sur un concept simpliste de tout ou rien : la caféine et la chlorphentermine sont également auto-iniectées mais, dans ce dernier cas. YANAGTTA et al. (1969) ont montré, dans des expériences particulièrement élégantes — ou quatre produits étaient admi¬ nistrés dans des ordres différents et à intervalles convenables à quatre Singes — que les fréquences d’aufo-iniections étaient beaucoup plus élevées avec la coçaine et la d-amphétamine qu’avec la caféine et la chlorphentermine. Jusqu’à présent, nous avons considéré une espèce de dépendance aigué qui. certes, peut traduire une appétence pour un produit donnant des sensations « agréables », mais qui ne parait pas pouvoir être comparée à la quête compulsive observée lors des essais prolongés d’addiction directe ou de substitution. Ces deux types d’épreuves chroniques ont également été réalisés, au moins en partie, avec la même méthode chez l’animal : Tout d’abord, il a été possible d’amencr des animaux à s’iniecter des quantités quotidiennes croissantes de morphine, à la façon dont un morphino¬ mane accroitrait lui-même les doses qu’il s’administre, Par exemple, THOMPSON et al. (1969) ont observé chez un Singe que sa consomination quotidienne croissait progressivement depuis environ 6 mg jusqu’à 60 mg quotidiens au cours d’un essai durant 60 jours (cette dose quotidienne se stabilise ensuite pendant les 30 derniers jours de l’expérience). Ceci tend déjà à montrer que l’appétence du Singe pour le produit est bien la conséquence des effets de ce dernier. Ensuite. 43 SUR LES PRODUITS TOXIQUES DONNANT LIEU A ABUS et surtout. GOLDBERG et al. (1968) ont administré à de tels animaux de faibles doses de nalorphine (10 à 300 ng/Ke) ou de naloxone (3 à 19 ma/Ro), et une augmentation importante des auto-administrations a été observée, semblant bien correspondre à l’appétence accrue observée dans les mêmes conditions chez le toxicomane. Un essai similaire a été conduit avec la pentazocine, analgésique de la catégorie des « nalorphiniques mixtes » et qui — jusqu’à présent — a engendré peu de dépendance (Woops et al, 1969). Des résultats assez semblables ont été obtenus : croissance de la consommation pendant 20 jours puis, lors d’une administration de naloxone, accroissement important des auto-iniections. Cepen¬ dant, la dose de naloxone nécessaire pour produire un tel accroissement était beaucoup plus importante que dans le cas de la morphine (1 ma/kg, soit 190 à 300 fois plus), ce qui, dans une certaine mesure, pourrait correspondre à un moindre potentiel de dépendance. L’épreuve de substitution a été réalisée chez des rats rendus dépendants à la morphine qui s’administrait de la codéine, du dihydromorphinone et de la méthadone lorsque l’on substituait des solutions de ces substances à celle de morphine. Ces essais sont considérés par leurs auteurs comme étant encore préli¬ minaires, car moins que quiconque, ils ne s’en dissimulent les causes d’erreurs. Ils recherchent dans les multiples modalités de conditionnement opérant, dans de nombreuses variations des périodes d’adininistrations, des concentrations de produits et d’autres paramêtres, dans d’autres traitements expérimentaux com¬ ment on pourrait mesurer la « motivation » réelle des animaux, c’est-à-dire leur appétence initiale puis la transformation de cette dernière en compulsion. Ils ne se dissimulent pas davantage que ni les Rats ni même les Singes ne sont des Hommes. Mais c’est aussi pour cela qu’il est possible, éthiquement. d’expérimenter sur eux d’une façon inadmissible chez l’Homme. On se souviendra aussi que pour celles des drogues qui n’induisent pas de nette dépendance physique, ces méthodes sont actuellement les seules qui en dehors d’extrapolations plus hasardeuses à partir des effets aigus — per¬ mettent d’envisager d’estimer, avec la nécessaire prudence, mais d’estimer tout de même un danger potentiel à partir de l’expérimentation animale. DEPENYDANYCE PHYSQUE La dépendance physique a pu être mise en évidence, dans plusieurs espèces animales, pour les deux catégories de drogues : morphiniques d’une part, barbi¬ turiques et alcool d’autre part — pour lesquelles elle existe chez l’Homme. La grande majorité des essais ont été réalisés avec les produits de la première catégorie qui sera donc le plus longuement commentée. Chez l’Homme, la dépendance physique aux morphiniques peut être observée. ainsi que nous l’avons dejà indique, à la suite soit de 1a Suspension des Prrcs 44 RÉUNION D'INFORMATION soit d’une injection de nalorphine ou de naloxone, qui précipite le syndrome d’abstinence et, dans une certaine mesure, en accroit la sévérité, car il peut apparaitre alors chez des toxicomanes consommant des doses encore relativement faibles d’opiacés. Le syndrome d’abstinence est sévère et pathognomonique par la diversité des symptômes qu’il comporte : troubles du comportement et du système nerveux cérébrospinal ainsi que signes d’excitation simultanée des deux systèmes, sympathique et parasympathique. IsBELL et WHILE (1953) les détaillent comme suit : anxiété, agitation, douleurs généralisées, insomnie, baillements, larmoiements, rhinorrhée, transpiration, mydriase, piloérection (chair de poule). bouffées de chaleur, nausées, vomissements, diarrhée, hyperthermie, augmen¬ tation de la fréquence respiratoire et de la pression systolique, crampes abdo¬ minales et musculaires, déshydratation, anorexie et perte de poids. Pour l’expéri¬ mentation humaine — telle qu’elle est réalisée chez des toxicomanes à Lexington — ces divers signes ont été codifiés et affectés de coefficients, de sorte que l’intensité du syndrome peut être estimée. En outre, le caractère pathognomonique du syndrome a donné sa valeur à l’épreuve de substitution. Un morphinomimétique — contrairement à un produit d’une autre catégorie (dépresseur, sympatholytique, parasympatholytique, etc.) inhibera pratiquement tous les signes et pas seulement quelques-uns d’entre eux. C’est chez le Singe, où les signes de sevrage sont très nombreux et pour la plupart très semblables à ceux observés chez l’Homme (1), que les essais ont été les mieux systématisés. La technique de substitution a été appliquée ̀ de très nombreux produits. 350 jusqu’en 1953 (Cf. HALBACH et EpDY). Une colonie de 50 à 100 animaux (Maçaca mulata) est maintenue dans un état de dépendance par l’administration sous-cutanée de 3 mg/kg de sulfate de morphine toutes les six heures, sans interruption. Après une période de stabilisation de 60 jours, les Singes peuvent être utilisés pour les recherches à des intervalles hebdomadaires. Pour l’essai. les iniections de morphine sont suspendues pendant 12 à 14 heures, jusqu’à ce que se manifestent des signes d’abAinence d’intensite moyenne. Le produit étudié est alors iniecté et ses effets comparés à ceux de 3 mgzkg de sulfate de morphine. Un code permet d’évaluer le degré de l’abstinence juste avant et 172 1. 2, 3., 6 heures après l’iniection. L’esai est ensuite repris avec d’autres doses du produit étudié. La potentialité de dépendance physique est estimée comme : Elepée : si le produit étudié supprime complètement tous les signes d’absti¬ nence pour des doses qui n’induisent aucun autre effet pharmacologique manifeste. Intermédiaire : lorsque cette suppression complête est obtenue seulement avec des doses qui induisent d’autres effets pharmacologiques tels que stupeur. tremblements, etc. Taible: lorsqu’il existe une certaine suppression des signes d’abstinence. (1) Parmi les rares différences, on notera que le sevrage provoque non pas de la fièvre. mais une chute de température. Selon HOLTZNANN et VILLAREAL, (1969), cette hypothermie se préterait tout particulièrement à une mesure du potentiel de dépendance. SUR LES PRODUITS TOXIQUES DONNANT LIEU A ABUS 45 mais que l’on ne peut l’accentuer en recourant à des doses plus élevées parce que ces dernières ont des eflets toxiques tels que coma, convulsions. Nulle: s’il n’y a pas suppression spécifique, en tenant compte en particulier du fait que des dépresseurs non spécifiques peuvent atténuer quelques signes. Les résultats obtenus jusqu’à présent ont, d’une façon très générale, été confirmés lors des épreuves qui étaient ensuite réalisées chez l’Homme. La méthode d’addiction directe est également utilisée dans les laboratoires qui ne disposent pas d’une colonie de Singes dépendants de la morphine et qui n’ont pas la charge de comparaisons nombreuses. Le recours au sevrage artificiel par la nalorphine ou la naloxone est souvent emplové en raison de la netteté des signes. La valeur de l’épreuve ainsi que des conclusions dépend. comue c’est toujours le cas en pharmacologie, de l’utilisation de posologies adéquates, condition qui est beaucoup plus sévère qu’il ne pourrait le paraitre de prime abord. D’autres espèces animales ont été utilisées. Certaines comme le Rat, le Lapin, le Chien se prétent à l’observation de signes physiques d’abstinence lors de la suppression de traitements, qui sont en général prolongés, réalisés avec des doses le plus souvent croissantes et parfois répétées à plusieurs reprises sur la journée. Le recours au sevrage nalorphinique a permis, d’une façon générale, de rendre plus nette et plus rapide la mise en évidence d’une dépendance physique du type morphinique qui devient alors manifeste même chez la Souris (MAGGIDO et HUIDORRO, 1961) et le cobave (FRIEDEL, et KHUN, 1965), espèces jusqu’alors peu utilisables. Chez la Souris, HUIDOBRO et ses collaborateurs (cf. HUIDOBRO, 1967) ont mis au point une technique particulière qui consiste à implanter des cristaux de morphine base sous la peau et qui leur a permis d’étudier de nombreux aspects de l’intoxication morphinique et en particulier la dépendance physique. Dans ces conditions un syndrome de sevrage (nalorphinique) atténué peut être observé déjà 12 heures après l’implantation de la morphinc : son intensité et sa netteté croissent pour atteindre un maximum entre le 4° et le 10° jour. Il est alors constitué par : un accroissement d’activité locomotrice (loco¬ motion désordonnée assez typique), des sauts répétitifs et stéréotypés, des trem¬ blements et parfois des convulsions, de la polypnée, de l’hyperlacrymation, de la pilo-érection, de la défécation, parfois du priapisme et des éjaculations, HuI¬ ponno et ses collaborateurs ont également recherché la capacité qu’avaient de nombreux produits morphiniques d’atténuer ce syndrome. Récemment,. MAHSIALL et WEINSTOCR (1969) ont obtenu des résultats simi¬ laires sans recourir à la technique d’implantation : après quelques jours seule¬ ment d’administrations triquotidionnes, le sevrage spontané, et beaucoup plus nettement le sevrage nalorphinique, induit l’apparition de signes parmi lesquels le nombre des bonds permettraient de mesurer le degré de dépendance. Ces auteurs ont etudié la méthadone et la péthidine comparativement à la morphinc. Chez le Rat, les signes d’abstinence sont également nombreux et consistent en spasmes de torsion, stéréotypies (mâchonnement et signe du chien mouillé), 46 RÉUNION D’INFORMATION hyperexcitabilité (cri au toucher, réactions exagérées au bruit), pilo-érection diarrhée, ptosis. Dans cette espèce animale, comme chez l’Homme et chez le Singe, des épisodes d’agressivité ont été observés (FICHTENBERG, 1951: MERCIEn et SESTIER, 1954; BOSCHKA et al., 1966). MERCTER et SESTIER (1954) et MERCIER et MERCIER (1957) ont également montré qu’il y avait des perturbations importantes d’un conditionnement de discrimination. Les modifcations de la motricité sont complexes : pour certains auteurs (FICHTENBERGER, 1951: MERCIER et SESTIER, 19545 HANNA, 1960), il y a, comme dans les autres espèces animales, de l’agitation motrice; pour d’autres (WIRLEI et MARTIN, ainsi que LISTER et ETTLES, cités par HALBACH et EDDY, 1953: KAYA MARCALAN et Woops, 1956), c’est au contraire une sédation qui survient (le trai¬ tement chronique par la morphine engendrant chez le Rat de l’agitation); pour d’autres enfn (KUHN et FRTEBEL, 1962), agitation et sédation peuvent toutes deux apparaitre. En général, les signes du sevrage spontanés n’ont pas — jusqu’à présent été trouvés suffisamment uniformes ni reproductibles pour servir de base à une méthode d’évaluation du potentiel de dépendance, ce qui, bien entendu, n’enlève pas leur valeur fondamentale aux travaux brièvement rapportés plus haut. Dans le cas du sevrage nalorphinique. LIsTER et ETTIEs (cités par HALRAcu et EDpY, 1963), ainsi que KUHN et FRIEDEL (1962), ont estimé leurs résultats suffi¬ sants pour proposer des échelles de cotation : nous n’avons pas connaissance qu’elles aient été utilisées fréquemment. Selon LISTER et ETTLEs, enfin, le sevrage pharmaçologique permettrait de mettre en évidence la dépendance physique après seulement une semaine de traitement, tout au moins dans le cas du corps morphi¬ nique, très puissant, qu’ils ont étudié. Chez le Chien, les signes d’abstinence sont, encore une fois, multiples et ressemblent à ceux qui sont observés chez l’Homme (agitation, tremblements. tachypnée, baillements, hyperthermie, salivation, vomissements, diarrhée, tachy¬ cardie). Apparaissent aussi une activité stéréotypée (creusement et affouillement de la terre avec les pattes et le museau), et, chez les chiens chordotomisés, des mouvements rythmiques de flexion et d’extension des pattes postérieures. Le Chien a été beaucoup moins utilisé que le Singe et les relations existant entre sa sensi¬ bilité et celle de l’Homme sont beaucoup moins bien connues. Il est cependant un aspect sous lequel il semble être plus proche de l’Homme que ne l’est le Singe : la dépendance physique aux péthidines est, par rapport à celle de la morphine. relativement modérée, alors que chez le Singe elle est particulièrement élevée (CARTER eL WIRTER, 1954, 1955; Woops et al, 1961). Encore une fois, l'usage de la nalorphine a permis, en particulier, de rac¬ courcir les prétraitements par les morphinomimétiques : par exemple, le syn¬ drome d’abstinence peut être provoqué après sept jours de morphinisation (CARTER et WIRLER, 1954) au lieu de plusieurs semaines (WIRLER et FRANR, 1947). Mieux, MAnTIN et EApEs (1961) ont décrit une méthode avec laquelle un jour sufirait. Elle consiste à administrer la morphine en perfusion lente (3 mgRg par heure). On observe le comportement de l’animal et mesure chaque demi¬ heure les fréquences cardiaque et respiratoire, le diamêtre pupillaire, la tempé¬ rature rectale, un réflexe cutané, le réflexe de rétraction d’une patte arrière. SUR LES PRODUITS TOYIOUES DONNANT LIEt A ARUS 47 Le phénomène de tolérance apparait pour certaius des paramêtres (voir plus loin). Après 7 à 8 heures, 20 mg de nalorphine sont inicctés. Comme on doit l’attendre, plusieurs actions de la morphine (hypothermie, dépression du réflexe cutané) sont inhibées. En outre et surtout, d’autres actions sont inversées : de la mydriase remplace le mvosis, tachycardie et tachypnée se substituent aux bradycardie et bradypnée. Enfin, les animaux sont extrêmement agités (ce qui ne permet plus de prendre leurs réflexes de flexion), ils tremblent, salivent. pleurent, défèquent, urinent et vomissent. La nalorphine, administrée à des Chiens normaux, n’est pas émétisante, elle est seulement légèrement tachycardisante et bradypnéisante, et elle provoque non de la mydriase mais du mvosis. Ces diverses méthodes d’induction accélérée d’un syndrome de sevrage morphinique sont riches de promesses, mais il convient de ne pas se dissinuler que l’abstinence obtenue dans ces conditions avec la nalorphine n’est pas néces¬ sairement identique à celle résultant de l’interruption de traitements plus pro¬ longés. Le recours à un agent pharmacologique supplémentaire conduit toujours à rendre l’interprétation des résultats plus complexe et l’on trouvera plus loin des arguments qui motivent cette réserve. En ce qui concerne la dépendance aux barbituriques et à d’autres sédatifs. nous nous limiterons ici à rappeler que des syndromes de sevrage ont été observés. chez le Chien et chez la Souris, après des traitements prolongés avec divers barbituriques et avec le méprobamate (cf. DENEAU, 1964). Les résultats obtenus chez le Chien correspondent bien aux observations qualitatives chez l’Homme et sont souvent en bonne corrélation quantitative (Rapport O M.S., 1969). Pour terminer ce chapitre, il convient de signaler que la dépendance physique a pu être mise en évidence chez l’Homme, non seulement pour des substances qui sont toxicomanogènes à des degrés divers, mais aussi pour des produits qui sont considérés comme ne l’étant pas. Déjà, en 1959. SCHRAPER avait observé que la cessation d’un traitement chronique par la nalorphine avait provoqué chez un patient un léger syndrome d’abstinence du type morphine. MARTIN et GORo¬ DETZRI (1965) ont précisé cette observation sur 7 patients; ils ont distingué le syndrome physique d’abstinence nalorphiniquc du syndrome morphinique, en particulier par la fréquence avec laquelle apparaissent certains signes et souligné qu’il n’y avait pas, chez l’abstinent à la nalorphine, le comportement de « quête compulsive » de la drogue, caractéristique de la dépendance psychique. MARTIN et al. (1965) ont aussi étudié la cyclazocine avec des résultats similaires. L’épreuve de substitution donne des résultats, comme nous l’avons déjà dit, entièrement différents, puisque ces produits précipitent le syndrome d’abstinence morphinique. Les tableaux deviennent plus complexes encore avec les produits qui ont à la fois des propriétés morphiniques et nalorphiniques (1) — qui sont d’un grand intérêt thérapeutique et pour lesquels on retrouve : a) des syndromes mixtes de sevrage après addiction directe, syndromes qui peuvent être, en partie (1) En fait, la nalorphine elle-même n’est pas un antagoniste « pur » de la morphinc¬ car elle possède elle-même aussi des propriétés morphiniques, peu développées. La naloxone est un antagoniste à la fois de la morphine et de la nalorphine et précipite les syndromes d’abstinence à ces deux substances. 48 REUNION D’IVTORMATTON tout au moins, intensifés par la nalorphine; b) des effets variables dans l’épreuve de substitution : un même produit peut, selon la dose de morphine utilisée pour engendrer la dépendance, à la fois se substituer à la morphine ou précipiter l’abstinence; c) chez le Singe, comme nous l’avons déjà signalé, une appétence traduite par des auto-inictions et accrue par l’administration de naloxone TOLERANCE Ainsi que nous l’avons rappelé dans le préambule, la tolérance n’existe pas pour toutes les drogues, Inversement, il est des produits non toxicomanogènes qui possèdent cette propriété : par exemple, il existe une tolérance aux effets sédatifs des neuroleptiques, aux effets hypotenseurs de ces substances et de divers ganglioplégiques et sympatholytiques. La diminution d’efficacité lors d’administrations successives ne peut donc pas être considérée comme un critère de potentiel toxicomanogène. Cependant, il est nécessaire de rapporter ici, très brièvement, quelques-unes des caractéristiques principales de ce phénomène, dont la détermination expé¬ rimentale fait obligatoirement partie de toute étude d’un produit susceptible de provoquer la dépendance, car elle est — au même titre que celle des activités et toxicités — indispensable pour l’établissement de protocoles expérimentaux cohérents d’essais de dépendance et une interprétation valide de leurs résultats. En outre, elle joue un rôle non négligeable dans plusieurs des aspects pratiques de l’abus des drogues qui y sont sujettes. Tout d’abord, on rappellera que, d’une façon générale, l’expérimentation animale a reproduit la tolérance dans une mesure assez comparable à celle observée chez l’Homme : c’est ainsi qu’elle a été décrite, pour de nombreux morphinomimétiques, barbituriques, amphéta¬ miniques et hallucinogènes du type lysergamide, mais qu’il n’en existe pas pour le chanvre indien, pour lequel au contraire il y aurait une certaine sensibilisation. Ensuite, on soulignera qu’il existe non pas un seul, mais plusieurs types de tolérances et que si le phénomène général n’est pas spécifique, il est certains types qui paraissent bien l’être. C’est le cas en particulier pour la tolérance aux morphi¬ nomimétiques. Lorsque des animaux ont été rendus tolérants à la morphine, iis le sont le plus souvent à de nombreuses autres substances morphiniques, mais non pas à d’autres produits; par exemple, en collaboration avec SENAULT, nous avons montré que des souris tolérantes à la morphine ne l’étaient pas à la chlorpromazine et que, inversement, les animaux rendus tolérants à ce neuro¬ teptique ne l’étaient pas à la morphine. De plus, la tolérance est souvent sélective, car elle ne se développe pas au même degré pour tous les signes induits par une drogue déterminée. Dans le cas de la morphine, l’exemple classique est celui des effets moteurs chez le Bat : l’effet sédatif y est fortement sujet, l’effet stimulant par contre l’est très peu, s’il l’est; il en résulte qu’à la suite d’administrations répétées, la morphine devient de plus en plus stimulante dans cette espèce animale. Chez le Chien, la tolérance se développe rapidement pour les effets sédatif, analgésique et émétique, plus SUR LES PRODUITS TONIQUES DONNANT LIEU A ABUS 49 lentement pour l’effet myotique et très lentement pour l’effet bradycardisant: cette sériation a été observée aussi bien dans des essais de longue durée que dans ceux, très brefs, de perfusion intraveineuse continue (MARTIN et LADES, 1961). De même, après la suspension du traitement, elle régresse de facon très diffé¬ rente selon l’effet considéré, Par exemple. COCHIN et KORNETZRI (1964) ont noté chez le Bat que la tolérance à l’effet « analgésique » (méthode de la plaque chauf¬ fante) de la morphine était encore très importante douze mois après la suspen¬ sion du traitement, alors que la tolérance à l’effet dépresseur dans une épreuve de nage avait déjà fortement régressé après trois mois. De même, chez l’Honc, TRASER et ISBELL (1952) avaient déterminé que chez des morphinomanes sevrés depuis six mois, il n’existait plus de tolérance significative aux effets hypoten¬ seurs, bradypnéisant, bradycardisant, myotique, mais bien à l’effet hypothermi¬ sant, la tolérance à l’effet émétique étant à la limite de la signification (1). Cette « sélectivité » de la tolérance existe aussi pour des produits autres que les morphiniques. Dans le cas du lysergamide, des essais encore prélimi¬ naires de notre laboratoire tendent à montrer que la tolérance à l’effet hyper¬ thermisant ne s’accompagne pas d’une tolérance à un effet biochimique, l’accrois¬ sement du taux cérébral de sérotonine. Pour les palorphiniques, il semble bien que. chez l’Homnme, les tolérances aux trois effets analgésique, antimorphine et psycho¬ dysleptique n’évoluent pas parallèlement. Dans le cas des amphétamines, ou observe souvent que certains effets centraux (insonnie et nervosité) s’accroissent avec la progression des doses réalisées pour maintenir les actions recherchées et ceci, on le sait, a souvent comme conséquence de conduire le sujet à une toxi¬ comanie mixte : amphétaminique-barbiturique. Dans le cas des barbituriques. le caractère partiel de la tolérance est considéré comme à l’origine, en partie tout au moins des troubles tels que ataxie, dysarthrée, déficit des fonctions mnentales, qui caractérisent l’état des barbituromanes. Il n’est pas possible de commenter, dans cet exposé, d’autres aspects — cepen¬ dant importants de la tolérance — tels que : ses variations en fonction de l’espèce. de l’âge, du sexe; l’existence d’une tolérance par injection unique les diverses et complexes interactions entre la procédure utilisée pour la mettre en évidence ct son développement. HECANISMES DES TOLÉRANCES ET DES DÉPENDAINCES Dans le cadre de cet exposé, nous nous limiterons à un bref rappel des principales hypothèses qui ont été invoquées en traitant d’abord les tolérances puis les dépendances (1) La très longue durée des modifications qu’entraine une tosicomanie morphinique après son interruption semble également se traduire par diverses anomalies (au seuil de la signification statistique) de la régulation tensionnelle et de quelques fonctions auto¬ nomes chez les morphinomancs, plusieurs mois après leur abparente guérison. S’agit-il bien d’une dépendance à long terme ou bien ces anomalies étaient-elles constitution¬ nelles : la reponse à cette question capitale ne peut être donnée à l’hcure actuelle MONOGR, INSERY. 59 REUVION D’INEORMATION TOLÉRANCES Le Pr SINON a rappelé à ce colloque un mécanisme qui est à l’origine de la tolérance non spécifique à de nombreux produits, à savoir l’induction d’enzymes microsomiques, surtout hépatiques, qui accélèrent un certain nombre de réactions auxquelles sont sujettes des substances dont la structure chimique et les propriétés pharmacologiques peuvont être très différentes. La tolérance aux morphinomimétiques ne peut — en ordre principal tout au mnoins — être expliquée par ce mécanisme et cela parce qu’elle présente un caractère de spécificité : il n’y a pas tolérance croisée importante entre les mor¬ phiniques et les substances inductrices d’enzymes microsomiques ou d’autres corps, mais seulement entre les morphiniques eux-mêmes. D’autre part, la sélec¬ tivité de la tolérance aux morphiniques — de même que la diversité de leur struc¬ ture chimique — ne plaident pas pour un mécanisme qui diminuerait toutes les activités du produit dans l’organisme in foto. Des hypothèses enzymatiques géné¬ rales telles que celle de la déméthylation proposée par AxELnoop ou d’une réac¬ tion immunologique — proposée sur la base du développement de la tolérance après unc injection unique — apparaissent ainsi comme peu probables; elles ont également été combattues avec d’autres arguments. On pourrait par contre admettrc que soit produite par l’organismc une substance antimorphine dont le pouvoir antagoniste varierait avec l’action considérée. Plusieurs auteurs se sont efforcés de mettre en évidence de telles substances dans le sang ou lc cerveau d’animaux tolérants; selon les cas, les résultats positifs ont été infirmés ou attendent encore confirmation; assez paradoxalement, on a aussi décrit des substances non iden¬ tifiées, capables non pas d’antagoniser, mais de potentialiser la morphine Ces mêmes caractéristiques (sélectivité, diversité des structures chimiques auxquelles il convient d’ajouter ici l’homogénéité des spectres d’activités pharma¬ cologiques) et le fait quc la tolérance se développe peu lorsque les effets sont prévenus par l’administration concoinitante de nalorphine plaident en faveur de mécanismes où interviendraient des processus d’homéostasies physiologiques ct biochimiques, concus comme assez étr’oitcment liés aux mécanismes par lesquels agissent ces substances. La complexité du système nerveux central, la « redon¬ dance » des centres et voies capables d’assurer une ou plusieurs fonctions (en particulier celle de la nociception dont on sait par exemple qu’elle est restaurée après des sections intéressant des voies considérées comme normalement vec¬ trices) sont à la basc d’une hypothèse physiologique émisc par MARTIN (1968). D’autre part, depuis longtemps, on a invoqué des hypothèses biochimiques, restées longtemps essentiellement verbales, de modifications de « récepteurs » où d’enzymes particuliers. Ces hypothèses ont été renouvelées et « modernisées » par exemple, la conception que l’on a de l’existence de « récepteurs » norma¬ lement quiescents a conduit à considérer que la tolérance résulterait de leur acti¬ vation où de l’induction d’un plus grand nombre. C’est vers les récepteurs des amines biogènes et les enzymes qui en régularisent la synthèse et la dégrada¬ tion que, bien entendu, des recherches, encore très fragmentaires, se sont orien¬ tées. Les études concernant l’aceNyIcholine et les amines cat́chiques ont fourni 51 SUR LES PRODUITS TOXIQUES DONNANT LIEL A ARUS des résultats d’interprétation encore très malaisée; la sérotonine bénéficie — dans ce domaine comme dans bien d’autres — d’un regain de faveur. Quoi qu’il en soit, la synthèse de protéines semble bien jouer un rêle important, car les pro¬ duits interférant avec cette synthèse le font aussi avec le développement de la tolérance. Les mêmes hypothèses devraient être considérécs pour les halluci¬ nogènes indoliques qui présentent aussi des caractères de spécificité et de sélec¬ tivité, et cela d’autant plus que leurs interactions entre ces substances et les amines (en particulier indoliques et catéchiques). — pour complexes et mal analysées qu’elles soient encore — sont des plus probables. Dans le cas des amphétamines et des barbituriques enfin, celles des tolérances qui semblent être spécifiques et sélectives (par exemple de certains effets psychiques) doivent être distinguées de la tolérance non spécifique et être étudiées dans les directions indiquées pour les morphiniques. DÉPENDANCE PIYSIOUE Dans le cas des morphiniques, tolérance et dépendance physique coexistent le plus souvent et elles ont toutes deux les pêmes caractéristiques ǵnérales lorsque l’on recherche si elles sont ou non croisées. C’est pourquoi de nombreux auteurs ont considéré qu’il existait des relations entre les deux phénomènes. Une hypothèse repose sur la dualité de nombreuses actions aigués de la morphine — c’est-à-dire sa capacité d’exercer des eflets dont le sens varie en fonction des doses et du temps de l’observation. Considérant que les effets stimu¬ lants sont peu sujets à tolérance (et également mal antagonisés par la nalorphine). cette hypothèse admet que le syndrome d’abstinence résulte de la manifestation de ces effets qui ne seraient plus tempérés par les effets « sédatifs » de la mor¬ phine qui sont davantage sujets à tolérance (et beaucoup plus aisément antago¬ nisés par la nalorphine). Cette hypothèse semble pouvoir être retenue seulement dans les cas où d’importantes quantités de morphine (où de métabolites actifs) existent encore dans l’organismne au moment où apparait le syndrome de sevrage; c’est peut-être le cas pour diverses modalités expérimentales rapides de sevrage nalorphinique, ce ne semble pas l’être pour la dépendance à plus long terme ainsi que l’ont commenté longuement SEENERS et DENEAU (1962). Ceci est l’un des argu¬ ments, mais non le seul, qui, nous a fait émetre plus haut des réserves au sujet de la signification de certaines épreuves de sevrage rapide. D’autres hypothèses invoquent la rupture de l’équilibre qui s’était établi entre le produit et les processus homéostatiques que traduisent la tolérance. En l’absence du produit, les processus homéostatiqucs sont à leur tour décom¬ pensés et déchainent le syndrome de sevrage. Les recherches, ici aussi, se sont orientées vers les amines biogènes qui jouent ccrtainement un rôle dans le syn¬ drome de sevrage, mais la situation reste encore confuse et appelle de très nombrcux autres travaux; la sérotonine occupe encore une fois une position rela¬ tivement favorable. On n’oubliera pas cependant que la dépendance à la mor¬ phine a pu être observée sur des organismnes monocellulaires où l’existence et les effets des amines biogènes sont des plus mal connus. 32 RÉLNION D’INTORMATION On objectera à ces conccptions que dépendancc et tolérance doivent, dans l’état actuel de nos connaissances etre considerées coupe des phenomènes qui ne sont pas nécessairement associés, même dans le cas des morphiniques : par exemple, dans les essais aigus chez le Lapin, il y a peu ou pas de tolérance à l’effet sur la fréquencc cardiaque alors que la tachycardie est un signe de sevrage. Il n’en reste pas moins que la dépendance reste, comme la tolérance, un état d’adaptation à la présencc d’une substance étrangère dans le milieu intérieur de l’organisme, et que les hypothèses de travail doivent être orientées dans les mêmes directions générales. C’est à l’expérimentation et non à l’a priorisme qu’il conviendra de préciser les ressemblances et différences précises qui existent entre les deux phénomènes dans le cas des morphiniques et peut-être même dans celui de substances, telles les amphétamines. DÉPENDANCE PSYCHIQUE Les difficultés de l’expérimentation ne permettent suère d’émettre d’hypo¬ thèses autres que spéculatives. Le problème est rendu plus complexe encore par la nécessaire prise en considération de tous les facteurs psychologiques et socio¬ logiques qui y interviennent et qu’il ne nous appartient pas de commenter. Qu’il nous soit cependant permis de faire deux remarques qui sont presque des vœux. Tout d’abord, les méthodes d’investigation obicctives du psychisme s’aué¬ liorent et tout psycho-pharmacologue croit que des phénomènes objectifs de plus en plus précis permettront finalement de traduire des processus psychiques sem¬ blant, à l’heure actuelle, echapper à l’analyse expérimentale : la dépendance psychique pourrait ainsi devenir une modalité de micux en mieux définie de la dépendance physique. Ensuite, on sait qu’il existe entre psychisme et amines biogènes des inter¬ relations certes encore confuses, et que des hypothèses aminergiques des troubles mentaux ont suscité un grand nombre de travaux que l’on finira bien par intégrer. Une grande lignc directrice existe donc également pour des hypothèses concer¬ nant la dépendance psychique. Ce n’est certes pas la seule, car bien d’autres substances interviennent certainement dans le fonctionnement du système nerveux central et elles ne doivent pas être négligées simpleuent en raison de la faveur et des relatives facilités expérimentales dont bénéficient actuellement les amines biogènes, leurs récepteurs et leurs enzymes. RÉSUUTE ET CONCLUSIONS L’étude expérimentale des dépendances est réaliséc chez l’Homme princi¬ palement avec trois épreuves. Dans la première, qui est un essai aiau, on détermine les signes et symptômes induits par des administrations uniques du produit et on les compare à ceux provoqués par des sulstances de réfrence, P’armi les très nombreuses obser¬ SUR LES PRODUITS TOXIQUES DONNANT LIEU A ABUS 53 vations qui sont recueillios — et qui sont toutes utiles — celles qui concernent les effets psychiques sont particulièrcment précicuses et avant tout celles qui traduisent que le suict éprouve un plaisir. Nous laissons aux psychiatres et aux psychologues le soin d’expliciter les sensations qui peuvent provoquer des plaisirs normaux et anormnaux. Dans la seconde (épreuve d’addiction directe), le produit est administré de façon répétée, puis le sujet est sevré par simple suspension du traitement ct souvent, dans le cas des morphiniques, par un antagoniste de celte substance. La dépendance psychique est évaluée par la quête compulsivc du produit, la dépendance physique par cotation de signes et symptômes divers. Dans la troisième épreuve (épreupe de substitution), le patient — qui est un toxicomane — recoit le produit de référence de facou standardisée et l’on recherche si le produit étudié peut s’y substituer et dans quelle mesure il le fait. Ces expériences ne peuvent être conduites qu’avec des produits qui ont déjà fait l’objet d’études pharmaçologiques approfondies. Le rôle de l’expérimen¬ fation animale reste ici, déjà sous cet aspect, primordial. Dans le cadre plus particulier de cet exposé, l’expérimentation pharmaco¬ logique chez l’animal aura, en particulier, fourni des indications concernant la catégorie à laquelle appartient le produit étudie, ainsi que plusicurs de ses propriétés psychotropes, y compris avec les techniques d’auto-administration. — et compte tenu des réserves indiquées dans le tesxte — du pouvoir qu’a le produit d’induire une appétence. La méthode d’addiction directe est ésalement utilisée chez l’animal et a permis d’obtenir des résultats promctteurs pour l’évaluation de la dépendance psychiquc chez le Singe et chez le Rat. Elle est utile pour la mise en évidence. de la dépendance physique chez le Singe et chez le Chien. Dans cette dernière cspèce animale, de même que chez la Souris et chez le Rat et lorsqu’il s’agit de substances morphiniques ou mixtes, le sevrage nalorphinique ou naloxonique semble bien pouvoir permettre la mise au point de tests relativement rapides qui permettront de faire face aux besoins d’une expérimentation préalable, sans laquelle l’expérimentation sur le Singe et chez l’Homme risquerait de deveuir matériellement inaccessible. L’éprenpe de substitution à fourni, chez le Sinsge ou chez le Chien, des résultats en général concordants avec ceux de l’expérimentation humaine dans. le cas des morphiniques ou des barbituriques et autres sédatifs. Dans tous les cas, y compris chez l’Homme, l’évaluation d’un potentiel de dépendance est une tâche complexe, demandant toujours la confrontation critique de nombreux résultats où doivent être prises en considération toutes les caracté¬ ristiques quantitatives et qualitatives, du produit conccrnant ses activités ses effets secondaires et ses toxicités — aiquès et à terme —, non seulement pour l comportement etou pour le psychisme, mais aussi pour toutes les principales fonctions. La tolérance doit être bien distinguée de la dépendance et cela pour de nombreuses raisons : la détermination expérimentale des caractéristiques de la tolérance n’en est pas moins impérieuse pour tout produit toxicomanogène et. encore une fois, les cssais chez l’animal de laboratoire constituent la base des 54 RÉUNION D’INFORMATION essais chez l’Homme, les principaux résultats devant indiquer son degré, sa spécifcité et éventuellement sa sélectivité. Il a enfn été souligné qu’il n’existe pas une mnais des dépendances, non pas une mais des tolérances, et que cette pluralité est trop souvent négligée dans les hypothèses concernant les mécanismes de ces phénomènes. Ces hypothèses ont été ici commentées de façon seulement très brève; celles qui semblent devoir être surtout retenues sont, pour les dépendances et les tolérances, celles de processus physiologiques et biochimiques d’homéostasie. Dans le cas de la dépendance. ces processus seraient « décompensés » et cela qu’ils se soient ou non traduits préalablement par une tolérance manifeste. Distinguée à l’heure actuelle de la dépendance physique, la dépendance psychique ne le sera peut-être plus lorsque se seront encore améliorés nos méthodes d’investigation objcctive BIBLIOGRAPHIE AXELROD (J.) : Possiblc mechanism of tolerance to narcotic Drugs. Science, 1956, 12%. 265-261. BOSHKA (S. C.), WETSNAS (H. M.) et ThOn (D. 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Une situation très anormale est ainsi apparue à l’évidence lorsque les pouvoirs publics se sont émus devant la croissance du nombre des toxicomanes et des individus abusant de médicaments. Bien n’avait été imaginé pour parer au plus pressé des problèmes, celui du dépistage chimique ou comment déceler l’intoxi¬ cation par des procédés objectifs 2 Or, rien ne peut être affirmé en toxicologie sans qu’une corrélation soit établie entre le résultat des dosages biologiques et celui des études cliniques. Rien ne peut être retenu sur le plan médico-légal sans une organisation qui existe. certes, pour la toxicologie judiciaire, mais qui demcure embrvonnaire dans le domaine de la toxicologie clinique, limitée en pratique au diagnostic des intoxi¬ cations aigués avec coma ou atteintes viscérales. 1. — MÉTHODES COURANTES A LA TOUCHE Actuellement, les méthodes courantcs proposées par les toxicologues pour le dépistace des médicaments donnant lieu à consommation abusive sont appli¬ cables aux produits purs et, dans quelques cas favorables après unc extraction simple, aux échantillons urinaires. a) Amphétamines. — Réaction jodoplatinique (non spécifique), réactif de groupe des alcaloides. Réaction à la paranitraniline diazotée. b) Pour le chanvre indien: réaction de Beam (potasse alcoolique à 5 %) : rouge. (1) Professeur à la faculté de médecine. Directeur de l’unité expérimentale U26. INSERM, Centre hospitalier Fernand-Widal, Paris. 58 RÉUNION DINFORMATION c) Pour les barbituriques (réaction de Parri). d) Pour le dextromoraniae. — Spctrophotometre UY (absorption, non spécifique). e) Pour l’héroine. — Reaction avec le reactif de Marquis : (violet), avec l’acide nitrique à chaud (vert). Réaction de Wachsnut), à l’hydrosylaumnine, sodique, puis au chlorure ferrique (rose). f) Pour le LS.D),: réaction à la n-diméthylaminobenzaldéhyde. 8) Pour ta norphine. — Formation d’apomorphine par l’acide sulfurique (deux fonctions phénols ortho) et réaction de Grimbert au chlorure mercurique (oxydation, vert). Réactif de Marquis (sulto-formole, violet), de Lafon : (sulfosélénié, vert) (valable pour tous les morphiniques). h) Pour la nicotine (accessoirement). — Dosage au bromure de cyanogène (réactif de groupe des pyridines). Ainsi, de simples réactions à la touche peuvent permettre le dépistage rapide de toxicomanes, la recherche de la morphine dans les urines peut être effectuée en quelques minutes. Il va de soi que le résultat n’a pas de valeur quantitative. tout au plus peut-on parler de résiftats très nets ou douteux, ce dernier caractère pouvant être dù à des taux de toxiques faibles ou à des réactions sur des produits associés qui viennent compliquer les résultats. Sur le plan médico-légal, une réaction positive n’a qu’une valeur indicative et, au même titre que l’alcool-test ne peut remplacer le dosage de l’alcoolémies les tests urinaires doivent, dans toutes les afaires sérieuses etre conplétés par des études plus fnes, par séparation et identifcation. " Réactif de Marquis: acide sulfurique 30 nl. Formaldélyde 20 gouttes. « Réactif de Laton : quclques c'istaux de sélénite d’ammoniun. Ajouter dix à quinze gouttes d’acide sulfurique concentré. IL. — EVTRACTION, IDENTIEICATION L’extraction est l’application d’une méthode physico-chimique générale qui s’appuie sur les coefficients de partition des substances dissoutes entre deux phases non miscibles. En toxicolosie cete méthode très générale a été inaugurée par STAS, qui en a précisé le mécanisme et montré que, très schématiqucment. les substances à caractère acide etaient extraites par l’éther après addition d’un acide fort : c’est le cas des harhituriques et de certains dérivés oxydes. En principc, des substances assez neutres comme les dérivés xanthiques (caféine surrotiU" passenf aussi dans l’éther acide. sont éxtrêmement variées (tableau IV). 59 SUR LES PRODUITS TONIQUES DONNANT LIEL A ARUS Le résidu aqueux de l’extraction, alcalinisé, peut être extrait par le chloro¬ forme ou par un solvant organique. En principe, les alcaloides passent dans ce solvant organique; font cependant exception certains alcaloides phénoliques fortement solubles en milieu aqueux alcalin, comme la morphine (tableau 1). L’extraction morphinique est encore compliquée par le fait que l’alcaloide ne passe en milieu organique que s’il n’est pas précipité et cristallisé, ce qui oblige à des manipulations très rapides, particulièrement étudiées par CHAYBON (tableau I1). En éliminant l’eau par des procédés chimniques (adionction d’un sel anhxdre), il est possible de faciliter l’extraction de la morphine par un solvant alcalin. CURRY obtient ainsi une extraction de 80 % de la mnorphine par l’alcool, en circuit fermé. IDENTIFICATION L’identification des produits purs ingérés par les toxicomanes ne peut se concevoir que par des méthodes de séparation physique, dont les plus utilisées sont la chromatographie sur papier, la chromatographie en couche mince, la chromatographie en phase gazeuse. Nous indiquons un tableau dichotomique de différenciation, composé par NOIRFALIZE avec cinq à six plaques successives qui montre à la fois l’intérêt et les limites de ces techniques (tableau III). Sur le plan pratique, il n’est plus concevablc d’envisager un laboratoire de dépistage de toxicomanie sans l’utilisation systématique de la chromatographie en couche mince (équipement relativement peu onéreux et dont les applications I1. — TECHNQUES COUPLENES Limitées à la chromatographic sur adsorbant solide pendant de nombreuses années, la chimie analytique toxicologique est en train de se développer dans le sens d’une précision beaucoup plus grande sur le plan qualitatif aussi bien que quantitatif, grâce à des méthodes que l’on doit malheureusement considérer comme encore exceptionnelles dans la plupart des laboratoires. Ce sont : la chromatographie en phase gazeuse, illustréc par l’exemple de l’amphétamine (tableau V), la chromatographie en phase gazeuse après réactions modificatrices (l’exemple est fourni par le chanvre indien) (tableau VI), chromato¬ graphie en phase gazeuse préparatrice suivie de chromatographie en couches minces (L.S.D.) (tableau VI). Il faudrait citer en outre de nouveaux apparcils physiques fort onéreux qui peuvent être associés à des méthodes chromatographiques pour fournir des diagrammes spécifiques de corps purs : spcctrographie infrarouge, spectre de résonance magnétique EPR, spectre de masse¬ Ertraction seton Chambon. 60 RÉUNION D’INFORMATION TARLEAU 1 Strychnine N. B. : Amphétamine : distillation des amines volatiles ou extraction alcaline par solvants. Struchnine : extraction alcaline par solvants. Morphine: extraction par alcool (alcalin) (Curry). TARLEAL 11 Urinc - Soude N (pI 10-1 1). Réactifs : Draggendorff Froclde Marquis Réduction du ferricvanure de l’acide jodihydrique Pas de réduction avec l’héroine pure TARLEAL IIL. — T’ableau dichotamique REUNION D’INTORMATION 62 TARLEAU IV TARLEAU Y Amphétamine (4) (séparation des isomères de l’). SUR LES PRODUITS TONIQUES DONNANT LIEU A ARUS 63 TABLEAU VI Ertraction et CPG, chanvre indien¬ REUVION D'INTORMATION 64 TAHLEAL VI LSD et bases analoques (CPG et CCM). (sur sucre ou support) IV. — HÉTABOLITES FT UÉTABOLISME Les tableaux suivants (VIII. IX et N) mettent en valeur l’évolution des drogues le plus souvent ulilises par les tosxicomanes: la morphine avc son évolution vers upe forme coniuguée, particulièrement concentrée dans la bile, l’excrétion urinaire s’effectuant en 24 heures sous forme essentiellement conjuguée. L’héroine ne sera identifée que sous les formes identifées de la morphine. l’absorption de la codéine impose une recherche systématique, car elle s’élimine en partie sous forme de morphine. A titre d’exemple de drogues synthétiques à effet stupéfant, mentionnons la péthidine ct la méthadione, dont l’excrétion urinaire peut être très faible, les dérivés de dégradatiou ne permetant guère d’identification. Pour les auphétamines, l’excrétion se prolonge plus de 48 heures après absorption d’une dose unique et l’excrétion urinaire varie fortement selon le caractère acide ou alcalin des urines, les urines acides permcttant une excrétion accélèrée. 66 Excrétion sous forme libre en moins de 4 hcures dans les urines (42 % à 56 %%). Partie conjuguée : élimination plus lente. Produits de dégradation non identifiés. RÉUNIOY DINVEORM TION TADLEAU IX Péthidine (mévéridine) : Concentration tissulaire importante par rapport à celle du sang. Pas d’acumulation. Durée de demi-vie : 4 heures. Excrétion urinaire : forme inchangée : 2 à 20 %: dérivés d’hydrolyse, de conjugaison, de déméthylation (acide mépéridinique surtout). Méthadone : Concentration tissulaire élevée. Durée de demi-vie : 4 heures. Excrétion urinaire : de l’ordre de 30 %, sous formes métabolisées, peu de forme libre. Nalorphine : Absorption plus rapide que celle de la morphine. Forte concentration cérébrale. (90 mn) (3-4 fois celle de la mnorphine pour une même dose). Disparition plus rapide du sang et du cerveau. TARLEAL X Cocaine : Absorption lente, en 2-3 heurcs. Chez le chien, pour 10 mgzRg, taux maximum sanguin : J.1 à 1.8 ug/ml (taux de convulsion : 3,3 à 6,9 ug/ml). Elimination : 53,5 % dans les urines en 8 heures. Amphétamine: Alsorntion rapidc. Taux sanquin faible. Concentration tissulaire importante : Taux urinaire maxibum en 3 hcures. Durée d’excrétion urinaire pour 10 à 30 ma per os. Homme :29 % en 24 heures : 43 %% en 48 heures. Se prolonge 3 jours au moins. Excrétion urinaire : variations individuelles (de 12 à 66 %2). Métabolisme : p. hydroxy-amphétamine et forme conjuguée (glycuronide ou sulfate). Mescaline : Absorption rapide. Concentration tissulaire élevée. Exerétion urinaire à partir de 30 minutes, maximum 4 heures, se prolonge 18 heures. Nicotine : Environ 3 macigarette. Concentrations gonioe pours un tumeur: 9914 nLo u Excrétion de nicotine inchangée, varie : 13 % urines acides, 2,3 % urines alcalines. 35 à 64 %. SUIR LES PRODIITS TOVIQUES DONNANT LIEL A ARLiS 67 TARLEAU XI Différences entre accoutumés et non-accoutumnés. MorpRine C7 Non-accoutumés. uemne chien, rat. Excrétion urinaire totale : morphine sous-cutanée. 57,5 à 83,7 2%. 75 mgK. 81 à 92 %. Accoutumés. 983 %. Ercrétion urinaire forme coniuquée: 67 62 à 77 %. 59 à 62 %. 10 % libre. 7 22 libre. Monoglycuronide (dihydrate). — Monoglycuronide (dihydrate). du phénol. du phénol. 1 à 12 % facilement 16 à 34 % facilement hydro¬ hydrolysés. lisés. 65 à 85 % difficilement 42 à 59 %% difficilement hy¬ hydrolysés. drolysés. Morphine tibre : très peu. Morphine libre encore trou¬ Fraction facilement hydroIy¬ vée alors que les autres sable : très peu. ont cessé. Fraction difficilement hydro¬ lysable encore retrouvéc. Morphine libre plasmatique. — Morphine libre plasmatique. Liaisons protéines-morphine. Liaisons protéines. Chien : liaison protéine-mor- — Liaison protéine- morphine¬ phine conjuguée. morphine conjuguée. Morphine libre cérébra le — Morphine libre cérébrale. (1 heure et 3 heures après). pistribution tissulairc. bistribution tissulaire. bassage biliaire 38 %. 2 Passage biliaire 50 %. 12 heures après injection. 12 heures après inicction. Singe, rat, chien. produit coningué ou temps d’excrétion. Nous terminons ce rapidc exposé par le tablcau des différences métaboliques recherchées à propos de l’excrétion de la morphine par des sujets accoutumés et non accoutumés. Malgré l’importance des travaux déjà effectués sur ce sujet. en partie avec de la morphine radio-active, il n’ost guère possible de différencier nettement, et surtout à coup sur, un toxicomane d’un sujet avant recu accidentel¬ lement une seule dose de morphine (tablcau X1). 55 Pour apporter une conclusion pratique, nous nous limiterons à trois propositions : 1° Il est possible d’équiper rapidemcnt, à peu de frais, les services de toxicologie clinique et les Centres anti-poison avec le matériel léger nécessaire au dépistage rapide des toxicomancs sous l’effet d’une drogue¬ 68 RÉUNION D'INTORMATION 2° Des études plus poussées, toxicologiques, métaboliques, et a fortiori des études sur la dépendance vis-à-vis de certaines drogues, ne peuvent être raison¬ nablement envisagées que si des moyens de chimie analytique modernes sont mis à la disposition d’un petit nombre de grands Centres; le petit nombre étant justifié par le caractère onéreux des appareils et de leur maintien en état de fonctionnement. 3° La grande variété des produits utilisés par les toxicomanes conduit à des efforts d’analyses que l’on pourrait considérer comme disproportionnés aux possibilités actuelles des laboratoires. Il parait souhaitable de limiter les eforts aux toxicomanies en croissance, essentiellement le haschich et les substances du groupe de la morphine. BIBLIOGRAPHIE 1. CASTAGNOU (R.) et GUYOTJEANNIN (CH.) : Toxicologie industrielle médicamenteuse et agricole. In Traité de biologie apptiquée, t. VII (sous la direction de H. E. OUIVIER). Maloine, édit, Paris, 1969. 2. DEROBERT : Intorications. Flammarion, édit, Paris. 3. FOURNIER (E) et GERVAIS (P.) : Dictionnaire des intoxications. Garnier, édit, Paris. 1970 (sous presse). 4. GUDZINONICZ (B. J.) : Gas chromatographic analusis of druas and pesticides. Marcel Dekker, edit, New York, 1967. 5. GLAISTER (J.) et RENTQUL (E.) : Medical jurisprudence and toricoloay. E. S. Livingstone. Ltd. Edimbourg, 1966. 6. STAHL. (E.) : Thin-lqver chromatographu, Springer, édit, Berlin, 1965. 7. STOLMAN (A.) : Proaress in chemical togicotoay. Acad. Press New York, edit, 1965. S l'BaNCHINT (J) : Mamuet pratique de chromatotraphie en phnase aoseuse. Mason et C°, édit, Paris, 1968. DISCUSSION SUR LES RAPPORTS DE MM. BOISSIER. SIMON, TACOR ET FOURNIER Intervenants : outre les auteurs des rapports, MM. VAILLE, NARGEOLET et MABILEAU Le premier point évoqué est celui de l’approvisionnement en produits toxiques des laboratoires chargés de les étudier. Il est clairement précisé que, conformément aux conventions internationales. tout personnel scientifque, médecin ou non, peut obtenir une quantité suffisante des produits en cause, sous réserve d’en demander l’autorisation au Service central de la Pharmacie et des Médicaments, d’en tenir une comptabilité et d’infor¬ mer l’administration des travaux effectués avec ces produits. Les laboratoires peuvent, de même, être autorisés à recevoir des produits saisis en douane (chanvre indien par exemple). A une question concernant l’utilisation des méthodes de détection par micro¬ cristallographie de préférence aux méthodes à la touche, par analogie à ce qui se fait aux U.S.A, pour le dépistage du « doping » des chevaux. M. le Pr FOURNIER répond que dans la situation légale actuelle, et en raison des possibilités actuelles des laboratoires de toxicologie, il n’est pas encore opportun d’envisager l’usage de telles méthodes. Il estime préférable de laisser progresser et s’implanter les méthodes de toxicologie élémentaires. Il ne pense pas que des malades poly¬ intoxiqués puissent en pâtir en raison des progrès considérables de l’information dans ce domaine. A une question posée sur les différences existant entre les dépendances à la cyclazocine et à la morphine, le Pr JACoB répond : Selon MARTIN, et ses collaborateurs qui ont réalisé leurs expériences chez l’homme au Centre d’Addiction de Lexington, la dépendance à la cyclazocine diffère de la dépendance à la morphine sous deux aspects. Quantitativement, le nombre de « points » réalisés lors du sevrage est nettement inférieur à celui observé après interruption d’un traitement avec la morphine. Qualitativement, la répartition des signes et symptômes n’est pas la même et il n’y aurait pas de quête compulsive du produit. Entre cyclazocine d’une part, morphine d’autre part, il existe divers inter¬ médiaires, en particulier la nalorphine et la pentazocine qui sont toutes deux net¬ tement plus proches de la cyclazocine que de la morphine, mais dont les actions comportent des composantes morphiniques. ÉVOLUTION DU CONCEPT INTERNATIONAL DE LUTTE CONTRE LARUS DES DROGUES JEAN MABILEAU (1) Nous allons examiner « lévolution du concept international de lutte contre l’abus des drogues ». Nous ferons l’économie de rappels historiques inutles tels que les querelles sur les népenthes ou la « déesse aux pavots » du musée crétois d’Héraclion, la consommation de la coca à la cour de l’Inca ou les tribulations du vieux de la montagne et de ses Hachichins. Nous prendrons comme point de départ le début du XIx siècle. THOMAS DE QUINCEY rapporte, dans sa préface de « The confesions ot an opium cater » que les opiomanes « forment en vérité une catégorie fort nom¬ breuse. Il acquit cette conviction après que trois respectables pharmaciens de Londres, établis dans des quartiers considérablement éloignés les uns des autres. lui dirent que, le nombre des amateurs d’opium., était pour l’heure immense 2. Il ajoute que comme « il traversait Manchester, plusieurs flateurs de coton l’informèrent que leurs ouvriers étaient en train de contracter rapidement l’habi¬ tude de l’opium, si bien que, le samedi après-midi, les comptoirs des pharmaciens taient jonchés de pilules d’un, deux ou trois grains, en prévision des commandes du soir ». « La cause immédiate de cette pratique (ajoute-t-il) était la modicité des salaires qui, en ce temps-la, ne permettaient pas aux ouvriers de recourir à l’ale ou aux spiritueux; et l’on peut penser qu’elle cessera avec la hausse des salaires. » Il convient de remarquer que ces pilules d’opium étaient vendues sans aucune restriction réglementaire et que le seul souci des pharmaciens était « la difficulté de distinguer les personnes pour qui l’habitude avait fait de l’opium une nécessité de celles qui en achetaient dans le dessein de se suicider.. ». Avec la fin des guerres napoléoniennes, rien ne détourne plus les négociants occidentaux, surtout britanniques, de la recherche de nouveaux marchés. En 1833, sous la pression des milieux libres-échangistes, le privilège de la Compagnie des Indes Orientales n’est pas renouvelé; désormais, tous les négo¬ ciants anglais peuvent commercer avec la Chine, encore faut-il que la Chine les laisse entrer. Il ne s’agit pas seulement d’augmenter le volume du commerce, il faut aussi léquilibrer. (1) Médecin Inspcteur Géneral de la Sant. Représentant de la France à la ComIm sion des stuṕfiants des Nations Unies 79 RÉUNION D’INFORMATION La Chine, dont ils recherchent les produits comme le thé et la soie, n’a guère de besoins à satisfaire en échange. C’est seulemnent par de constantes et onéreuses livraisons de métal argent qu’ils peuvent compenser leurs achats à Canton. Il leur roste douc à trouver une denrée dont les Chinois soient acheteurs; une denrée si possible de forte valeur, facile à conserver, à transporter et dont la vente laise de gros bénéfices. L’onium présente ces différents caractères. Produit à bon compte par les paysans du Bengale, sujets de la Compagnie des Indes, it est d’un maniement facile sous peu de volume. Une seule difficulté. son importation est interdite par le gouvernement chinois pour des raisons d’hygiène et de morale. L’usage de tumer l’opiun avait déjà été interdit par l’empercur en 1729. Il faudra donc l’acheminer par contrebande. Un gros trafic clandestin s’orga¬ nise avec la complicité de fonctionnaires chinois. Cette contrebande assure de fructueux bénéaces à ceux qui la pratiquent, négociants français ou surtout anglais. La balance commerciale chinoise est déficitaire; Pékin s’inquiète de la crise monétaire qui s’amorce et envoie à Canton le haut mandarin LIN TSÉ Hst. en 1839 Il exige du Consul général EIrtor l’arrêt immédiat de la contrcbande, ipstitue la pcine de mort contre les délinquants, fait saisir 20 783 caisses d’opjun indien. soit environ 1 400 tonnes, les brûle et en fait jeter les cendres à la mer, au cours d’une importante cérémonie rituelle. Débat aux Communes, honneur à venger, occasion de forcer l’entrée du marché chinois Nankin est occtpée en juin 1842; en 1844, les Américains obtiennent les mêmes avantages que les Anglais; le 24 octobre de la même année. LAGRENÉE signe la convention franco-chinoise et obtient la liberté d’apostolat pour les missions catholiques. — 34 000 caisses d’opjun sont importées (en moyenne) par an entre 1835 et 1839, soit environ 2 400 tonnes: — 66 000 caisses en 1853. — 96 830 caisses en 1880, soit environ 6 585 tonnes. Mais l’Occident a des scrupules de conscience. Dès 1874, une « Société pour la suppression du commerce de l’opjum » avait ete fondée en Angleterre. La camupagne de l’Evéque BRENT en 1906, relative au grave problème de l’opjum aux Philippines, a des répercussions profondes aux Etats-Unis. C’est donc au début de ce xx° siècle qu’un concours de sentiments et d’atti¬ tudes psychologiques va provoquer, à l’instigation du président THÉODORE ROOSEVELT, la conférence de Changhai de 1909. Les délégués des 13 pays présents, dont la France, y reconnaissent « la sincérité inébranlable du gouvernement chinois dans ses efforts pour déraciner la production et la consonmation de l’opium ». L’acceptation, par la communauté interpationale des Etats des obligations qui ont été progressivcment imposées à chacun de ses membres au cours des années par les traités sur les stupéfiants rellête à la fois une prise de conscience toujours plus vive de l’universalité du problème et un esprit de coopération 73 SUR LES PRODUITS TOXIQUES DONNANT LIEU A ARUS internationale sans cesse accru : c’est là indéniablement une situation d’une grande importance dont nous examinerons sommairement l’évolution. La Convention de l’opjun de 1912 a établi les bases du contrôle international actuel des stupéfiants. En s’inspirant des principes énoncés dans ce traité, la convention de 1925 a créé le Comité central permanent de l’opium et demandé aux parties de fournir à cet organe semi-judiciaire, composéd’experts, des renseignements concernant les stupéfiants du stade de la production à celui de l’utilisation. Bien qu’efficace, la convention de 1925 comporte de sérieuses lacunes. Elle ne limite pas l’emploi de l’opjum, de la feuille de coca et du cannabis aux seuls besoins médicaux et scientifiques. La Société des Nations et sa « Commission consultative du trafic de l’opjun et autres drogues nuisibles » s’employèrent à améliorer et à renforcer la lutte contre l’abus des stupéfiants. C’est ainsi qu’une nouvelle convention fut élaborée en 1931 pour limiter la fabrication et l’importation des stupéfiants aux seuls besoins médicaux et scientifques. Les limites imposées par le traité se fondent sur l’évaluation préalable des besoins des gouvernements. On crée alors l’organe de contrôle qui examinera ces évaluations ou même pourra les établir en cas de défaillance d’un gouvernement. La période qui précéda immédiatement la seconde guerre mondiale vit la découverte des premiers stupéfiants synthétiques. Le nombre de ceux-ci augmenta rapidement et les Nations Unies, qui avaient entre temps repris les fonctions de la Société des Nations (de par le protocole de 1946), envisagèrent de les soumettre aux mêmes mesures de contrôle, le protocole de 1948 fut adopté à cet efret. L’opjum ne cessait d’alimenter le trafic illicite, soit en tant que tel, soit comme matière première pour la production de la morphine et de l’héroine; il demeurait la préoccupation constante des gouvernements et des organismes internationaux Après l’échec de l’établissement d’un monopole mondial du commerce de l’opjum, une conférence de plénipotentiaires adopta en 1953 un protocole visant à limiter et à réglementer la culture du pavot ainsi que la production, le com¬ merce international, le commerce de gros et l’emploi de l’opjum. Ce protocole, pour entrer en vigueur, prévovait la nécessité, pour ce faire. de la ratification ou de l’adhésion d’au moins vingt-cinq états dont au moins trois des sept états mentionnés comme « producteurs ». Cette clause ne fut remplie qu’en mars 1963 à la suite de la ratification, alors inattenduc, de la Grèce. Entre temps, fruit de dix années de travaux préparatoires, la Convention unique des Stupéfants de 1961 était finalement élaborée au cours d’une confé¬ rence de plénipotentiaires qui s’est tenue à New vork du 24 janvier au 25 mars 1961. Les gouvernements s’étaient en effet convaincus de la nécessité de codiffer les traités internationaux pour faciliter leur application et éliminer les faiblesses. du contrôle. 74 RÉUNION D’INEORMATTOY La Convention de 1961 reprend la plupart des dispositions des traités anté¬ rieurs de plus, elle comble notamuent deux lacunes importantes en limitant. d’une part l’usage de la feuille de coca, de l’autre celui du cannabis, aux seuls besoins médicaux ou scientifiques. Elle prévoit des dispositions transitoires imposant aux Etats qui autorisent temporairement l’usage non médical de l’opiun, de la feuille de coca ou du cannabis l’obligation de mettre fin à cette pratique dans des délais déterminés. La Convention unique est entrée en vigueur le 13 décembre 1963. Le parlemnent français a autorisé l’adhésion par la loi du 17 décembre 1968. La France a déposé les instruments d’adhésion auprès du Secrétaire général des Nations Uinies à New vork le 19 février 1969. Par application de l’article 41, elle est entrée en vigueur en France, le 30" jour après, soit le 21 mars 1969. Le décret du 2 mai 1969 décidait sa publication au Journat oiciet du 22 mai 1969. Bien que qualifée de Convention Unique de 1961, elle n’a pu reprendre complêtement les stipulations de la Convention de 1936 pour la répression du trafic illicite des drogues nuisibles. C’est à l’initiative de la délégation française que celle-ci a pu être maintenue en vigueur. Depuis le 2 mars 1968, les fonctions antéricurement dévolues au Comité central et à l’organe sont maintenant remplies par un « organe international de contrôle des stupéfiants » qui comprend onze experts indépendants; un membre en cst Français, le Pr REUTER. Il convient de signaler un premier élément de faiblesse de système : le principe d’universalité ne peut actuellement ̂tre applique dans les faits, les renseignements concernant la Chine (continentale) et la Corée du Nord font dangereusement défaut. De plus, le fonctionnement de ce système doit se concilier avec le principe intouché de la souveraineté nationale. L’efficacité tient donc en dernier ressort à la valour des administrations nationales. Il n’existe pas, dans tous les pays. une administration spéciale et un service central coordinateur. Certains pays sont souvent signalés comme ne fournissant pas les informations requises. notamment la Mongolic, le Népal, le Niger et le Vict-Nam du Nord (doc. E7OR723. noy, 1967). Des obligations découlent de l’application des couventions et protocoles internationaux concernant les substances classées comme stupéfiants. Chaque Etat, partie contractante, doit disposer d’une administration spéciale. avant pour mission sur son territoire : a) d’appliquer les prescriptions desdits conventions et protocoles: b) de réglementer, surveiller et controler le commerce des « drogues »: c) d’organiser la lutte contre les toxicomanies en prenant toutes les mesures utiles pour empècher le développement et pour combattre le trafc illicite. La mission de l’administration spéciale consiste notamment à : L. Pauce le loesoins muels e dunchumts de l'riut ou du teritoir, 38 elle a la charge. 2° Etablir les certificats d’importation de stupéfiants nécessaires à la couver¬ ture de ces besoins. 75 SIR LES DRODIIITS TOMIQUES DONNANT LIEL 4 ABUS 3° Contrôler l’entrée, la répartition et l’utilisation à tous les stades de ces stupéfiants, endosser les certificats d’exportation. 4° Etablir la comptabilité des stupéfiants. 5° Surveiller et contrôler, le cas échéant, la transformation ou la fabrication de stupéfiants; établir les certificats d’exportation nécessaires et controler les StOcKS. 6° Combattre le trafic illicite de ces substances et promouvoir toutes mesures utiles dans la lutte contre les toxicomanies; tenir un fichier des toxicomanes. établir les rapports de saisie. 7° Etablir ou modifer la réglementation nationale de ces substances, compte tenu des dispositions des traités internatiopaux en la matière et en fonction de l’évolution des forues de toxicomanies. 8° Tenir à jour la liste des personnes ou établissements autorisés à détenir. fabriquer, importer et faire le commerce des stupéfiants. 9° Etablir chaque année un rapport sur l’application des traités et remplir les formulaires statistiques trimestriels et annuols prévus. Pour assurer une bonne exécution de ces taches, l’administration spéciale, le plus souvent rattachée au Ministère chargé de la Santé Publique, doit être en liaison étroite avec : a) le service des douanes; b) les services de police; 6) un service spécialisé chargé de l’inspection des établissements, pharma ceutiques ou non, autorisés à détenir, importer, exporter, transformer, fabriquer et, en général, faire le commerce des stupéfiants et des préparations cn contenant. La lutte contre l’abus des stupéfiants dans le monde a donné des résultats très positifs, surtout en ce qui concerne les produits manufacturés. En 1928, les exportations mondiales étaient prudemment estimées par la Société des Natious à 6 972 Ke pour la morphine, 6 589 K« pour l’héroinc ct 3 230 Kg pour la cocaine; elles diminuaient rapidement, en 1935, à respecti¬ vement : 1 579 Kg, 226 Kg et 1 100 Rg. En efet, des quantités importantes de ces trois stupéfants étaient détournées. des fabriques dument autorisées pour alimenter les circuits illicites. Il n’y a plus pratiquement de fuites de ce genre. Il n’en reste pas moins vrai que le problème des stupéfiants demcure grave et que l’estimation la plus prudente des toxicomanies, dans certains pays, est alarmante. La moyenne du groupe d’âge inférieur des toxicomanes ne cesse de baisser. Si, vers les années 30, on estimait à 4 000 tonnes la quantité totale d’opjum à la disposition du trafic illicite, on estime actuellement qu’il dispose d’environ 1 200 tonnes. Cette quantité est supérieure au volume total de la production licite. L’opjum n’est plus guère utilisé en galénique. Il sert de matière première à l’extraction facile de la morphine, dont 90 % au moins sert à la fabrication de la codéine et de la dionine. Cette matière première dangereuse, elle-même toxicomanogène, ne peut plus être licitement produite que dans les pays à très bas niveau de vie; sa production 76 RÉUNION DINFORMATIOY n’est pas rentable à moins que des détourneinents, comme en Turquie, perinettent au cultivateur d’en améliorer la rentabilité. Elle n’est pas non plus indispensable, et déjà un tiers de la morphine néces¬ saire à l’industrie est extraite directement des capsules, sans passer par le stade opjui, autrement dit extraite de ce qu’on appelle la paille de pavot. Les pays où l’héroine se fabrique et se consomme licitement sont en très petit nombre d’autant moins nombreux que la Convention unique l’a mise à son tableau IV, c’est-à-dire qu'’elle en recommande l’interdiction d’emploi (1). En 1965, il en a été consommé en tout 65 Kg dont 56 au Rovaume-Uni, 7 en Belgique et 2 en France. Tandis que les quantités de feuille de coca utilisées pour la fabrication licite de la cocaine et de produits aromatiques varient de deux cents à cina cents tonnes, la presque totalité de la récolte annuelle en Bolivie et au Pérou, soit 12000 à 15 000 tonnes, est mastiquée par les Indiens des Andes. Au Pérou, la régie de la coca suit de très près la consommation taxée de ces feuilles et donne, pour 1965. une production de 9076 759 Kg. La consommation licite de cocaine a beaucoup baissé, elle ne s’élève qu’à un peu plus d’une tonne, mais son trafic illicite s’est plutôt accru ces dernières années. L’abus du cannabis est le plus répandu de toutes les substances placées sous le contrôle international et est celui sur lequel on manque de renseignements précis; les gouvernements n’ont l’obligation de fournir des données statistiques complêtes que depuis l’entrée en vigueur de la Convention unique. Il est employé licitement en Inde et au Pakistan en médecine traditionnelle et à des fins non médicales; toutefois, l’Inde a interdit l’utilisation de la résine de Cannabis (Haschich. Chira). Ces deux pays, en ratiflant la Convention unique, se sont engagés à mettre un terme à l’usage non médical du cannabis et de la résine dans un délai de 25 ans à dater de l’entrée en vigueur de la Convention. La Convention unique de 1961 a, sur l’avis de l’OMS, et de son Comité technique, classé le cannabis parmi les sufstances particulièrement dangereuses et a recommandé aux gouvernements d’en interdire d’une façon générale la production, la distribution et la consommation, même à des fins médicales Pour donner une idée des abus possibles, il sufft de rappeler quelques chiffres : en 1968, l’Afrique du Sud informe qu’elle a saisi 1 242 tonnes de plantes de cannabis, le Maroc indique officiellement aux Nations Unies que cette année « les plantes de cannabis sont cultivées sur une superficie de 3 000 hectares et que le rendement est de 20 à 50 quintaux à l’hcctare ». Au Liban, 5 000 hectares étaient plantés de cannabis, et en janvier 1969, la Commnission des stupéfiants des Nations Unies pouvait féliciter son gouvernement et son président CHARITSs HÉLot qui¬ par un courageux « plan vert », avaient réussi en trois ans à substituer sur 2 887 hectares des cultures de tournesol. Les conventions internationales ont chcrché à « stériliser le milieu », à réduire l’ofre sans autrement se préocuper de la demande Toutefois, un tournan () par décret 70127 du fvrier 1970 (10 du lt, fvrier), la France vient a’interdire (sauf dérogations) l’emploi en thérapeutique de l’héroine. 77 SUR LES PRODUITS TONIQUES DONNANT LIEL A ABLS s’est amorcé avec la Convention de 1961 qui, dans son préambule approuvé par les 74 pays de la Conférence de plénipotentiaires, se déclare soucieuse de « la santé physique et morale de l’humanité » et reconnait que « la toxicomanie est un fléau pour l’individu et constitue un danger économique et social pour l’humanité ». Elle se garde bien toutefois de définir la toxicouanie, mais son article 38 stipule : « les parties prendront particulièrement en considération les mesures à prendre pour faire traiter et soigner les toxicomanes et assurer leur réadaptation ». Elle a par contre défini le terme « stupéfiant » qui désigne toute substance inscrite aux tableaux I et II, naturelle ou synthétique. L’Organisation Mondiale de la Santé, lorsqu’elle constate qu’une substance peut donner lieu à des abus analogues et produire des effets nocifs analogues à ceux des stupéfiants déjà inscrits, fait des recommandations, dont elle avise la Commission des stupéfiants des Nations Unies, qui prend les décisions pertinentes. L’Organisation Mondiale de la Santé, à plusieurs reprises, notamnment en 1957, essava de définir la « toxicomanie » (drug addiction) et l’accoutumance (drug habituation), mais devant la confusion persistante entre ces terines, surtout dans la réglementation américaine l’O M.S, constatant que la liste des droques qui donnent lieu à abus s’est accrue et diversifiée, rechercha un terme appli¬ cable à l’abus des drogues de toutes sortes. L’élément commun aux diff́rents abus a semblé aux experts être un « état de dépendance », qu’il soit psychique ou physique ou qu’il ait ce double caractère. L’O.M.S. a donc demandé l’abandon du terme toxicomanie et l’utilisation de « dépendance » en l’emplovant avec l’indi¬ cation du type de drogue auquel il correspond. La « dépendance » se définit comme un état qui résulte de l’absorption périodiquement ou continuellement répétée d’une certaine drogue. Ses caractéristiques varient suivant les drogues, on précisera donc dans chaque cas le type particulier dont il s’agit : morphinique. cocainique, cannabique, alcoo-harbiturique, amphétaminique. Les experts décrivent également les types dont le Khat et les hallucinogènes provoquent l’apparition. Néanmoins, on dut garder, notamment pour des raisons juridiques, l’emploi du terme « toxicomane ». Et l’on a accepté de considérer que l’on avait une toxi¬ comanie lorsque l’on était en présence de tous les critères d’une dépendance. Mais désirant conserver à ce terme toute sa force, on proposa l’emploi du terme très général d’ « intoxiqué » dans les autres cas, l’état de celui-ci étant une « toxitude ».. On a pu constater ces dernières années un changement d’orientation, la Com¬ mission s’est davantage intéresséc aux causes, notamment socio-économiques des abus de drogues. Un psychiatre représente maintenant l’O M.S. à la Commision des Stupéfiants des Nations Uinies et l’inftuence du corps nédical, notamment aux Etats-finis s’est accruc. La psychopharmaçojogie nous a donné d’excellents médicanents, mais ceux-ci donnent partois lieu à des abus. La réglementation internationale de ces Psychotropes, que l’on a pas pu ou pas voulu considérer comme des stupéfiants. est la tâche maicure de la Commission des Nations Unies depuis plusieurs amnées et la tache unique de la session qui se tient actuellement à Genève. RÉUNIOY DINEORMATION 78 Dès 1966, une résolution était facilement adoptée à l’unanimité pour recom¬ mander que l’utilisation du LSb) et des substances analogues « soit limnitée à la recherche scientifique et à des fins médicales et qu’elles ne soient aduinistrées que sous une surveillance médicale stricte et continue ». « Elle condamne toute autre utilisation de ces substances et demande instamment aux gouvernements de prendre toutes mesures propres à y mettre un terme. » On aurait pu se mettre d’accord assez facilement en ce qui concerne les amphétamines déjà réglementées comme des stupéfiants dans certains pays; mais pour des raisons politiques et techniques, il fut jugé nécessaire d’établir un projet de protocole sur les psychotropes venant compléter sur ses ailes la Convention unique, contrôle plus strict pour les hallucinogènes et moins compliqué pour les amphétamines, les barbituriques et les tranquillisants Nous sommes loin de notre point de départ, puisque nous cherchons main¬ tenant à donner aux pays la possibilité de ne laisser pénétrer sur leurs territoires que les quantités de psychotropcs nécessaires pour leurs besoins médicaux et scientifiques. Nous sonmes, en ce qui concerne ces drogues (hallucinogènes exceptés), dans la situation où nous étions pour les stupéfants manufacturés avant les Conven¬ tions de 1925 et 1931. C’est ainsi que de façon parfaitement licite, des tonnes d’amphétamines et de barbituriques sont exportées, notamment vers l’Extrême¬ Orient, pour des usages non médicaux. La lutte contre l’abus des drogues entre dans une nouvelle phase où la préven¬ tion doit jouer un rôle de plus en plus important; l’O.M.S. nous recommande des études notamment psychosociologiques des facteurs qui développent l’épidémie des nouveaux abus. Je terminerai en signalant un article de S. TAOI, paru dans le dernier numéro de la très sérieuse publication internationale éditée par les Nations Unies : Le Bulletin des Stupéfiants. Cet articte très instructif est intitulé : « L’Apologie des stupéfants dans la musique de Bock and Boll ». Certains se souviennent d’un immuense succès des Beatles en 1966 : « Yelloy Subnarine » (sous-narin jaune) qui, dans la version française, était devenu vert; en argot anglais, il s’agit d’une petite capsule jaune contenant des amphétamines ou toute autre drogue. Le narrateur raconte simplement que ses amis et lui vivent tous à l’intérieur d’un sous-marin jaune. Il convient de signaler que quelques artistes de % Bock and Roll », inquiets de la nouvelle tendance de la musique, se sont essavés le plus souvent, avec moins de succés, à des chansons dont les paroles sont diriǵes contre les droques. Je terminerai en citant en guise de souhait quelques paroles de KIcKs, du groupe américain PAUI. REYERE : « Betore vou find out its 19 lale vou’d better get straight e. « Avant de t’aperccvoir qu’il est trop tard tu ferais bien d’y renoncer ». d’approvisionnement. ASPECTS DE LA TOXICOMANIE EN FRANCE PIERRE OTTAVIOLI (1) Quels sont, aux veux du policier, les aspects de la toxicomanie aujourd’hui dans notre pays, c’est ce que vous avez bien voulu me demander et dont je vais essayer de vous faire part. Il me faut préciser tout de suite que les indications qui vont suivre sont tirées uniquement de l’observation du phénomène sur le plan parisien, la province n’ayant été contaminée que tout récemment et dans des conditions qui, pour l’heure, ne peuvent apporter qu’un complément statistique, d’ailleurs faible. Nous nous trouvons, actuellement, en matière d’usage de stupéfiants, devant une situation en pleine évolution. Cette évolution se manifeste dans le sens de l’aggravation. Le phénomène, tel qu'’il se présente aujourd’hui, ne peut donc être défni. pour être bien compris, qu’en fonction de ce qui existait avant que n’apparaissent les signes précurseurs de détérioration. Il est nécessaire, dans un premier temps, de rappeler que le problème de la drogue en France n’est pas nouveau. C’est ainsi que, dès le début du siècle, une drogue comme l’opium avait en France de nombreux adeptes recrutés parmi les Français avant séjourné dans nos possessions d’Indochine ou du Pacifique et parmi la colonie chinoise et indo¬ chinoise implantée à Paris. C’est d’ailleurs à cette époque (1910) que le premier service spécialisé en matière de répression de l’usage et du trafic des stupéfiants devait être créé dans le ressort de la Préfecture de Police. C’est ainsi également qu’en 1924, on chiffrait le nombre des adeptes de la cocaine à 80 000 pour la seule agglomération parisienne et qu’on estimait habi¬ tuellement que 50 % des prostituées de Montmartre étaient cocainomapes. Quant à l’héroine qui, dès 1932, s’est substituée dans une large part à l’opium et à la cocaine, elle devait connaitre jusqu’à la guerre une vogue certaine. La seconde guerre mondiale a amené une cassure profonde et les intoxiqués. quelle que soit la drogue qu’ils utilisaient, se sont trouvés coupés de toute source (1) Préfecture de Police de baris. 80 RÉUNION D’INFORMATION Dans les années qui ont suivi et jusqu’à une époque récente, le phénomène s’est ainsi stabilisé et la situation qui existait il y a encore quelques années pouvait être considérée comme extrèmement satisfaisante. En effet : — la cocaine et l’opjum avaient quasi totalement disparu: — l’héroine, si elle conservait un certain nombre d’adeptes, ne les recrutait en nombre limité que parmi certains milieux bien connus, aux limites précises ou le prosélytisme n’était pas de mise; — quant au haschisch, après une petite flambée sans lendemain parmi la faune « existentialiste » des années 1950, il restait le fait de la colonie nord¬ africaine. Cette situation favorable avait pour caractéristique essentielle, outre ce qui vient, d’être dit en ce qui concerne les drogues utilisées, que les toxicomanes se recrutaient quasi uniquement parmi les adultes. En 1965 encore, seulement 13 %% des individus interpelles par la Brigade Mondaine avaient moins de 21 ans. Parmi ces mineurs, 9 sur 10 étaient d’ailleurs âgés de plus de 20 ans. Autre caractéristique, près de la moitié des interpellations portaient sur des étrangers et cette proportion atteignait 60 % pour les mineurs. Au stade policier, les premiers signcs de recrudescence de la toxicomanie ont commencé à se manifester vers 1966. Ces signes nous sont apparus comme directement liés au phénomène « beatnick » et à ses manifestations en France. Cette liaison peut paraitre sommaire et elle n’a d’ailleurs pas la prétention de refféter la réalité globale du phénomène dans toute son évidente complexité. Il s’agit néanmoins d’une constatation pratique. Dès 1966, il est en effet apparu que la faune de jcunes étrangers implantés à Saint-Germain-des-Prés et sur les quais de la Seine était composée en majorité d’individus adeptes de la drogue. Originaires le plus souvent de pays anglo-saxons où la toxicomanie avait parfois atteint des dimensions sans rapport avec ce qui existait en France, ces individus fumaient le haschisch et en pronaient l’usage dans la mesure où ils le considéraient comme un des éléments essentiels de leur pseudo-philosophie basée sur la négation des institutions traditionnelles, le refus de toutes contraintes, l’indifférence à l’égard du lendemain auquel n’est accordé aucun sens et une prétendue recherche intellectuelle hors des voies classiques. Grands voyageurs d’autre part, attirés par les pays producteurs de haschisch. ils ramenaient dans leurs bagages de petites quantités de drogue destinée non à un trafc, mais à des fumeries collectives. Ces « bcatnicks », par leur mode de vie : liberté de mouvement, de mœurs, etc. leur style vestimentaire même, le folklore qu’ils représentaient, ne manquèrent pas de faire des adeptes parmi la jieunesse parisienne. Au prosélytisme philosophique s’ajouta, tout à fait naturellement, le prosélytisue en matière de drogue. Aussi bien, le nombre des jeunes français intoxiqués commençait-il à aug¬ menter parmi les arrestations opérées dans le milieu « beatnick ». Les années suivantes, le phénomène n’a fait que s’amplifier. Aujourd’hui, la liaison avec le phénomène « beatnick » est conplêtement dépassée en raison de l’élargissement très net des couches sociales intéressées. La principale caractéristique de la recrudescence actuelle de la toxicomanie est qu’elle concerne uniquement le milieu des jcunes. l’héroine, les produits de substitution. SUR LES PRODUITS TOXIQUES DONNANT LIEU A ABUS Cette recrudescence ainsi caractérisée se démontre à l’échelon répressif par les constatations suivantes : — L’augmentation du nombre des affaires réalisées : 355 personnes inter¬ pellées en 1969 (108 en 1965, 119 en 1966, 205 en 1967, 187 en 1968). — Par l’importance des saisies. Cela est particulièrement vérifiable en ce qui concerne le chanvre indien : 108 R saisis en 1969 (67 Kg en 1968, 26 K8 en 1967). — Par l’élargissement des couches sociales touchées : étudiants, ouvriers. emplovès, etc. — Par l’activité de notre service spécialisé qui, outre les affaires d’initiative. est de plus en plus sollicité par des parents, des éducateurs, etc, qui ont découvert que leurs enfants ou ceux dont ils ont la charge étaient susceptibles d’user de stupéfants. — Par le fait qu’en 1969, 38 % des individus arrêtés avaient moins de 21 ans ct 90 % moins de 30 ans, la progression des pourcentages à cet égard étant parti¬ culièrement caractéristique puisque nous avions: — moins de 21 ans : 1965: 13 %%. 1966: 20 %%. 1967: 27 %. 1968: 28 %%: — moins de 30 ans : 1965: 38 . 1966 : 54 %. 1967 : 67 %% 1968: 70 %%. Encore faut-il constater que sur les 132 mineurs de 21 ans interpellés en 1969, 19 seulement étaient agés de moins de 18 ans dont 11 de 17 ans. Quelle est donc la situation actuelle ou du moins comment apparait-elle au travers de l’expérience policière 2 Quels sont les jeunes qui sont attirés par la drogue 2 Quelles drogues utilisent¬ ils 2 Comment se les procurent-ils 2 Sur le plan de l’analyse, les réponses à donner à ces diverses questions ont un point commun : la nature de la drogue utilisée. Aussi bien, ces réponses doivent-elles être recherchées au niveau des drogues dont la consommation est la plus répondue et que pratiquement il faut diff́rencier entre le chanvre indien. 81 LE CHANVRE INDIEN Il s’agit du stupéfiant dont l’usage est le plus répandu actuellement. En France, cette drogue, une des plus anciennes utilisées dans le monde. a été quasiment inconnue jusqu’à l’immédiat après-guerre. Son usage s’est développé après 1945 à la suite de l’implantation de plus en plus massive sur le territoire métropolitain de musulmans d’Afrique du Nord et MONOGH, ISSERM. 82 RÉUNION D’INFORMATION de la présence de contingents de l’Armée américaine comptant de nombreux fumeurs, surtout parmi les hommes de couleur. La recrudescence qui, comme il a été dit, a pris à notre avis naissance dans le milieu « beatnick » s’est manifestée grâce à l’usage du haschisch. C’est ainsi que sur les 355 individus interpellés en 1969 par la Préfecture de Police, 203 l’ont été pour usage ou trafic de haschisch, 74 d’entre eux étaient mineurs. Cette vogue peut s’expliquer par divers arguments : — Le haschisch est considéré comme une drogue mineure. Ce sentiment permet plus facilement de franchir le premier pas. Avec le haschich, on accepte l’expérience en arrivant facilement à se convaincre qu’elle sera sans lendemain. Cette absence de nocivité du haschisch est d’ailleurs soutenue, en particulier. dans les pays anglo-saxons par des personnalités de divers horizons dont la position ne manque pas d’être portée à la connaissance du grand public. — C’est la drogue dont l’usage est le plus simple : elle se fume. Elle peut donc être utilisée dans un lieu public : cafés, squares, rues, etc, sans attirer spécialement l’attention. Là intervient également le phénomène social que constitue la cigarette qui s’offre, se passe de main en main lors de réunions collectives. Cette forme d’uti¬ lisation favorise le prosélytisme et l’initiation. — C’est le stupéfiant le moins cher (3 F le petit cube) et le plus facile à se procurer. Le cannabis est en effet cultivé dans de nombreux pays : l’Afrique du Nord. le Liban, la Jordanie, la Turquie, la Grèce, l’Inde, etc. Sur place, il est très facile de s’en procurer à des prix souvent dérisoires. Pour cela, il n’est pas nécessaire d’avoir des contacts avec des trafiquants locaux. d’être présenté, introduit dans leur milieu.., quelques démarches dans certains quartiers suffisent souvent au touriste pour qu’il obtienne une quantité de drogue de plusieurs kilogs. Quant aux difficultés de frontières, elles sont facilement surmontées surtout lorsqu’il s’agit de petites quantités de droque. Les sources étant nombreuses, le haschisch donne lieu à de multiples petits trafics qui sont souvent le fait des intoxiqués eux-mêmes qui deviennent des trafiquants occasionnels. A part la colonie nord-africaine diffcile à pénétrer où existent des réseaux internes d’approvisionnement qui débordent parfois, il ne peut être question de trafic organisé. Il est bien certain que les quantités de haschisch introduites en France sont de plus en plus importantes et ce, très normalement, en fonction de l’aug¬ mentation du nombre des passeurs et des fumeurs. Cette augmentation est très nette : 26 Kg de haschisch saisis en 1966, 24 Kg en 1967, 67 Kg en 1968, 108 Kg en 1969. Mis à part les Nord-Africains qui ne constituaient pas une clientèle nouvelle. le haschisch est aujourd’hui la drogue reine chez les jeunes. C’est l’exemple type de la « surprise-party » où l’un des participants fait circuler une cigarette de chira que le profane, par bétise, curiosité ou bravade. Cette expérience, en quelque sorte fortuite, n’amènera, dans la plupart des cas, aucune conséquence grave. Il n’en reste pas moins que le premier pas aura été franchi et que l’expérience montre que la quasi-totalité des intoxiqués à l’héroine ont toujours contmencé « bétement » par fumer une, puis plusieurs cigarettes de haschisch. 83 SUR LES PRODUITS TONIQUES DONNANT LIEU A ABUS Ses adeptes se recrutent bien sur parmi les « beatnicks » et toute la faune marginale qui s’y assimile. On le trouve également chez des jeunes gens étudiants. ou jeunes oisifs, ou ouvriers, employés qui ont l’occasion de trouver occasion¬ nellement de petites quantités de drogue. L’usage du haschisch nous amène d’ailleurs à différencier l’intoxiqué et l’usager occasionnel qui, dans certaines circonstances bien déterminées, ont un jour l’occasion de fumer une cigarete. utilisera avant de la passer à son voisin. L’HÉROINE L’héroine est l’une des drogues classiques qui, depuis les années 1930, a cousacré d’une année sur l’autre un certain nombre d’adeptes en France. Stabilisée depuis la fin de la guerre, tant en ce qui concerne l’importance numérique de ses adeptes que les milieux touchés, l’héroine connait actuellement. elle aussi, une vogue nouvelle particulièrement inquiétante. C’est ainsi qu’en 1969, sur 355 individus interpellés, 74 étaient des héroino¬ manes et que 30 d’entre eux étaient mineurs. Son usage est, bien sur, plus limité que celui du haschiscb. Par contre. l’héroine n’est jamais le fait d’usagers occasionnels. Son utilisation est l’abou¬ tissement, souvent dramatique, d'une dégénerescence de l'individu, tant sur le plan physique que celui de l’esprit. On n’arive pas directement à l’héroine. Le chemin qui y mène passe par la première cigarette de haschisch que l’on fume, le premier tube d’amphétamines. Encore faudra-t-il par ailleurs s’intégrer dans un monde à part où l’on pourra rencontrer l’héroinomane ancré dans son vice en quête de la drogue ou en procu¬ rant l’usage à d’autres dans la recherche d’une sorte de justification personnelle ou de moyens d’existence. Encore faudra-t-il aussi diluer la poudre blanche, remplir la seringue et s’iniecter la solution par voie intraveineuse. L’intoxication sera rapide et grave : une piaure par jour, puis deux, puis parfois cinq ou six et cela au bout d’un mois. Ensuite l’esclavage physique et moral, la déchéance à plus ou moins longue échéance. L’intoxiqué à l’héroine répond donc à certaines conditions limitatives tenant à l’évolution de sa personnalité et de sa manière de vivre. Fort heureusement, sa limitation existe aussi quant aux possibilités d’appro¬ visionnement. L’héroine est en effet un p oee ce gmmormnagon qur irecessite, outre des RÉUNION D'INFORMATION 84 quantités importantes de morphine base, des laboratoires clandestins. On entfe directement dans le cadre de trafic organisé qui, à la source, ne peut être le fait que de malfaiteurs importants. Ceci est particulièrement net si l’on se réfère au trafic international dont cette drogue fait l’objet. En France, l’héroine est rare et c’est ainsi qu’en ce qui concerne Paris, il est possible d’affrmuer qu’il n’existe pas de reseaux de trafquants orga¬ nisés bénéficiant d’un approvisionnement régulier. Les sources sont diverses et souvent occasionnelles. Comme il l’a été constaté lors de la quasi-totalité des afaires importantes réalisées récemment, l’approvisionnement se fait le plus souvent à Marseille ou les petits trafiquants ct aussi les intoxiqués se rendent pour acheter quelques dizaines de grammes de drogue largement additionnée de lactose. Quant à l’origine de la drogue, il est possible de penser qu’il s’agit de petites quantités de produit pur détourné par les intermédiaires du trafic international, à destination en particulier des Etats-Unis. Bare, l’héroine est bien sur chère : 50 francs le gramme de drogue frelatée. en moyenne. En fait, le marché n’étant pas suivi, la loi de l’offre et de la demande prédomine et le prix moyen de 50 francs est souvent dépassé. Quoi qu’il en soit, nous rencontrons aujourd’hui des jeunes gens intoxiqués à l’héroine, alors que ce phénomène était devenu quasi inexistant ces dernières années. « LES PRODUITS DE STRSTTTTIOY Utilisés comme succédanés par les intoxiqués, par les jeunes pour s’initier à la drogue, certains produits pharmaceutiques et, en particulier, ceux à base d’amphétamines, provoquent des intoxications extrémement sérieuses. Il faut d’ailleurs préciser immédiatement, que ces intoxications ne sont pas dues à un usage inconsidéré de ces produits dans un but thérapeutique mal compris, mais qu’elles sont le résultat d’une utilisation anarchique dans le but d’obtenir des effets similaires à ceux des stupéfiants. Les produits en cause sont le plus souvent transformés : les comprimés sont pilés, dilués, la solution est filtre et prise par voie intraveineuse à des doses insensées. La vogue de ces produits n’a fait que se confrmer en 1969, en particulier chez les jeunes (2 des mineurs interpellés prenaient des amphétamines). Sur le plan de la répression, les problêmes posés sont différents de ceux existant pour les stupéfiants faisant l’objet d’un trafc : il s’agit en effet de médi¬ caments vendus en pharmacie, soit librement, soit sous certaines conditions de délivrance. Lorsqu’il s’agit de produits en vente libre comme l’Elixir Parégorique ou le Corvdrane (aspirine amphétaminée), l’utilisateur ne se trouve en infraction que lorsqu’il transforme le produit pour en extraire les principes actifs. Lorsqu’il s’agit de spécialités inscrites au tableau des substances toxiques. l’utilisateur est bien sur obligé d’utiliser ves ordonnances tausses raisnees 06 occasionnel de LSD. la mesure où il peut assouvir son vice. SUR LES PRODUITS TONIQUES DONNANT TIEL A ARIS 85 volées. La répression peut donc avoir pour objet, outre l’utilisation détournée du produit, les conditions dans lesquelles il a été obtenu. Il n’en reste pas moins que dans la réalité, il est bcaucoup plus facile de se procurer un médicament à base d’amphétaiine par exemple, même délivré sur ordonnance, quc du haschisch ou de l’héroine. En outre, la plupart des produits utilisés sont bon marché (2 francs le tube de Corydrane). Il faut également préciser qu’en la matière existe une sorte de mode portant sur un produit déterminé. Lorsque ce produit, après avoir été signalé aux services intéressés, fait l’objet de mesures restrictives plus strictes, quant à sa délivrance, il est rapidement remplacé par un autre : exemple : Maxiton-Fort remplacé par le Tonédron, puis par la Préludine, etc. Le nombre important des spécialités pharmaceutiques existant en France constitue un obstacle certain à une action décisive en ce domaine. Comme il a été dit, les intoxications provoquées par ces produits sont extrêmement sérieuses et nous avons été amenés à interpeller des jeunes gens que l’abus des amphétamines avait réduit à l’état de loque humaine, tant sur le plan physique que psychique. Quant aux autres stupéfants : morphine, cocaine, opjum. LSD, leur usage n’est pas courant et il n’y a quasiment pas de marché les concernant. C’est ainsi en particulier que seuls deux mineurs ont été interpellés en 1969 pour usage En conclusion, il apparait nécessaire de faire part de certaines consta¬ tations quant à la personnalité des intoxiqués que nous interpellons. Sur un plan statistique tout d’abord : 57 % des individus interpellés sont sans profession ou sans emploi; — 80 % des mineurs sont issus de familles désunics (parents divorcés séparés ou enfants vivant hors de leur famille): — 70 %% des personnes interpellées sont d’instruction primaire. Ces chifres ont bien sur une valeur relative. Ils montrent cependant que le toxicomane est souvent un inadapté. Cette inadaptation le conduit à la drogue ou en fera un déclassé vivant dans un monde à part. Le toxicomane, et en particullier l’intoxiqué à l’héroine, devient en efet rapidement le sujet d’une mutation qui se manifeste dans tous les domaines : En particulier : — Son existence matérielle ne compte pas : il se moque de la façon dont il est vétu, néglige son alimentation, n’a aucun besoin sexuel. — Son domicile est le plus souvent une chambre d’hôtel, dépersonnalisée. dont il change souvent. L’aspect de ces chambres est toujours le même : rideaux tirés, lit défait. vêtements épars, cendriers pleins. — Les notions de famille, d’amitié disparaissent. Le jeune toxicomane, par exemple, ne se soucie de ses parents que dans la mesure où ils peuvent lui fournir de l’argent nécessaire à l’achat de drogue. Son entourage ne l’intéresse que dans RÉUNION D’INTORMATTON 86 — Lache et veule : il dénoncera facilement ses complices, l’intoxiqué mani¬ festera cependant toujours une certaine solidarité vis-à-vis d’un camarade en état de « manque ». — Incapable de fournir un quelconque travail, sans autre horizon que sa dose journalière, le toxicomane ne vit que d’expédient : mendicité, vol, prosti¬ tution. Rien ne l’arrête. Dans tous les cas, sa déchéance physique et morale est évidente et souvent irréversible. Mais je ne crois pas qu’il convienne de terminer sur un tableau aussi noir. Il n’a été dressé que par référence aux cas extrêmes dont nous avons eu à connaitre. Le nombre de ces cas est encore fort heureusement peu élevé. Le phénomène n’est pas si généralisé qu’il a pu apparaitre parfois au travers d’interprétations hâtives. S’il faut être vigilant, il ne faut pas dramatiser. Surtout, ic mue permettrai en terminant de dire : ne suscitons pas de vocation. DISCUSSION SUR LES RAPPORTS DE MM. MABILEAU ET OTTAVIOLI Intervenants : outre les auteurs des rapports. MM. BOISSIER, DEFER, TOLLIN et POROT Le Pr BOISSIER, en premier lieu, s’interroge sur la valeur des statistiques officielles et internationales concernant le nombre de « drogués », étant donné la liberté de circulation de nombreux produits dans certains pays, et donc l’absence de contrôle. Le Pr BOISSIER souhaiterait connaître quel pourcentage des consommateurs de « drogues » représentent les drogués avérés comptabilisés par la police et signalés par M. OTTAVIOLI. Il rappelle que ce ne sout pas ces derniers qui intéressent les médecins et chercheurs présents, mais les drogués débutants ou en risque de le devenir. Le Pr BOISSIER, d’autre part, signale que l’expérience à présent bien connue du Québec devrait inciter les responsables à ne pas conserver l’illusion que seuls des sujets à tendances psychopathes et de familles désunies sont attirés par la toxicomanie. Enfin, le Pr BOISSIER signale qu’il ne convient pas de limiter ces études aux produits psychotropes, mais également aux médicaments non réputés psycho¬ tropes, utilisés avec des indications sans rapport avec la thérapeutique mentale. mais qui peuvent posséder des propriétés psychotropes et psychodysleptiques, par exemple la phénacétine. Le Dr MABILEAU précise que les statistiques portant sur le nombre des toxico¬ manes sont toujours considérées comme des évaluations minimales, chaque gou¬ vernement n’ignorant pas que les taux réels sont très supérieurs. Mais ces mini¬ nums, et leur évolution, sont néanmoins intéressants en soi. Par exemple, aux Etats-Unis d’Amérique, pendant très longtemps, on disait 50 000 héroinomanes, maintenant on est à 80 000, mais les Américains disent : « le double, au moins : 2: Mais de toute façon il y a des proportions qui restent à peu près valables; à peu près la moitié de leurs toxicomanes sont Newy-Yorkais, et les deux tiers de ceux-ci sont Porto-Riçains ou noirs. Quand on suit régulièrement les données, et par une étude critique des informations, on peut avoir une idée de l’évolution de la situation. Pour le Pérou, les chiffres donnés (13 à 15 000 tonnes de feuilles de coca entre le Pérou et la Bolivie) sont faux mais ce sont des évaluations minimales. Des feuilles de coca sont prises en charge par la régie, revendues et taxées. La régie de la coca, au Pérou, éditc chaque année une brochure avec toute la cartographie RÉUNION DINFORMATION 88 de la production, etc, comme pour le tabac chez nous, c’est une des meilloures administrations péruviennes; mais lorsqu’elle dit 9 millions de Kilos en telle annéc. c’est ce qui est passé par chez eux, mais la consommation réelle est peut-être de moitié plus. Le Dr MARILEAL reconnait qu’un des sens particulier juridique a été donné au terme « psychotrope ». Bien qu’il ne convienne pas totalement aux pharmaço¬ logues, on doit cependant l’utiliser puisqu’il a été accepté sur le plap interna¬ tional, après bien des difficultés et à défaut d’un terme plus approprié. M. OTTAVIOLI confirme à son tour qu’en effet les statistiques des services de police n’ont de valeur que pour ce qui concerne les intoxiqués vrais, que ceux-ci ont leur importance, car ils sont dangereux, et méritent que l’on s’occupe d’eux en premier. Le Pr BOISSIER déplore que le fumeur novice risque d’être traité de la même façon que le drogué avéré. M. OTTAVIOLI répond que tout utilisateur de produits interdits peut faire l’objet de poursuites, mais que dans les faits, les cas sont bien différenciés. M. le Doyen MALANGEAU rappelle tout ce qui est fait actuellement sur le plan législatif et réglementaire pour faciliter la distinction entre l’utilisateur habituel, ou le consommateur occasionnel qui, effectivement, doit bénéficier d’un traitement dif¬ férent. Le Dr DErEn signale l’énorme intérêt des études épidémiologiques en matière de toxicomanie ou de pharmaço-dépendances. En rassemblant et en confrontant les estimations officielles, les statistiques policières, les résultats d’enquêtes socio¬ logiques, les données cliniques recueillies par les services médicaux et sociaux, et les travaux publiés dans d’autres pays, la démarche épidémiologique est suscep¬ tible de renseigner assez précisément sur la nature des drogues utilisées, sur l’extension des abus, sur les habitudes, l’origine sociale et la persoppalité des consommateurs. Les études épidémiologiques ont une valeur rétrospective et aussi prospective. Elles sont pécessaires à la mise en place des mesures préventives et sont complémentaires de l’approche individuelle des toxicomanes. Par exemple, les éléments quantitatifs et qualitatifs issus des enquêtes de I’OPTAT et de Mme BApoUco-THoMAs chez les étudiants du Québec sont assez analogues à ceux qui ont été produits par M. OrrAvIOLI et à ceux que lui-même a dégagés avec M°e BILLTARD de l’étude d’une épidémie de cannabisme à Strasbourg en 1967, avant elle-même constitué le modèle des autres épidémies apparues par la suite dans d’autres régions françaises. A une question sur le nombre de fumeurs de chanvre indien en France, le Dr DETER répond qu’il l’ignore, mais qu’à Strasbourg et dans les environs il y en a eu certainement plusieurs centaines de 17 à 25 ans : on a fumé à la sortie des lycées et des facultés, dans un internat, dans des bars où se rénnissaient des étu¬ diants, des employés et des ouvriers alsaciens, des citadins et des ruraux, des garçons et des filles, des marginaux, des voyageurs étrangers revenus du Moyen¬ Orient. SUR LES PRODUITS TOYIQUES DONVANT LIEL A ARUS 89 Ceux qui avaient transité par les pays de consommation traditionnelle avaient rapporté de petites provisions de chanvre et, après en avoir réservé une part pour leur consommation personnelle, ils écoulaient le reste pour subsister. L’approvi¬ sionnement s’est trouvé complété par la filière rhénane (de Rotterdam à Bâle) et par des revendeurs de Paris et de Marseille. La plupart des jeuues consommateurs n’ont gouté au chanvre que quelques fois; d’autres ont présenté plusieurs dizaines ou centaines d’ivresses. Cela s’est su et une enquête policière avant abouti à des arrestations a interrompu l’épidémie, qui a repris à bas bruit quelque temps après. Le Dr FOLLIN, à propos du terme « drogues de substitution » utilisé précé¬ demment et qu’il estime dangereux étant donné l’usage réel de ces produits, rap¬ porte les observations suivantes : Dans les 8 à 10 derniers mois, le Dr FOLLIS a été amené à examiner une dizaine d’inculpés plus ou moins toxicomanes (deux d’entre eux inculpés pour autre cause), au lieu de un par an, les années précédentes. Or quelques-uns n’uti¬ lisaient pas des amphétamines comme simple substitut pour lutter contre l’asthénie de privation, mais en recherchaient les effets dysleptiques et hallucino¬ gènes, certains avant même utilisé du LSD, ce que les services de police avaient ignoré. Un garçon de 16 ans, en fuite de sa famille, qui trouvait dans les bars de Saint-Germain de l’héroine et se faisait deux piqures par jour, avait deux expé¬ riences de LSD, ce que l’enquête de police ne mentionnait pas. Or, il s’agit de produits particulièrement dangereux qui, en l’espèce, ne sont pas de substitution. et il faut se méfier de tous ceux qui parlent de « vovage » ou de « trip », etc. Ceux-là, plus que les effets habituels de stupéfants, recherchent une, véritable culture de fantasmes en groupe où ils veulent se sentir « in ». Il est à craindre que certains ne recherchent d’une façon assez spécifque les effets dysleptiques. voire hallucinogènes, et il faudrait rechercher plus particulièrement ces sujets dans les groupes marginaux, informels, où cette pratique dangereuse pourrait se développer. Le Pr PoRor se demande que penser de la reprise de la culture du pavot en fran, alors que l’on parle d’amélioration progressive du contrôle des stupéfiants. Il s’inquiète du développement de la toxicomanie dans l’ensemble de la France. gagnant la province où il a eu l’occasion de constater une véritable psychose, liée à la peur de la drogue, et consistant à voir des drogués partout. UIne discussion suit le prosélytisme en matière de drogue, et ses motivations philosophiques, psychologiques ou politiques, ainsi que sur l’organisation plus ou moins évoluée du trafc du chanvre indien et du hachisch, ainsi que des stupéfiants classiques. Le Dr MABILEAL, répondant au Pr PORoT, précise que l’Iran, devenu courageu¬ sement pays non producteur en 1955 en raison de pressions internationales, cons¬ tatait une fuite de devises considérable en achat d’opjum par ses ressortissants opjomancs. D’ou le rctour à la production pour fournir à ses proprès Hros « enregistres ». (2) Attaché de Recherche à l’LN.S.E.R M. PHARMRCOLOGIE CLINIQUE DES ABUS DE DROGUES ET DE MÉDICRMENTS PSYCHOTROPES PIERRE DENIRER (1) et DANIEL GINESTET (2) Il est sans doute difficile de résumer et d’ordouner les effets provoqués chez l’homme par les modernes abus de substances psychotropes usitées hors du contrôle médical. Bien que clandestines, ces utilisations actuelles s’opposent en tous points aux toxicomanies classiques. Faisant appel à des agents très variés et souvent renouvelés, elles sont pratiquées, principalement par les jeunes, de facon plus ou moins discontinue ou épisodique, en groupe plutôt qu’individuel¬ lement. Les actions psycho-pharmacologiques s’exercent sur des sujets de struc¬ tures psychologiques extrémement différentes et qui vont de malades atteints de névroses ou de psychoses favorisant l’usage du toxique, jusqu’à des sujets appa¬ remment « normaux » chez qui l’usage de la drogue semble occasionnel; toute¬ fois, la question reste posée des modiffcations mentales que l’usage répété et prolongé de psychotropes divers peut engendrer, notamment des états déficitaires et des pharmacopsychoses. Il faut donc l’empirisme et la modestie du naturaliste pour tenter de décrire les tableaux cliniques fous et changeants qu’engendrent les abus modernes de psychotropcs. Dans cette optique, nous nous sommes limités aux agents actuel¬ lement usités dans notre pays avec les effets cliniques dont nous avons pu être les témoins, non sans faire référence à certaines données de la litf́rature qu’on ne peut éluder. Nous nous en tiendrons ici aux constatations les plus générales. réservant de publier, avec nos collaborateurs, les D° COLONNA, ELIET-LE GUILLOU. COTTEREAU et H. Loo, l’étude détaillée des observations recueillies ces dernières années dans notre service. (1) Professeur agrégé à la Clinique des Maladies mentales ct de l’Encéphale, Paris. RÉUNION D'INTORMATION 92 L. — LE CLAISSEHENT DES AGENTS EN CAUSE Si l’on se limite aux substances actuellement usitées en France, on peut proposer de les classer comme indiqué au tableau l. TABLEAU 1 Entre parenthèses fqurent les produits peu usités. Il y a lieu de remarquer que les principaux types de médicaments psychia¬ triques — à savoir les neuroleptiques et les anti-dépresseurs — ne fgurent pas parmi les substances donnant lieu à des abus. 1° LES OPIACÉS Dans un article datant de moins d’un an 161, nous ne les mentionnons même pas parini les agents de toxicomanies actuelles dans notre pays. lIls ont fait unc rentrée fracasante durant l’été 1989. de ceux des anciens toxicomanes de stupéfiants. SUR LES PRODUITS TOYIQUES DONNANT LIEU A ARUS Les produits utilisés sont l’héroine, l’opjum sous différentes formes (1) et l’extrait de l’élixir parégorique (2); tous peuvent être utilisés en iniection, le plus souvent par voie veineuse. On sait classiquement que l’opjum et ses dérivés produisent un régime mental d’euphorie passive avec impression de détachement des contingences et d’accession à une heureuse sagesse. Mais l’héroine, la plus utilisée actuellement. est peut-être le moins « ataraxique » et le plus stimulant des opjacés. On peut en rapprocher la dextromoramide (Palfium) et le dextrométhorphane (Romilar). La voie veineuse utilisée de préférence, parfois d’emblée par des sujets non habitués, pose la question du danger pitat de ces agents. L’administration de doses massives, volontairement ou non (3), produit des troubles psychiques aigus avec parfois des modifications somato-gnosiques dont on ne sait encore si elles doivent être rattachées à un effet « psychodysleptique » ou à l’effet d’intoxica¬ tion massive pré-mortelle. L’opjum et les morphiniques se distinguent par une aptitude à créer une dépendance marquée par un « syndrome de sevrage » aux manifestations physiques et psychiques bien spéciales. Mais l’apparition de cette assuétude exige la répé¬ tition de l’administration, ce qui n’est pas toujours le cas avec les abus modernes. Toutefois, la création de l’état de dépendance semble très rapide avec l’héroine : il apparait en quelques jours pour la dépendance psychique avec besoin d’aug¬ menter les doses, et après une à deux semaines la dépendance physique s’installe. A partir de la, le comportement et le traitement se rapprochent progressivement 93 2° LE PRORLEME DU CANNARIS Le plus classique des hallucinogènes se trouve aujourd’hui contesté dans cette activité même et certains doutent de sa nocivité. Il faut rappeler que la découverte des principes actifs (4) est récente et. depuis MOREAU DE TOURS, l’expérimentation se faisait avec des produits mal définis : les résines (de différentes origines), les sommités de la plante (comprenant une certaine teneur en résine) et les agglomérats des précédents. Si les expé¬ riences hallucinatoires sont systématiquement recherchées par certains, la plupart des consommateurs se contentent d’une simple euphorie ébrieuse, comme le font les fumeurs de Kif en pays sous-développés ou les « petits drogués » de la nouvelle vague. Pour clarifer les problèmes posés par l’usage du cannabis, il faudrait en reprendre l'étude systématique en fonction de la teneur en tétrahydrocannabinol des produits utilisés. En expérience « aigué », on pourrait préciser à partir de (1) Sous forme de produit à fumer ou à manger et sous forme d’extrait iniectable. (2) L’évaporation de 25 g d’élixir (vendu sans restriction), correspond à 1.25 ct de morphine et revient environ à 2 F. (3) Le produit fourni par les pourvoyeurs avant une teneur très variable er léroine-base. (4) Notammnent du tétrahydrocannabinol connu depuis 1965. RÉUNVION D’INFORMATION 94 quelle dose la résine absorbée en « confiture » donnc, avec une certaine fréquence. les expériences hallucinatoires décrites par MOREAU DE ToUnS, et aussi dans quelle mesure la fumée des sommités peut aboutir à des effets similaires. L’administration « chronique » se trouve réalisée de façon relativement « pure » dans les pays où le chanvre est couramment utilisé seul. D’où l’intérêt des observations rapportées par les auteurs qui ont eu à connaitre des psychoses cannabiques (31. Ceux que nous allons entendre pourront préciser si, d’après leur expérience, les psychoses subaigués qu’ils ont déjà relatées sont le fait de l’usage chronique prolongé ou bien d’excès occasionnels (ivresse dépassée) ou encore, comme c’est le cas pour les alcooliques, des deux excès à la fois. Ils auront également à préciser si l’usage prolongé du chanvre entraine plus souvent des « productions psychotiques » (états oniroides, maniaques, excito¬ confusionnels, confuso-oniriques, etc.) ou plus souvent des états défcitaires rappelant l’athymhormie schizophrénique. Enfn, ils pourront dire si l’usace prolongé prédispose aux productions oniroides ou au contraire peut, dans une certaine mesure, les empécher. Dans nos observations, la classique euphorie du cannabis n’est pas toujours retrouvée, mais les sujets parlent volontiers d’exci¬ tation intellectuelle et d’impresion de bien-être. L’acuité des sensations est fréquemment soulignée (musique-couleurs), mais les vraies illusions sensorielles sont rares; et chez nos sujets, aux doses usitées, nous n’avons pas retrouvé d’halhucinations. 32 LES HALLUCISOGENES VRAIS En France, du moins, les principes hallucinogènes définis (mescaline, iyser¬ gamide, psilocybine) ne semblent pas donner lieu à beaucoup d’abus : pratiquc¬ ment, seul le lysergamide importé (ou fabriqué 2) en petites quantités est en cause. La pharmacologie humaine de ces substances est connue pour ce qui concerne l’expérimentation contrôlée. Nous avons eu précédemment l’occasion de mon¬ trer 18) que la sémiologie des ivresses ballucinatoires rentre dans un cadre commun aux divers agents (y compris le haschisch si l’on s’en rapporte aux descriptions princeps), qui est résumé au tableau 11. L’intoxication légère peut se limiter à l’euphorie avec réveries agréables ou à la subexcitation. Mais, chez nos malades, le LSD induit régulièrement une expérience hallucinatoire aigué qui s’estompe en une douzaine d’heures, laissant place à un certain malaise. En général, les boufrées délirantes prolongées sont le fait de sujets éminemment suspects de schizophrénie. SUR LES PRODUITS TONIQUES DONNANT LIEL ARLS 93 TABLEAU I 1. Efets somatiques : a) neuro-végétatifs: b) signes généraux : c) troubles neurologiques. 2. Modifcations de l’humeur : 4) hypomanie, euphorie contemplative: 6) dysphorie, subescitation et prostration;. c) irritabilité, opposition. 3, Phénomenes psuncho-sensoriels: a) visuels : illusions, perceptions sans objets. b2 auditifs : illusions, hallucinations: ) gustatifs, olfactifs, tactiles: d) synesthésies; e) perturbations somato-gnosiques. 4. Troubles inteltectuels : a) troubles de l’attention et de la concentration: 6) troubles de la mémoire: c) troubles de la conscience du temps et de l’espace¬ 5. Troubles de ta personnatité, dépersonnalisation : a) transformation de soi: 5) étrangeté du monde extérieur. 6. Constructions délirantes. 7. Modincations de l’attilnde mis--pis de l’onserpalenr (contaet). Il convient ici de poter qu’à l’époque ou la psilocybine était expérimentée en France, certaines « fuites » avaient pu se produire et nous avons eu connais¬ sance de quelques ébauches de toxicomanies de la part de sujets qui recouraicnt à la psilocybine non pour ses effets onirogènes, mais pour son action psycho¬ analeptique à petites doses répétées. Ce qui représente précisément une transition avec les effets amphétaminiques. 4 LES ANINES DE VIGLANCE Nous avons déjà eu l’occasion de souligner qu’en dépit de leur relative rareté. les psychoses produites par les amphétamines avaient fait apparaitre dans la nosographie des psychoses toxiques les réactions paranoides et les dysthymies qui s’opposent à la sémiologie classique des psychoses toxiques alcooliques. Si les auteurs européens ont insisté sur la rareté et la brièveté des psychoses amphétaminiques, les auteurs japonais, qui ont observé des intoxications plus importantes et prolongées, affirment l’existence de psychoses chroniques de type schizophrénique ou maniaco-dépressif. Notre expérience actuelle nous amène à insister sur la fréquence du facteur d’intoxication amphétaminique dans les pharmaço-psychoses d’étiologie complexe qu’il nous est donné d’observer. BÉLVTON DINFORMATION 96 Les amphétamines provoquent excitation et eupborie. Mais presque tous nos sujets ont présenté à plusieurs reprises ce qu’ils appellent « l’eflet paranojaque » : impression d’être suivi, sentiment d’hostilité de l’ambiance, qu’on leur veut du mals de tels épisodes peuvent durer plusieurs jours, des hallucinations auditives ont commandé chez un de nos patients une tentative de suicide. L’arrêt du toxique fait cesser rapidement ce syndrome persécutif. Quant aux effets neuro-végétatifs, on peut citer l’hypertension artérielle, la tachycardie, le glaucome, des contractures et l’insomnie avec irritabilité. Il faut aussi rappeler qu’un « pont » expérimental a été jeté entre amphé¬ tamines et hallucinogènes par la découverte de la méthoxy-méthylamphétamine. dénommée « S.T. P. » aux Etats-Unis. 59 HYPNOTIQUES, ANALGÉSIQUES, THANQUILLISANTS Si les médicaments de ces groupes, détournés de leur usage médicals sont innombrables en Amérique, on peut dire qu’ils ne jouent encore qu’un rôle secon¬ daire dans les toxicomanies de notre pays. Parmi les hypnotiques barbituriques, il convient toutefois de citer le séco¬ barbital (1) dont l’action est singulière, puisqu’il s’agit d’un dérivé convulsivant de la malonvlurée, dont l’effet euphorisant et producteur de « tolérance » peut aboutir à une véritable toxicomanie. Les intoxications barbituriques répondent aux descriptions classiques d’ivresse, de syndrome confusionnel et parfois de coma par augmentation des doses. Il faut écalement citer les barbituriques du groupe du butalbital (2) utilises comme analgésiques, qui engendrent une ébriété euphorique génératrice de toxi¬ cophilie avec tolérance croissante. Bien des tranquillisants peuvent être générateurs d’abus, dans la mesure ou ils produisent une certaine euphorie, mais celle-ci peut être différente, d’un composé à l’autre, selon les sujets et le « terrain » qu’ils représentent. Les intoxi¬ cations véritables sont surtout réalisées par des associations : association alcool¬ tranquillisants, amphétamine-tranquillisant, chanvre-tranquillisants ou héroine¬ tranquillisants. 62 ASSOCIATIONS DE TOXIQLIES ET POLYTOXLCOMANIES Nous avons vu que les abus modernes de toxiques sont souvent variés et changeants selon les habitudes des sujets et des groupes. Tantôt il s’agit d’asso¬ ciations de toxiques et tantôt d’alternances d’abus, souvent les deux à la fois. réalisant des intoxications complexes. Le caractère chronique des abus est discutable, puisqu’il s’agit le plus souvent VIVS (1) Imménoctat. (2) Optalidon, Sarridon. SUR LES PRODUITS TONIQUES DONNANT LIEL A ARLS des durées indéterminées et la question se pose de savoir si les effets de la drogue précédemment absorbée ont complètement disparu quand un nouvel abus est pratiqué ou, au contraire, si le nouveau recours à un agent, qui peut être différent. n’est pas, pour une part, induit par des effets secondaires durables de la première intoxication. Ce peut être le cas avec les amphétamines qui provoquent, après une phase d’excitation, une dépression subséquente créant un véritable état de besoin qui n’est cependant pas spécifique. C’est également le cas des hallucino¬ gèncs qui laissent après l’ivresse proprement dite un état de malaise qui peut se prolonger des semaines et au-der L. — PRINCIPAUX TYPES D'EFFETS PSYCHIQUES OBSERVES 1° ACTIONS IMMÉDIATES OU INTOXICATIONS AIGUES Il est maintenant connu que les abus de toxiques sont recherchés par les jcunes pour leurs effets immédiats, voire brutaux (recours à la voie veineuse) mais transitoires, la durée étant d’importance secondaire. Moins qu’une euphorie passive, c’est une excitation euphorique « active » qui est recherchée, réalisant le « flash s pour lequel l’héroine est naturellement préférée à la morphine et l’association lysergamide-amphétamine plutôt que le Ls1) seul. L’utilisation du nitrite d’amyle et autres vaso-dilatateurs rapides au cours d’expériences orgiaques est également très significative. Le risque encouru dans de telles intoxications varie beaucoup selon l’agent utilisé : avec l’héroine, le recours à un surdosage avec un produit dont on ignore la teneur en héroine-base met en jeu la vie même. Au contraire, les fortes doses d’hallucinogènes entrainent moins de risque léthal que de risque mental, c’est celui des ivresses « dépassées » et des pharmaco-psychoses. 2° EEFETS DES INTOXICATIONS LÉITÈREE Rien n’est moins constant que les stigmates significatifs d’intoxication chro¬ pique, d’autant que les abus répétés sont souvent discontinus. D’autre part, les signes qui ont pu être décrits n’ont guère de spécificité pour des sujets changeant fréquemment de toxiques ou les associant. Sans doute, le relevé d’innombrables traces de piqures ou la découverte de. l’attirait moderne du drogué sont-ils évocateurs. Mais il faut souligner l’incons¬ tance, la labilité et le peu de signification des modifications neuro-végétatives qui sont pourtant fréquentes. L’amaigrisement, l’insomnie (amphétamines) et surtout le déficit de l’activité doivent attirer l’attention. Mais à cette phase, le diagnostic de l’intoxication repose essentiellement sur la confidence, faite au médecin, des effets ressentis avec la description des produits utilisés. C’est seulement grâce à l’analyse dialectique des petits symptômes qu’on pourra y reconnaitre les effets MONOGR, INSERM. 4° LA QUESTION DES « PILARMACO-PSYCHOSES 2 RÉUNION D’INFORMATION 98 de tel ou tel type de composé : par exemple, des microparesthésies ou halluci¬ nations tactiles des amphétamines ou l’apparition d’un syndrome de « manque » dù aux opjacés. Il faut surtout rechercher l’existence d’un syndrome commun à toutes les intoxications, qu’il s’agisse d’associations toxiques ou d’usages variés. C’est ici qu’il faut souligner l’intérêt de déceler précocement les signes de défcit de l’activité. 3° LES SYNDROMES DE DÉFICIT DE L’ACTIVITÉ Nous voudrions ici mettre en valeur l’importance des syndromes déficitaires plus ou moins marqués sur lesquels on n’a pas jusqu’ici suffisamment insisté en raison du caractère « négatif » de leur sémiologie. IIs représentent les séquelles des intoxications aiguès aux hallucinogènes, aux amphétamines, à l’héroine et naturellement aux intoxications complexes. Il s’agit de syndromes de déficit de l’activité physique ou de l’activité psy¬ chique ou des deux à la fois. L’asthénie physique est souvent remarquée dans les établissements scolaires par l’incapacité à participer aux exercices de gymnas¬ tique. Bientêt, cette asthénie va être un facteur déterminant de l’interruption d’activité, de clinophilie et naturellement de recherche de nouveaux stimulants. Le déficit de l’activité psychique, intellectuelle est sans doute plus important dans la genèse des comportements de passivité avec recherche épisodique de stimulants. On pourrait ici rappeler les observations de JANEr sur la psychasthénie. avec ses activités de « basse tension psychologique » que représentent les rèveries passives et les ruminations mentales. Il est possible que l’adhésion à de vagues philosophies ou à des religions lointaines soit favorisée par de tels états de défcit des synthèses mentales et de l’esprit critique. Enfin, le déficit de l’activite mentale peut comporter un véritable déficit de l’humeur et de l’élan vital, une sorte d’athymhormie, ce qui nous introduit au problème des psychoses défcitaires d’origine toxique. Les abus modernes de psychotropes sont venus renouveler les termes du problème de la similitude entre psychoses artificielles et psychoses naturelles. notamment schizophréniques. Nous avons déjà eu l’occasion de montrer que les différences entre les psychoses expérimentales et les psychoses naturelles tiennent surtout à leurs durées différentes et qu’elles tendent à disparaitre avec les usages réitérés ou massifs des hallucinogènes associés ou non aux amphétamines. En fait, cest la question encore obscure des affinités des schizophrènes patents ou latents — pour ces drogues qui se trouve posée. C’est aussi la ques¬ tion du rôle déclenchant ou aggravant des abus qui conduit à cete interroga¬ tion : existe-t-it qujourd’hui des schizophrénies purement toxiques 2 A mesure que s’accroit notre expérience, ce sont des réponses positives qu’elle apporte aux SUR LES PRODUITS TONTQUES DONNANT LIEL 4 IRLS 99 deux questions : oui, il existe une attirance obscure des schizophrènes pour les expériences hallucinatoircs et pour les abus de stimulants; de même, nous avons observé des sujets qui, s’adonnant à des intoxications complexes, présentaient au début des psychoses subaigués complêtement réversibles qui, de rechute en rechute, se sont acheminés vers des syndromes de déficit de l’activité empêchant toute reprise de vie normale, Il reste enfin des cas où la part du terrain et celle de l’agent toxique sont impossibles à dissocier, et ce ne sont pas les moins fré¬ quents. Il est possible que la prolongation des études longitudinales de ces cas et que l’analyse des cas nouveaux, à la lumière de l’expérience actuelle, nous aident à préciser notre jugement. Si déjà nous pouvons affirmer l’existence des pharmaço-psychoses, nous savons que la démonstration exhaustive de leur étio¬ logie n’est sans doute pas pour demain. II1. — CONSEQUENCES PQUR LE TRAITEMENT ET POUR LA PRÉVENTION Nous voudrions d’abord souligner les conséquences, sur le plan thérapeu¬ tique, des aspects quelque peu nouveaux des abus de toxiques passés en revue. C’est d’abord la mise en jeu du pronostic vital lors des administrations mas¬ sives, notamment par voie veineuse, d’opjacés ou d’amphétamines, qui justifie le recours au Centre Anti-Poisons, comme nous le recommandons au S.O S. téléphonique (1). C’est ensuite la tentation d’abréger la cure de sevrage chez des sujets qui pra¬ tiquent des intoxications de durée relativement courte. Mais une évaluation correcte des effets de ces intoxications doit comprendre celle des symptômes ou syndromes déficitaires résiduels. Le traitement de ces états de passivité patho. logique peut justifier le recours à l’insulinothérapie à doses sudorales ou pré¬ comateuses, mais l’on sait qu’il est devenu difficile de pratiquer cette thérapeu¬ tique dans nos établissements psychiatriques, faute de personnel spécialisé. C’est enfin la nécessité d’une post-cure très prolongée avec réadaptation au travail. A cet égard, il faut bien dire que nous disposons en France de bien peu d’organisations permettant la réhabilitation des sujets à l’activité et que nous sommes souvent laissés à notre propre initiative et à celle de notre service social. Quant aux implications préventives des données de la pharmacologie humaine. nous dirons simplement que les abus de toxiques peuvent, s’ils sont reçonnus à temps, jouer le rôle de signes d’alarme, soit qu’ils déclenchent ou rendent mani¬ festes des troubles mentaux, soit qu’ils traduisent un processus sociopathique de désengagement et de mise en situation de danger moral, soit simplement qu’ils décèlent la protestation d’un adolescent paraissant jusque-là « sans problè̂me » : leur reconnaissance correcte est aujourd’hui une necessite pour tous les médecins. (1) SOS, 8705. 190 RÉUNION D'INFORMATION BIBLIOGRAPHIE J. BESOIT (PH.) : Accidents et intoxications provoquées par les amphétamines. Thése Paris, 1956, 312 p. 2. BENSQUSSAN (P.), JOANNIDES (A.) et SOUBRIEI (L. P.) : Note sur quelques accidents de l’usage incontrôlé des psychodysleptiques. Ann. Méd. Psychot, juin 1966, 2. n° 1, 90-98. 3. DETEL (B.) ct DIEHL (M. L.) : Les psychoses cannabiques aiguss. A propos de 560 obser¬ vations. 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In Toricomanies, vol. IL. n° 3, 169-196. 9. DENIRER (P.). SOURRIER (L. P.). GINESTET (D.). SUTEI (J. M.). TALEGHANI (ML.), RoUS SELET (J.), ROUMAION (Y.). CHAZAL (J.) et al. : Du comportement de certains jeunes face aux drogues, au suicide, au chomage volontaire et à la violence, 12° Colloque de Médecine de France, déc. 1989, n° 207, 9-32. 10. LENIS (L.) : Les paradis artificiels. Trad. franc. Pavot, 1928. 11. MOREAU DE TounS (J.) : Du haschisch et de l’aliénation mentale. Etudes psucholoqiques. 1 vol. Forlin et Masson, édit, 1845, 431 p. 12. QUETIN (A. M.) : La psilocybne en psyvchiatrie clinique et espérimentale. These Paris 1960, 157 p. 13. ROPERT-GARNIER (M.) : La Mescaline en psychiatrie clinique et expérimentale, Thése Paris, 1957, 427 p. 14. SETQUHNET-SANTINI (F.) : Aspects actuels de la toxicomanie. Thèse Paris, 1968, 353 p. 15. SIGG (B.) : Le cannabisme chronique, fruit du sous-développement et du capitalisme. 1963, 246 p. 16. NIDTOCHER (D.):. La dithylamide de l’acide lysergique. Etude de psychopathologie expérimentale. Thêse Paris, 1957, 248 p. (Clinique des Maladies Mentales et de l’Encéphale Pr J. DELAY). Groupe de Psychopharmaçologie clinique, 1, rue Cabanis, Paris-14.) PSYCHOSES CANNABIQUES B. DEFER (1) (avec la collaboration de Mmes K. BILLIARD-GRASSER et M. L. DIEHL). Le chanvre, ou cannabis, est une plante originaire de l’Asie Centrale qui s’est répandue dans de nombreux pays d’Asie, d’Afrique, du pourtour méditer¬ ranéen et d’Amérique. Le genre cannabis ne couporte qu’une seule espèce, mais plusieurs variétés: la Cannabis sativa a été cultivée de longue date en vue de l’utilisation de ses fbres textiles, tandis que la varieté indica était récoltée depuis tout aussi long¬ temps pour des usages rituels, parfois criminels et surtout hédonistiques. En fait, il suffit que des plants de chanvre croissent dans certaines condi¬ tions climatiques de chaleur et de sécheresse pour sécréter, comme moyen de défense, une résine contenant des substances psychotropes et pour constituer ainsi la variété indica. Lors de leur maturité, quatre mois environ après le semis les pieds femelles (car il s’agit d’une plante dioique) sont récoltés après que des poils glanduleux, devenus très nombreux sur les sommités au moment de la floraison, ont sécrété la résine. A partir de celle-ci, les chimistes ont identifié les substances actives, essen¬ tiellement les A8 et A9-tétrahydrocannabinols, dont la formule chimique précise est de connaissance récente et ne comporte aucune analogie avec celle des autres produits onirogènes. 534 Les consommateurs de chanvre indien utilisent soit la résine, faconnée en plaquettes par dessiccation, soit un mélange de feuilles et de sommités fleuries hachées et réduites en poudre grossière. Dans la résinc, la concentration des substances psychotropes est 4 à 8 fois plus forte que dans le chanvre en nature, et ces préparations portent des appel¬ lations très diverses et de plus cn plus noubreuses selon les pays ou elles sont utilisées (hachich, marihuana. Kif, chira, bhang, gania, etc.). La résine et le chanvre réduits à l’état pulvérulent sont fumés après avoir été mélangés avec du tabac, tandis que la résine seule peut être ingérée, telle quelle, ou avec une boisson, ou incorporée à des confiseries. (1) Medcin des hnopitaus psychiatriques de la Scin. Centre psychintrique de ville¬ juif (94). 3 102 RÉUNION D INFORMATION N’avant pas été classé en 1957 parmi les substances susceptibles d’engendrer la toxicomanie du fait que son usage habituel ne détermine pas un véritable besoin d’en poursuivre la consommation ni une tendance nette à en augmenter les doses, le chanvre indien a d’abord été caractérisé par la notion de dépendance de type cannabique et concerné par la Convention unique sur les stupéfiants élaboréc en 1961 par l’Organisation des Nations Unies, puis, en 1968, il a été inclus par l’O M. S, parmi les substances susceptibles de déterminer la pharmaco¬ dépendance. En fait, le cannabis est utilisé en vue de l’ivresse qu’il provoque et cette pro¬ priété, assortie de la facilité de la culture du chanvre, rend compte de la péren¬ nité et du développement du cannabisme qui, après avoir débordé les pays de consommation traditionnelle (où le nombre des consommateurs était récemment évalué à 200 millions), s’est largement répandu en Amérique du Nord puis s’est dernièrement introduit dans la plupart des pays d’Europe occidentale, dont la France. )27. Si, depuis l’antiquité, de multiples textes ont fait allusion au cannabis et aux troubles mentaux qu’il provoque, l’étude scientifique du chanvre date des vovages ethnographiques et botaniques entrepris par des Européens à partir de la deuxième moitié du Xvur siècle, et surtout de l’expédition de Bonaparte en Eaypte. Après les botanistes et les pharmaciens, les psychiatres se sont intéressés au chanvre, et J. MOREAU (DE ToUnS), après un vovage en Orient où il avait recueilli des observations de suiets intoxiqués, experimenta l'intoxication aigué sur sa propre personne et, en 1845, publia Du hachisch et de l’aliénation mentale, livre remarquable exposant à la fois des analyses sémiologiques de valeur, une doctrine psychopathologique d’un grand intérêt, ainsi que les bases de la psycho-phar¬ macologie et de la thérapeutique médicamenteuse en psychiatrie. Les troubles mentaux provoqués par le chanvre indien, ont également fait l’objet des travaux de BRIERRE DE BOISMONT, BAILLARGER, K. JASPERS, W. MAYER¬ GROSS, H. EY, A. POROT, J. DELAY et P. DENIRER, de telle sorte qu’à peu près toutes les théories psycho-pathologiques qui se sont constituées depuis 1840 ont fait référence à la sémiologie de l’intoxication cannabique, en particulier lorsqu’il s’est agi de définir les psychoses expérimentales. De même qu’il avait suscité bcaucoup d’intérêt scientifique, le chanvre, à partir des années 1840, devait solliciter la curiosité des milieux littéraires pari¬ siens, et figurer parmi d’autres thêmes chers aux Romantiques, tels que l’Orient. le rève et la folie. Il était alors assez courant de se réunir pour prendre du hachich et, en parti¬ culier, à l’Hôtel Pimodan, dans l’Ie Saint-Louis, se rassemblait le Club des Hachi¬ chins, dont TH. GAUTIER fut l’historien et qui était fréquenté par BAUDELAIRE, SUR LES PRODUITS TOXIQUES DONNANT LIEU A ABUS 103 G. DE NERVAL, H. MONNIER, DAUMIER, MEISSONNIER et, en spectateur, par BALZAC et DELACROIS. En 1844, parut Le Comle de Monte-Cristo où A. Duxas évoquait le hachich à travers les propos d’Edmond Dantès. En 1845. TH. GAUTIER publiait Le Hachich, puis, en 1846, le Club des Hachichins. En 1851, BAUDELAIRE faisait paraitre Du Vin et du Hachich et, en 1860. Les Paradis artificiels, qui comportaient « le Poême du Haschich ». Par la suite,. BIMRAUD, les Surréalistes. H. MICHAUX, la « Beat Generation » américaine connaitront des expériences toxiques qui marqueront de leur empreinte certaines de leurs œuvres littéraires. En dépit de l’élaboration secondaire, les descriptions transcrites par ces aventuriers de l’esprit constituent souvent de véritables protocoles scientifiques d’intoxications cannabiques aigués. De nos jours, et après que le cannabisme se fut quelque peu implanté dans les milieux nord-africains de la région parisienne à partir de 1945, des adolescents français fument le chanvre, en se référant parfois explicitement à une tradition romantique et en recherchant, par le recours à l’imaginaire, la satisfaction d’un désir d’infni ou, plus simplement, la compensation d’un malaise. Ce phénomène nouveau aura été induit par la conionction de divers facteurs favorables et constitue un des symptômes du problème de la jeunesse dans notre société contemporaine. On ne saurait considérer l’usage des toxiques et l’instauration d’une pharmaço-dépendance que comme la rencontre d’une personnalité avec une drogue, au sein d’un milieu socio-culturel. Pour rendre compte de la pharmaco-dépendance, au niveau individuel ou collectif, il est nécessaire d’étudier ces trois facteurs séparément, puis de préciser les rapports qui se sont institués entre eux pour aboutir à la manifestation d’une symptomatologie comportant des significations à plusieurs niveaux, dans un cadre historique précis et dans un groupe socio-culturel déterminé. Ainsi, il apparait bien que fumer du hachich n’a pas le même sens pour un paysan du Moyen-Orient ou du Maghreb, pays de consommation traditionnelle, et pour un adolescent d’Amérique du Nord ou d’Europe, où on assiste à la naissance d’une pharmaco-dépendance nouvelle. En France, depuis plusieurs années, en nombre non négligeable, des ado¬ lescents issus de milieux socio-culturels les plus divers, dans des lycées et des facultés en ville et à la campagne, se réunissent occasionnellement pour consommer du hachich (parallèlement à d’autres drogues) en vue de participer à quelque béatitude collective, qui se trouvera en fait très dérisoire et parfois dangereuse. QOu bien, à l’occasion de migrations aventureuses, certains de ces copains ont visité les pays d’Orient ou se perpétue un camhanisme traditionnel et, après RÉUNION DINFORMATION 104 Y avoir apprécié le chanvre, ils en ont rapporté provision : selon de nouveaux chemins de Saint-Jacques, de nouvelles Voies lactées, un menu trafic s’est instauré qui a pourvu aux premières demandes avant d’être relavé par des organisations plus efficaces. Les troubles mentaux provoqués par le chanvre indien sont caractérisés par leur polymorphisme sémiologique et évolutif. Il convient de concevoir une nosographie distinguant les tableaux aigus. déterminés par des prises occasionnelles, plus ou moins importantes, et les troubles chroniques provoqués par l’usage réitéré, prolongé et massif du chanvre. D’autre part, la symptomatologie cannabique dépend de la sensibilité indi¬ viduelle au toxique, de la différenciation de la personnalité du consommateur, des dispositions de son humeur lors de la prise, et, de toute façon, l’évolution clinique comporte toujours certaines incertitudes. Induite par une faible dose, la forme mineure de l’intoxication cannabique aigué réalise une ivresse euphorigène et onirogène (le terme onirogène, proposé par LINET en 1920, a été reprise par J. DELAY et P. DENIKER du fait que la phéno¬ ménologie de l’ivresse s’apparente à celle du rève). Parfois, cet état de réverie tranquille et de béatitude jubilatoire s’assortit d’éléments hypomaniaques. Tout naturellement recherché par la plupart des consommateurs, il se dissipe en quelques heures et, ne détermine habituellement pas l’intervention médicale. A partir d’une dose de cannabis plus importante, ou chez certains sujets plus sensibles, la destructuration de la conscience est plus profonde et constitue une bouffée oniroide, telle qu’elle a été décrite par W. MAYER-GRoSS et H. Ey. On a décrit plusieurs phases évolutives pour cette ivresse oniroide : 1° Subexcitation euphorique, avec expansivité parfois extravagante, ludisme et éclats de rire incoercibles (pouvant constituer l’essentiel de la forme mineure de l’ivresse). 2° Dissolution plus Avancée du champ de la conscience, avec perturbation dans l’appréhension du temps, de l’espace et de l’ambiance, hyperesthésie, synes¬ thésies, troubles de la somatognosie, dédoublement psychologique, illusions et hallucinations plaisantes et fantastiques. 3° Extase avec dépersonnalisation et apathie. 4° Somnolence ou sommeil, parfois entrecoupé de rêves, et suivi de réveil avec remnémoration habituelle du vécu oniroide. En fait, le tableau évolutif ne présente pas une telle rigueur, et on observe plutôt des alternances et des enchainements dans la symptomatologie, qui com¬ porte souvent des poussées successives. Il est intéressant d’insister sur les modalités de l’euphorie et sur certains aspects phénoménologiques de l’ivresse. Les modifications de l’humeur s’expriment à travers les catégories de la joie indéfinissable, de l’allégresse, de la jubilation, du bien-être physique et de SUR LES PRODUITS TONIQUES DONNANT LIEL A ARUS 105 l’aisance, de la force et de la clarté factives de la pensée, de la féérie, de l’infini. parallèlement à un sens extrême du comique, du cocasse, du saugrenu du calem¬ bour, parfois du bizarre, du fantastique ou du cosmique. T’rès souvent, ce vécu comporte les caractères de l’ineffable et de l’incommunicable. La destructuration de la conscience induit des expériences de déperson¬ nalisation, avec dédoublement du moi, bouleversement du champ phénoménal et perceptif et, plus encore, de la somatognosie, puis fusion du monde du sujet avec celui des objets, dissolution de l’espace vécu et spatialisation du monde subjectif, envahissement du monde réel par un imaginaire projeté selon un mode hallucinatoire. L’indifférenciation de l’objectif et du subjectif, du réel et de l’imaginaire. qui se pénêtrent sans s’exclure, est appréhendée à travers une conscience plus ou moins crépusculaire. Ce vécu oniroide se situe plus ou moins en marge des catégories de réalité et de rigueur perceptivc, de logique, de temps et d’espace, d’autonomie et d’inté¬ grité synthétique du moi, et se réalise selon les modes primaires de l’actualisation et de la symbolisation, des certitudes contradictoires et des doutes inépuisables. de l’inadéquation et de la labilité des épreuves perceptives, de la brisure appa¬ rente de l’intentionnalité de la conscience. C’est cette forme oniroide de l’ivresse cannabique que nous pouvons iden¬ tifer dans les descriptions littéraires et c’est elle que nous avons fréquemment observée au Maghreb et en France, soit chez des consommateurs hospitalisés. soit à l’occasion d’intoxications expérimentales, soit encore au cours d’expé¬ riences psychédéliques. Seuls des sujets présentant une personnalité suffisamment différenciée sont susceptibles de rendre compte d’un vécu très riche. Les autres « ont pour ainsi dire un haschisch tout matériel », selon BAUDELAIRE, qui ajoutait : « le haschisch sera un miroir grossissant, mais un pur miroir 3, il « ne révèle à l’individu rien que l’individu lui-même ». Dans le cadre de l’intoxication cannabique aigus, on observe également, mais avec moins de fréquence, des tableaux maniaques, confusionnels, excito-confu¬ sionnels et parfois stuporeux. Il existe aussi de rares formes anxio-dépressives, caractérisées par les mani¬ festations d’une très vive anxiété, d’une terreur panique, éventuellement assorties d’impressions de mort imminente, de transformation cadavérique, ou de senti¬ ments de culpabilité, de damnation, ou encore d’un vécu apocalyptique ou infernal. Toutes ces formes cliniques ont une évolution brève (2 à 36 heures) et, la plupart du temps, elles présentent un air de parenté, du fait du niveau oniroide de destructuration de la conscience qui leur est plus ou moins commun. Enfin, l’ivresse cannabique comporte habituellement des manifestations somatiques plus ou moins marquées, d’ordre essentiellement neuro-végétatif : accélération du rythme cardiaque et respiratoire, sucurs, mydriase, sécheresse de la bouche, nausées, dysesthésies, malaises céphaliques et épigastriques, troubles discrets de la coordination motrice. RÉUNION D’INTORMATION 106 Lorsqu’un sujet fait un usage habituel du chanvre en quantités inodérées il présente des ivresses itératives. Par contre, si la consommation est habituelle et inportante, peuvent survenir, dans le cadre des pharmaço-psychoses, des complications psychotiques aigués provoquées par des excès massifs mais non par le sevrage. Toutefois, il existe des formes de passage entre les forues cliniques de l’ivresse cannabique et celles des psychoses aigues, de telle sorte qu’on peut observer des ivresses dépassées et des syndromes post-oniroides. Néanmoins, on peut poser le diagnostic de psychose cannabique aigué en se basant : — sur l’anamnèse et l’état somatique, susceptibles de rendre compte de l’importance de l’intoxication chronique; — sur la durée plus prolongée de l’évolution; — sur l’analyse sémiologique. Les formes cliniques de ces psychoses cannabiques aigués se répartissent de la manière suivante (à partir de 560 observations) : Comme pour les ivresses, les formes oniroides sont les plus nombreuses (27,5 %%), mais elles constituent alors des états oniroides d’évolution plus prolongée (quelques jours à six semaines) comportant une organisation délirante enrichie d’espériences hallucinatoires très riches et infiltrée de thèmes prévalents entrainant l’adhésion absolue du sujet (persécution, infuence, dépersonnalisation ou, plus rarement, mégalomanie). Ainsi, l’euphorie, presque constante au cours de l’ivresse, se manifeste beaucoup plus rarement lors des psychoses aigués. De même, tandis que l’ivresse cannabique s’assortit habituellement d’une remémoration du vécu oniroide, les psychoses aigues demeurent le plus souvent amnésiques. La réalité de la discordance au cours de ces psychoses aigués se fonde sur la conionction de symptômes recueillis dans les domaines du comportement, de la pensée, de l’affectivité, de l’expression verbale, graphique et picturale, et de l’exploration psychologique. La fréquence de cette discordance (56 % des cas) avait amené certains auteurs 197 SUR LES PRODUITS TONIQUES DONNANT LIEL A ABUS à proposer les notions d’état dissociatifs, de démence précoce ou de schizo¬ phrénies cannabiques. Si, au-delà de la destructuration oniroide, délirante et hallucinatoire de la conscience, le cannabis est susceptible de déterminer une destructuration plus profonde révélée par la discordance, ce processus a toujours été transitoire et limité. Nous n’avons pratiquement jamais observé d’élaboration secondaire, ni de régression profonde durables avant abouti à la constitution d’un mode autistique et à la mutation schizophrénique spécifque. 23 Ainsi, les psychoses cannabiques chroniques sont-elles essentiellement cons¬ tituées par des processus démentiels ou subconfuso-démentiels, dans le cadre desquels l’affaiblissement porte d’abord et préférentiellement sur l’affectivité et dont l’évolution progressive, déterminée par l’entretien d’une intoxication massive et durable, est parfois entrecoupée d’épisodes aigus, ou subaigus, ou bien s’assortit de survivances post-oniroides, prenant alors une allure pseudo-paranoide. D’autre part, on observe des psychoses cannabiques subaiguès, évoluant sans être entretenues par la consommation de chanvre, comportant des aspects oniroides, post-oniroides, subconfusionnels, ou parfois discordants, bien souvent sous-tendues par une ébauche d’affaiblissement global, mais ne comportant pas non plus un pouvoir évolutif schizophrénique et susceptibles de s’améliorer ou même de guérir au bout de quelques mois. Enfin, parallèlement aux troubles mentaux, l’usage habituel du chanvre indien et l’intoxication cannabique chronique déterminent à plus ou moins brève échéance une symptomatologie somatique assez évocatrice : — déchéance physique globale, avec anorexie, amaigrissement, inertie, trem¬ blements des extrémités, malcoordination et ralentissement moteurs; — aspect terne, bistre ou jaunasse des téguments: — visage glabre, émacié, hébété, aux veux cernés et luisants, parfois exor¬ bités, aux paupières gonflées, présentant des dyskinésies faciales ou péribuccales uni ou bilatérales (coexistant éventuellement avec un syndrome psycho-moteur d’allure catatonique); — de plus, en France, chez trois jeunes intoxiqués d’assez longue date, le bilan biologique a mis en évidence des perturbations transitoires des fonctions de la cellule hépatique. 263 Du point de vue thérapeutique, les psychoses cannabiques nécessitent l’hospitalisation et un traitement psychiatrique symptomatique, assorti de la prescription d’un complexe vitaminique, tandis que l’approche étiologique de la phlarmaço-dépcndance supposc, en particulier dans nos sociétés, des investigations RÉUNIOY D’INTORMATION 108 approfondies concernant la personnalité, l’environnement et les mnotivations des consommateurs. Ceux-ci posent presque toujours les problèmes psychologiques et existentiels de l’adolescence, assortis parfois de troubles caractérisés de la personnalité. Bien que, dans l’immédiat, le véritablc cannabisme chronique ne soit pas susceptible d’être observé en Europe, il est bien nécessaire de disposer, au niveau de la cité, d’un équipement psychiatrique différencié, comportant des institutions et des équipes polyvalentes, destinées à l’approche des difficultés psychologiques de l’adolescence et, en particulier, à la prévention et au traitement du cannabisme. la plus couraute des pharmaco-dépendances chez les jeunes. CENTRE ANTLPOISONS ET PHARMACODÉDENDRNCE M. GAULTIER (1) et C. PIVA (2) La toxicomanie pcut être assimilée à une maladie contagieuse épidémique. Pour être efficace, la lutte contre ce fléau social doit reposer sur les études suivantes : 1° Dresser un catalogue des droques engendrant la dépendance. 2° Recenser les porteurs de gerines, les drosués. 3° Etablir les facteurs qui conditionnent les réactions de sensibilité ou de résistance des sujets sains, vis-à-vis de l’agent pathogènc. 4° Déterminer les effets nocifs de l’usage abusif de ces drogues sur la santé phxsique et mentale. Nos connaissances actuelles de la toxicomanie reposent sur deux ordres d’enquête judiciaire et psychiatrique. Ne sont recensés qu’un très petit nombre de sujets, ceux qui ont commis une infractiop, un délit, en particulier le recel d’une substance interdite et ceux dont le comportcment a justifé une consulta¬ tion psychiatrique. Une étude épidémiologique véritable devrait comporter une onquête sur les milieux fragiles. lycées ou universités, comme celles qui ont été réalises dans certains pays par des équipes de statisticiens et sociologues. Quelle aide peuvent apporter à la thérapeutique curative et à la prévention des toxicomanies les Centres Anti-Poisons avec leur triple domaine d’activité : traitemcnt, analyse, information 2 Le traitement des toxicomanes ne constitue qu’une faible part de l’activité thérapeutique des CA P, orientée vers les intoxications accidentelles ou volon¬ taires. Elle pourra être plus importante si l’implantation psychiatrique avait le développement justifié par les problèmes psychiques des intoxications, en parti¬ culier les teptatives suicidaires toxiques. C’est pour définir les conditions épidémiques de la toxicomanie, problème essentiel, que les CA. P, vont apporter l’aide la plus importante. Dans la perspective d’une vaste enquête, le laboratoire d’analyse toxicolo¬ gique a son rôle à jouer pour le dépistage des porteurs de germe, dont le P° ETIESNE FOURNTER a montré les possibilités. (1) Professeur de tosicologie. Nldcin-chet à l’topital Fernana-Widal, Paris. (2) Interne en Médecine, Hiopital Fernand-Vidal, Paris. 119 RÉUNION D’INFORMATION Nous rapportons ici les premiers renseignements fournis par une étude des toxicomanes avant consulté à la Clinique toxicologique de l’Hôpital Fernand¬ Vidal. Nous ne nous leurrons pas sur le caractère fragmentaire de cette enquête. Toutefois, le champ d’étude est plus large que celui des psychiatres ou des criminologistes. NOMDRE Le nombre de cas est très faible mais en croissance indiscutable. Notre étude porte sur 16 cas observés en 1968 et 1969, dont 14 pour les seuls deux derniers mois. Cette augmentation correspond en partie à un intérêt plus marqué, mais certainement aussi à une augmentation réelle de la toxicomanie dans notre région. MOTIVATION DE LA CONSULTATION La population est différente de celle étudiée par les psychiatres et les criminologistes. L’autorité judiciaire nous à confié deux sujets, une jeune femme de 21 ans arrêtée pour recel d’héroine, un garçon de 22 ans surpris au cours d’une tentative de vol. Nos 14 autres cas n’avaient pas de passé judiciaire. Un seul sujet fut hospitalisé pour troubles psychiques, il s’agissait d’un garçon de 20 ans, rapatrié du Pakistan oriental pour une bouff́e délirante polymorphe. Par contre, on a retenu des antécédents psychiatriques chez six toxicomanes. L’un d’entre eux avait fait plusieurs séjours dans des hépitaux psychiatriques, un autre était suivi par un psychiatre, un troisième par un psychosomaticien. On a noté des fugues (trois fois) pet un acte suicidaire (deux fois). Six sujets consultent sans motivation apparente, trois sous la pression de l’entourage (famille deux fois, médecin une fois), trois autres spontanément, le désir de désintoxication imposé par la difficulté de se procurer la drogue favorite. Sept toxicomanes nous furent adressés par l’entourage ou par un médecin pour des accidents toxiques aigus; l’importance relative de ce groupe, près de la moitié des cas, est évidemment liée à la spécialisation toxicologique de notre service hospitalier. On dénombrait : — un accident classique de sevrage morphinique par manque de drogue; — deux accidents de surdosage (trichloréthylène. LSD):. — deux accès fébriles avec lipothymie consécutifs à une iniection intra¬ veineuse d’héroine; — un malaise sur la voie publique; — un acte suicidaire intercurrent. 111 SUR LES PRODUITS TOXIQUES DONNANT LIEU A ABUS DROGUES La plupart des sujets recouraient à plusieurs drogues. Cinq seulement n'uti lisaient qu’une seule substance. La toxicomanie était récente, inférieure à trois mois que deux fois. Le cannabis était en cause douze fois, fumé toujours, en outre deux fumeurs absorbaient également du haschich. Deux fois seulement, le cannabis était la seule drogue. Les dix autres sujets, après avoir débuté avec le cannabis, avaient peu à peu étendu leur gamme d’expérience par le classique processus d’escalade. Les analaésiques centraux étaient utilisés neuf fois. Sept fois il s’agissait d’escalade, après initiation par cannabis ou amphétamines. Deux fois seulement la toxicomanie avait le caractère de la classique intoxication par stupéfants. l’opjacé (héroine) ou son succédané (palfium) étant la drogue initiale. Six fois l’habitude était invétérée; trois fois la toxicomanie était récente ou occasionnelle. La voie voineuse est retrouvée trois fois, l’héroine dans 5 cas, solution préparée à partir d’élixir parégorique deux fois, pantopan une fois La drogue est ingérée deux fois (opjum, palfium). La voie orale est utilisée une fois (héroine). Les amines d’épeit étaient utilisées en iniections intraveineuses cinq fois. toujours associées au cannabis (deux fois), aux analgésiques centraux (3 cas). Toutefois, la prépondérance, à défaut d’exclusivité, était observée deux fois. La diéthutamide de l’acide luseraique était absorbée trois fois, toujours associée à d’autres substances. Quatre autres sujets avaient expérimenté le L8D, mais n’avaient pas persévéré, par peur de ses effets. La consultation fut motivée une fois par une crise hallucinatoire grave provoquée par une dose supérieure à la dose habituelle. Le trichloréthulène, inhalé et ingéré, a été retrouvé une fois, seul en cause. Parmi les drogues plus rares, signalons un médicament de la toux, le Romilar utilisé parmi d’autres substances. On peut tirer plusieurs constatations de cette enquête : — La prédominance chez le sujet jeune : 14 de nos consultants avaient entre 16 et 23 ans, un homme avait 27 ans, une femme 38 ans. Les cas se distribuaient également entre hommes et femmes (sept pour chaque sexe). — L’ipfluence du milieu familial, la carence paternelle qui intervient comme pour les actes suicidaires des adolescents. La famille était normale cina fois. Douze fois il y avait carence paternelle, trois de nos adolescents n’avaient jamais connu de père, l’un avait été recueilli par l’Assistance Publique, un autre avait été élevé par une nourrice, le troisième par une grand-mère, cina avaient perdu leur père, trois vivaient avec leur mère divorcée. — La personnalité psychopathique, retrouvée chez les huit adolescents qui avaient eu des tests psychologiques; deux fois il y avait décompensation psycho¬ tique, deux fois une détérioration ne permettant pas une étude de la personnalité (après une bouffée délirante et après un surdosage de trichloréthylène). RÉUNION D'INFORMATION 112 CONCLUSIONS Cette étude fragmentaire permet de préciser certaines données épidémio¬ logiques. Sa confrontation avec des études ultérieures fixera le rythme évolutif de la toxicomanie êt dresscra une hiérarchie des drogues emplovées. Le chanvre indien, les opjacés et les amphétamines tiennent actuellement le premier rôle. La lysergamide semble connaitre un certain discrédit. Divers produits sont plus rarement utilisés, tirés de la pharmacopée on de l’industric. Certaines motivations apparaissent particulièrement importantes : la crise de l’adolescence, une constitution psychopathique, la carence paternelle. Il parait souhaitable que de telles études soient poursuivies dans les divers Centres Anti-Poisons et psychiatriques et réunies par un organisme central, pour permettre de mieux connaitre l’épidémiologie de la toxicomanie et établir une lute eficace de ce fléau. DISCUSSION SUR LES RAPPORTS DE MM. DENIKER, DEFER ET GAULTIER Intervenants : outre les auteurs des rapports. MM. BOISSIER, MABLEAU, OTTAVIOLI, VAILLE. GINESTET, POROT, IOYEUX ct quelques intervenants anonymes. Le Pr BOIssIER ne partage pas l’opinion du Pr DENIKER sur l’utilisation du terme « intoxication réitérée » moins appropriée qu’ « intoxication chronique ». Le Pr DENIKER explique pourquoi il a utilisé ce terme. Le Pr JAçon propose de distinguer, parmi les intoxications dites chroniques. au moins trois catégories de phénomènes. La première correspond à des signes et symptômes apparaissant après chaque prise ou administration : ce sont, en fait, des intoxications aiguès répétées. La seconde représente des signes et symp¬ tômes qui apparaissent seulement après des administrations répétées; dans ce cas. les pharmacologues parlent de toxicité non pas seulement chronique, mais à terme — car il n’est pas nécessaire que l’intoxication ainsi créée soit réellement chronique au sens médical de ce terme : elle peut, en effet, être réversible dans des délais relativement brefs. La troisième, intoxication chronique proprement dite. correspondrait à un état prolongé — causé par une ou plusieurs administrations — entretenu ou non par des prises ou administrations ultérieures : un exemple pourrait en être les psychoses schizophrénomimétiques induites par les amphé¬ 26 Le pr RoIssIEn demande au Dr DEren si le chanvre indien transplanté en Europe donne de la résine et quel est son pouvoir pathogène. Le Dr DEFER précise alors que les graines de chanvre indien s’épuisent rapidement hors de certaines conditions climatiques et que leur taux en cannabinol devient très faible. Le Pr BoOIssIEn interroge le Pr GAuLTIER sur les rapports entre la symptoma¬ tologie observée et les doses utilisées. A propos du LSD), dont le rapporteur a parlé, il signale que la crainte apparue aux U.S.A, concernant l’action tératogène de ce produit ou ses actions sur les chromosomes. Enfin, il estime que si tous les produits nouveaux faisaient l’objet d’études pharmacologiques approfondies, on obtiendrait des connaissances peut-être suffisantes pour prendre des précautions. et que ces études seraient plus importantes que certaines de celles qui sont à présent imposées pour l’obtention des vs MONOGR. INSERM. 114 RÉUNION D'INFORMATION Le Pr GAULTIER ne croit guère que la crainte des effets tératogènes du LSD soit un frein à son utilisation. Il a constaté dans quelques cas plutôt une terreur des troubles de la conscience intenses subits au cours « du voyage ». Le Pr GAULTIER partage, d’autre part, la conviction du Pr BOISSIER sur l’intérêt des études des pharmaço-dépendances, mais l’imagination de ceux qui recherchent des sensations dépassera toujours, à mon sens, les prévisions des pharmacologues. Le Dr DEFER, revenant sur les liens de la symptomatologie et des doses uti¬ lisées, signale la difficulté de l’étude de ce problème, étant donné la connaissance très récente des produits chimiques psychotropes contenus dans la résine de cannabis (depuis 2 ans seulement, on a pu mettre en évidence l’action spécifique des delta 8 et delta 9-tétra-hydrocannabinols), Tous les travaux antérieurs avaient été réalisés à partir de chanvre brut ou de résines de concentration variable en THC. Néanmoins, à des doses plus importantes de chanvre, correspondént des des¬ tructurations plus profondes de la conscience, encore qu’il y ait lieu de tenir compte de la sensibilité individuelle. M. MABILEAU confrme la notion d’épuisement des plants orientaux implantés en Europe : par exemple, certains arméniens faisaient venir régulièrement des graines récentes pour rénover leur culture dans la région parisienne. Interrogé sur son expérience du cannabisme, le Dr DEFER précise qu’elle porte essenticllement sur le Maroc (7 ans) et concerne des sujets hospitalisés dans son service de Rabat du fait de psychoses cannabiques. Chez de vieux toxicomanes invétérés, il a pu observer des intoxications cannabiques aigués expérimentales, en faisant parfois, chez ces mêmes sujets, une étude comparative avec des épreuves à la mescaline. Enfin, il y a 5-6 ans, toujours au Maroc, il a assisté à un phénomène qui pouvait faire prévoir la fortune du chanvre en Europe : dans certaines villes, où il est très facile de se procurer du Kif ou du hachisch, à Tanger ou à Rabat, par exemple; des Américains et des Européens venus partois tout exprès se reunis¬ saient (éventuellement avec de jeunes Maroçains) en vue de participer à des ivresses collectives. D’autre part, à Strasbourg, en 1967, le Dr DErEn a étudié avec M° BILLTARD une épidémie de cannabisme, qui concernait d’assez nombreux ado¬ lescents, parmi lesquels ont été observés des sujets qui présentaient déjà une intoxication cannabique chronique et se trouvaient aussi être les trafiquants avant induit l’épidémie. M. VAILLE souhaite la description du « flash-back » décrit par les Américains. Il s’interroge, d’autre part, sur les statistiques fournies et demande si l’on peut faire une liaison entre les stalistiques de suicides ou tentatives de suicide toxicomanies. Cette question ne peut être tranchée. Le Dr GINEsTET explique le phénomène de « récurrence-spontanée » qui correspond sans doute au flash-back des Amériçains. L’action cannabique peut revenir quelques jours ou quelques semaines après la dernière prise de toxique. SUR LES PRODUITS TOXIQUES DONNANT LIEU A ABUS 115 sans nouvelle prise. C’est un phénomène qui pose le problème de la permanence du toxique à l’intérieur de l’orgapisme. Le Pr DENIRER indique que les rapports entre les intoxications et les suicides juvéniles ont été évoqués dans un récent colloque de Médecine de France (n° 207). M. VAILLE rapporte quelques points de son expérience personnelle confirinant les rapports des auteurs, et ajoute qu’à l’effet ébrieux et hallucinogène du chanvre indien, s’ajoute une hyperesthésie sensorielle, et il cite le mot de BAUDELAIRE selon lequel, « la drogue est un miroir, et que chacun, comme dans les auberges espa¬ gnoles, apporte ce qu’il a ». Il s’informe enfin, du danger actuel du LS1 en France. Le Dr JoyEux répond que les utilisateurs de LSD y renoncent parce qu’ils ont. au bout de quelques « vovages », épuisé les possibilités de « recherches x qu’il apporte. Mais il y a aussi une question de mode. M. OTTAVIOLI pense que l’approvisionnement en LSD est difficile, et le Pr BoIssIEn est persuadé qu’il y a une crainte du L5D). Ces deux raisons expliquent. dans une certaine mesure, l’absence de développement important de la consomma¬ tion de Lsp. Un intervenant rappelle l’importance du facteur personnel dans l’accès à l’ivresse cannabique, certains y parvenant avoc 5 cigarettes, d’autres avec 20. L’efret de l’intoxication par le chanvre indien sur la sexualité est évoqué. Il ressort de la discussion que seuls les intoxiqués chroniques présentent des alté¬ rations des fonctions génésiques. D’autre part, la gravité des tableaux schizophréniques, liée au chanvre indien. est discutée et le Dr DErEn signale qu’il a été surpris par les possibilités de récu¬ pération des malades après traitement aux neuroleptiques. Un participant rend compte du symposium sur la toxicomanie qui vient d’avoir lieu à zurich, où toutes les opinions ont été exprimées y compris celles en faveur de la drogue solitaire. Un autre intervenant se demande si l’utilisation du chanvre indien n’est pas préférée au LSD, en raison du caractère collectif de sa consommation, le LSD étant plutôt une drogue. Le Pr JAcon interroge le Pr DENILEn sur l’absence de dépendance aux neuro¬ leptiques et l’ex stence d’une dépendance à certains tranquillisants. S’agit-il d’un défaut d’action euphorigène, ou d’une interférence rapide d’effets secondaires très désagréables. Le Pr DENIKER répond que les neuroleptiques n’ont pas d’effets euphorisants. alors qu’il y en a. suivant les sujets, avec les tranquillisants. La question est moins claire avec les antidépresseurs : les tricycliques n’engendrent pas de dépendance. mais avec les inhibiteurs de la mono-amino-oxydase. Certains psychopathes ne peuvent se passer du médicament qui peut produire une surexcitation entretenuc. MOROGR, ISSEnM. 116 REUNION D’INFORMATION Enfin, le Pr JAcon interroge MM. DEEER et GAULTIER respectivemnent sur la fréquence des psychoses cannabiques et des états chroniques démentiels par rapport au nombre d’utilisateurs, et sur l’escalade de ce nombre. On ne peut lui répondre de manière précise, toutefois, le Dr DEFER signale que, au Maroc, la plupart des consommateurs de chanvre ne sont jamais hospitalisés parce qu’ils ne présentent que des ivresses légères. Certains autres, présentant une symptomatologie psychiatrique plus marquée, ne sont hospitalisés que dans la mesure où il existe un service hospitalier susceptible de les recevoir et s’ils se rendent insupportables à des tiers qui provoquent leur hospitalisation. Le Dr DEFER estime que l’on peut établir une analogie relative entre le cannabisme dans les pays de consommation traditionnelle et l’alcoolisne en France pour se donner une idée approximative de la proportion des sujets nécessitant des soins médico-psychia¬ triques par rapport au nombre des consommateurs. Mais il n’est pas possible de fournir des chiffres absolus, les études comparatives sont pleines d’intérêt, Par exemple, dans son service de Rabat, de 1960 à 1965, la courbe quantitative des psychoses cannabiques descendait régulièrement, tandis que celle des psychoses alcooliques montait tout aussi régulièrement. A un moment, elles se croisèrent en exprimant que, dans un certain contexte socio-culturel, une pharmaco-dépendance traditionnelle cédait progressivement la place à une toxicomanie naissante. Compte rendu de la TABLE RONDE SUR : PREVENTION ET THERAPEUTIQUE » DE L’ABUS DES SUBSTANCES PSYCHOTROPES Présidée par le Professeur DENIKER, avec la participation de MM. MALANGEAU,. GAULTIER, FOLLIN, GINESTET et TALEGHIANI Le Président. — La fin de cette, réunion doit naturellement être consacrée aux problèmes de thérapeutique ct de prévention des abus de drogues. Comme il était difficile à un seul rapporteur de traiter tous les aspects de ces questions. nous avons préféré faire appel à une table ronde dont je vais vous présenter les participants. Le Doyen MALANGEAU, en tant que président de la Commission interministé¬ rielle des Stupéfiants, nous aidera à préciser le cadre de l’action médicale et pharmaceutique, compte tenu des efforts considérables entrepris par les pouvoirs publics en matière de lutte contre les toxiques. Le Dr FOLLIN, qui est rapporteur de la Commission créée pour mettre en œuvre la loi de 1953 sur les toxicomanes de stupéfiants, vous présentera certaines obtions médicales à l’egard des textes en préparation, de manière à moderniser les dispositions réglementaires en fonction de la situation présente. L’insuffisance de données sociologiques relatives aux actuels abus de toxiques dans notre pays n’a pas permis de présenter un rapport spécial au cours de cette réunion. Néanmoins les aspects sociologiques ne sauraient être éludés au niveau de la prévention et du traitement. Aussi avons-nous demandé à M. TALEGIANI. assistant social à la Préfecture de Paris et sociologue de l’LN. S.E. B.M., qui a l’expérience personnelle des milieux de jeuncs susceptibles de recourir à la drogue, de nous faire part de ses réflexions. En ce qui concerne le traitement médical de l’intoxication, nous demanderons d’abord au Pr GAULTIER de rappeler le rôle important joué par les « Centres anti-poisons ». Puis nous évoquerons les aspects psychiatriques avec le Dr GINESTET. Le Dr OLIVENSZTEIN avait également accepté de nous faire part de son expérience, nous ne pouvons que regretter son absence. le vais tout de suite donner la parole à M. le Doyen MALANGEAU pour qu’il situe le problème dans son ensemble. 118 RÉUNION D’INFORMATION M. MALANGEAU. — M. le Président, je crois qu’il faut être assez bref et très schématique; je pense qu’on peut faire état de la position qui avait été prise lors des premières réunions de la Commission des stupéfiants, où nous avons essavé de situer le problème dans son état actuel et de déterminer comment, d’une facon très pragmatique, il était possible d’envisager des mesures à court terme, suscep¬ tibles d’avoir un effet ou un début d’effet. Il est apparu que, dans un premier temps, ce serait très utile de pouvoir envisager le problème sous son aspect épidémiologique, qu’a très bien souligné M. GAULTIER, et il est certain que si nous pouvions disposer d’un recensement convenable, permettant de déterminer notamment quels sont les toxicomanes avérés, et ceux-là pour une bonne partie sont connus des services de police et du service central de la pharmacie, mais aussi le nombre approximatif des usagers occasionnels plus ou moins avancés dans leur habitude, ce serait un élément important, quant à la nature et à la dimen¬ sion des mesures qu’il conviendrait d’essayer de déterminer. Ce recensement se heurte, bien entendu, à des difficultés considérables, et il ne peut être obtenu que par la collaboration d’un certain nombre dé personnes susceptibles de pénétrer et de s’informer dans les milieux de jeunes, puisqu’il s’agit le pluis souvent de jeunes, et capables de chiffrer approximativement l’état actuel des usagers assez habituels. Ceci nécessite essentiellement de recourir à la possibilité que peuvent avoir, par exemple, les enseignants, de fournir des indications. Je dois dire que ceux-ci sont inégalement coopératifs, on le comprend assez facilement : il y a une notion de non-délation, qui impose à certains une restric¬ tion ne facilitant pas les choses. Il s’agit là, de toute façon, d’un travail de longue haleine, et ce travail de longue haleine, sera plus probablement profitable dans un premier temps, dans la mesure ou on pourra pratiquer des enquêtes de caractère assez limité, mais exécutées assez en profondeur, et c’est, je pense dans ce sens, quc le groupe de travail de l’IN.S.E.R.M. va précisément orienter son action. Le deuxième point qui était apparu, c’était l’opportunité ou pluôt la dis¬ cussion sur l’opportunité ou la non-opportunité d’une information directe au niveau des milieux qui sont susceptibles de faire l’objet d’une contagion marquée, par exemple dans les milieux scolaires et universitaires. De nombreuses discussions dans différentes instances ont abouti à la conclu¬ sion que dans l’état actuel des choses tout au moins, l’information directe s’exer¬ cant sur des sujets susceptibles d’être des usagers ou de le devenir, n’était peut-être pas très souhaitable, car elle risquait d’être entachée du péché de paternalisme, et par conséquent d’aboutir souvent à des résultats opposés à ceux que l’on cherchait. Dans un premier temps, il a semblé que ce qui pouvait être le plus efficace. bien que ce soit modeste, serait de donner aux gens qui sont en contact avec des jeunes en particulier aux enseignants, aux chefs d’établisscments, aux professeurs. aux assistantes sociales, la possibilité à ceux-la, de répondre à des questions que les adolescents peuvent leur poser, car bien souvent ils sont assez désarmés, ne sont pas en mesure de répondre d’une facon convenable, et risquent très facile¬ ment de perdre la face. C’est dans cet esprit, qu’a été rédigée, avec l’aide du SUR LES PRODUITS TOXIQUES DONNANT LIEU A ABUS 119 Comité d’action sociale, une brochure qui est certainement très critiquable, car elle est imparfaite à bien des points de vuc — elle n’est pas complè̂te —, mais qui, pensons-nous, donnera tout de même certains moyens aux intéressés, leur fournissant la possibilité de répondre à des questions que des adolescents peuvent leur poser; et aussi, ce qui est souhaitable, c’est que, d’une façon indirecte, cès questions puissent être facilitées à des adolescents qui hésitent peut-être à les poser, et qui les posent plus facilement lorsque, dans le cadre d’activité sociolo¬ gique et culturelle, ils se trouvent dans un climat de confiance qui leur permet d’aborder ces problèues. Bien entendu, il y a d’autres possibilités; il y a la possibilité de grande information en recourant à la télévision; pour l’instant, elle a été proprement écartéc. Il y a, par ailleurs, des mesures de caractère réglementaire, et plus loin. même, des mesures de caractère législatif, je n’en parlerai pas, parce que le Dr Fouutx aura l’occasion de faire le point sur cet aspect de la question, et je pense que M. ALLIN qui est la, pourra tout à l’hcure, très schématiquement, indi¬ quer quelles sont les grandes lignes des dispositions qui, pour certaines, sont déjà prises, et pour d’autres sont en voie de réalisation. Finalement, car je veux ne pas être long, il y a une chosc qui m’apparait à moi, très clairement, à la suite de nombreuses réunions que nous avons cues, à la suite de la participation qui m’a été donnée d’avoir dans différentes réunions de caractère tout à fait hétérogène; c’est que la France n’est pas un pays pro¬ ducteur ni d’opjacés ni de chanvre. Bien sur, nous produisons un certain nombre de médicaments, et dans ce domaine, disons qu’il y a des dispositions réglementaires qui peuvent, non pas supprimer la consommation mais la rendre dans une certaine mesure contrôlable. Mais si on s’en tient aux sources de toxicomnanies majeures, c’est-à-dire les opjacés, nous ne sommes pas produc¬ teurs, par conséquent, je pense que l’activité de la police dans ce domaine doit pouvoir juguler, limiter dans une large mesure, l’approvisionnement. Ceci est difficile certes, mais relativement facile par rapport à ce qui se passe pour le chanvre; car la, si nous ne sommes pas producteurs, ou seulement produc¬ teurs de produit de mauvaise qualité, lorsqu’on cultive le chanvre sur le territoire national, les producteurs sont à nos portes. Il ést évident que l’on peut importer à partir du Maroc très facilement, soit par l’Espagne, soit à la faveur de l’immi¬ gration en France de nombreux travailleurs nord-africains. Le Liban n’est pas loin non plus, et on peut aller facilement de Turquie à Marseille pour des prix dérisoires; certains font le vovage, dans l’intention de s’approvisionner person¬ nellement et d’approvisionner un peu leurs amis, sans même se livrer à un trafic sur une grande échelle. Il y a là une importation que l’on a appclée la contre¬ bande de fourmis, dont il faut reconnaitre qu’elle est difficile à juguler, mais je crois péanmoins qu’il est souhaitable de faire tout ce qu’on peut, grâce aux services de police et aux services de douanes aux frontières, pour limiter l’impor¬ tation, même s’il s’agit d’une importation par très petites quantitès. Cela parait essentiel, parce que, finalement, il serait assez paradoxal de se donner beaucoup de mal pour réaliser, avec combien de difficultés, une prévention exclusivement dans le domaine médical, et plus particulièrement dans le domaine psycho-social. alors qu’on laisserait entrer les sources d’intoxication. RÉUNION D’INTORMATION 120 le crois qu’une des conclusions de notre réunion dans le présent, sera d’insister pour que le maximum de moyens soit mis en œuvre pour réduire véri¬ tablement au minimumn les sources d’approvisionnement en France. Le Président. — M. le Doyen, je vous remercie d’avoir rappclé ici le point de vue que vous défendez à la tête de la Commission interministérielle des Stupé¬ fiants, et qui exprime notre sentiment commun. Les pouvoirs publics ont été très impressionnés par cette unanimité des sṕcialistes, si bien qu’ils ont adopté le principe d’agir sur la source des tosiques en même temps que sur les effets de ceux-ci. Nous allons maintenant envisager des questions plus proprement médicales en demandant au Dr FOLLIN de nous parler de l’activité de la Commissiot QUH est rapporteur. Dr FOLLIN. — La question posée est la suivante : en attendant que le législa¬ teur ait voté et que soit promulguée une nouvelle disposition législative concernant les abus de stupéfiants, réforme en cours d’étude au niveau des plus hautes instances gouvernementales, il y a lieu de faire entrer en application la loi de 1953, dont le règlement d’administration publique est actuellement à l’étude à la Commission que le Pr DENIRER vient de citer, le rappelle que la loi de 1953. sanctionne, dans ses articles 627 et 628-1 du Code de la Santé Publique, de 3 mois à 5 ans de prison et d’une amende importante, tous ceux qui ont contrevenu aux dispositions des règlements concernant les substances classées comme stupé¬ fiants par voie réglementaire. Cette notion, assez large en l’espèce, permet de viser des produits qui sont source de toxicomanie bien que n’étant pas toujours des stupéfiants au sens rigourcux de la pharmacologic. Mais le texte qui nous inté¬ resse est l’article 628-% dont je cite les premières lignes : « les personnes reçon¬ nues comme faisant usage de stupéfiants, et inculpées d’un délit prévu aux articles 627 et 628-1, pourront être astreintes par ordonnance du juge d’instruc¬ tion à subir une cure de désintoxication dans un établissement spécialisé dans des conditions qui seront fixées par règlement d’administration publique ». Dans le deuxiène alinéa, cet article fxe la composition, à majorité médicale, de la commis¬ sion dont l’avis conforme est nécessaire, puis les dispositions financières et enfin. dans un quatrième alinéa, précise : « ceux qui se soustrairaient à l’exécution de l’ordonnance précitée seront puni d’un emprisonnement de 6 jours à 2 mois et d’une amende de 360 à 10 800 F non confondue avec les précédentes ». Nous travaillons donc actuellement en commission, pour essaver de metre au point les principes et les règles d’application d’un texte qui avait sans doute sa valeur à l’époque pour les toxicomanes adultes plus ou moins pervers, les plus fréquents avant guerre, mais dont la rigueur nous parait scandaleuse si elle devait être aveuglément appliquée à tous les sujets qui, dans les conditions actuelles, sont susceptibles de faire usage de stupéfants et tomber sous le coup de la loi. Il s’agit de résoudre une véritable quadrature du cercle, qui consiste à adapter aux particularités actuelles des toxicomanies, les importants changements rrcer verras noir scarcment dans ra marcmpmregeon des drogues utilisées, mais de la SUR LES PRODUITS TOXIQUES DONNANT LIEU A ABUS 121 clientèle même des toxicomanes, donner un contenu conforme zà notre savoir actuel et aux particularités actueles des toxicomanies à des prescriptions légales dont les notions de base n’ont plus exactement le même sens, ce qui pose d’abord le problème de savoir ce que l’on entend aujourd’hui par « faire usage de stupé¬ flants », par « cure de désintoxication » et par « établissement spécialisé ». Notre premier souci a été d’infléchir dans un sens médical la notion pure¬ ment légale de « personnes faisant usage de stupéfiants » en vue de préciser le problème des indications médicales à l’application d’un traitement qui, du fait des obligations de la loi, sera en réalité ordonné par un juge d’instruction. Nous avons d’abord voulu essentiellement limiter le champ d’application de ces ordon¬ nances aux seuls inculpés qui relèvent effectivement d’une prise en charge théra¬ peutique. Nous avons retenu et nous souhaiterions que soient retenus — quelle que soit l’expression réglomentaire qui, sera adoptée — la notion et le diagnostic médical de pharmaco-dépendance. Il est inutile que je précise davantage cette notion dont nous avons parlé tout au long aujourd’hui, mais il est bien certain qu’il s’agit là d’un diagnostic qui ne peut être établi que sur des constatations médicales et qui doit permetre d’éliminer du champ d’application de l’ordon¬ nance deux types de sujets : 1° Les malades mentaux qui scraient accessoircment et secondairement toxi¬ comanes, dès qu’ils relèvent de l’article 64 du Code pénal et sont susceptibles de bénéficier d’un non-lieu sur le plan pénal, ils cessent dès lors d’être inculpés si l’expertise médicale établit l’existence d’une maladie mentale caractérise déter¬ minant l’infraction à la loi et qui les rend de plus inaccessibles à une sanction pénale. Le type en serait par exemple le schizophrène, inculpé en vertu des. articles 627 et 628-1 et qui — peu importe au fond — use plus ou moins de drogues diverses, en soit dépendant ou non, mais qui est avant tout un schizo¬ phrène devant être traité comme tel et éventuellement à interner. 2° Nous avons également le souci de ne pas astreindre à une thérapeutique médicale qui ne serait pas justifiée, tous ces jeunes gens qui seraient surpris à l’occasion d’une descente de police dans un bar, alors qu’ils essavent une cigarette de haschisch — user de stupéfants en groupe est actuellement un délit — alors qu’il ne s’agit quc d’un usage occasionnel, donc sans aucune dépendance permet¬ tant de parler de véritable toxicomapie; on sait que ce type de comportement dans le contexte socio-culturel actuel est assez fréquent et on ne saurait consi¬ dérer, de notre point de vue, qu’il est suffisant pour justifier une cure de désintoxi¬ cation. De plus, nous pensons qu’il n’y a pas lieu de psychiatriser à l’excès des comportements qui, dans ce contexte socio-culturel, ne relèvent certainement pas d’un trouble mental, même s’ils relèvent d’une sanction pénale, ce qui n’est pas de compétence médicale. Nous avons donc retenu la notion de pharmaço-dépendance, dans la mesure où elle vise un état qui, effectivement, nécessite une, prise en charge thérapeu¬ tique. Elle exige naturellement un examen médical préalable dont nous discutons actuellement la procédure. Il s’agit en effet de trouver une formule précisant le rêle exact du médecin, alors que le juge d’instruction est le seul maitre de la conduite de l’instruction, domaine où il a tous les pouvoirs, y compris celui du mandat de dépôt et de l’incarceration des inculpes. C’est au juge d’insiruction que 122 REUNVION D’INTORMATION la loi confère le pouvoir de dire qu’il y a présomption d’usage de stupéfiants alors que seules les instances de jugement ont le pouvoir d’établir la culpabilité en confirmant la matérialité du délit. Mais les indications médicales du traitement étant posées par une exper¬ tise ou toute autre forme d’examen médical, il reste la question de la mise en œuvre de ce traitement et de ses moyens dans des conditions où nous sommes liés par les termes de la loi qui dit « cure de désintoxication » et « établisse¬ ment spécialisé ». L’unanimité des médecins de la Commission ont exprimé de sérieuses réserves sur la notion de cure de désintoxication. Il nous apparait en effet que le mot est dangereux, dans la mesure où, dans l’esprit du public et généralement de toute personne peu avertie, aussi cultivée soit-elle, il est d’usage d’entendre par cure de désintoxication le traitement des troubles lies directement au sevrage et aux souffrances de « l’état de manque ». A prendre les choses au, pied de leur lettre, dans de nombreux cas, le traitement serait terminé en quelques jours, au plus quelques semaines, et le sujet renvoyé à des conditions de récidive alors qu’aucun des problèmes de fond relatifs à la genèse des habitudes toxicomaniaques n’aurait été abordé, pas plus que les difficiles questions de réadaptation sociale. La notion également d’établissement spécialisé mérite d’être nuancée. Nous nous sommes opposés à la création de grands établissements centralisant en quelque sorte les cures de désintoxication de toute la France. On connait trop la diversite des personnalités susceptibles actuellcment de céder aux, tentations des drogues. pour ne pas craindre la promiscuité que cela entraincrait. Nous avons donc consi¬ déré qu’il fallait que les termes de cure de désintoxication et d’établissement spécialisé visaient dans leur ensemble un concept bcaucoup plus général, celui d’une « prise en charge thérapeutique comportant toutes les mesures médicales nécessaires à l’état du sujet et à sa réadaptation psychologiquc et sociale ». Le traitement doit avoir pour but de guérir la pharmaco-dépendance non seulement par tout ce qui concerne les effets physiologiques et psychologiques secondaires de l’assuétude, mais également toutes les nécessités d’action au niveau des fragi¬ lites psychiques qui conditionnent à la base même, les habitudes toxicomaniaques ce qui exige la mise en œuvre de mesures de psychothérapie, de réadaptation sociale et professionnelle les plus diverses. Tel est du moins l’esprit dans lequel nous nous efforçons d’obtenir que soit rédigé le règlement d’administration publique qui permettra la mise en appli¬ cation de la loi de 1953. Cela ne se fait pas sans difficultés, car il n’est pas en notre pouvoir de modifier les termes mêmes de la loi. Sans entrer dans le détail, je vous indique quc, sur le plan pratique du moins. deux séries de problèmes se posent, celui des toxicomanes de type classique fortement dépendants, souvent pervers, parfois trafiquant à la pectite semaine, qul sont des sujets éminemment dangereux par leur prosélytisme comme agent de contamination et, d’autre part, la masse des toxicomanes les plus fréquents aujourd’hui, dont le degré de dépendance est variable, et fonction des structures psycho-pathologiques personnelles assez diverses que je n’ai pas besoin d’énu mérer ici, d’autant plus que les problèmes qu’il pose peuvent être très nuancés en fonction des effets secondaires même des toxicomanies (notamment les asthénies 123 SUR LES PRODUITS TOXIQUES DONNANT LIEU A ARUS résiduelles sur lesquelles le Pr DENIKER insistait) et qui constituent par eux-mêmes aussi un facteur de récidive. La solution de facilité serait évidemment que tous les inculpés soient mis sous mandat de dépôt et traités dans les 3 ou 4 annexes psychiatriques de prison qui existent en France. Mais les magistrats savent bien eux-mêmes que bon nombre de ces toxicomanes ne seraient guère à leur place en prison alors que la mise en liberté provisoire des inculpés est en principe la règle en France, lorsque les nécessités de l’instruction le permettent. On ne peut cependant pour autant laisser courir dans la rue ces toxicomanes en les livrant à une récidive immédiate et nous proposons que soient mis à leur disposition tous les services de psychiatrie techniquement organisés pour les recevoir. L’idée se dégage que nous n’avons au fond guère besoin de services véritablement spécialisés, bien que cela soit exigé par la loi. Tout au plus, pourrait-on le souhaiter pour certains déséquilibrés pervers, relevant à la fois de traitement très prolongé et de mesures plus ou moins rigoureuses de défense sociale. Mais pour les plus nombreux, nous souhai¬ tons que la prise en charge thérapeutique se fasse dans des conditions communes. les inculpés avant été détenus et qui auront subi un premier temps thérapeutique dans l’annexe psychiatrique de la maison d’arrêt pourront, de plus, être adressés dans ces services très facilement à leur libération. Les impératifs du texte de la loi nous orientent cependant vers une relative spécialisation de certains services, d’autant plus que le juge d’instruction est tenu, dans son ordonnance, de préciser les conditions dans lesquelles l’inculpé pourrait être astreint à un traitement. Ceci a d’ailleurs posé quelques difflcultés que nous espérons résoudre. Le magistrat instructeur, en eflet, peut prétendre avec une cer¬ taine légitimité devoir contrôler l’application d’une ordonnance dont il porte la responsabilité — même si elle a été prise sous la recommandation d’une expertise médicale —, alors que ce contrôle ne saurait en aucun cas dispenser le médecin traitant des devoirs du secret médical nécessaire à l’aménagement d’une relation thérapeutique. La discussion est encore en cours pour trouver la formule qui ménage dans cette affaire les devoirs de chacun, dans le respect de ce que doivent être les conditions d’une thérapeutique psychiatrique. Le juge d’instruction peut en effet, à chaque instant, modifler les termes de son ordonnance et le médecin traitant, par certificat, indiquer les nécessités qu’il y aurait à le faire, et y compris la fin de la cure. Il est clair que si l’hospitalisation en milieu fermé est sans doute nécessaire. nous avons aussi pu faire admettre qu’elle n’était qu’un temps de la prise en charge et doit pouvoir se poursuivre au niveau des diverses institutions de soins extra-hospitaliers avec tous les moyens que ceux-ci comportent : hôpital de jour ou de nuit, dispensaire, psychothérapie de types divers, voire mesures de réadap¬ tation professionnelle. En terminant, je vous rappellerai qu’il ne s’agit ici que de sujets qui ont éte inculpés pour des infractions à la loi, dont il n’appartient pas au médecin d’appré¬ cier la situation objective à l’égard des instances judiciaires. le pense cependant. personnellement, que dans bien des cas il n’y a pas à regretter cette inculpation. Qui de nous, en effet, n’a pas recu un de ces toxicomanes arrivant en crise de manque et librement hospitalisé qui, le surlendemain déjà, dès la disparition 124 RÉUNION DINEORMATION des symptômes les plus génants pour eux, se refuse à toute thérapeutique. Je m’étonne d’ailleurs que l’on n’ait pas parlé davantage aujourd’hui d’un de ces aspects sémiologiques de la toxicomanie qui nous apparait assez souvent comme un symptôme écran, grâce auquel le nialade se dérobe aux véritables problèmes que l’usage des stupéfiants lui permet justement de fuir. A cela s’ajoutent leurs tendances mnasochistes qui ne sont pas rares, les bénéfces secondaires de la droguc c’est-à-dire un ensemble de manifestations cliniques qui masquent au malade la réalité des problèmes et qui doivent être dépassées pour qu’ils puissent accéder à une participation active et motivée à la cure. Dans bien des cas, il me semble qu’un moment de contrainte et l’intervention d’un principe de réalité (et l’incul¬ pation en est un) soit nécessaire, même si l’état du sujet ne justife pas l’inter¬ nement qui peut n’être pas toujours médicalement légitime. Mais il est évidemment souhaitable que nous puissions prendre en charge tous ces malades avant que ces mesures de contraintes ne soient nécessaires et que — même inculpés — ils puissent, dans le cadre des organismes de soins existants, respectant les choix qui conditionnent les meilleures relations avec le médecin et l’équipe soignante, bénéficier de tout l’éventail des techniques médi¬ cales que nécessite le traitement de ce profond désarroi, déterminant l’assuétude aux stupéfants chez ces sujets de personnalité dysbarmonique, à traiter comme des malades, quels que soient les problèmes socio-culturels qui président actuelle¬ ment à l’extension de ce fléau. Le Président. — Je remercie le Docteur Fortix qui nous a introduits au cœur du problème posé aux médecins de la Commission de l’article L. 628-2. Cette Commission doit faire un texte d’application pour une loi qui sera sans doute modifiée dans un proche avenir. Les hauts fonctionnaires qui sont ici pourront sans doute nous donner une idée des projets du gouvernement en ce qui concerne les textes. Mais auparavant il nous faut continuer le programme que nous nous somimes tracé en donnant à M. TALEGHANI la parole pour examiner quelques aspects sociologiques du problèmc de la prévention et du traitement. M. TALEGHANI. — Les sociologues n’ont pas encore grand-chose à dire sur le problème de la drogue. Ce phénomène est encore mal connu, inal perceptible, il est difficile de l’appréhender, surtout si, au-delà du problème de sa consom¬ mation, on veut aborder celui des attitudes, des motivations, des comportements face à la drogue. En ce qui concerne les drogués, les vrais toxicomanes, et surtout si de plus ils sont trafiquants, il ne semble pas qu’il y ait grand-chose à découvrir. La socio¬ logie crininelle ou la criminologie peuvent apporter des éléments suffisants, ren¬ trant dans le cadre des données déjà classiques. D’autre part, et en ce qui concerne les aspects psychiatriques et psycholo¬ giques, ces malades ressemblent assez aux sujets que la socio-psychiatrie étudie déja. Par contre, en ce qui concerne le monde des « droguables », c’est-à-dire ceux qui à l’égard de la drogue ou des consommateurs, ont une certaine tolérance, une certaine complicité, une compréhension, nous nous trouvons au cœur même d’un 8 SUR LES PRODUITS TOXIQUES DONNANT LIEU A ABUS 153 problème sociologique puisqu’en fait c’est : comment on vient à la drogue, et non pas comment on se drogue, qui intéresse le sociologue. Les difficultés les plus importantes qu’ils rencontreront alors seront de définir des variables constituantes de ce phénomène et d’en établir également les degrés des variables externes. En fait, il faut étudier les motivations des individus face à la drogue, les motivations des groupes face à la drogue et aux drogués, et peut être même les motivations de la société. Si, effectivement, la drogue est reprise pour ce qu’elle est, c’est-à-dire d’après certains médecins un symptôme, c’est qu’elle signifie, qu’elle renvoie à quclque chose d’autre. C’est le travail des sociologues d’évaluer, d’isoler, de conceptualiser, l’objet de leurs attitudes qui va être essentiellement : le rapport du consommateur au produit. Il faut aussi isoler, puis mettre en rapport, pour mieux les évaluer. tous les facteurs de contagion, les facteurs de « mode ». Il faut aussi jauger et apprécier les facteurs de moindre résistance, qu’ils appartiennent au déterminisme sociologique qui est du domaine des sociologues ou de la causalité psychique qui est mieux connue des psychiatres. Il est important de connaitre les éléments contre lesquels le consommateur de drogue, le « droguable » également, voudrait réagir, qu’est-ce qui peut motiver la consommation ou la moindre résistance face à la drogue 2 C’est à ce niveau de préoccupation que travaillent les sociologues. C’est assu¬ rément la meilleure des contributions qu’ils peuvent apporter à des politiques de prévention, que celles-ci prennent pour axe le temps ou l’espace. C’est surement la meilleure contribution que nous pourrions apporter à une politique d’hygiène mentale proprement dite, qui ne pourra s’établir qu’à partir d’une recherche multi¬ disciplinaire dans laquelle la sociologie a son mot à dire. Le Président. — Je remercie M. TALEGHANI de nous avoir parlé en sociologue. le vais lui demander d’ajouter un mot en tant qu’assistant social. Nous savons qu’il a une pratique des milieux de jeunes en danger, et nous voudrions connaitre les suggestions qu’il peut faire quant à la prévention, au traitement et à la réadap¬ tation des usagers de drogues. M. TALEGHANL. — En tant qu’assistant social les choses sont claires et il ne faut attendre aucune innovation : face au consommateur de drogue ou au « sujet fragilisé », l’attention du travailleur social est la même. C’est d’abord, et avant tout, une politique d’information qu’il faut poursuivre. Mis à part le travail de la police et sa chasse aux trafiquants, la meilleure préven¬ tion reste encore l’information. Les jeunes, « les futurs droguables », les futurs drogués, ont avant tout besoin d’information. De ce point de vue, et à titre expérimental, je poursuis une campagne d’infor¬ mnation en profondeur sur ce problème avec des groupes d’élèves de second cycle d’un lycée de la région parisienne, leur demande est importante et leurs connaissances sont très grandes mais trop anarchiques : il convient de mettre de l’ordre dans cette connaissance. Leur demande ne se situe pas au niveau du produit, mais il est très révélateur qu’elle est bien au niveau d’une meilleure MOSOGR. INSERX. 126 RÉUNION DIVFORMLATION connaissance de la motivation de celui qui consomme : tout le débat, et il peut durer 2 heures ou plus, tourne autour de cet aspect bien plus qu’autour de la drogue elle-même. Au-delà de l’information, c’est sur le plan de la réadaptation sociale, la réin¬ tégration sociale de certains consommateurs de drogue, que se pose le problème pour les travailleurs sociaux : la réadaptation de grands déséquilibrés, chez qui la consommation de la drogue n’est qu’un épi-phénomène, repose une fois de plus le problème de la réintégration de grands déséquilibrés chroniques. Mais au-delà de ceux-la, il existe des difficultés d’ordre médical et psycho¬ thérapique, mais aussi d’ordre social. Travailler avec l’étudiant, avec le jeune garcon ou la jeune fille est difficile dès lors qu’on se refuse à travailler contre eux. Ceci implique parfois des atti¬ tudes qui ne sont pas toujours approuvées par les parents, par les médecins, par les policiers : il faudrait trouver des attitudes qui permettent au sujet lui-même de reprendre confiance en lui. Il est évident que le meilleur cheminement passe par la réintégration par le monde du travail, quelle que soit la forme de celui-ci. Il n’est pas nécessaire que ce travail soit salarié. Si, le sujet est amené à produire, il se réintègre ainsi dans une société qu’il conteste le plus souvent et qui l’a d’ailleurs très vite rejeté. Enfin, mne placant dans le cadre de la collaboration que l’apporte à S.0.S. Amitiés, qui recoit un certain nombre d’appels de jeunes angoissés par la drogue. ou par les problèmes que leur posent des camarades qui la consomment, se pose la difficulté de permettre au jeune d’établir une bonne relation avec un adulte responsable de lui-même, qui accepte face à lui de prendre l’attitude que le jeune attend de l’adulte. Dans l’enlourage de ce drogué, on est frappé de constater ses démissions. ses séductions, qui sont le propre de certains adultes, qui peuvent aller même jusqu’à une infantilation, voire même jusqu’à la complicité. Un peu de fermeté peut ne pas nuire; une bonne image des mères et des pères peut devenir un bon moyen de salut. Mais l’image ne sufit pas si l’on ne peut parler avec elle. Il faut écouter ces jeunes, il faut parler avec eux, c’est ce dont ils ont le plus besoin. Le Président. — Après les aspects sociaux et sociologiques, nous abordons les suggestions à faire dats l’ordre médical. Le Pr GAULTIER pourrait, s’il le veut bien, nous dire celles qui lui paraissent devoir être proposées. M. GAULTIER. — M. le Président, je vous remercie de bien vouloir m'’accorder la parole, Je serai bref, puisque les toxicologues ont déjà eu l’occasion de s’expri¬ mer à deux reprises cet après-midi. La prévention de la toxicomanie est trop importante pour qu’elle soit réser¬ vée à certains et elle doit être réalisée dans plusieurs directions. Le rôle des psy¬ chiatres dans cette prévention est important. Ils ont à soigner des malades heureu¬ sement rares, mais gravement atteints sur le plan psychique, et il est utile de leur fournir les moyens de soigner ces grands psychopathes. Les sociologues ont également un rôle important à jouer et une enquête très SUR LES PRODUITS TOXIQUES DONNANT LIEU A ABUS 127 large apparait nécessaire pour déterminer comment les sujets encore sains peuvent se laisser contaminer par la peste toxicomanique. Entre les toxicomanes invétérés présentant une psychopathie grave et les sujets sains menacés de la contamination, il existe un groupe nombreux de sujets qui, sans présenter de troubles psychiques, sans être passibles de poursuite judi¬ ciaire, sont des habitués de la drogue. Ces sujets, qui ne sont pas des malades. qui ne sont pas des délinquants, sont ignorés. C’est à eux que peuvent s’adresser les Centres anti-poisons. En effet, la crainte des effets toxiques des drogues les incite à nous consulter. Les Centres anti¬ poisons sont équipés poar analyser les produits absorbés, pour étudier et traiter les effets de ces substarćes. Mais le traitement doit ère dirigé par une équipe com¬ prenant non seulement des toxicologues, mais encore des médecins psychiatres et des psychologues, afn de déterminer les motifs de la toxicomanie et de per¬ mettre la rééducation et la réadaptation sociale de ces sujets. Il est donc très important de doter les Centres anti-poisons d’un secteur psy¬ chiatrique dont le rôle apparait primordial tant pour le traitement des toxico¬ manes que pour celui des suicidants par produits chimiques. Je terminerai donc en formulant le voeux du développement de l’équipement psychiatrique des Centres anti-poisons. Le Président. — Votre proposition de coonération entre les services de psv¬ chiatrie et les Centres anti-poison sera certainement bien accueillie par les psy¬ chiatres. Ils savent en effet les services rendus par ces Centres, notamment pour l’évaluation précoce de la toxicologie des médicaments et des drogues psycho¬ tropes. Ils savent aussi que certains patients répugnent à s’adresser d’emblée aux services psychiatriques et que le psychiatre les aborde plus facilement dans un autre cadre. Puisque nous en arrivons aux questions proprement psychiatriques, je donne la parole au Dr GINEsTEr qui a vécu au Québec l’expérience d’un pays en pleine phase d’invasion par les toxiques des milieux de jeunes, alors qu’en France nous ne sommes qu’au début d’un tel phénomène. M. GINESTET. — le serai bref, parce que j’ai surtout des éléments de scepti¬ cisme à exprimer quant au rôle du médecin dans la lutte contre la drogue. Si on s’en tient aux quelques dizaines ou quelques centaines de cas de psy¬ chose qui ont été décrits, le rôle du médecin apparait strictement défini : il l’a été cet après-midi. Si on considère le problème de la drogue tel qu’il existe aux Etats-Unis, au Canada et peut-être en France, c’est-à-dire un phénomène de con¬ sommation de masse, je crois que nous sommes tout à fait hors de course, et ceci pour des raisons qui tiennent, d’une part, à un manque d’information et de contact avec les drogués; d’autre part, à un manque d’intérêt. Il est certain que les méde¬ cins traitants renvoient immédiatement les jeunes gens à des psychiatres, lesquels n’ont qu’une tentation c’est de s’en débarrasser. Ce que nous observons en milieu hospitalier, ce sont : our hier des pabde cachatciqtes et ite Pon le sorn ds noyohultutes popitalises. projets ministériels. 128 RÉUNION D’INTORMATION — ou bien des malades qui présentent des troubles de sevrage ou de sur¬ dosage : dans ce cas, les modalités de traitement ont été bien mises au point, et on renvoie rapidement ces « patients » en circulation à la fin de la cure. En ce qui concerne les autres, de loin les plus nombreux, les usagers épiso¬ diques de la drogue, je pense que nous sommes tout à fait désarmés en tant que médecins isolés. Notre rôle, je le vois en tant que médecins au sein d’une équipe; c’est le travail en coopération avec celui de M. TALEGHANI, c’est un peu celui auquel j’ai participé au Canada, à savoir un travail d’information assez large assez prudent et assez technique. le pense que sur ce plan nous pouvons être utiles, car, il faut bien le dire, sur le plan psychothérapique, et je renvoie aux communications qui avaient été faites à Québec par M. RAINAUT, par M. DEFER et surtout par M. FoUQUET, presque toutes les psychothérapies qui sont entre¬ prises avec les toxicomanes sont des échecs ou, en tout cas, soulèvent des pro¬ blèmes tels que l’on en vient rarement à bout. Je pense que l’on pourrait avoir un point d’appui intéressant avec la méde¬ cine scolaire; cela a été tenté au Québec, et l’on a essavé de donner une informa¬ tion précise aux médecins scolaires; je ne sais si cela est réalisable en France, je ne sais pas si la médecine scolaire est disposée à faire un effort dans ce sens 2 Dans le domaine universitaire c’est aussi une idée d’équipe qui prévaut : une équipe qui comprendrait, avec les médecins, les psycho-sociologues auxquels le Dr MABILEAU fait allusion, des travailleurs sociaux, des éducateurs; et peut-être aurions-nous une petite chance, sinon de combattre un phénomène qui apparait absolument irréversible, au moins d’essaver de le mieux comprendre et de le contenir. Finalement, le plus sur moyen, comme le Doyen MALANGEAU l’annonçait au début de cette séance, n’est-il pas de réduire les sources d’approvisionnement. plutot que de tenter de s’opposer d’une façon médicale et inadéquate à un phéno¬ mène de consommation de masse. Le Président.. — le vais essaver maintenant de résumer les éléments impor¬ tants qui me semblent ressortir après les différentes interventions qui viennent d’avoir lieu. A mes veux il y en a surtout deux, qui concernent l’entrée dans la toxicomanie et la possibilité d’en sortir. D’une part, il faut absdument réduire, sinon tarir, les sources de produits toxiques quelles qu’elles soient, et pour cela s’adapter continuellement aux subter¬ fuges des trafiquants et des usagers. D’autre part, il faut créer en France un type d’institution qui fait complête¬ ment défaut à la sortie des services d’hospitalisation : ce sont les centres de réa¬ daptation au travail. Il peut ne pas s’agir d’emblée de travail salarié, mais d’une véritable activité, et non pas d’un semblant d’occupation dispensé dans des ate¬ liers de farniente. Avant de passer à la discussion, je voudrais demander à M. ALLAIN, qui repré¬ sente la Direction générale de la Santé, s’il peut nous donner un apercu des M. ALLAIS. — Pour donner une indication sur les actions que le Ministère ue la Sante r opnrqge etr ge ra aceorre Sociale entend mener dans la lutte contre SUR LES PRODUITS TOMIQUES DONNANT LIEL A ARUS 129 la toxicomanie, je crois qu’il est utile de faire un très bref historique. Vous le savez, au cours des différentes interviews, entretiens, conférences de presse, M. BOULIN, le Ministre de la Santé Publique et de la Sécurité Sociale, a toujours déclaré qu’il fallait considérer les toxicomanes comme des malades, avant de les considérer comme des délinquants, Par conséquent, il a donc orienté l’action de ses services dans une direction aboutissant à des solutions permettant de traiter les toxicomanes comme des malades et non comme des délinquants. C’est pour cela que les services du Ministère avaient préparé un projet de loi qui prévovait la possibilité pour les malades de se faire soigner dans l’anonymat, et les moda¬ lités de prise en charge du traitement ou de la cure. Mais, dans le même temps, le Ministère de la Justice, compte tenu de décla¬ rations qui avaient été faites par le gouvernement, avait préparé un projet de teste destiné à renforcer les peines contre les trafiquants, mais surtout intro¬ duisait dans le projet à l’article 628-4, l’incrimination pour l’usage individuel; or. précisément, cette proposition était à l’encontre des positions prises par le Ministre de la Santé Publique et de la Sécurité Sociale, puisque toute personne faisant usage de stupéfiants, tels que ces lycéens qui fument deux cigarettes de marijuana et qui sont précisément arrêtés ce jour-la, seraient des délinquants; par consé¬ quent, il y avait une différence fondamentale entre les deux textes, et il était nécessaire de rechercher des solutions. Cette solution a été trouvée au cours des nombreuses reunions qui se sont tenues à l’échelon du Premier Ministre, et il a été décidé que c’est le principe d’une action sanitaire et sociale qui serait retenu, avant toute poursuite. Par conséquent, s’inspirant de ce qui existe dans le livre 3 du Code de la Santé Publique concernant les maladies vénériennes et les alcooliques dangereux, les services avaient préparé un projet de loi permettant de préparer les dispositions que l’on entendait appliquer dans ce domaine. Les discussions sur ce projet de loi ont montré que son application serait peut-être difficile, et on a envisagé de faire une sorte d’expérimentation préalable par voie de circulaire. C’est pour cela qu’une circulaire du 15 décembre, du Ministre de la Santé Publique et de la Sécurité Sociale, a donné des instructions aux services locaux pour que soient appliquées un certain nombre de disposi¬ tions pour les personnes faisant usage de stupéfants. Parallèlement, le Ministère de la Justice donnait des instructions à ses par¬ quets pour que cette expérimentation puisse avoir lieu. Je ne vous lirai pas cette circulaire du 15 décembre 1969, ce serait trop fastidieux, je me bornerai à donner quelques indications. Cette circulaire vise ceux qui font usage de stupéfiants, et non pas les trafiquants pour lesquels il n’y a aucune indulgence à avoir. Les lignes principales sont les suivantes : à chaque fois que sont détérées au parquet des personnes qui font usage de stupéfants. celui-ci les signale à l’autorité sanitaire, qui doit faire effectuer le plus rapide¬ ment possible un examen médical, et, si nécessaire, inciter la personne à se faire traiter, Parallelement, une enquête professionnelle et familiale doit être menée par les services locaux de laction sanitaire et sociale. Si l’examen médical est posi¬ tif, il doit donc aboutir à une cure de désintoxication et à une post-cure. Si la personne qui a été signalée ne relève pas de soins médicaux, il y a lieu 130 REUNION D’INTORMATIOY de la soumettre à une surveillance médico-sociale. Ces dispositions visent les personnes qui ont été signalées au Parquet, mais dans la même circulaire le Ministre de la Santé Publique et de la Sécurité Sociale a attiré l’attention des services locaux sur ceux qui n’ont pas été signalés au Parquet et qui, faisant usage de drogue ou de produits stupéfiants, pourraient être découverts par les services médico-sociaux relevant du Ministère de la Santé Publique et de la Sécurité Sociale; pour ces personnes le même processus est préconisé : essaver si le mal est trop grand, de faire soigner ces gens et de les surveiller, d’exercer autour d’eux une surveillance médico-sociale; s’il ne s’agit que de mauvaises habi¬ tudes qui, peut-être, ne se répéteront jamais, essaver de les encadrer par une sur¬ veillance sociale. Voila, Monsieur le Président, les quelques indications très brèves qui sont peut-être de nature à compléter ce qui a été dit jusqu’à présent sur le problème. et les services de la Santé Publique et de la Sécurité Sociale vont essaver avec les services intéressés Ministère de la Justice, et autres Ministères, de mettre au point ce projet de loi qui pourrait être déposé au début de la prochaine session par¬ lementaire. Le Président. — Je vous remercie, Monsieur le Directeur, d’avoir bien voulu nous indiquer les mesures envisagées par le gouvernement. Il s’agit non seulement de celles qui ont déjà été évoquées par le D° FOLLIN, mais de celles qui pourraient être instituées à partir de la prochaine session parlementaire. Je demanderais si, parmi les participants de la table ronde, l’un ou l’autre veut reprendre la parole pour préciser quelque point. Si ce n’est pas le cas, je vais dematdet s ar » a ggts le Soe gex pesonnes qui désirent intervenir à leur tour. M. DEFER. — Je souhaiterais que M. ALLAIN nous précise ce qu’il y a lieu d’entendre par anonymat dont seraient susceptibles de bénéficier les toxicomanes pour leur traitement. La presse a déjà évoqué cette disposition, d’une manière avant pu permettre aux lecteurs non avertis de supposer qu’auparavant les toxicomanes n’auraient pas bénéficié du secret médical. M. ALLAIN. — Sur ce point, il ne s’agit pas de secret médical; le ministre a été informé, par un certain nombre de renseignements qui lui ont été transmis que certains jeunes gens, qui actuellement font usage de produits toxiques, se sont présentés volontairement dans des établissements hospitaliers — M. DENIRER pourrait préciser ce point et à partir du moment ou, en toute logique. l’Administration a demandé au moins un minimuin de renseignements d’état civil. pour la couverture Sécurité Sociale, etc., ces jeunes gens ont refusé de donner les renseignements demandés et sont partis. Le ministre a été extrêmement frappé par cette réaction, et quand on parle d’anonyinat, on ne parle pas de secret médical, on veut dire par là que les formalités seraient simplifées au maximum. voire supprimées pendant un certain nombre de jours, pour permettre cette pre¬ mière approche du malade auprès de l’établissement, et ne pas le rebuter. Voila ce que cela veut dire et rien d’autre. 131 SUR LES PRODUITS TONIQUES DONNANT LIEU A ARUS le vous donnerais une précision supplémentaire, c’est qu’en fait, au cours des discussions, lorsque nous en avons parlé, les représentants du Ministère de la Justice nous ont fait remarquer un certain nombre de points que nous avons discutés, sur lesquels je ne m’étendrai pas, sur la protection que cet anonymat à certains malades vis-à-vis de la justice, etc, mais surtout que cet anonymat ris¬ querait de se retourner contre eux, puisque avant été soignés, s’ils étaient impliqués par la suite dans une affaire de drogue, ils ne pourraient pas donner la preuve qu’ils ont été effectivement soignés. M. DEFER. — Cette disposition me semble discutable, sinon dangereuse, dans la mesure ou elle introduit un régime spécial, une ségrégation fâcheuse pour les toxicomanes, et elle risque d’aboutir à une institutionnalisation du « drogué ». On peut d’ailleurs en dire autant des centres qui se spécialiseraient dans le traitement des toxicomanes. Très souvent, la pharmaco-dépendance est un symp¬ tôme, renvovant à des troubles plus ou moins graves de la personnalité nécessitant une prise en charge psychiatrique non spécifque, dans le cadre des institutions. de secteur. Par ailleurs, je souscris aux propos de M. ALLAIX qui a rapproché le problème des nouvelles dépendances de celui de l’alcoolisme, en particulier en ce qui con¬ cerne les dispositions législatives. Sans être exagérément optimiste en ce qui concerne le traitement de tous ces malades, je ne partage pas le pessimisme de M. GINESTET qui se réfère peut-être à une expérience acquise dans la région parisienne, demeurée sous-développée du point de vue de l’assistance psychiatrique. En province, il peut en être tout autrement, et les équipes médico-sociales de secteur, fonctionnant au niveau des villages ou des quartiers urbains, ont souvent une action patiente, assidue et, à la longue, efficace. A partir d’un recul suffsant pour les apprécier, une dizaine d’années au moins, on observe que les résultats en matière de traitement de l’alcoolisme sont loin d’être négligeables dès lors qu’on dispose de moyens suffisants, en techni¬ ciens et en institutions. Les pharmaço-dépendances nouvelles nécessitent une adaptation des moyens de prévention et de soins, mais notre action peut être efficace dans ce domaine. Le Président. — Au passage, je voudrais souligner l’intérêt des mesures progressives, et pour ainsi dire expérimentales, qui nous ont été expliquées par le représentant du Ministère de la Santé. Ainsi la circulaire du 15 décembre 1969. qui permet de différer le relevé de l’identité des patients qui se présentent à l’hôpital jusqu’à ce que la prise de contact médicale ait pu s’établir, facilitera l’établissement d’une relation sauvegardant initialement l’anonyinat des malades et, ultérieurement, leur propre sécurité. Dr BONNAFE. — l’avais eu l’intention d’épiloguer dans ce débat sur un docu¬ ment d’une extrème importance, celui qui a été établi en compte rendu de la réunion des équipes de santé mentale de Paris, le 18 décembre 1969. Malheureu¬ sement, il est trop tard pour procéder à cette analyse et je me borne presque à 139 RÉUNION DINTORMATION signaler son importance. Cependant, je voudrais dire à quelle dynamique corres¬ pond cette prise de position : devant l’effrovable danger que représentent les con¬ centrations de toxicomanes ou milieux de culture de la toxicomanie, il a fallu un véritable « réflexe civique » de la part de ces équipes pour qu’elles affirment leur volonté d’assumer leurs responsabilités devant les cas « marqués par la drogue » qui surgissent dans les ensembles démographiques dont elles ont la charge. Il est effet de sentiment comimun, lorsqu’on a l’expérience de la pratique psychiatrique. que ces cas sont parmi les moins gratifiants, les plus générateurs de déceptions. les plus perturbants pour le fonctionnement des services. Le réflexe primaire était donc le rejet; il était fort tentant de se décharger de ces cas ingrats sur d’autres structures de prise en charge que celles dont on assume la responsabilité. Mais déjà sur l’expérience de la « drogue » elle-même, il était flagrant que les pertur¬ bations à craindre étaient d’autant plus surmontables que les cas étaient plus dis¬ séminés. Ces constatations s’accordaient avec celles généralement faites à propos de tous les autres cas où le couplage rejet du service de base"concentration en services « spécialisés » a fait la preuve de sa nocivité. Il fallait donc, pour éviter ce glissement désastreux, que chaque service ait la lovauté de « jouer le jeu » et d’assumer sa part de charge, avec les inconvénients qu’elle comporte. Ceci dit, il importe de noter que, dans le même mouvement, ces services n’ont pas manqué de redire qu’ils croulaient sous leur charge actuelle et que, pour assu¬ mer véritablement leurs responsabilités, devant l’inflation croissante des besoins. il était plus urgent que jamais de leur consentir enfin les moyens nécessaires pour faire face. Je voudrais maintenant ajouter quelques réfexions plus personnelles à pro¬ pos des responsabilités du psychiatre devant la société. Il est constant, et quelques échos en ont été entendus au cours de cette journée, que le psychiotre « sage » se garde de réduire à sa dimnension psychia¬ trique, et donc de psychiatriser abusivement, un problème si profondément inséré dans une situation critique d’ensemble au niveau de la civilisation ou de la culture. Des personnes tombent sous notre responsabilité spécifique comme malades et nous ne saurions démissionner là de notre rôle soignant spécifque. Mais ces malades sont tombés malades en tant que victimes d’une mésaventure tragique dont les données ne relevaient pas de la science médicale. Ici, le psychiatre digne de ce non), qui n’entend pas se, poser en maitre ou organisateur du monde, est tout de meme en position de dire quelques vérites. étant en principe mieux placé que d’autres pour les énoncer. S’il admet que le consommateur de drogue entre dans l’ordre de ces avatars malheureux dans la juste protestation de l’homme contre une injuste contrainte sur lesquels il est par métier particulièrement informé, alors il est responsable de dire aussi clairement et publiquement que possible comment la réaction de la société à des contestations légitimes peut multiplier chez les contestataires les risques de ces avatars malheureux. Il peut et doit mettre en garde contre les risques de comportements d’apprentis sorciers dont le modèle est le discours provocateur, répressif, coercitif, asséné sur les victimes, qui alimente les inflexions pathologiques de la contestation et souffle sur le brasier qu’il prétendait éteindre. SUR LES PRODUITS TOYTQUES DONNANT LIEL A ARUS 3 La psychiatrie à honorablement joué ce rôle naguère en dénoncant les méfaits de la propagande anti-alcoolique par les images terrifiques : « foie sain7 foie malade, cerveau sain"cerveau malade, alcoolique massacrant ses enfants, etc. ». On a cité ici cette extraordinaire bévue commise dans un établissement sco¬ laire du Venezuela, où les élèves ont été « passés au dépistage chimique » dans un climat d’anthropométrie criminelle. On peut, à partir de ce fait, demander si quelque psychiatre s’est trouvé dans le cas de poser l’insolente question : « A-t-on eu les moyens ensuite de mesurer quel avait été le taux d’accroissement de la consommation de drogue, dans le milieu considéré, en conséquence de cette fausse manœuvre 2 » Car c’est bien là le discours pécessaire du psychiatre, celui dont il doit assumer la responsabilité, devant la presse, devant les pouvoirs, devant l’opinion publique. Nous savons du reste à quel- point il est difficile de faire entendre ce discours. Est-ce une raison pour nous démettre de nos devoirs 2 Certes pas pour celui qui ne confond pas difficile et impossible. M. JACOR. — e voudrais poser à M. FOLLIN une question précise : vous avez établi comme ligne de démarcation l’existence d’une pharmaco-dépendance, mais quels sont les moyens diagnostiqués de la dépendance 2 Dans les cas où il y a dépendance physique, c’est relativement aisé; pour les amphétamines, les moyens paraissent disponibles, mais, dans le cas de toxiques qui se répandent de plus en plus comme le cannabis, je crains que les méthodes ne le soient pas encore. Connaissant l’aspect pharmacologiquc de ce problème, je voudrais en connaitre l’aspect psychiatrique 2. M. FOLLIN. — Je répondrai par mon expérience de quelques expertises de ces derniers mois. Je vous dirais que j’ai trouvé personnellement plus de dépendances que les juges d’instruction ne m’en ont envové, en ce sens qu’il m’est arrivé plu¬ sieurs fois de dépister dans le cours d’un examen d’une heure, par les aveux et la relation que j’étais arrivé à établir avec un inculpé en prison, bien qu’étant expert. l’existence d’une habitude de cannabis, avec l’intention psychologique à récidiver et accoutumance psychique qui me permettaient d’établir qu’il s’agissait d’une toxicomanie pharmaço-dépendante du hachisch, alors que le sujet était incarcéré pour autre chose. Pr JACOR. — C’est ce que je craignais un peu : le diagnostic repose essentielle¬ ment sur l’anamnèse. M. FOLLIN. — le crois personnellement que, lorsque l’on prend la précaution de prendre le contact rapidement avec l’inculpé en adoptant une atitude de compréhension, il est possible d’obtenir un minimum de confiance et il a dès lors une façon de parler de la drogue qui est très différente selon qu’il est dépendant ou pas, ce n’est pas le même langage, ce n’est pas le même ton; et puis, les évoca¬ tions de son existence ne sont pas dans le même style. Le Président. — Je crois que mon rôle comme animateur de cette Table Ronde est terminé. le vais rendre la parole à notre Président, pour ses conclusions de la journée. CONCIUSION DE LA IOURNÉE DINTORMRTION Par M. le Doyen MALANGEAU Les conclusions de cette journée pourraient être extrenement nombreuses. car bien des aspects ont été évoqués. le crois qu’une première conclusion s’impose, c’est que nous sommes fort loin, en dépit des nombreuses heures que nous avons passées ensemble, d’avoir épuisé le sujet. Le programme, si dense qu’il fât au départ, était déjà volontaire¬ ment incomplet, et il est bien évident qu’un grand nombre des points qui ont été examinés de façon superficielle aujourd’hui seraient de nature à faire l’objet d’un examen approfondi, et certains de ces points mériteraient de faire l’objet d’une étude ultérieure. Il y a un certain nombre de choses qui m’apparaissent, c’est d’abord la néces¬ sité, et aussi la possibilité de s’organiser, afn d’établir un inventaire qui porterait. d’une part, sur les consommateurs et aussi sur la nature des substances consom¬ mées et la, je crois que la collaboration des responsables de l’hygiène mentale qui sont appelés à voir les malades, que le concours des centres anti-poisons. devraient à la faveur d’un document qu’il conviendrait bien sùr d’étudier, d’amé¬ liorer à la faveur de l’expérience, permettre de réaliser en quelques années un système de documentation qui pourrait etre centralise au niveau de l’LN S.E.RM. et être très utilement complété par l’intervention et l'’appui des psycho-socio¬ logues, des assistantes sociales, etc. Un deuxième fait qui me frappe beaucoup c’est que, très souvent, l’accent à été mis sur le caractère de poly-intoxication, de recours soit simultanément, soit en alternance, à des différentes substances utilisées par les consommateurs. De là. découlent au moins deux conséquences : d’abord c’est que le problème pharmaço¬ logique s’est singulièrement compliqué par ces dispositions, et il est très souhai¬ table que sur le plan de la recherche on puisse dans ce domaine essaver d’avancer On a prononcé le mot de pharmacologie prévisionnelle, notion certainement très utile, d’autant qu’elle peut conduire à certains progrès, à des modifications de schémas thérapeutiques. Corrélativement, il est bien évident aussi que, sur le plan de la toxicologie analytique, il serait souhaitable que les centres qui peuvent recevoir ces malades soient convenablement équipés pour être en mesure de pratiquer, aux différents étages qu’a situés très heureusement M. FOURNIER, la détection des substances utilisées. Cela, surtout lorsqu’il s’agit de poly-intoxiquésa la, je parle en praticien, en analyste : c’est un problème très important mais difficile. le pense aussi qu’une des remarques très intéressantes à retenir est celle qui a te formulee par le Pr GAULTIEE, quand il suggère que les centres anti-poisons. RÉLNVION D'INEORMITION 136 qui sont plus facilement accessibles à un certain nombre de malades, soient dotés d’un auxiliarat extremement précieux dans le domaine de la psychiatric. de la psycho-sociologie. Tout ce qu’on pourra mettre en œuvre en ce qui concerne les aspects sociaux est indispensable pour assurer les éléments d’une prévention. et pour conduire à une limitation de la consommation. le pense enfin, à l’urgence des dispositions législatives qui sont envisagées. dont l’élaboration sera certainement extrèmement laborieuse, car il n’est que de voir combien la rédaction d’un texte de vingt lignes demande de soin et de discussions pour penser que la rédaction d’un texte législatif de quelques pages demandera bien des discussions Il faut se hâter si l’on veut qu’il puisse être déposé lors de la prochaine session parlementairc. Voila, pour ma part, les conclusions les plus essentielles, on pourrait bien sur en tirer beaucoup plus, et s’il est un vœu sur lequel je crois qu’il faut insister, c’est sur le souhait que la publication des rapports qui ont été présentés aujour¬ d’hui, l’essentiel des discussions, sinon les discussions in extenso, bien sur, puisse intervenir rapidement: Et puis, je voudrais ajouter que je me suis amusé à compter le nombre des participants, et je dois dire qu’il est extrèmement signifcatif qu’il soit toujours resté à un étage extrèmement élevé : seule l’heure tardive a contraint un certain nombre de participants à nous quitter en cours de route, mais nous restons encore assez nombreux pour attester que cette réunion avait certainement sa raison d’être, et que d’autres, plus spécialisées, auront aussi leur raison d’être. Permettez-moi de remercier tous ceux qui ont bien voulu, à un titre ou à un autre, animer cette réunion, lui donner sa dimension, et merci à tous les parti¬ cipants. (La séance est levée à 19 heures.). 117 Conchusions...... TABLE DES MATIÈRES J. — Introduction..... II. — Origine et classification des produits toxiques donnant lieu à abus. Pr J. B. BOISSIER.................. 11 III. — Etude pharmacologique des substances toxiques donnant lieu à abus. 25 Pr P. SIMON .................... .::1 39 IV. — Etude expérimentale de la pharmaço-dépendance. Pr Joseph JACOR. V. — Possibilités de dépistage des toxicomanies. Pr E. FOURNIER..... 57 VI. — Discussion ................................................... 60. VI. — Evolution du concept international de lutte contre l’abus des « drogues 3. Dr J. MABILEAU................................. 71 79 VI. — Aspects de la toxicomanie en France. M. P. OTTAVIOLT........... 87 IX. — Discussion............... 91 X. — Pharmaçologie clinique des abus. Pr P. DENIKER et Dr D. GINESTET. NI. — Psychoses cannabiques. Dr B. DEFEn........................... 101 NII. — Centre anti-poisons et pharmaço-dépendance. Pr M. GAULTIER .., 109. XIL. — Diseussion....... ...... 113 XIV. — Prévention et thérapeutique de l’abus des substances psychotropes. Table ronde présidée par le Pr P. DENIKER................. 117 XV. — Discussion............... 135 ACHEVE D'IMPRIMER LE QUINZE MAI 1970 SUR LES PRESSES DE SOULISSE ET CASSEGHAIN A NIORT Dépôt legal : 2 trim, 1970. N° 1003. 288-32-84 INSTITUT NATIONAL DE LA SANTÉ ET DE LA RECHERCHE MDICALE 3. RUE LÉON-BONNAT, 3 A R1S : X V 1