AD SANTTATEMA MINISTÈRE DE LA SANTÉ PUBLIQUE ET DE LA POPULATION MONO GRAPHIE DE L'INSTITUT NATIONAL D’HYGIENE N°25 EPIDÉMIOLOGIE ET PROPHYLAXIE DE LA VARIOLE ÉTUDE DES INCURSIONS DE LA VARIOLE A PARIS AU COURS DES VINGT DERNIERES ANNÉES Déductions épidémiologiques et prophylactiques PARIS 19 6 2 VRTVTE DVCE CO MVCE FORTITVDINE COLLEGIVM CIVILE par L. BOYER Professeur à la Faculté de Médecine de Paris A. ROUSSEL Adjoint au Directeur de l'Institut National d'Hygiène AD SANITATEN MINISTERE DE LA SANTÉ PUBLIQUE ET DE LA POPULATION MONOGRAPHIE DE L’INSTITUT NATIONAL D'HYGIENE N° 25 ÉPIDÉMIOLOGIE ET PROPHYLAXIE DE LA VARIOLE ÉTUDE DES INCURSIONS DE LA VARIOLE A PARIS AU COURS DES VINGT DERNIÈRES ANNÉES Déductions épidémiologiques et prophylactiques PARIS 19 6 3 VIRTVTE DVCE CO- MITE FORTITVDINE COLLEGIVM CIVILE par L. BOYER Professeur à la Faculté de Médecine de Paris et A. RQUSSEL Adjoint au Directeur de l’Institut National d’Hygiène PRÉFACE Si j’ai accepté avec empressement de préfacer ce livre, c’est tout d’abord en souvenir de la collaboration si précieuse que le Professeur Bover m’a apportée dans l’exercice des diverses fonctions que j’ai remplies au cours de ces vingt dernières années, à Paris, dans le Dépar¬ tement de la Seine et dans la Région parisienne. C’est aussi en raison de l’intérêt considérable que présente cet ouvrage. Au moment où une recrudescence de quelques maladies infec¬ tieuses ou épidémiques se manifeste, et préoccupe, à juste titre, les autorités responsables, ce livre vient à point pour rappeler que l’huma¬ nité est loin d’en avoir fini avec les maladies contagieuses, en dépit des moyens extraordinaires que l’on a trouvés pour les combattre. et en dépit des résultats spectaculaires obtenus contre certaines d’entre elles. Le cas de la variole est, à cet égard, fort démonstratif. Cotte maladie, qui, grâce à la vaccination obligatoire, avait totalement disparu dans notre pays, a provoqué dans la région parisienne en 1942. en 1947 et en 1948 trois épidémies qui sont ici minutieusement décrites. Les auteurs analysent, avec perspicacité, les raisons de ces resur¬ gonces, et indiquent, avec toute leur exceptionnelle compétence, les moyens à mettre en œuvre pour en éviter le retour. Ils montrent, très judicieusement à mon sens, que le danger, loin de s’éloigner, ne pourra que s’aggraver au cours de ces prochaines années en raison du nombre et de la rapidité croissantes des contacts qui, par l’avion. s’établissent entre les réservoirs orientaux de virus et nos pays de l’Occident. Quant aux dispositions à prendre, elles s’inspirent des principes de l’épidémiologie la plus classique. Elles doivent tendre à assurer la rapidité et la sureté du diagnostic — l’application rigoureuse des mesures prophylactiques, et en particulier des vaccinations. — la surveillance stricte des contacts, et leur éventuel isolement. Boyer et Roussel montrent que, dans les trois épidémies relatées. ces objectifs n’ont pas toujours été atteints d’une façon parfaite. Ils PRÉFACE 4 révèlent surtout que, dans les épidémies à venir il en sera de même gi les dispositions indispensables ne sont pas prises des maintenant. I ne saurait être question de rappeler ici toutes ces mesures. Elles sont longuement décrites dans le texte de l’ouvrage. Nous voudrions toutefois insister sur quelques-unes des sugges¬ tions formulées par les auteurs, parce qu’elles nous apparaissent capi¬ tales. Il s’agit par exemple de l’obligation de combler cette lacune de notre législation qui ne permet pas à l’autorité sanitaire de prescrire l’hospitalisation d’office des sujets contacts. Il s’agit également de l’intérêt que présenterait une modification des instructions données à nos services sanitaires en ce qui concerne les certificats de vaccina¬ tiona délivrés à l’étranger. Il s’agit aussi de la nécessité absolue de disposer, sur l'’ensemble de notre territoire, pour prévenir et combattre efficacement les épi¬ démies, de fonctionnaires sanitaires possédant une compétence éprouvée dans ce domaine, avant une connaissance pratique certaine des maladies pestilentielles qu’ils sont appelés à combattre, libérés de toutes autres obligations, capables de se consacrer entièrement à leur tâche, et pourvus, en tous temps, d’une autorité suffisante s’étendant, le cas échéant, bien au-delà des limites arbitraires des départements ou des régions sanitaires. Il s’agit enfin pour le gouvernement de réaliser, sur le plan régional. les réformes de structure indispensables, notamment dans la région parisienne, réformes qui n’ont pu être obtenues malgré les efforts entreprises. Dr X. LECLAINCHE, Conseiller d’Etat. Directeur Général Honoraire de l’Assistance Publique ̀ Paris. Membre de l'Académie de Médecine. L'AVANT-PROPOS La région parisienne est spécialement exposée aux épidémies d’infec¬ tions transmissibles par voie aérienne. En effet elle constitue un grou¬ pement humain considérable, de 7 à 8 millions d’habitante. Les lignes de chemin de fer, les routes convergent vers Paris. L’aérodrome d’Orly, notre grand aérodrome national est très actif : en 1961, 1.454,548 voya¬ geurs sont arrivés à cet aérodrome. A ce chiffre il faut ajouter 476,706 passagers avant atf́ri au Bourget. La beauté de la capitale attire d’innombrables touristes, tant français, qu’étrangers. De nombreux voyageurs originaires de pays où sévit la variole séjournent donc à Paris. Cette ville étant le siège de presque toutes les grandes sociétés industrielles nationales, de nombreux hommes d’affaires français partent en voyage vers toutes les parties du monde : nombreux aussi sont les hommes d’affaires étrangers qui s’y rendent. Ces passagers risquent d’importer la variole dans notre pays. Jadis. lorsqu’un voyageur, en incubation de variole, venait par bateau d’une région lointaine où sévissait cette affection, la maladie éclatait à bord et des mesures étaient prises pour éviter toute incursion en France. Mais actuellement le voyageur prend l’avion et, le plus souvent, la variole débute après son arrivée, ce qui est beaucoup plus grave. La région parisienne est donc un des centres mondiaux où le risque d’importation de la variole est le plus grand. Mais c’est aussi, nous allons le voir, une des régions où une épidémie est la plus difficile à combattre. En effet, par suite de la pénurie de logements, des dizaines de milliers de salariés sont obligés d’habiter on banlieue, ou en grande banlieue, dans des « communes dortoirs » : les innombrables dépla¬ cements quotidiens facilitent considérablement la transmission d’une affection aussi contagieuse que la variole. Des malades atteints de formes frustes ont pu, nous le verrons, voyager dans des trains de banlieue, dans le métropolitain, dans les autobus, dans les taxis, ce qui constitue un gros risque de diffusion. Mais les difficultés viennent aussi, ce qui est paradoxal, d’une situation administrative complexe datant de Napoléon Ier. A cette époque. la structure fixée était bonne : le département de la Seine contenait AVANT-PROPOS 6 toute l’agglomération parisienne : les déplacements étaient peu rapides. et fatalement limités. Le Préfet de police qui avait la charge dans tout ce département de la lutte anti-épidémique —- ou plutôt de la «police sanitaire », comme on disait alors — avait aussi des pouvoirs excep- tionnelle, que lui donnait l’arrêté des consuls du 12 Mesidor an VIII. Bref, il y avait alors une unité de commandement. Maintenant au contraire, l’agglomération parisienne déborde lar¬ gement le département de la Seine : la motorisation a rendu les dépla¬ cements aisés, si bien que les communes dortoirs sont situées en Seine¬ et-Oise, en Seine-et-Marne et même dans l’Oise. Les nombreux salariés qui y habitent se rendent chaque jour à Paris pour y travailler : ils dépendent des services sanitaires de plusieurs départements, et sont l’objet de mesures incoordonnées, voire divergentes, lorsqu’apparait un risque de transmission. Bien plus, dans le département de la Seine les mesures techniques à prendre sont décidées en théorie par le Préfet de Police (loi du 15 février 1902), mais en réalité par l’Inspecteur général des services techniques d’hygiène de la Préfecture de Police qui reçoit les déclara¬ tions et dirige la moitié des services techniques de vaccination et de désinfection départementaux. Son collègue, l’Inspecteur général de la Préfecture de la Seine est à la tête de l’autre moitié de ces services techniques puisqu’il dirige les services de vaccination et de désinfec¬ tion de la ville de Paris. Enfin, de très importantes mesures sont prises par l’Assistance publique dans les hôpitaux. Le système des deux préfectures a été fort critiqué, et un conseiller d’État a même cité une lettre de Napoléon ler, créateur de cette orga¬ nisation départementale bicéphale, qui se plaignait de la mégentonte des préfets de police et de la Seine. Déjà à cette époque, il y avait confits d’attribution. Or dans la lutte contre la variole, il faut une unité de comman¬ dement, car les décisions a prendre doivent être immédiates et cordonnées; la perte d’une seule journée peut être très préjudiciable et permettre. surtout dans la région parisienne, une très forte extension de la variole. Une épidémie de variole à Paris est une véritable catastrophe du point de vue économique. Elle entraine le départ des touristes : les hôtels se vident, les ventes dans les magasins diminuent, les restau¬ rants ont moins de clients : les exportations même sont perturbées. certains États demandant une désinfection préalable de produits. Il en résulte également la perte d’un grand nombre de journées de travail, car les médecins, désireux de protéger leurs clients, vaccinent souvent trop largement provoquent de très grosses réactions vacci¬ nales, locales et générales. On observe aussi des répercussions sanitaires graves. Il ne faut pas seulement considérer les morts par variole et les cicatrices définitives qui s’observent après guérison. En cas d’épidémie, on est obligé de vacciner AVANT-PROPOS dans les hôpitaux, ce qui peut être grave chez les nourrissons malades, et chez certains sujets atteints d’hémopathie par exemple : il peut en résulter quelques cas de mort,. Bref une incursion de variole est extré¬ mement préjudiciable a la France, tant du point de vue humain, qu’éco¬ nomique. Un grand hygiéniste frappé par l’énorme préjudice national qu’est une épidémie de variole, et persuadé de la nécessité absolue de prendre des mesure immédiates, dès le début d’une incursion de cette affec¬ tion, a comparé les services chargés de combattre cette épidémie à un régiment de sapeurs-pompiers. Mais il a ajouté, avec humour, que dans le département de la Seine les services sanitaires étaient compa¬ rables à un régiment de sapeurs pompiers, dont le personnel dépendrait de la Préfecture de Police, le matériel de la Préfecture de la Seine et les tuyaux de l’Assistance publique. Ce jugement a été porté il y a une quinzaine d’années : mais rien n’a changé, ce qui prouve l’impor¬ tance des obstacles politiques et des intérêts administratifs. D’ailleurs le problème n’est pas à résoudre dans le seul département de la Seine; la solution est maintenant à trouver au sein du district de Paris. Maintenant que ce district est en voie d’organisation, il est pos¬ gible de montrer la nécessité d’y inclure les services de lute contre les épidémies. En effet, répétons-le — et nous le prouverons lorsque nous exposerons les incursions de la variole dans la Seine — ce qui importe avant tout, en présence d’une incursion de variole dans la région parisienne, c’est la rapidité de la réaction prophylactique. On a de même assimilé fort justement la lutte contre une incursion de variole à la défense militaire contre une invasion brusquée. Conce¬ vrait-on, pour une armée défensive, une structure comparable à celle des services d’hygiène de la région parisienne, les décisions à prendre ne pouvant l’être qu’à l’échelon départemental 2 Cette curieuse armée serait commandée non par un général d’armée mais par des officiers d’administration à compétence purement départementale, pouvant fort bien prendre des décisions immédiates opposées, à moins qu’ils ne perdent beaucoup de temps à se consulter, pour étudier ce qui doit être fait pour l’ensemble de la région, Bien plus, si dans un département atteint, les éléments défensifs sont débordés, ils ne peuvent statutai¬ roment recevoir des renforts des autres départements encore indemnes. Ces troupes fraiches sont réduites à attendre une invasion éventuelle. dans leur département. Y aurait-il des stratèges militaires pour soutenir une telle conception basée sur le morcellement et l’immobilité de la défense " Nous ne le croyons pas. Y a-t-il des stratèges administratifs pour approuver la structure française des services de lutte contre les épidémies " Nous en doutons. En tout cas les étrangers ne peuvent manquer d’être étonnés d’une telle situation administrative, dans le pays de Descartes : Malgré cela il est un paradoxe qu’a souligné le Professeur Violle de Marseille, à l’occasion de l’épidémie qui a sévi dans cette ville il y a AVANT-PROPOS 8 quelques années. Malgré les difficultés très grandes, les incursions de variole ont été arrêtées jusqu’ici plus rapidement ̀ Paris qu’en province. En réalité la lutte contre la variole repose essentiellement sur le dépistage précoce du malade avant qu’il ne soit contagieux, ou lorsqu'ils ne l’est encore que faiblement. Pour cela il faut que l’incursion soit combattue par des médecins qualifiés en hygiène certes, mais connaissant bien aussi les maladies contagieuses et avant de l’autorité sur les médecins trai¬ tants. Dans la Seine, le Préfet de Police choisit toujours son inspecteur genéral parmi les professeurs de Faculté, spécialisés dans les maladies contagieuses. En province par contre peu de directeurs départementaux de la santé ont une expérience suffisante de la variole, pour pouvoir faire un très bon dépistage. Il en est de même des inspecteurs généraux du ministère de la santé. Les questions de structure ne sont donc pas les seules à jouer dans la lutte contre les épidémies. L’étude des incursions de variole à Paris montrera combien ces comparaisons sont justes. Nous tâcherons de faire revivre les moments angoissants que l’un de nous a vécu et de montrer toutes les dificultés qu’il a rencontrées afin que le lecteur comprenne mieux la nécessité des réformes proposées. Cette étude présente un intérêt scientifique. L’un de nous, avec H. Cambessedes, puis avec X. Leclainche et M. Tissier notamment, a fait paraitre un certain nombre de publications, portant sur certaines questions épidémiologiques et prophylactiques que nous préciserons et grouperons dans ce travail. Le fruit de notre expérience sera d’abord utile à ceux qui ont la lourde charge de lutter contre une épidémie de variole sur un terri¬ toire déterminé. Il leur permettra, en présence d’un danger comparable. de prendre les mêmes mesures que celles que nous avions prescrites. En second lieu, les pouvoirs publics connaissant mieux les imperfec¬ tions de structure dés services de lutte contre les épidémies, pourront faire les réformes qui s’imposent. A l’ère de l’aviation nous espérons que bientôt notre pays ne sera plus enfermé dans une structure admi¬ nistrative rappelant trop l’époque de la diligence. PREMIÈRE PARTIE L’ÉPIDÉMIE DE VARIOLE DE 1942 Cette épidémie fur caractérisée par des formes très bénignes, ce qui explique les fréquentes erreurs de diagnostic des médecins traitants parisiens, et, partant, les retards dans les mesures prophylactiques. De grands obstacles durent être surmontés. Ils étaient liés à la situa¬ tion créée par l’occupation allemande : absence de moyens de trans¬ port, pénurie de personnel. Notre maitre H. Cambessedes, alors ins¬ pecteur général des services d’hygiène de la Préfecture de Police, qui avait la responsabilité de la lutte contre la variole, déjà atteint des premiers symptômes de la grave maladie qui devait l’emporter trois ans après, a été secondé par l’un de nous : maie noue n’avions alore ni l’age, ni l’expérience nécessaire pour le suppléer parfaitement dans cette tache. Nous avons pu cependant bénéficier des précieux conseils du Professeur Lemierre, des Docteurs Reilly et Laporte: grâce à eux. de bons résultats furent obtenus. L. LES TROIS FOYERS HOSPITALIERS D’emblée l’incursion de variole prit l’allure d’une épidémie hospi¬ talière : trois foyers furent observés, l’un à l’hôpital Claude Bernard. salle Bouchard, les deux autres à l’hôpital Saint-Louis, salles Biett et Nelaton. A. Foyer de l’hôpital Claude Bernard. Premier cas déclaré : Cas tertiaire Pot, ambulancier, 49 ans. Le premier cas reconnu fut, selon la règle, un cas typique. Il concer¬ nait un ambulancier M. Pot, qui fut admis à l’hôpital Claude Bernard le 30 janvier 1942. Sa variole avait débuté le 24. Nous verrons qu’il s’agissait d’un cas tertiaire. Dès que le diagnostic de variole fut porté chez M. Pot., l’attention fut attirée sur la maladie de l’enfant le B.. ÉPIDÉMIOLOGIE ET PROPHYLAXIE 19 Cas secondaire Le B., 9 ans. L’enfant Le B., jamais vacciné contre la variole, était entré pour scarlatine le 10 décembre 1941 au pavillon Bouchard de l’hôpital Claude Bernard. Le 8 janvier 1942 la variole débuta. Mais le diagnostic ne fut pas posé. C’est en raison de la notion d’épidémicité que ce cas fruste put être reconnu. Une conclusion pouvait être tirée : ce varioleux, n’ayant pat quitté depuis un mois le pavillon Bouchard, y avait été certainement infecté. Il fallait donc rechercher d’urgence non seulement l’agent contamineur, mais aussi les sujets contacts réceptifs, déjà atteints de variole ou encore en incubation de cette affection, les uns étant encore à la salle Bouchard, les autres pouvant l’avoir quittée depuis quelques jours, d’autres enfin pouvant avoir été déjà contaminés par les cas tertiaires, notamment par l’ambulancier M. Pot. Les difficultés commencèrent alors, et furent très sérieuses. Il fallait en premier lieu alerter et tenir au courant jour par jour l’Ins¬ pecteur général des services d’hygiène de la Préfecture de la Seine, qui devait faire pratiquer les désinfections et les vaccinations à Paris, ainsi que le médecin-directeur régional de la santé, et divers fonctionnaires du ministère de la santé. De temps à autre, le Conseil d’hygiène de la Seine et les directeurs de la santé des départements assez proches devaient connaître l’évolution de l’épidémie. Un cas, au cours de cette épidémie, fut d’ailleurs observé en Seine-et-Oise, un autre dans le Nord, un troisième en Saône-et-Loire. Mais il fallait aussi fournir de longues explications au directeur de l’hygiène de la Préfecture de Police, fonctionnaire administratif, au secrétaire général, et au Préfet lui-même, qui légalement peut seul prendre les mesures nécessaires. Le paradoxe, gur lequel repose notre administration est le suivant : ce sont des fonctionnaires administratifs qui ont la responsabilité des mesures contre la variole bien qu’ils soient ignorants de sa prophylaxie. La comparaison avec une armée défen¬ sive qui serait dirigée par des officiers d’administration départementaux est donc justifiée. En 1942 un autre organisme a fait également perdre beaucoup de temps : les « autorités d’occupation » qui voulaient être tenues jour par jour au courant de l’évolution de l’épidémie. H. Cambessedes devait accompagner les médecins allemands aux hôpitaux Claude Bernard et Saint-Louis, et était dans l’obligation de leur faire un rap¬ port quotidien. Écartelé entre ces autorités administratives et sani¬ taires, il perdait un temps considérable et n’avait à sa disposition aucun « renfort » en personnel médical. Les directeurs de la santé des départements indemnes l’ont regardé se débattre, pendant les quatre à cinq mois qu’a duré l’épidémie, au milieu de difficultés sans nombre. Aucun d’entre eux ne pouvait lui porter secours, la structure de leur service le leur interdisant. d’une épidémie meurtrière. DE LA VARIOLE 97 complètes. Pour cela il importe que les médecins chargés de ce service soient non seulement des hygiénistes connaissant bien la réglementa¬ tion nationale, mais aussi de bons cliniciens, avant observé un assez grand nombre de cas de variole, afin de pouvoir, bien dépister cette affection. D’où les deux principes : a) Rapidité de la réaction prophylactique. D) Compétence du médecin chargé de la lutte contre la maladie. Si ces deux conditions ne sont pas remplies, l’épidémie s’étendra et il en résultera de gros dommages sur les plans humain et économique. Nous avons vu que la déclaration devait être immédiate, télépho¬ nique si si possible. Le malade doit tout d’abord être isolé rapidement dans un hôpital de contagieux. Presque toujours on y arrive par persuasion, en accord avec le médecin traitant. Dans des cas très rares, on doit employer la contrainte. Les sujets réceptifs qui ont été en contact avec le varioleux devraient, eux aussi, être isolés du moins à partir du 10e jour du contact infectant. Malheureusement la législation nationale ne permet pas de l’exiger. On ne peut que les surveiller et vacciner aussitôt leur entou¬ rage. La désinfection doit être faite minutieusement. On a recours d’ordi¬ naire aux services départementaux ou municipaux qui utilisent suivant les objets à épurer soit l’étuve à vapeur sous pression, soit le formol. La vaccination doit être diffusée pour combattre l’incursion. Mais sauf dans le cas où les risques sont très grands, et où les services sani¬ taires se trouvent débordés, par suite de l’absence de techniciens con¬ naissant bien la variole, on ne doit pas rendre cette mesure obligatoire, du moins d’emblée. D’abord, elle demande du temps pour être réalisée, notamment dans les agglomérations importantes comme Paris et sa banlieue. Ensuite il est bien préférable de courir au plus pressé, c’est-à-dire de porter son effort sur la revaccination immédiate de l’entourage des malades, et sur la, revaccination, du personnel médical et hospitalier (ambulanciers et garçons de salle d’autopsie compris). Que faire tout d’abord dans l’entourage du varioleux 2 Dans bien des cas la contamination, si elle a cu lieu, remonte à plus de deux jours. C’est ce qui s’est produit à l’aérodrome d’Orly à la fin de décembre 1961, lorsqu’on apprit qu’un varioleux, au début de son éruption, était descendu quatre jours auparavant d’un avion venant de Karachi. Dans ce, cas la revaccination des sujets contacts infectés ne pouvait empêcher l’apparition de la variole et n’était pas gans danger car elle aurait aggravé la, maladie. Il s’agissait en eff tardive de la maladie ». DE LA VARIOLE Cas princeps — Sab., 50 ans, convoyeur. Le cas princeps n’a pas été dépisté pendant la durée de sa maladie. C’est par élimination et par déduction successives qu’il a pu l’être. En effet lui seul, parmi les malades admis au pavillon Bouchard, avait présenté des symptômes pouvant faire penser à la variole. Il s’agissait d’un malade de 80 ans, convoyeur, entré le 25 dé¬ cembre 1941 à l’hôpital Claude-Bernard pour une éruption « varicelli¬ forme ». Le diagnostic de varicelle ne fut toutefois pas affirmé, pour deux raisons : 19 certains signes cliniques plaidaient contre cette affection : 29 il est exceptionnel d’observer une varicelle à la cinquantaine. Le malade ne fut donc pas admis dans le pavillon de varicelle de l’hôpital Claude-Bernard, mais au pavillon Beuchard où étaient soignés les « douteux ». Des arguments épidémiologiques étayaient en outre ces déduc¬ tions : ce malade n’avait pas été vacciné depuis très longtemps et avait fait avec son camion, de nombreux déplacements vers l’Est où il avait pu être infecté. En outre, au pavillon Bouchard, il était placé dans un box voisin de ceux occupés par les deux malades qui ont été atteints de variole quatorze jours après son admission : l’enfant Le B., cas secondaire déjà signalé et Mme Jar., qui sera à l’origine des foyers de l’hôpital Saint-Louis. Le 8 janvier en effet la variole débutait chez ces deux malades admis dans ce pavillon depuis un à deux mois. Un argument semblait cependant plaider contre la variole : le 15 février 1042, le malade ne présentait aucune cicatrice véritable sur le tégument, mais de simples taches pigmentaires à l’emplacement des éléments jadis considérés comme varicelliformes. Cet argument contraire nous avait paru très important au début de l’épidémie, mais. par la suite, nous ne lui avons guère accordé de valeur : dans cette. épidémie de 1942, les cas étaient tellement bénins que la majorité des varioles guérissaient sans laisser de cicatrice appréciable. On peut donc conclure que ce convoyeur était le cas princeps de la région parisienne. En raison de l’occupation allemande, nous n’avons pu savoir où il avait été contaminé. Certaines zones étant interdites. les renseignements nécessaires pour mener à bien notre enquête nous ont été refusés. Nous avons pu établir toutefois que ce malade n’avait contaminé personne dans son entourage. L’un de nous avait dès 1942 signalé que. beaucoup de varioles ne sèment pas la contagion pendant la période d’inva¬ sion, et même lorsque débute l’éruption, Au contraire, la contagiosité est extrême 9 partir du huitième jour. Alastrim ne veut-il pas dire « qui se propage de façon foudroyante »2 Mais il faudrait ajouter « à la période E P I D É MI FILIATION DES CAS DE VARIOLE OBSER DE LA VARIOLE 13 Deuxième cas secondaire : Mme Jar., 23 ans. Pendant son séjour au pavillon Bouchard, le convoyeur atteint de variole a contaminé, nous venons de l’indiquer, une autre malade, Mme Jar.. Le diagnostic ne fut établi qu’avec grand retard, à l’occasion de l’apparition d’un cas tertiaire typique à l’hôpital Saint-Louis, où elle avait été transférée, alors qu’on ignorait dans cet établissement l’existence de la variole à l’hôpital Claude-Bernard. Ce retard de diagnostic, habituel en France, du fait que peu de médecins savent bien reconnaître la variole, s’explique aussi pour une autre raison : la variole de Mme Jar.., était masquée par une éry¬ throdermie. Cette malade, âgée de 23 ans, était entrée le 14 novembre 1941 à la salle Bouchard, un peu irrégulièrement, pour une érythro¬ dermie arsenicale (le chef de service d’alors l’avait admise pour expé¬ rimenter un traitement sur les sulfamides). Elle y était donc hospita¬ lisée depuis près de deux mois lorsque la variole éclata. Le diagnostic ne fut pas posé, alors, car on ignorait la présence de la variole dans cet hôpital. Auparavant d’ailleurs la malade avait présenté des poussées fébriles éphémères à 390, ou même 406, fait banal dans les érythro¬ dermies qui s’infectent facilement. Ces clochera fébriles coïncidaient volontiers avec des poussées évolutives de son érythrodermie : on notait alors une recrudescence du suintement et du prurit. Mais le 8 janvier 1942, c’est-à-dire le même jour que l’enfant Le B., la malade présenta une poussée thermique toute différente, qui dura quatre jours, atteignit 4005, et s’accompagna de céphalée vive, de douleurs muscu¬ laires, mais non de suintement ni de prurit comme auparavant. Au bout de quatre jours, lorsque la température tomba, des éléments éruptifs durs, douloureux, prurigineux, apparurent sur tout le corps. surtout à la face et aux membres. Ce caractère particulier de dureté des éléments nous fut confirmé par la malade qui, aveugle, attachait une importance toute particulière aux sensations tactiles. Des croûtes survinrent ensuite. Le chef de service, pensant à une infection pyo¬ coccique grave compliquant une érythrodermie, ft alors transférer la malade à l’hôpital Saint-Louis, salle Riett, le 15 février 1942, c’est-ଠdire une semaine après le début de la variole. Nous avons pu toutefois affirmer rétrospectivement le diagnostic de variole chez Mme Jar.. Cette malade de 23 ans, vaccinée à la nais¬ sance contre cette affection, ne l’avait plus été depuis. D’autre part la variole avait éclaté quatorze jours après l’arrivée du cas princeps Sab., à la salle Rouchard et le même jour que l’enfant Le B., autre cas secondaire. Enfin et surtout, treize jours après son admission à Saint-Louis, survinrent deux épidémies de salle. Or l’enquête conduite par l’un de nous, a montré que seule Mme Jar., pouvait être respon¬ gable de l’introduction de l’infection à Saint-Louis. Aucune autre malade, soignée salle Nélaton dans cet hôpital, n’avait été atteinte d’une affection rappelant la variole. Aucune autre n’avait pu se conta¬ miner à l’hôpital Claude-Bernard. ÉPIDÉMIOLOGIE ET PROPHYLAXIE 34 Rappelons que, comme le, cas princeps, et comme de nombreux malades, Mme Jar., ne présenta aucune cicatrice véritable, consécu¬ tive aux pustules varioliques. Après la guérison, l’érythrodermie avait laissé une pigmentation généralisée qui s’estompa lentement. Le 28 janvier, si Mme Jar, n’avait pas eu la variole, elle aurait été atteinte, comme les autres malades réceptives de la galle Biett (elle n’avait pas été vaccinée depuis 23 ans), d’un épisode fébrile, suivi probablement d’une éruption. Or elle n’a rien présenté à cette époque comme le montrait sa feuille de température. Bien plus nous l’avons vaccinée, pour obtenir une preuve supplémentaire. Le résultat fut négatif, et pourtant le vaccin était, alors extrêmement actif. Toutes les personnes non vaccinées depuis plus de vingt ans et revaccinées à cette occasion avaient alors présenté de très grosses pustules. Cas tertiaires de l’hôpital Claude-Bernard Une fois établi le diagnostic de variole, la prophylaxie habituelle fut aussitôt appliquée à l’hôpital Claude-Bernard : tout le personnel médical et hospitalier, tous les malades furent revaccinés le jour même. et les visites furent interdites. Le pavillon Bouchard fut consacré à l’admission des varioleux. La revaccination des malades fut décidée. Certes, elle ne pouvait empêcher l’apparition de quelques cas quater¬ naires, car il aurait fallu la pratiquer avant l’apparition de la conta¬ giosité chez les cas tertiaires, ou à la rigueur — et encore n’est-ce pag certain — dans les deux premiers jours de cette contagiosité. Toutefois il s’agissait de variole très bénigne, et le fait d’inoculer une autre maladie infectieuse, la vaccine, ne mettait pas en danger les sujets qui étaient en incubation de variole. Mais les mesures prophylactiques ne devaient pas être limitée aux malades encore hospitalisés. Des convalescents étaient sortis de la salle Bouchard : ils étaient peut-être en incubation de variole. Des visiteurs, entrés dans ce pavillon, pouvaient également avoir été conta¬ minés. Nous avons vu qu’un ambulancier était atteint : son entourage devait aussi être surveillé ainsi que les autres ambulanciers qui avaient pu transporter eux aussi, un, varioleux. Malheureusement de grosses difficultés furent rencontrées. Le médecin-chef avait changé de service sur : ces entrefaites, do même que les assistants et les internes. Certaines surveillantes avaient été déplacées. D’autre part peu de temps après que le cas secondaire. l’enfant Le B., et le cas tertiaire Pot, nous furent déclarés l’épi¬ démie de la Salle Biett nous était signalée, puis celle de la salle Néla¬ ton, si bien que nous fumes rapidement débordés. De très nombreuses visites à domicile devaient être faites d’urgence dans tout le départe¬ ment. Le manque de moyens, de transport et de personnel qualifé déclencha les retards dans le dépistage. Or tout retard dans ce domaine DE LA VARIOLE est très préjudiciable, car il permet les propagations : il est donc indis¬ pensable d’agir très vite, et de prendre des mesures complètes. C’est à l’occasion de cette épidémie que l’un de nous saisi l’ana¬ logie existant entre l’enquête épidémiologique, en cas de variole, et celle qui est classique dans les maladies vénériennes. Aussi, dans les incursions suivantes, a-t-il eu recours aux assistantes sociales des ser¬ vices antivénériens, habituées à dépister très rapidement l’agent contamineur et les sujets-contacts, et qui, comme nous le verrons à propos des épidémies ultérieures, ne se sont pas trouvées dépaysées : elles ont rendu de très grands services en permettant, un dépistage précoce de tous les sujets-contacts réceptifs. 15 Les cas tertiaires du pavillon Bouchard, sont apparus du 24 au 29 janvier : ter cas POT., ambulancier 49 ans, (déjà signalé, voir page 9). C’est à propos de ce cas typique que la présence de la variole fut reconnue dans la région parisienne. 2e cas BAUM., 4 ans. Ce malade, jamais vacciné contre la variole a séjourné dans ce pavillon au moment où l’enfant Le B., cas secondaire, était contagieux. Sorti de l’hôpital, il ressentit les premiers symptômes de variole à son domi¬ cile le 26 janvier. Il fut admis à nouveau au pavillon Bouchard le 31 janvier lorsque l'’éruption parut. Il peut donc être considéré comme un cas tertiaire. 3e cas Mme MON, 25 ans, ambulancière. La maladie débuta le 20 janvier : l’hospitalisation à Claude¬ Bernard eut lieu le 4 février, c’est-à-dire le sixième jour de la variole. Ainsi deux ambulanciers ont été atteints au cours de cette épi¬ démie. Ces faits montrent combien on doit attacher d’importance à la revaccination périodique de ce personnel contre la variole. 4e cas : Mme Voe CHTAB., 690 ans. Cette malade, non vaccinée depuis fort longtemps, fut admise le 3 février : elle a été considérée comme un cas de contamination indirecte du pavillon Bouchard. 56 cas M. MON., Jean, 54 ans. Ce malade, employé de restaurant, non vacciné depuis fort long¬ temps, a été infecté en rendant visite à sa fille, hospitalisée au pavillon peut-être été une variole fruste. ÉPIDÉMIOLOGIE ET PROPHYLAXIE Bouchard. La variole débuta le 26 janvier et M. Mon., fut admis le 2 février à l’hôpital Claude-Bernard. Nous verrons qu’un autre malade. M. Har, a été contaminé au pavillon Bouchard, après l’apparition des cas tertiaires. I) sera plutôt rangé dans les cas quaternaires. Nous avons surveillé les autres personnes avant pénétré dans ce pavillon infecté pendant la durée de la contagiosité, alors que la variole n’avait pas été soupçonnée, c’est-à-dire pendant plus d’un mois. Aucun autre visiteur n’a été trouvé atteint d’une forme éruptive. Toutefois certains ont présenté un épisode pseudo grippal sans éruption, qui a 16 Cas quaternaires de Claude-Bernard. Ils sont au nombre de deux. ler cas : Mme POT., 45 ans. Il s’agit de la femme de M. Pot., ambulancier, premier cas rer¬ tiaire. Dès que ce cas nous fut signalé, l’entourage fut surveillé et vacciné. Un seul cas quaternaire survint : Mme Pot.. L’affection débuta chez elle le 12 février 1942. La malade n’a pu être contaminée après le 30 janvier, puisque son mari fut hospitalisé ce jour. Il est probable qu’elle a été infectée à ce moment. La durée de l’incubation aurait été alors de quatorze jours. Il est peu vraisemblable que Mme Pot., ait été contaminée un ou deux jours avant, car l’incubation aurait été alors de quinze à seize jours, durée excessive. Tout porte donc à croire que Mme Pot., n’a été infectée par son mari qu’au sixième jour de sa variole. 26 cas, enfant HAR.., 3 ans. Un second cas peut être rangé soit parmi les cas tertiaires tardifs. soit parmi les cas quaternaires. Il s’agit d’un enfant jamais vacciné, hospitalisé au pavillon Bouchard. Il y fut contaminé vers le ler février, jour où un cas tertiaire de variole M. Pot,, venait d’y être admis et découvert. Ce pavillon était infecté en outre par le cas secondaire Le B.. La variole débuta le 14 février. Le cas est tertiaire si l’agent conta¬ minateur était l’enfant Le B. Il est quaternaire si l’infection était due à l’ambulancier Pot., qui venait de transmettre la maladie à sa femme. Chronologiquement, il est apparu avec les cas quaternaires: c’est pour¬ quoi nous l’avons rangé dans ce groupe. B. Foyers de l'’h6pital Saint-Louis Le premier cas dépisté à Saint-Louis fut un cas tertiaire. Mme Pip. 47 ans, non vaccinée depuis fort longtemps. En effet Mme Jar., cas grippale. DE LA VARIOLE 17 secondaire responsable des deux foyers des salles Biett et Nelaton. admise, salle Biett (service Flandin) le 15 janvier 1942, ne fut pas alors considérée comme atteinte de variole, l’éruption étant masquée par une érythrodermie arsenicale. I. A la Salle Henri IV: dépistage d'un cas tertiaire Mme PIP..., 47 ans et apparition d’un cas quaternaire. Une malade de chirurgie. Mme Pip., Agée de 47 ans, admise salle Nélaton le 5 janvier, attira la première l’attention : elle avait en effet été atteinte d’une forme typique. La variole commença le 30 janvier par une forte fièvre à 406, accompagnée de céphalée et de rachialgie. L’affection fut prise pour une grippe, car 15 malades de cette sale pré. sentèrent les mêmes symptômes, à trois ou quatre jours d’intervalle. Mais au bout de quatre jours, quand la fièvre rétrocéda, l’éruption apparut. Lorsque les chirurgiens constatèrent la présence de très nom¬ breuses pustules, ils pensèrent à une affection cutanée et transférèrent la malade salle Henri IV (service du Professeur Degos). Le diagnostic de variole fut alors porté assez rapidement le 5 février. Le personnel médical et hospitalier du service du Professeur Degos ainsi que les malades furent aussitôt vaccinés. Une seule malade ne put l’être, car elle était dans un état. très grave (pneumonie double, subcoma). Elle guérit néanmoins de son affection, mais fut atteinte de variole pendant sa convalescence, ce qui prolongea de quinze jours les mesures prophylactiques à l’hôpital Saint-Louis. La présence durant vingt-quatre heures, dans une salle non boxée, de la varioleuse. au septième jour de la maladie, avait suffi pour l’infecter. Dans ce cas, il ne saurait être question de discuter la mesure d’exception prise à l’égard d’une malade qui était dans un état extré¬ mement grave lors de la vaccination de la salle. Il faut bien apprécier cependant les conséquences qui peuvent résulter de mesures prophy¬ lactiques incomplètes : elles compliquent fatalement la lutte contre la variole. II. Foyer de la Salle Biet. C’est dans cette galle que fut admis le cas secondaire. Mme Jar. atteinte d’érythrodermie et de variole. L’état de cette femme nécessi¬ tait des soins constants qui exposaient particulièrement à la contagion les autres malades de cette galle non boxée, ainsi que le personnel soignant. En outre la varioleuse était le 15 janvier à la période de forte contagiosité (8e jour de la maladie), lorsqu’elle fut transférée à l’hôpital Saint-Louis, Treize jours après, le 28 janvier, éclatèrent chez des malades de la salle Biet et même parmi le personnel soignant, des épisodes fébriles simultanés considérés alors comme une épidémie de nature ÉPIDÉMIOLOGIE ET PROPHYLAXIE 18 a) Deux cas tertiaires : Mmes BRI, 28 ans, et JAB. Chez ces deux malades hospitalisées, une éruption discrète, bientôt pustuleuse, apparut lors de la chute de la température. Le diagnostic de variole ne put être fait alors, car on ignorait la présence de cette affection à l’hôpital Saint-Louis. Il put être établi quelques jours plus tard, lorsque la nature de la maladie de Mme Pip, fut reconnue. b) Formes très atténuées ou sans éruption : dix cas Dix malades furent atteintes de formes frustes, considérées par le chef de service comme sans éruption. En réalité en examinant très minutieusement ces dix malades, nous avons constaté chez trois d’entre elles la présence de trois à dix pustulettes, sans aréole érythémateuse. mais dures et enchâssées dans le derme. Vraisemblablement, il s’agissait de formes extrêmement frustes. Dans le personnel soignant, on cong¬ tata quelques formes purement fébriles. L’un de nous a insisté alors sur la fréquence relative dans cette épidémie, de ces formes fébriles pures, jadis signalées par plusieurs auteurs, mais qui paraissent s’être manifestées plus rarement dans les épidémies antérieures. Sans doute la bénignité de la variole de 1942. favorisait-elle l’apparition de ces formes extrêmement atténuées. Pour bien les mettre en évidence, il fallait observer de épidémies de Sillee Dès que le foyer de la salle Biett nous fut signalé, nous avons recherché si la variole n’était pas survenue, ou n’allait pas apparaître chez les malades avant quitté la salle depuis le 15 janvier, date à laquelle fut admis le cas secondaire Mme Jar.., ainsi que chez les nombreux visiteurs avant pénétré dans la salle Biett pendant la période de conta¬ giosité. Nous avons pu ainsi dépister quelques épisodes fébriles sans éruption, pris encore pour des grippes, qui étaient vraisemblablement des varioles atténuées : mais il ne pouvait être question de les faire hospitaliser. Leur entourage fut vacciné et aucun cas ne fut observé. parmi ces sujets contacts. En outre, nous dépistâmes en ville deux cas typiques de variole. e) Deux cas tertiaires découverts en ville : Mmes de SEV, 35 ana et JUD,, 34 ans Le premier cas (Mme de Sev..), fut observé chez une malade admise le 22 janvier dans la galle infectée, et l’avant quittée le 27. sur sa demande : l’autre (Mme Jud.) concerne une personne avant rendu visite à une malade hospitalisée dans la galle Biett, alors infectée. Les mesures prophylactiques furent aussitôt prises en ville, dans leur entourage et aucun cas quaternaire n’a été observé. On peut s’étonner que cette variole bénigne n’ait pas fait plus de ravages dans cette salle où 42 femmes étaient hospitalisées. C'est 19 DE LA VARIOLE qu’il s’agissait d’un service de dermatovénéréologie, où étaient admises surtout des femmes jeunes atteintes de syphilis ou de gale, maladies très fréquentes alors. Presque toutes avaient été vaccinées au coura de leur lre et de leur lle année, conformément à la loi de 1902 et heau¬ coup restaient encore suffisamment protégées contre cette variole par¬ ticulìrement bénigne. Il en fut tout autrement dans la salle Nélaton. galle de chirurgie, située au-dessus de la salle Biett où étaient traitées surtout des femmes âgées (atteintes pour une grande part de fractures du col du fémur en ce mois de janvier 1942 particulièrement froid on le verglas avait provoqué nombre de fractures). Ces femmes agées qui n’avaient généralement pas été vaccinées depuis l’âge de 1l ans avaient perdu totalement leur immunité. III. Foyer de la salle Nltaton La variole éclata dans cette salle aux environs du 30 janvier. c’est-à-dire en moyenne deux à trois jours plus tard que dans la salle Biett. Nous expliquerons ce retard et nous verrons le lien qui existe entre ces deux foyers. Dans ce service de chirurgie apparurent alors : ) Six cas typiques (Mme PIP., 47 ans. LER., 63 ans. CIL., 27 ans. COL., 46 ans. PRU., 25 ane et PEL., 62 ans) : b) Siz cas frustes (Mme LAD., 70 ans. NOR., 60 ans, BLAN, 56 ana, MIE., 50 ans. DET., 52 ans et MAL., 54 ans) : e) Trois cas sans éruption. Il faut noter que certains cas frustes étaient extrêmement atté¬ nuég. L’une des malades ne présentait même qu’une gueule pustule au milieu du menton, petite, mais typique. Un examen attentif permettait d’écarter la possibilité d’une infection folliculaire, conique, et centrée par un poil. De plus l’épisode thermique s’était manifesté à deux ou trois jours près, en même temps que celui des malades atteints de variole typique : enfin, la pustule unique ou les rares pustules (5 à 10 éléments) étaient apparues en même temps que l’éruption typique observée chez les autres malades, et toujours des la chute thermique. 4) Apparition de trois cas tertiaires retardes (Mmes CAN., 70 ans BREU, 64 ans et COUR., 53 ans). Enfin il faut signaler 3 varioles que nous rangeons parmi les cas tertiaires, comme les autres cas des salles Biett et Nélaton. En effet ces trois malades sont entrées à la salle Nélaton dans les tout derniers jours de janvier ou les premiers jours de février, alors qu’on ignorait encore la présence de la variole à l’hôpital Saint-Louis. A ce moment les cas tertiaires de la salle Nélaton n’étaient encore qu’au stade d’inva¬ ÉPIDÉMIOLOGIE ET PROPHYLAXIE 20 sion. Il est donc probable que ces trois femmes ont été contaminées comme les autres malades de la salle Nélaton, par le cas secondaire Mme Jar. Le début de ces varioles remontait en effet respectivement aux 12, 14 et 16 février. Peu de malades étaient sorties de la salle Nélaton pendant la période de contagiosité. Aucune n’a été atteinte de variole, du moins d’une forme avec éruption. 301 visiteurs avaient pénétré dans cette salle pendant la période contagieuse : aucun n’a été atteint de forme éruptive. Manifestement la contagiosité était faible salle Nlaton. Origine de la contamination de la salle Nelator La première idée qui nous vint à l’esprit était de rechercher l’agent contaminateur parmi les personnes entrées salle Nélaton, aux environs du 18 janvier. Or aucune malade n’avait présenté alors d’éruption suspecte, comme d’ailleurs aucun membre du personnel et aucun visiteur. Nous interrogeâmes à nouveau, pour plus de sureté avec un soin extrême, tous ces malades, tout ce personnel et tous ces visiteurs. Aucun suspect ne fut découvert. Nous recherchâmes en vain une liaison avec le foyer de l’hôpital Claude-Bernard (Pavillon Bouchard). Nous interrogeâmes les quelques malades sorties de la salle Nélaton depuis le 15 janvier. Nos investigations, pourtant extrêmement pous¬ sées, furent négatives. Aucun varioleux ni même aucun malade atteint d’affection fébrile suspecte, n’avait été admis à la salle Nélaton aux environs du 18 janvier. Toutes les feuilles de température ont été examinées avec grand soin. A cette époque aucun chirurgien, aucune infirmière n’avait présenté d’épisode pseudo grippal. Nous avons aussi émis d’autres hypothèses : la contamination ne provenait-elle pas d’un médecin ou d’une surveillante du service Flandin qui aurait pu infecter ces deux salles à ce moment-la. 2. Ces investigations ont été également négatives : ce personnel, avait beau¬ coup plus de rapport avec la salle d’hommes de ce service qu’avec les salles de chirurgie. D’ailleurs le sujet qui aurait pu-infecter 18 malades. salle Nélaton, aurait contaminé une partie de son entourage. Or pèr¬ sonne n’a été trouvé infecté dans l’entourage, des médecins, ou des infirmières de l’hôpital Saint-Louis. Autre argument : aucun cas de variole n’était apparu dans l’autre salle de chirurgie du même service, la salle Lecène, ou étaient soignée beaucoup d’hommes âgés, atteints de fracture du col du fémur, et réceptifs à la variole, comme l’a montré la vaccination ultérieure (fortes pustules). Or les chirurgiens passaient assez souvent de, la, salle de femmes à la salle d’hommes et inversement. Aucun cas n’avait été constaté non plus vers le 18, janvier parmi les garçons des salles Biett et Nélaton, attendant aux heures des"repas la livraison de la nourriture des malades. Ils avaient d’ailleurs le même 21 DE LA VARIOLE contact avec ceux de la salle Lory (O. R.L.) où aucun cas de variole n’a éclaté. Les surveillantes de garde ou de veille ont été elles aussi indemnes. Si elles avaient été contagieuses, d’autres salles auraient été infectées. La contamination n’avait pas eu lieu dans les jardins de l’hôpital Saint-Louis où les malades valides pouvaient se promener. En effet Mme Jar., de Biett n’était jamais sortie à cause de son érythrodermie. D’ailleurs il, faisait très froid, et peu de malades, avaient quitté leur salle pour prendre l'’air. Certaines varioleuses, admises en chirurgie. étaient clouées au lit depuis, le jour de leur admission, notamment celles atteintes de fracture du col du fémur. Enfin si la contamination avait eu lieu dans le jardin, elle ne se serait pas limitée à la salle Nélaton où elle a été massive, mais on aurait observé des cas disséminés dans les diverses salles de l’établissement. Dernier point : aucun objet susceptible d’être souillé (pulvéri¬ sateur par exemple) n’avait, été prêté depuis le 1er janvier par les infirmières de la salle Biett à, celles de la salle Nélaton. C’est alors que l’un de nous, se demanda si une communication n’existait pas entre la salle Biett et la salle Nélaton sus-jacente — com¬ muniéation qui pourrait expliquer une infection d’origine aérienne. De telles, contaminations avaient été suspectées par des épidémiolo¬ gistes. Des propagations avaient été signalées chez des personnes habitant près d’un hôpital, où étaient admis des varioleux, et qui n’avaient jamais pénétré dans cet établissement. De même en Angle¬ terre on avait observé le cas suivant : un-navire à quai étant infecté de variole, une propagation, s’effectua dans le port, suivant le sens du vent.. L’un de nous ne tarda pas de découvrir la communication entre les deux salles : un pole à air chaud (en réalité l’air n’était qu’ 400 envi¬ ron), placé dans la salle Biett, chauffait cette salle et la salle Nélaton sus-jacente. En théorie l’air provenant d’une prise d’air extérieure, s’échauffait au contact du conduit de fumée, et se répandait dans les deux salles. Mais cette prise d’air n’avait jamais été nettoyée depuis plus de dix ans, et semblait bouchée : il en résultait que l’atmosphère de la salle Nélaton était souillée par de l’air venant de la salle Biett, comme nous l’avons constaté avec une flamme de bougie. Une quan¬ tité assez forte d’air de la salle Biett pénétrait à contre courant dang l’appareil récupérateur, en passant par les bouches de chaleurs notam¬ ment lors du va-et-vient, des malades et du personnel ou lors de l’ouver¬ ture d’une porte. Cet air pollué s’échauffait au contact du conduit de fumée et s’échappait par les bouches d’aération de la salle Nélaton. Au, contraire, à la belle saison, quand le poêle était éteint, le passage de l’air d’une salle à l’autre était insignifiant. La constatation de l’un de nous fut confirmée par l’opération de désinfection pratiquée salle Biett : lorsqu’après la sortie du dernier malade, on a commencé à répandre du formol, dans cette salle, l’odeur présentèrent des épisodes fébriles. ÉPIDÉMIOLOGIE ET PROPHYLAXIE 92 en a été très rapidement ressentie salle Nélaton. Le picotement des veux incommodait à tel point les malades, que l’on dut aussitôt obturer hermétiquement les bouches de chaleur et aérer la pièce. Cet incident au cours de la désinfection apporte la preuve expérimentale de la communication importante qui existait entre ces deux galles, lorsque le poêle était allumé. On pourrait se demander si la chaleur du conduit de fumée n’était pas capable de détruire le virus varioleux. En réalité l’air ne restait que peu de temps au contact de cette source de chaleur et sa tempé¬ rature ne dépassait jamais 400. D’ailleurs les microbes, on le sait. résistent beaucoup plus à la chaleur sèche qu’à la chaleur humide. On peut donc penser que la salle Nélaton sus-jacente, était moins souillée que la salle Biett, où était soignée une varioleuse. Or la conta¬ giosité était manifestement moins forte dans la salle de chirurgie, malgré les apparences. Si le nombre total des varioleux a été compa¬ rable dans les deux salles, les cas ont été dans l’ensemble plus bénins à Biett. Nous avons déjà dit pourquoi : à Biett, étaient en général soignées des femmes jeunes, dont beaucoup avaient encore conservé un certain degré d’immunité, tandis qu’en chirurgie, étaient admises des femmes âgées. D’ailleurs la vaccination, pratiquée dans tout l’hôpis¬ tal, a montré la plus grande réceptivité des malades dans les salles de chirurgie, la moyenne d’âge y étant nettement supérieure. De plus, les malades de la salle Nélaton dont le lit était placé près des bouches de chaleur (comme Mme Pip..) ou celles, assez valides. qui, avant très froid, passaient des heures près des bouches de chaleur du poêle, et respiraient directement l’air souillé qui s’en échappait, ont été atteintes de formes moins bénignes. En outre les infirmières pla¬ caient souvent auprès de ces bouches de chaleur des alèzes pour les chauffer. Au contraire l’atmosphère de la salle de chirurgie hommes (Paul Lecène) du ler étage, et celle de la galle Nélaton qui lui était contigue ne communiquaient guère entre elles. L’air chaud de Paul Lecène venait d’un poêle situé dans une autre salle sous-jacente et sortait par l’interstice des fenêtres, comme la flamme de bougie nous l’a montré. Quelles autres raisons nous permettent de penser qu’épidémiolo¬ giquement tout se passait comme si la contagiosité dans la salle Nélaton. était plus faible que dans la salle sous-jacente 2 D’abord, dans la salle Riett la plupart des cas de variole débu¬ tèrent le 28 janvier, c’est-À-dire treize jours après l’arrivée du cas secondaire Mme Jar.. C’est à ce moment que les malades présentèrent une affection diagnostiquée alors grippe, mais qui était en réalité une variole fruste ou une forme gans éruption. C’est à ce moment que plusieurs infirmières furent atteintes d’une forme fébrile pure. Une visiteuse contracta même une variole avec éruption, et d’autres DE LA VAROLE 3 Or, dans la salle Nlaton les cas furent plus espacés, comme a les malades n’avaient pas été atteintes le même jour. Ils apparurent souvent plus tard. Ils s’échelonnèrent en effet du 28 janvier au 3 février — réserve faite des 3 derniers cas explicables par une admission nette¬ ment postérieure à l’arrivée de Mme Jar., à Biett. Donc la contami¬ nation n’a généralement pas été immédiate. De plus, peu d’infirmières de Nélaton ont été atteintes de cette « pseudo grippe ». Enfin aucun visiteur n’a été infecté. Et pourtant pendant la période de contagiosité, 301 d’entre eux avaient pénétré dans la salle Nélaton. Ils ne s’étaient pas chauffés aux bouches de chaleur car ils étaient restés au chevet des malades. Ils étaient beaucoup plus nom¬ breux que dans la galle Biett sous-jacente qui n’hébergeait que 40 malades, alors que, dans la salle Nélaton, on en comptait 78. En outre à Biett étaient soignées les syphilitiques qui reçoivent d’ordinaire peu de visites. Nous avons, à cette époque, attiré l’attention de l’Assistance publique sur les inconvénients et les dangers que présentaient ces appareils. Le chauffage central a été installé rapidement. Nous croyons pouvoir conclure de nos observations que Mme Jar. atteinte de variole masquée par une érythrodermie arsénicale a conta¬ miné non seulement les malades de la salle Biett, mais qu’elle a été à l’origine du foyer de la salle Nélaton. Le virus a été véhiculé par l’air provenant de la salle Biett. Nous avons pu établir qu’aucun cas de variole p'’a été transmis par un médecin, une infirmière ou une autre personne apparemment Saine passée d’une salle infectée à une salle indemne, lorsqu’on ignorait encore la présence de la variole dans l’hôpital et lorsqu’aucune pré¬ caution particulière n’était prise. Les mesures prophylactiques furent rigoureuses dans les hôpitaux : le personnel fut vacciné en totalité. Les hôpitaux Claude-Bernard et Saint-Louis furent l’objet de mesures supplémentaires : à Claude¬ Bernard les visites furent interdites en principe, sauf cas exceptionnel (état très grave d’un malade). Dans ce cas les quelques visiteurs devaient au préalable se faire vacciner. A Saint-Louis les consultations de ser¬ vice furent supprimées. Tous les malades se firent examiner à la consul¬ tation dite de la porte. Les visiteurs devaient se faire vacciner ou pré¬ 25 DE LA VARIOLE genter un certificat attestant qu’ils avaient subi avec succès la vacci¬ nation depuis moins de cinq ans. Dans les salles infectées aucun visi¬ teur n’était admis : aucun mouvement de malades, aucune admission n’ont été tolérés pendant les quinze jours suivant l’envoi à l’hopital Claude-Bernard du dernier varioleux. A ce moment les salles ont été évacuées afin de permettre une désinfection complète au formol. C’est alors, et alors seulement, que les mesures spéciales purent être levées. Ainsi dans les hôpitaux de Paris l’épidémie a été rapidement maîtrisée. Prévenus lors de l’apparition des cas tertiaires, nous n’avons pas pu éviter quelques cas quaternaires, mais nous les avons limités. Il n’y à eu aucune contamination hospitalière ultérieure, pas plus à Claude-Bernard qu’à Saint-Louis. Mais si la variole dans ces deux établissements avait pu être arrêtée de façon aussi satisfaisante que possible, des nouvelles inquié tantes nous parvenaient en mai : quelques cas sans rapport avec les fovers connus avaient été constatés dans l’agglomération parisienne. L’épidémie entrait dans une seconde phase. H. CAS ISOLES DANS LA REGION PARISIENNE Vingt-et-un cas, presque tous sans liaison entre eux, ont été dépistés dans la région parisienne en mars et au début d’avril. Le dernier a ́te observé en mai. Ce fut pour nous une très grosse déception. En efet la presse avait annoncé depuis le début de février l’existence de la variole à Paris. Les médecins étaient alertés. H. Cambessedes leur avait recommandé de lui déclarer par téléphone, en raison de l’urgence les cas suspects de variole ou de les adresser en ambulance à l’hôpital Claude-Bernard, car certains malades ou suspects étaient venus à cet hêpital en utilisant l’autobus, le métropolitain, voire même les vélo¬ taxis. L’un de nous se rendait à domicile pour les examiner et, au moindre doute, faisait hospitaliser le suspect à Claude-Bernard. Or ni les médecins de cet hopital ni nous-mêmes n’avions constaté en février de cas inexpliqué de variole¬ La plupart des cas déclarés étaient d’ailleurs des erreurs de dia¬ gnostic. Beaucoup de varicelles hémorragiques, pustuleuses ou hyper¬ thermiques, beaucoup d’érythèmes polymorphes, très nombreux en février et mars 1942, et même de gales infectées chez des sujets avant été, atteints de grippe, nous ont été déclarés. L’erreur était excusable en-raison de la rareté extrême de la variole à Paris et de la bénignité de cette affection. L’inverse, c’est-à-dire la non déclaration d’un cas certain, eût été beaucoup plus grave. Nous avons vu combien étaient débordés, pour des raisons admi¬ nistratives, les services sanitaires chargés de la lutte contre la variole. ÉPIDÉMIOLOGIE ET PROPHYLAXIE 28 Or cet état a été aggravé par ces nombreuses déclarations erronées, par les enquêtes à domicile destinées à examiner les malades avant quitté les salles infectées ou les visiteurs (plus de 500) y avant pénétré : il fallait souvent retourner plusieurs fois à leur domicile pour les ren¬ contrer, certains pouvant n’être joints qu’aux heures du repas du soir. Quand, au début de mars, nous avons connu l’existence de cag aberrants dans la région parisienne, la situation a changé à notre grande déception, Jusqu’alors nous croyions avoir toute l’épidémie, en main. Nous la contrions, nous prévoyions même sa terminaison rapide grâce aux mesures énergiques prescrites. Nous connaissions, en effet. tous les sujets-contacts des varioleux, nous les avions vaccinés aussitôt que possible, dès que le malade avait été reconnu suspect de variole. Nous ne savions d’ailleurs pas si ces sujets-contacts allaient ou non être à leur tour atteints de variole, car l’expérience nous avait montré que, au cours de cette épidémie, les varioleux étaient peu ou pas conta¬ gieux au début de la maladie, même dans les premiers jours de la phase éruptive. Mais nous avions vacciné aussi l’entourage de ces sujets¬ contacts, et au cas où la variole aurait éclaté chez ces derniers que nous surveillions, une barrière solide était déjà établie. En mars donc, la situation avait changé. Nous ne dominions plus l'épidémie de variole. Nous « colmations » les foyers nouveaux. Nous étions réduits, pour dépister les nouveaux cas, à attendre lea déclarations des médecins traitants et nous savions que ces derniers en raison de la rareté extrême de la maladie en France, nous étaient d’un secours très incertain. Nous dûmes faire un nouvel appel aux médecins, qui fut suivi par une vague de déclarations d’érythèmes polymorphes, de varicelles et même de gales infectées. On ne peut s’imaginer, quand on n’a pas vécu ces moments, combien on peut être débordé, et combien il serait nécessaire de soulager l’action des méde¬ cins en modifiant la réglementation, de manière à supprimer les éche¬ lons inutiles, et partant, à éviter toute perte de temps. En effet le médecins chargés de la lutte contre la variole devraient pouvoir, ae consacrer uniquement à cette tâche. Comment expliquer l’origine de ces cas isolés, épars dans la région parisienne " Nous avons essayé de l’établir, mais sans succès. Le varioleux français ou allemand qui avait infecté en décembre le convoyeur Sab., n’avait-il pas aussi contaminé d’autres personnes 2 Mais alors comment se fait-il qu’en janvier et février, aucun cas n’ait été dépisté en ville 2 En février la présence de la variole à Paris n’était pas ignorée des médecins. La contamination est-elle pour origine une personne réceptive avant rendu visite à un malade hospitalisé à Claude-Bernard en jan¬ vier 1942, à une époque où le diagnostic de variole n’était pas établi au pavillon Bouchard 2 C’est fort possible, d’autant que pour les rai¬ sons que nous avons indiquées, nous n’avons pas pu dépister tous leg visiteurs. 27 DE LA VARIOLE Mais si cette hypothèse parait assez probable, d’autres ne sont pas à écarter. Nous avons da faire près de 500 enquêtes au domicile des personnes qui avaient pénétré à l’hôpital Saint-Louis dans les salles contagieuses pour rendre visite à un malade, à un moment où on ignorait la présence de variole. Nous avons pu examiner presque tous ces sujets-contacts, parfois avec difficulté d’ailleurs, et dans beau¬ coup de cas, avec retard, car on ne pouvait souvent les joindre qu’aux heures des repas. Or quelques personnes ont refusé de se faire examiner. ou n’ont pu être retrouvées. Peut-être l’une d’entre elles était-elle atteinte de variole atténuée, ce qui expliquerait les cas disséminés en ville. Peut-être aussi la contagion était-elle secondaire à l’absence de désinfection sérieuse des ambulances, à une époque où on ignorait la présence de la variole à Paris. Nous avons vu en effet que deux ambu¬ lanciers ont été contaminés. Or si, depuis que la présence de la variole à Paris avait été décelée, les ambulances étaient correctement désin¬ fectées, après le transfert d’un varioleux ou d’un suspect, il n’en était pas de même auparavant : on se bornait alors à une courte aspersion d’antiseptique dont l’effet était purement psychologique. Enfin dernière hypothèse : la contagion provenait-elle de maladee atteints de formes sans éruption 2 Nous avons particulièrement étudié le cas des personnes qui, après avoir pénétré dans les salles infectées des hôpitaux Saint-Louis et Claude-Bernard, avaient présenté un épisode fébrile, avant pu être une variole sans éruption. Certes, l’entou¬ rage de ces malades avait été vacciné dès qu’il avait pu être possible de le faire, c’est-à-dire dès que l’alerte avait été donnée, mais le plua souvent assez tard, dans quelques cas même une huitaine de jours après le début de cet épisode fébrile, alors que les sujets étaient prati¬ quemont guéris. Nous n’avons décelé aucune propagation et pourtant, répétons-le, nous avons exercé une surveillance très étroite. Aucun de ces sujets atteints vraisemblablement de variole sans éruption n’avait d’ailleurs présenté d’énanthème. Des radiographies pulmo¬ naires n’étaient pas encore effectuées à cette époque, cette pratique étant plus récente. Bref nous ne pouvions écarter formellement l’hypo¬ thèse d’une contamination par un sujet-contact, infecté en pénétrant dans une salle où des varioleux méconnus avaient été admis, notamment su pavillon Bouchard de l’hôpital Claude-Bernard, et n’ayant été atteint que d’une variole sans éruption. En conclusion aucune liaison n’avait pu être établie entre leg foyers hospitaliers et les 21 cas de variole, pour la plupart sana rap¬ port entre eux, qui furent dépistés grâce aux déclarations des médecins de ville en mars, avril et mai 1942. Dès qu’un foyer était découvert, la vaccination de l’entourage était pratiquée et comme cette variole atténuée était peu contagieuse à la période d’invasion, et même dans les premiers jours de la phage éruptive, nous eûmes la chance de ne constater qu’un minimum de ÉPIDEMIOLOGIE ET PROPHYLAXIE 28 propagation. Ces résultats furent obtenus grâce à une excellente liaison avec les services du Docteur Besson Un gros effort de vaccination avait été entrepris dans la popu¬ lation des l’annonce du premier cas de variole. Nous n’avions pas alors à craindre de gêner le tourisme du fait que la France était occupée. Il n’y avait pas de voyageurs venant de l’étranger, réserve faite dès individus que l’on appelait alors touristes et qui n’étaient pas spécia¬ lement intéressants pour l’économie française. Donc la prolongation de l’épidémie n’a pas été très dommageable à notre pays. Dès la fin mars, 50 0% des habitants de la région parisienne étaient vaccinés avec succès, ce qui a contribué grandement à l’arrêt de l’épidémie et ce qui a constitué une assurance importante contre une nouvelle incursion de la maladie. Dans les derniers jours d’avril, nous pensions à nouveau que l’épi¬ démie pouvait être terminée. Nous ne pouvions alors faire que des suppositions ou des souhaits, car nous ne contrôlions pas l’épidémie. Malheureusement en mai nous eûmes une grosse déception devant l’apparition d’un nouveau cas. Ce fut le dernier. Aucune déclaration ne nous arriva par la suite, sauf bien entendu des cas signalés par erreur. L’épidémie se termina donc en mai. Elle était duré cinq mois, : HI. REMARQUES SUR L’ÉPIDÉMIE DE VARIOLE DE 1942 Caractères cliniques Cette épidémie très bénigne a eu les caractères suivants : Invasion. — Le début de l’affection fut généralement brusque. Le malade se plaignait de céphalée, de rachialgie. La fièvre s’levait à 390 ou 40° pour diminuer le 3e ou 4e jour. Dans la plupart des obser¬ vations, le diagnostic d’abord porté fut celui de grippe, car cette affec¬ tion sévissait. fortement alors : mais on ne constatait généralement ni coryza ni toux. Les phénomènes gastro-intestinaux (épigastralgie, vomissements) ont été inconstants et les rashs très rarement constatés. comme le soulignait le Professeur Lemierre dans une conférence faite à la Faculté de Médecine. Éruption. — Aux environs du 4e jour, l’état général s’améliorait : la céphalée et la rachialgie rétrocédaient et le malade se croyait presque guéri quand apparaissait l’éruption. L’exanthème, débutait à la face et se généralisait rapidement, presque toujours en une seule poussée. Il s’agissait d’abord de papules pouvant évoquer celles d’une rougeole boutonneuse, mais celles-ci se transformaient le lendemain en vésico¬ pustules contenant un liquide trouble. Ces éléments étaient durs, enchâssés, en grain de plomb, parfois ombiliqués, entourés d’une collerette rosée et souvent, très prurigineux. Ils, étaient disséminés 29 DE LA VARIOLE sur tout le corps, sans confluences et avaient, volontiers les particula¬ rités régionales suivantes : à la face, ils étaient souvent groupés en bou¬ quet, rappelant les vésicules d’herpès ; aux poignets ils étaient parti¬ culièrement durs : à la paume des mains et à la plante des pieds, du fait de la résistance de la couche cornée, ils semblaient papuleux et évoquaient quelquefois des syphilides palmo-plantaires (cas P., en particulier) ; ils persistaient longtemps. D’assez nombreuses formes cliniques ont été constatées au cours de l’épidémie, non pas des formes graves, hémorragiques, confluentes. mais des formes anormalement bénignes. Citons succinctement : — des formes pustuleuses sans collerette érythémateuse (fréquentes) : — des formes miliaires où les pustules avaient les dimensions d’une tête d’épingle : — et surtout des formes particulièrement discrètes par la rareté des éléments, dont le diagnostic n’a pu être fait que grâce à la notion d’épidémicité. Nous avons vu qu’une malade de la galle Nélaton ne présentait seulement qu’une pustule du menton. Chez une autre malade l’éruption se limitait à deux éléments acnéiformes du dos: une autre à trois éléments pustuleux. Ces dernières variétés constituaient des intermédiaires entre les formes normales et les formes atténuées sans éruption. La maladie se présentait alors sous forme d’une poussée thermique isolée. Il s’agissait cependant bien de variole, la clinique, l’épidémiologie et le résultat de la vaccination s’accordant parfaitement pour confirmer ce diagnostic : 19 Cliniquement la période fébrile était analogue à celle d’invasion de la variole, quoique plutôt atténuée. La rachialgie, à quelque degré qu’elle se présentât, prenait une grande valeur : 20 Du point de vue épidémiologique, on était frappé par la coinci¬ dence chronologique de cette poussée thermique avec celle des vario¬ leux qui allaient être atteints d’éruption quatre jours après : 3° En ce qui concerne la vaccination, lorsqu’on la pratiquait chez de tels malades, elle donnait des résultats négatifs dans les jours qui suivaient la poussée fébrile, bien que ces sujets n’aient pas été vaccines depuis longtemps, et bien que le vaccin fut alors particulièrement actif. Période de dessiccation. — Les pustules se desséchaient vers le 9° jour, s’ombliquaient et se recouvraient d’une croûte qui persistait pendant une quinzaine de jours. Les croûtes laissaient après elles, dans quelques cas, des cicatrices indélébiles, comme dans les varioles clas¬ siques. Souvent, même dans cas non traités, elles n’ont laissé qu’une pigmentation fugace sans cicatrice. Pronostic et mortalité. — On ne peut parler de mortalité dans cette épidémie très bénigne, puisque les trois décès observes chez des ÉPIDÉMIOLOGIE ET PROPHYLAXIE 30 malades avaient des causes différentes (sénilité 82 ans, cancer très avancé et misère physiologique chez une femme de 67 ans). Les autop¬ sies n’ont pas permis de mettre en évidence de signes de variole maligne et en particulier d’hémorragie. C’est pourquoi le Professeur Lemierre insistait, beaucoup, sur la mortalité presque, négligeable de cette, épi¬ démie comparée aux taux de 30 % de celle de 1926, et de 70 %% dans certaines épidémies plus anciennes. Réceptivité La variole de 1942 a atteint surtout des femmes, et particuliè¬ rement des femmes âgées. Sur 61 cas avec éruption on trouve 36 femmes, 12 hommes et 13 enfants. L’absence fréquente de revaccination des femmes à la 2le année explique ce fait. Les hommes, généralement vaccinés au service militaire et pendant les guerres (1914 et 1939). ont été beaucoup moins souvent atteinte. Aucun cas n’a été constaté dans la première enfance où l’immu¬ nité vaccinale est solide (pas de variole avant 3 ans). Les varioles observées chez les enfants (sont survenues presque toutes avant la seconde vaccination (âge moyen 9 ans). Après la lle année, les cas ont été rares et ne sont redevenus nombreux qu’à partir de 35 ans. L’age moyen des varioleux adultes a été de 52 ans. De nombreux Nieillards ont contracté l’affection. Les adultes atteints n’avaient pas été vaccinés en moyenne depuis trente-cinq ans, et l’ancienneté de la vaccination est frappante dans presque tous les cas. Sur les 61 malades, 4 cependant affirmaient avoir été revaccinés dans les trois dernières années, mais sans succès Il est possible également que l’immunité soit très différente selon les sujets. C’est ainsi que lors de l’épidémie de la salle Nélaton une malade âgée de 77 ans, non vaccinée depuis la naissance, a été atteinte d’une variole sans éruption, alors qu’une de ses voisines, agée de 47 ans. vaccinée deux fois (à la naissance et à II ans) mais non revaccinée depuis trente-six ans, a été assez sérieusement atteinte. Réserve faite de cette différence individuelle de réceptivité, l’an¬ cienneté de la vaccination joue un rôle capital dans la contagion de la variole. Dans le même ordre d’idées, le, nombre de vaccinations est également important. C’est ainsi que cette épidémie de variole atténuée a rarement atteint les personnes vaccinées 3 fois dans leur existence. Quoiqu’il en soit, la réceptivité nous a paru être du tiers environ chez les femmes adultes, avant la mise en œuvre de la vaccination générale. Sur les 40 malades hospitalisées salle Biett, 14 ont été atteintes (4 varioles nettes et 10 formes très atténuées ou sans éruption) : à la salle Nélaton, sur 78 malades, 18 cas ont été constatés (9 nets, 6 discrets. 3 sans éruption), mais peut-être quelques malades de cette salle moins infectée ont-elles pu échapper à la contagion. DE LA VARIOLE 31 Durée de la contagiosité Noue avons vu, qu’au début de l’éruption, d’assez nombreux varioleux n’avaient pas semé la contagion. En outre dans ces formes atténuées, les croûtes tombaient bien avant le 40e jour. Toutefois dans un cas de contagion hospitalière, la transmission de la variole s’est opérée dans un délai anormal, au 45e jour de la maladie. S’est-il agl de transmission directe tardive 2 La variole était en effet beaucoup plus contagieuse à la période de dessiccation, comme nous l’avons souligné alors. S’agit-il de contagion indirecte explicable par l’absence de désinfection 2. Nous n’avons pu l’établir. Mode de contagion Au début de l’épidémie, lorsque la filiation a pu être établie. l’origine de la transmission était toujours une variole au stade pustuleux ou croûteux. Nous avons abordé plus haut (voir page 27) l’hypothèse d’une transmission par des formes sans éruption. Nous n’y reviendrons pas. Il est peu probable que la propagation se soit opérée ainsi, les formes éruptives ambulatoires n’étant, pas rares dans cotte épidémie très bénigne. Par contre nous avons pu démontrer le transport du virus par l’ai venant d’une salle infectée (voir page 21). Isolement Comme la variole est peu contagieuse au début, l’isolement pré¬ coce des malades constitue une des bases de la prophylaxie de cette affection. Dans presque tous les cas, l’hospitalisation rapide des vario¬ leux ou des suspects à Claude-Bernard a pu être réalisée aisément. Nous avons rarement rencontré des difficultés, qui furent aplanies ans avoir recoure à l’hospitalisation d’office, prévue par la loi de 1902. Désinfection La désinfection au domicile du malade a été opérée avec célérité par les services préfectoraux. Par contre, on eut à se pencher sur le cas des ambulances avant transporté des varioleux ou des suspects. D’ordi¬ naire on se borné à pratiquer 4 à 5 coupe de pulvérisateur à main. Lorsqu’il y ’avait danger de transmission de la variole, l’ambulance était désinfectée au formol et les couvertures l’étaient dans des étuves à vapeur. Cette pratique a évidemment gêné le transport des malades, car pendant l’occupation allemande, les ambulances étaient assez rares. Mais on ne pouvait faire autrement pour arrêter l’épidémie. ÉPIDEMIOLOGIE ET PROPHYLAXIE 32 Vaccination La question de la vaccination s’est tout naturellement posée dès la constatation des premiers cas: fallait-il la rendre obligatoire ou conve¬ nait-il seulement de la conseiller " Les deux thèses furent examinées dans une réunion présidée par le docteur Leclainche, alors directeur régional de la santé et de l’assistance. L’épidémie s’annonçait bénigne et peu contagieuse : la vaccination immédiate généralisée était d’une réalisation extrêmement difficile, pour une agglomération de 4 millions d’habitants, et une telle mesure ris¬ quait de susciter des réactions excessives dans la population. On décida donc de s’arrêter à la seconde solution : la vaccination devrait être aussi prompte et aussi généralisée que possible, mais sans caractère obligatoire : on ne recourrait à l’obligation vaccinale que si l’évolution de l’épidémie venait à l’exiger. Il était en outre préférable de courir au plus pressé, c’est-à-dire d’organiser des vaccinations systématiques immédiates dans l’entou¬ rage des cas connus et des sujets-contacts risquant d’être en incuba¬ tion de variole, notamment de ceux avant quitté une salle infectée ou y avant pénétré en visiteur, à un moment où on ignorait la pré¬ sence de l’affection. De même les malades et le personnel des hôpitaux furent immédiatement revaccinés, ainsi que les ambulanciers. En même temps, par voie d’affiche et de presse, la population de la région parisienne était informée avec prudence de l’existence de cas de variole et de la nécessité qu’il y avait à se faire vacciner. Les heures et lieux des séances publiques de vaccination étaient indi¬ qués. Ces séances, dont beaucoup avaient lieu dans les écoles, étaient largement ouvertes au public. Un certificat constatant le succès était délivré huit jours après aux intéressés. En cas d’insuccès, on revacci¬ nait. D’autres séances furent organisées aussi sur les lieux de travail par les soins des services médicaux. Le meilleur esprit de compréhension a régné partout dans le personnel à tous les échelons. Ainsi, sans aucun désordre, et même sans perturbation des services, de nombreux employés de bureau et ouvriers d’usine furent revaccinés en peu de jours. Pour ne citer que quelques exemples, les 28 000 employés des P.T.T. le furent en une semaine et les 15 000 gardiens de la paix le furent rapi¬ dement sans que le service en fût interrompu. Bientôt, du reste, tant à Paris qu’en banlieue, les séances furent fixées aux heures de liberté du public. Elles étaient destinées spécia¬ lement aux retardataires. Les résultats ont confirmé entièrement les espérances, Tout se passa dans l’ordre, sans aucun affolement. En et-il été de même ai la vaccination et été, rendue obligatoire, au début de l’épidémie 2 Il est permis d’en douter quand on connait l’afflux de la population aux premières séances et quand on garde le souvenir de la longue file de gens attendant devant les portes de l’Institut de vacome DE LA VARIOLE 33 L’activité de cet Institut est à souligner : il a fourni 4 millions de doses dans le seul mois de février. Il eut été intéressant de connaître le nombre total de personnes vaccinées à cette occasion. En dépit de nos efforts pour l’établir, nous n’avons pu y parvenir de façon très exacte. Des sondages exercés dans divers milieux, en particulier par les, assistantes scolaires, qui ont pu procéder à des enquêtes dans les milieux familiaux, il semble résulter que le pourcentage varie suivant le lieu, le moment, la propagande faite et le genre de population. C’est ainsi que le quartier de l’hôpital Saint-Louis où des foyers avaient été découverts ge prêta fort bien à la vaccination : mais si, au début, dans l’émotion de l’annonce de la variole, les séances de vaccination furent très fréquentées, elles le furent moins dès que le bruit se répandit que la maladie se présentait sous une forme bénigne et que rapidement l’épidémie s’éteignait. On peut toutefois affirmer que plus de la moitié de la population de la région parisienne a été revaccinée à cette occasion. A cette époque, de grosses réactions vaccinales, locales et géné¬ rales ont été constatées. Le vaccin était actif, mais sans l’être toutefois excessivement. En effet dans les écoles, les médecins opérant avec la même technique les revaccinations au cours de la lle année, avaient constaté des résultats identiques à ceux des années précédentes. Le vaccin contrôlé sur le lapin par M. le Professeur H. Bénard et Mlle le Docteur Tissier s’était révélé actif, mais sans excès. Comment expliquer dans ces conditions les très grosses réactions locales constatées dans le public 2 C’est qu’alors les médecins pensant immuniser plus surement vaccinaient très largement, trop même. pourrait-on écrire. Au lieu d’une ou deux scarifications de 3 millimètres, ila pratiquaient deux à trois scarifications beaucoup plus longues, et ils vaccinaient volontiers à la cuisse des femmes âgées, non immu¬ niséos depuis trente ans et plus. Il en résultait de grosses pustules avec parfois un œdème très accusé ainsi que des poussées fébriles à 300 et quelquefois 400. Lorsqu’un nourrisson présente une forte réaction locale et de la fièvre, la famille, prévenue, ne s’inquiète pas trop, car c’est assez habituel. Mais lorsqu’une femme réceptive est atteinte des mêmes accidents, il s’ensuit de vives protestations et celles-ci ont été nombreuses en 1942. En outre, le vaccin est d’ordinaire quelque peu atténué pendant les jours qui précèdent sa vente. Or en 1942, il était employé immé¬ diatement après sa sortie de l’Institut de vaccine. Pour donner un exemple de l’activité du vaccin, il convient de signaler le pourcentage considérable de succès (70 à 80 0% chez l’adulte selon les statistiques). Nombreuses étaient, répétons-le, les réactions vaccinales pustuleuses. Bien plus, 50 0% des personnes vaccinées dans les trois dernières années — avec succès — ont présenté soit des papulo¬ vésicules, soit même des pustulettes. Pour expliquer ces constatations, on a, en 1042, invoqué la sous¬ ÉPIDÉMIOLOGIE ET PROPHYLAXIE 34 alimentation. Or, chez les écoliers, sous-alimentés eux aussi, et qui avaient été vaccinée selon la technique habituelle, on a constaté des résultats normaux. Il est peu probable que ce facteur ait eu quelque influence. La même remarque est applicable à diverses collectivités dans les¬ quelles la sous-alimentation était très marquée. C’est ainsi que les vagabonds de la maison départementale de Nanterre ont présenté les réactions vaccinales habituelles. L’observation contraire prend également toute sa valeur. De très grosses réactions vaccinales ont été relevées dans les mêmes proportions chez des commerçants (bouchers, épiciers) qui ne souffraient sirement pas de sous-alimentation. En outre si la sous-alimentation avait diminué la résistance de l’organisme au virus vaccinal, elle aurait du, selon cette hypothèse. avoir une action comparable à l’égard du virus de la variole. Or, cette affection est restée très bénigne, dans la très grande majorité des cas. D’ailleurs les mêmes critiques concernant l’activité anormale du vaccin seront émises au cours des épidémies ultérieures, alors qu’il n’était plus question de sous-alimentation. De même la rougeole, la scarlatine, la fièvre typhoïde, ont été moins graves en 1942 que d’ordinaire. Seule la diphtérie faisait des ravages à ce moment, mais en 1943 et surtout en 1944, époque où la sous-alimentation s’était aggravée, ceux-ci avaient très nettement diminué. En 1945, l’un de nous, à l’occasion de l’épidémie de typhus exanthématique, a signalé la très faible mortalité constatée chez les déportés, sous-alimentés à l’extrême. EPIDÉMIE DE 1947 Une seconde épidémie survint en 1947 (1). 33 cas furent observés. quelques-uns en ville, et la plupart dans les hôpitaux, surtout à Claude¬ Bernard et à la Salpêtrière, mais aussi aux Enfants assistés et à Saint¬ Louis. Beaucoup de jeunes enfants non vaccinés furent atteints. En effet la natalité était alors élevée depuis deux ans et les accoucheurs. en raison des fortes réactions observées en 1942, ne vaccinaient géné¬ ralement plus les nouveaux-nés normaux dans les maternités. Certes la variole de 1947 fut plus contagieuse que celle de 1942: la tâche était donc plus difficile. Mais par chance, nous avons été alertéa assez tt, quelques jours après l’apparition des cas secondaires, (et non après le début des cas tertiaires, comme au cours de l’épidémie de 1942). En 1947, il était trop tard pour éviter l’apparition des caa tertiaires, mais on pouvait éviter les cas quaternaires. L’un de nous a réussi dans cette tâche, maie au prix d’un effort considérable, grâce notamment à l’aide d’assistantes sociales antivénériennes, grâce à une bonne entente entre les services du Docteur Besson et les siens. et grâce enfin au fait que cette variole, dans la plupart des cas, n’était guère contagieuse au début de la période éruptive. L’épidémie put être contrôlée de bout en bout. Jamais nous n’avons été réduits, comme en 1942, à colmater les foyers, à attendre les déclarations des médecins de ville, très souvent erronées. Sauf dans un cas (l’origine du foyer de la Salpêtrière est restée douteuse), tous les sujets-contacts des vario¬ leux ont été connus, surveillée et au moindre doute hospitalisés. Leur entourage avait été vacciné au préalable, si bien que la variole ne pou¬ vait s’étendre. Fait capital, le secrétaire général du ministère de la ganté et le directeur régional nous avaient fait confiance : il n’y eut donc pas de (1) L’un de nous avait eu la douleur de perdre deux ans plus t6t son mattre H. CAMBESSEDES, et lui avait succédé à l’Inspection générale des services tech¬ niques d’hygiène de la Préfecture de Police, Jeune encore, il a assumé alors cette énorme responsabilité qu’est la lutte contre la variole à Parie. Heureusement i avait l’expérience de l’épidémie de 1942 et il a pu compter sur les conseils des Pr LEMIERRE et MOLLARET ainsi que des Dre LAPORTE et REILLY dont on connait la grande compétence en ce domaine. ÉPIDÉMIOLOGIE ET PROPHYLAXIE 36 perte de temps pour rédiger de longs rapports et pour assister à des commissions. Nous avons pu nous consacrer entièrement à notre tâche. Il en a été de même à la Préfecture de Police. Donnons un exemple : le décret-loi du 4 octobre 1930 sur l’organisation de la nation en temps de guerre, qui avait été prorogé, permettait encore l’hospitalisation d’office sur simple demande de l’autorité sanitaire. Or une varioleuse refusait l’hospitalisation de façon formelle. Elle nous avait prévenu que, puisqu’on avait décidé de l’admettre à Claude-Bernard, elle allait quitter son appartement « pour être tranquille » et qu’elle s’arran¬ gerait pour qu’on ne puisse plus la retrouver. Nous n’eûmes alors qu’à téléphoner au commissaire de police du quartier en nous basant sur le décret-loi de 1939, et qu’à rédiger à la hâte un certificat. Nous pûmes obtenir d’urgence cette hospitalisation d’office. Le commissaire avant aussitôt, par téléphone, obtenu l’autorisation de son directeur, donna des ordres et un quart d’heure après la malade fut priée par les gar¬ diens de la paix de prendre le chemin de l’hôpital Claude-Bernard. Si nous n’avions pu utiliser ce décret-loi, que serait-il arrivé 2 Il aurait fallu obtenir un arrêté préfectoral d’hospitalisation d’office. conformément à la loi de 1902. Pour cela, il eut été nécessaire de suivre la voie hiérarchique, c’est-À-dire expliquer la situation au directeur administratif de l’hygiène, puis au secrétaire général, puis au préfet. lequel aurait donné des ordres au commissaire intéressé. Une demi¬ journée aurait été perdue en déplacements, attentes pour être recu. explications, discussions, etc. Or la perte d’une demi-journée, au début d’une épidémie de variole, au moment où les services, chargés de la combattre risquent d’être débordés est extrêmement préjudiciable à la prophylaxie. Les mesures indispensables autour des autres qujete¬ contacts, généralement nombreux, sont alors prises avec retard, et l’on risque fort de ne plus pouvoir maitriser l’épidémie. Il y aurait eu également une seconde conséquence, Pendant ce temps la varioleuse aurait disparu : elle aurait pu semer alors la conta¬ gion autour d’elle, dans un quartier inconnu de nous. La situation aurait donc pu être totalement inversée, si nous n’avions pas eu à notre disposition le décret-loi de 1939 permettant de prendre des mesures immédiates dans ces cas d’extrême urgence. Les résultats de notre action prophylactique ont été les suivants : Le ler mars 1947, on nous signalait par téléphone la présence d’un cas de variole. Le 23 mars, le dernier cas tertiaire débutait et aucun autre ne survenait par la suite. L’épidémie était terminée au bout de trois semaines. Pour montrer la rapidité avec laquelle s’est arrêtée l’épidémie, donnons un exemple. De très nombreux habitants de Parie et de la Seine se sont faits revacciner, conformément aux conseils donné. Or, l’inoculation a été pratiquée dans la majorité des cas à un moment où l’épidémie était déjà terminée, ce dont nous n’avions pas encore lal 31 DE LA VARIOLE certitude. L’expérience de 1942 nous avait rendu prudents. D’ailleurs pendant ce temps, c’est-à-dire en avril, nous recevions une centaine de déclarations de variole des médecins traitants de ville. Dans une épidémie de ce type, nous savions d’avance que la plu¬ part des déclarations n’étaient pas justifiées et qu’elles surchargeraient considérablement notre service, à un moment où il risquait d’être débordé. Mais comme nous risquions de laisser échapper un cas réel. Il fait demander la déclaration des cas douteux. HISTOIRE DE L’ÉPIDÉMIE FOYER DE L’HOPITAL, CLAUDE RERNARD A. Premier cas déclaré : ALT.. J. 3 ans, cas secondaire mortel Le premier cas nous fut signalé par téléphone, le samedi ler mars 1947, par le Docteur Reilly, chef du laboratoire de l’hôpital Claude-Bernard. Il concernait une enfant de 3 ans, non vaccinée, qui venait d’Afrique du Nord et n’était en France que depuis trois mois. Cette fillette entra le 9 février 1947 à l’hôpital Claude-Bernard. pavillon Jenner, pour une varicelle. Quinze jours après son admission, la température monta brutalement à 400 et s’accompagna d’une forte altération de l’état général. Au bout de deux jours, une éruption mor¬ biliforme apparut, qui fit discuter le diagnostic de rougeole anormale : mais le 4e jour, des vésico-pustules survinrent en grand nombre. Le ler mars, on constatait une éruption confluente formée de pustules dures enchâssées dans le derme, groupées en placard sur la face et les membres : aucun élément pustuleux n’était encore apparu sur le tronc. Le 3 mars, la variole était devenue typique, Elle était confluente à la face et aux membres. Les pustules étaient au contraire moins nombreuses sur le tronc. Aux paumes des mains et aux plantes des pieds, on constatait de nombreux éléments. En outre, il existait un net énanthème au niveau de la muqueuse buccale. Aussi le Docteur Laporte, chef de service, posa-t-il de façon formelle le diagnostic de variole. La température, qui avait nettement baissé lors de l’apparition de l’éruption pustuleuse, remonta à 400 au bout de quelques jours : l’enfant devint prostrée et mourut de variole confluente. Épidémiologiquement, le premier cas connu ne pouvait être qu’un cas secondaire. En effet l’enfant avait été contaminée peu après son arrivée au pavillon Jenner, pavillon de varicelle, car le 24 février. c’est-à-dire quinze jours après son admission, les premiers symptomes 33 EPIDÉMIOLOGIE ET PROPHYLAXIE de variole débutaient. Cette déduction put être vérifiée : l’agent conta¬ minateur était un varioleux admis par erreur dans le pavillon Jenner : il y a fait d’ailleurs de nombreuses victimes. B. Recherche du cas princeps : DUC., L. 88 ans. Aussitôt après avoir eu connaissance de ce cas certain de variole. noua avons examiné tous les malades présents dans ce pavillon aux environs du 9 février, date d’entrée de l’enfant Alt.. J. L’agent conta¬ minateur, un homme de 88 ans, Duc. J, put être aisément dépisté. Il avait été admis le 10 février 1947 au pavillon Ienner, c’est-a¬ dire le lendemain de l’entrée de l’enfant AIL. J. Il était déjà au huitième jour de sa maladie. Cette dernière avait débuté par un épisode diagnos¬ tiqué en ville « grippe grave ». L’éruption n’avait pas coïncidé, comme dans la varicelle, avec l’élévation de température, mais elle était apparue au moment d’une amélioration éphémère de l’état général. Le malade fut alors hospitalisé. Comme il n’y avait, depuis cinq années, aucun cas de variole connu à Paris, l’interne de garde porta le diagnostic de vari¬ celle grave, malgré l’âge du malade et l’admit alors au pavillon Jenner. Nous l’avons examiné dès la déclaration du cas précédent, c’est-ଠdire un mois après le début de la maladie. Le diagnostic rétrospectif de variole était néanmoins plausible car il existait encore de nombreux éléments plantaires brunâtres typiques. Ce convalescent de variole ne ge rappelait pas avoir été vacciné. Il avait vécu pendant quatre vingts ans dans un petit village et n’était arrivé à Paris que depuis peu de temps. Les déductions cliniques tendant à faire de lui le cas princeps de l’épidémie de la salle lenner furent confirmées par les trois arguments épidémiologiques suivants : 19 Douze à quatorze jours après l’admission du vieillard, une épidémie de variole fut observée au pavillon Jenner : 29 Avant d’être hospitalisé, il avait contaminé à son domicile. nous allons le voir, sa fille et une voisine qui l’avait aidé à s’habiller au moment de son transfert à Claude-Bernard : 30 S’il n’avait pas été lui-même l’agent contaminateur, il aurait contracté la variole comme les autres sujets réceptifs hospitalisés dans ce pavillon. Or, aucun épisode fébrile n’a été constaté sur sa feuille de température au moment de l’éclosion des cas secondaires. Indiscutablement, ce vieillard était le cas princeps de l’épidémie de Claude-Bernard. Restait à connaître comment il avait été conta¬ miné. Nos recherches furent très difficiles. Ce vieillard était très sourd : il l’était même obstinément lorsqu’on l’interrogeait sur l’origine de sa maladie, pour éviter de répondre à des questions embarrassantes. En effet, à son domicile, ses voisins nous ont déclaré qu’il mendiait dans 39 DE LA VARIOLE le métropolitain et près de la gare de l’Est, qu’il vendait parfois aux passants des cigarettes anglaises au prix du marché noir, enfin qu’il dépensait l’argent qu’il gagnait dans des cafés fréquentés par des misé¬ reux et, parait-il, par quelques Nord-Africains. Ces renseignements étaient certes vagues et, a priori, ne pouvaient nous conduire à une piste bien sérieuse. Nous avons néanmoins fait des recherches dans ce sens. Or on avait signalé alors quelques cas de variole dans l’est de l’Europe, d’autres en Afrique du nord et, en outre, une petite épidémie en Angleterre. Aucun cas de variole n’avait encore été observé en France. Nous avons tout d’abord pensé qu’une liaison pouvait être établie entre les épidémies françaises et anglaise, peut-être à l’occasion du trafic de cigarettes, mais les épidémies française et anglaise ont été simultanées et l’épidémie anglaise a été plus grave (six morts sur quinze cas). Aucun fait précis n’a pu être apporté en faveur d’une contami¬ nation possible par un voyageur venant d’Europe orientale ou d’Afrique du nord. Bref, nous n’avons pu, malgré nos recherches, établir l’ori¬ gine de la contamination de ce vieillard. Rappelons qu’en janvier 1947 les voyages par avion étaient déjà fréquents, et le contrôle sanitaire sur les aérodromes n’était pas encore institué. B. Autres cas secondaires Notre enquête a permis d’établir que ce varioleux avait contaminé en ville deux personnes et, au pavillon Jenner, dix autres (dont la fillette de 3 ans décédée, cas déjà rapporté). 1. — Cas contractés en pille : deux 1). Cas de Mlle DIC., 60 ans Mlle Duc. C. fille du vieillard atteint de variole, a été dépistée par nous-mêmes au cours de l’enquête épidémiologique faite au domi¬ cile du vieillard. Elle n’avait pas été vaccinée depuis une cinquantaine d’années. Le 20 février (c’est-a-dire un peu avant l’apparition de l'épidémie du pavillon Jenner et vingt jours environ après le début de la variole de son père qu’elle avait soigné à son domicile), elle fut prise de fris¬ sons, de rachialgie et de céphalée. Un médecin porta le diagnostic de grippe. Les troubles généraux rétrocédèrent au bout de quelques jours. A ce moment apparut une éruption très discrète. La malade restait très asthénique êt gardait encore la chambre quand nous l’avone dépistée. Ce sont les arguments épidémiologiques plus que l’observation clinique qui permirent de porter le diagnostic. Nous étions en présence DE LA VABIOLE d’une variole encore contagieuse. Il était nécessaire d’isoler la malade à Claude-Bernard. Nous avions tout tenté pour la faire hospitaliser, mais la malade refusa catégoriquement. La persuasion avant échoué, la malade fut hospitalisée d’ofice par les soins du commissaire de police. 41 2). Cas de Mme DEB.. C., 44ans. La seconde personne contaminée en ville par le vieillard était Mme Deb.. C., 40 ans. Cette personne s’était infectée en l’aidant à s’habiller et à descendre l’escalier au moment de son transfert à l’hôpital. Le 24 février, c’est-à-dire quatorze jours après cet unique contaet infectant, la variole débuta par un épisode fébrile accompagné de céphalée et de rachialgie. Deux jours après, la température baissa et une éruption morbilliforme apparut. Le surlendemain, on constata la présence de vésico-pustules, petites, assez dures, prédominant à la face et aux membres. La malade fut alors admise à l’hôpital Claude¬ Bernard, au pavillon Nicolle (douteux), à un moment où on ignorait encore la présence de la variole à Paris. Les circonstances épidémiologiques (contact infectant, absence de revaccination poaitive depuis trente ans), imposèrent bientôt le dia¬ gnostic de variole qui fut d’ailleurs vérifé par le fait suivant : l’en¬ fant Dem.. M., Agé de 2 ans, admis au pavillon Nicolle dans le box voisin, fut contaminé par la malade. I1. — Cas secondaires contractes au Pavillon Jenner (dix). Nous avons vu que le vieillard avait contaminé en ville deux per¬ sonnes et au pavillon Jenner une enfant A. J., âgée de 3 ang, décédée de variole confluente. Neuf autres malades de ce pavillon furent éga¬ lement infectés par lui à la même époque. Ce gont : a) Cina enfants, non vaccinée, admis au pavillon Jenner pour varicelle : Got.. E., 2 ans et demi,. Bic... S., 1 an. Aub.. M., 2 ans et demi. Rib.. P., 1 an,. Pod.. P., I an et demi, encore hospitalisés à Claude-Bernard lors de la déclaration du premier cas de variole. b) Trois enfants, non vaccinés, admis à Jenner pour varicelle et trangférés pendant la période d’incubation de la variole : le premier à l’ĥpital Saint-Louis (Van.. S. 4 ans), le gecond à l’hoapice Saint¬ Vincent-de-Paul (Arp.. V., 15 mois, décédé), le troisième en ville (Lag.. C. 1 an). c) Enfn, un électricien de l’hpital Claude-Bernard (Pag.. C.. 26 ans), qui était venu faire une réparation dans la chambre occupée par le vieillard. Voici leurs observations résumées : 32 éPIDÉMIOLOGE ET PROPUYLAXIE a) Six cas secondaires survenus chez des enfants n’ayant pas quitté le pavillon Jenner. 1) Cas COT., E., 2 ans et demi. Cette enfant, non vaccinée entra au pavillon Jenner pour varicelle le 12 février, c’est-à-dire deux jours après l’admission du vieillard. Le 27, la variole débuta : le 29, on constata une éruption morbilli¬ forme de la face, puis la température baissa et apparut une éruption pustuleuse, dure, assez profonde, vite généralisée à tout le corps. Forme bénigne. 2) Cas RIC.. S., 1 an. Cette enfant non vaccinée entra le 8 février, pour varicelle, au pavillon Jenner. Le 24, c’est-à-dire quatorze jours après l’admission du vieillard dans ce pavillon, les premiers symptômes de variole sur¬ vinrent : fièvre à 400, puis apparition d’une éruption morbilliforme de la face. Deux jours après, des pustules généralisées apparurent. Forme atténuée. 3) Cas AUB.. M, 2 ans et demi. Cet enfant, non vacciné, entra le 10 février pour varicelle au pavillon Jenner. Quinze jours après, c’est-à-dire le 25 février, la variole débuta par un épisode fébrile : au bout de quatre jours, survint une éruption pustuleuse discrète mais typique, coïncidant avec la chute de température. Forme atténuée. 4) Cas RIB., R. 7 an. Ce petit malade, non vacciné, entra au pavillon Jenner le 17 jan¬ vier 1947 pour varicelle. Le 28 février, c’est-à-dire dix-sept jours après l’admission du vieillard, la variole débuta. Éruption typique. Forme assez atténuée. 5) Cas POO, P. Ton et demi Cet enfant, non vacciné, entra le 14 février à Jenner pour vari¬ celle. Il fut placé dans la même chambre que le vieillard. Quinze jours après le contact infectant, c’est-à-dire le ler mars, il fut atteint d’un épisode fébrile typique suivi, deux jours après, d’une éruption morblli¬ forme, devenue par place purpurique. Mais aucune pustule n’est sur¬ venue. P1 DE LA VARIOLE A noter que la vaccination antivariolique de l'’enfant, effectuée quelques jours après l’apparition de l’éruption, est restée négative. Il s’agit d’une forme très atténuée sans éruption pustuleuse. 6) Cas ALT. L. 3 ans. Déjà vu (voir p. 37). b) Trois cas secondaires survenus chez des enfants ayant quitté le pavillon Jenner pendant la période d’incubation de leur variole. Nous venons de voir que le vieillard, en arrivant au pavillon Jenner, avait contaminé six enfants qui y étaient hospitalisés. Il était à prévoir que des sujets réceptifs avant quitté ce pavillon depuis quelques jours étaient atteinte de variole et risquaient de créer en ville des foyer dangereux. Nous nous sommes mis à leur recherche et nous avons pu en dépister trois sans difficultés. Pour le premier. Van.. S., le diagnostic venait d’ailleurs d’être porté depuis une heure lorsque nous avons pu pratiquer l’examen. 1) Cas VAN. S. 4 ans Cet enfant, non vacciné, avait été admis pour gelure du pied et prolapsus rectal au service de chirurgie infantile de l’hôpital Saint¬ Louis. Il y contracta la varicelle et fut pour cette raison transféré, le 21 janvier, à l’hôpital Claude-Bernard, pavillon Jenner. Il en sortit le 20 février, après avoir été en contact pendant dix jours avec le vieil¬ lard responsable des contaminations précédentes. Quinze jours après l’entrée de ce dernier à Jenner, c’est-A-dire le 25 février, il fut atteint de variole, alors qu’il était revenu à l’hôpital Saint-Louis. En l’absence de notion de contagion, le diagnostic ne fut pas porté dans les premiers jours. Le petit malade étant en outre atteint d’une otite double, on craignit d’abord une mastoidite lorsque survint l’ascension thermique et on le transféra au service d’oto-rhino¬ laryngologie, du 25 au 28 février, pendant la période d’invasion. Après trois jours d’observation, une éruption apparut. La navette entre ser¬ vices continua. L’enfant fut alors admis au service des contagieux (pavillon des douteux, puis pavillon de la rougeole, car l'’éruption était. au début, morbilliforme). La variole ne fut reconnue que le 4 mars, lorsque des pustules nettes apparurent, et à une époque où la présence d’un cas de variole à Claude-Bernard venait d’être confirmé. Le varioleux fut alors ramené à cet hôpital. Les dangers de propagation étaient alors grands. En effet, le varioleux avait été en contact, dans les salles non boxées des services de chirurgie et d’oto-rhinolaryngologie, avec de nombreux malades réceptifs (les vaccinations ultérieures l’ont bien montré), avec le per¬ ÉPIDÉMIOLOGIE ET PROPHYLAXIE 43 connel hospitalier et avec de multiples visiteurs (on sait que ces der¬ niers sont nombreux au début de l’après-midi dans les salles d’enfants). La transmission de la variole était à craindre aussi dans les salleg boxées du service de contagieux de Saint-Louis. Or, aucune contami¬ nation n’est survenue : pourtant l’enfant présentait une très forte érup¬ tion de variole, mais elle était à son début. 2) Cas ARP., L., dg6e de 13 mois (mortel). Cette enfant, non vaccinée fut transférée de Saint-Vincent-de-Paul à Claude-Bernard, car elle était atteinte de varicelle. Elle quitta le pavillon Jenner le 13 février, c’est-À-dire trois jours après l’arrivée du vieillard. Le 22 février, soit douze jours après le début du contact infectant, la variole éclata. L’enfant se trouvait alors au centre d’Antony des Enfants assistés. Elle fut dirigée sur l’hôpital Saint-Vincent-de¬ Paul. Comme il n’y avait plus de place en médecine, elle fut admise au pavillon Henri Becquet (service de désencombrement), puis trans¬ férée en médecine le lendemain. La, une éruption apparut. On porta à tort le diagnostic de varicelle et l’enfant fut admise à Claude-Bernard. dans l’autre pavillon de varicelle (Davaine) où nous avons pu la dépister. Les pustules étaient rares et petites, mais assez dures. Elles pré¬ dominaient à la face et aux membres : enfin elles avaient fait leur apparition quatre jours après le début de l’affection, au moment de la chute de la température. Notre diagnostic a été confirmé par le Docteur Laporte qui a admis aussitôt l’enfant dans le pavillon de variole. Cette enfant chétive, atteinte pourtant d’une éruption plutôt discrète. a succombé (syndrome infectieux secondaire) malgré les soins pro¬ digués. Notre diagnostic, à une époque où le Docteur Laporte n’avait pas encore pu examiner la malade, avait été mis en doute. Pourtant des arguments épidémiologiques l’étayaient : il ne pouvait s’agir de varicelle. D’abord, l’enfant avait eu cette affection un mois auparavant car elle était entrée pour cela au pavillon Jenner le 18 janvier, 8i ce diagnostic avait été erroné, la varicelle serait apparue quinze jours après son admission à Jenner, c’est-à-dire au début de février et non à la fin de ce mois. Enfin et surtout, cette enfant non vaccinée avait été, comme les sept précédents, en contact avec le vieillard au pavillon Jenner. La contamination était donc certaine. Le Docteur Laporte a pu, non seulement affirmer le diagnostic par le seul examen clinique, mais a bien fait ressortir à cette occasion la valeur des arguments épidémiologiques. Ce diagnostic n’a d’ailleurs pas tardé à être confirmé car cette petite varioleuse a contaminé trois enfants : l’un,. Bar.. G, à la salle Henri-Becquet de Saint-Vincent-de-Paul: l’autre, Boi. A.-M. au pavillon de médecine de cet hôpital : le troisième, Pou. M., au pavillon Davaine de l’hpital Claude-Bernard (voir cas tertiaires). DE LA VARIOLE 45 On pouvait craindre une propagation beaucoup plus étendue en raison du grand nombre d’enfants réceptifs qui avaient été en contact avec elle à Antony, à Saint-Vincent-de-Paul et à Claude-Bernard, et du grand nombre de visiteurs qui avaient pénétré dans les salles où elle avait été admise. Certes, dès que le premier cas de variole fut signalé au cours de cette épidémie, les vaccinations dans les hôpitaux furent rapidement entreprises, mais elles ne pouvaient préserver les sujets-contacts de la petite varioleuse, car l’alarme n’avait été donnée que le ler mars, alors que le début de la variole de l’enfant AID.. Y.. remontait au 22 février. Force est donc de conclure, dans ce cas, à une contagiosité relativement faible, dans les premiers jours de l’affection. 3) Cas LAC.. C., 1 an. Un troisième enfant, non vacciné, entra à l’hôpital Claude-Bernard. pavillon Jenner, pour varicelle, le 10 février, jour de l’arrivée du vieil¬ lard. Il quitta cet hôpital le 21, à la demande de ses parents. Le même jour, c’est-à dire onze jours après le contact infectant, la fièvre monta : une éruption apparut ultérieurement. Le médecin traitant diagnostiqua « varicelle grave ». C’était encore une variole. L’enfant contamina d’ailleurs à son domicile son cousin Ley.. M. 6 mois, non vacciné, qui a été hospitalisé à Claude-Bernard (voir cas tertiaires). b) Contamination de l’ouvrier, électricien PAG.. C., 26 ans Le dernier cas secondaire fut celui d’un ouvrier électricien vaceiné sans succès quinze mois auparavant. Cet ouvrier s’est contaminé le 14 février, au cours d’une réparation, dans la chambre où était soigné le vieillard. Quatorze jours après, le 28 février, la variole éclata. Elle fut bénigne. Ainsi,. M. Duc.. L, après avoir contaminé deux personnes en ville, a infecté un adulte et neuf enfants hospitalises à Jenner, pavillon de varicelle de 42 lits. Tous les autres enfants étaient antérieurement vaccinés, à l’exception de deux d’entre eux. Ces deux derniers, placés dans des box de l’aile opposée du pavillon Jenner, échappèrent à la contagion lors de l’admission du cas princeps. Mais lorsque le pavillon Jenner compta onze malades atteints de variole, la contagion devint extrêmement forte et ces deux enfants furent contaminés, eux aussi. A ces deux cas, il faut en ajouter un troisième, un enfant entré geulement le 28 février à Jenner, alors que les cas secondaires avaient déjà fait leur apparition. 46 ÉPIDÉMOLOGIE ET PROPHYLAXIE Ces trois cas, qui survinrent en même temps que quatre cas ter¬ tiaires, vont être étudiés avec ces derniers. Cas tertiaires de Claude Bernard Les cas tertiaires sont au nombre de treize et comprennent : — Les trois enfants dont nous venons de parler : — Cinq membres du personnel hospitalier de Claude-Bernard : — Trois enfants contaminés par Arp.. : — Un enfant contaminé par Lag.. : — Un enfant contaminé par Deb. J. Enfants du pavillon Jenner contaminés par les cas secondaires. 1) Cas BAU,, H. 1 an et demi. Cet enfant, non vacciné, a été admis au pavillon Jenner, le 13 jan¬ vier, pour varicelle et placé au fond de l’aile gauche. Ce n’est que deux mois après, le 18 mars, que la variole a débuté. La contamination remontait donc aux premiers jours de mars. Le petit malade n’a pas été infecté par le vieillard, admis le 10 février à Jenner, et qui d’ailleurs. le ler mars, avait été transféré dans un autre pavillon : il l’a été, par les nombreux cas secondaires survenus au pavillon Jenner, lorsque ces derniers furent au stade pustuleux. Chez cet enfant, la période d’invasion fut typique. L’éruption fut constituée par quelques pustules assez dures. L’affection est restée bénigne. 2) Cas BAR.. C. Lan et demi. Cet enfant, non vacciné, entra le 15 février, pour varicelle au pavillon Jenner oà était hospitalisé le vieillard. Toutefois, il fut placé. lui aussi, dans un box de l’aile opposée. Ce n’est que le 13 mars, donc un mois après son entrée, et plus d’un mois après celle du vieillard à Jenner, que la variole débuta : cet enfant a donc été contaminé vers le ler mars par les cas secondaires. L’éruption est survenue le 17 mars. Il s’est agi d’une variole bénigne. 3) Cas CUE. P. 10 mois. Cet enfant, non vacciné, entra au pavillon Jenner le 28 février pour varicelle. Le 17 mars, soit dix-sept jours après, la température g’éleva, et par la suite des vésico-pustules, rares, mais dures, apparurent. Forme très atténuée. DE LA VARIOLE 31 II. Cas survenus parmi le personnel de l’hepital Claude-Bernard. Lorsque les premiers cas de variole furent diagnostiqués (c’est-à. dire le ler mars, au moment de l’apparition des cas secondaires), le pavillon Jenper, paillon de varicelle, d’habitude peu fréquenté par les étudiants, devint le service intéressant de Claude-Bernard. Les internes, chefs de clinique, externes et stagiaires, se firent revacciner et examinèrent les premiers cas, notamment l’enfant AIt.. J, qui pré¬ sentait un énanthème buccal la rendant spécialement dangereuse. Ele contamina en effet un chef de clinique, un étudiant en médecine. deux infirmières et même le garçon de la salle d’autopsie, qui avait manipulé son cadavre. Tous les cinq avaient pourtant été revaccinés le 3 mars, mais sans succès. 1) VIM, 4, 30 ans, chef de clinique à Claude-Bernard. Ce médecin s’est contaminé le 3 mars en examinant l'’enfant Alt.. J. atteinte de variole confluente avec énanthème, premier cas dépisté. Il avait été vacciné avec succès à la naissance, revacciné à la onzième année, en 1939, en 1942 et le 3 mars 1947, c’est-à-dire le jour même La courbe-- , désigne le foyer de la Salpetrière. ÉPIDÉMIOLOGIE ET PROPHYLAXIE 48 du contact infectant : ces deux dernières revaccinations avaient été négatives. Douze jours après ce contact infectant, le 15 mars, la variole débuta par des frissons, de la fièvre (400), de la céphalée et de la rachi¬ algie. Le 17 mars, apparut une éruption érythémateuse qui fit place. le 19, à de petites vésico-pustules. Il n’y eut pas de propagation, car les contacts en ville avaient été réduite et l’hospitalisation rapide. En outre, l’éruption était discrète. Cas bénin. 2) CAR. J, 23 ans et demi, étudiant en médecine. Le stagiaire de Claude-Bernard, vacciné à la naissance avec succès. revacciné à la onzième année et le 3 mars 1947 sans succès, s’est conta¬ miné le 3 mars en examinant lui aussi la fillette atteinte de variole confluente. Treize jours après, soit le 16 mars, l’affection débuta. Le 20. la fièvre baissa et une éruption, bientôt pustuleuse, survint. Ce sta¬ giaire commit alors l’imprudence de prendre le métropolitain en pleine éruption de variole pour se rendre au cabinet de consultation du Doc¬ teur Laporte. Ce dernier exigea une hospitalisation immédiate en ambulance. UIne propagation était donc à craindre en raison de l’entassement des voyageurs dans le métropolitain et de la forte proportion des sujets réceptifs. Une autre imprudence avait été commise par cet étudiant : il avait, juste avant de se faire hospitaliser, envoyé sa femme chez ses parents, dans un village des Basses-Pyrénées, au risque d’y créer un foyer de variole. Il n'y eut aucune propagation. Il n’était donc pas. lui non plus, contagieux au début de la période pustuleuse. Cas bénin¬ 3) Cas de Mlle MIF. J, 20 ans, infirmière à Claude-Bernard. Cette infirmière, vaccinée avec succès à la naissance, revaccinée à sa onzième année, puis en 1945 et enfin en 1047, mais sans succès. au moment du contact infectant, a été contaminée en soignant l’enfant AIC., J. Le 13 mars, c’est-à-dire treize jours après, elle fut prise de frissons, la fièvre monta à 402 et les signes infectieux s’estompèrent lorsqu’ap¬ parut, le 17, une éruption très légère. Forme discrète. Peu de sujets-contacts en ville. Hospitalisation au début du stade éruptif. Pas de propagation. 4) Cas de Mlle FAR., 32 ans, infirmière ̀ Claude-Bernard. Comme la précédente, cette infirmière, vaccinée au cours de la première et de la onzième années, l’avait été à nouveau, mais sans succès 49 DE LA VARIOLE le 0 juillet 1945 et le 3 mars 1947. Elle s’est contaminée, elle aussi. en soignant au pavillon Jenner l’enfant Alt.. L. La variole a débuté le 15 mars et a été très discrète. Peu de sujets-contacts en ville. Hospitalisation rapide, Pas de propagation. 5) Cas LAB., R., 40 ans, garçon de la salle d’autopsie. Cet agent hospitalier, vacciné à plusieurs reprises contre la variole et notamment le 3 mars, mais sans succès, s’est contaminé en mani¬ pulant, le 8 mars, le cadavre de l’enfant AIt. .J. Quatorze jours après la variole débuta. Le malade, se croyant simplement grippé prit l’auto¬ bus pour aller à la pêche sur les bords de la Seine. Il ne put y rester et rentra exténué à son domicile. Deux jours après, une éruption dis¬ crête, mais caractéristique apparut. On pouvait redouter une extension de la variole à partir de ce cas, le malade avant été au début de son éruption en contact dans l’autobus avec des voyageurs que l’on ne pouvait connaitre, vacciner et surveiller. Aucune propagation n’a cependant eu lieu. Forme bénigne. IIL. Malades contaminés par l’enfant 4B P.. V. (de Saint-Vincent-de¬ Paul). Nous avons vu que l’enfant Arp. V., (cas secondaire) avait été infectée au pavillon lenner. Elle avait été transférée, pendant la période d’incubation de la maladie, à Antony où la variole avait débuté, puis à Saint-Vincent-de-Paul où elle avait contaminé les enfants Bar.. G. à la salle Henri-Becquet et Boi. A, en médecine. Enfin admise à Claude-Bernard, pavillon Davaine (de varicelle), elle avait infecté THaHt TUU, M. Voici l’observation résumée de ces trois cas tertiaires : 1) Cas BAR.. C. 2 ane. Cet enfant a été vacciné pour la première fois le 7 mars 1947. comme les autres enfants de l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul. Cette mesure avait été prise dans les hôpitaux en raison de l’épidémie de variole. L’inoculation a été suivie de succès (grosses pustules), maie n’a pas empêché l’apparition de la variole, parce qu’elle a été faite verg la fin de la période d’incubation de cette maladie. Le 13 mars, l’enfant fut transférée à Claude-Bernard avec une éruption pustuleuse débu¬ tante. On avait évoqué à Saint-Vincent-de-Paul le diagnostic de vaccine généralisée. En réalité, il s’agissait d’une variole certaine. Ce cas montre la confusion que peut introduire la vaccination lorsqu’elle est pratiquée chez un sujet réceptif en incubation de variole. ÉPIDEMIOLOGIE ET PROPHYLAXIE Cette enfant, non vaccinée avant le 7 mars 1947, a été infectée à Saint-Vincent-de-Paul, par l’enfant Arp.. V. Elle a été vaccinée pour la première fois une semaine au moins après la contamination. La vaccination détermina de grosses pustules. La variole débuta le 1l et l’éruption fut typique : les pustules étaient très dures et très nom¬ breuses. Cas assez grave, mais avant guéri. 3) Cas POU.. M., 4 ans et demi. Entrée pour coqueluche à Claude-Bernard cette enfant, non vac¬ cinée, y, contracta la varicelle. Elle fut alors transférée au, pavillon Davaine (pavillon de varicelle). Elle s’y trouva en contact avec l’enfant ArD.. V., atteinte de variole et admise par erreur dans ce pavillon de varicelle. La variole débuta le 15 mars et une éruption discrète survint le 19. L’enfant n’avait été vaccinée qu’au milieu de la période d’incu¬ bation. Comme dans les autres cas, les pustules vaccinales et vario¬ liques évoluèrent chacune pour leur propre compte. 190 2) Cs BOL, 4.-M., 1 an et demi. IV. Autres contaminations de Claude-Bernard (pavillon Ch. Nicolle). Nous avons vu que Mme Deb. G., cas secondaire, avait été conta¬ minée par le vieillard à l’occasion do son transfert à l’hôpital. Elle avait été admise à Claude-Bernard au pavillon des douteux Ch. Nicolle. le diagnostic de variole étant discutable au début. Elle y a contaminé un enfant de 2 ans, non vacciné, le jeune Dem. M CAS DEM., M. 2 ans Vacciné pour la première fois le 6 mars 1947, mais sans succès cet enfant a été atteint de variole le 17 mars, c’est-à-dire quinze jours après l’entrée de Mme Deb. G, au pavillon Nicolle. Forme grave avant guéri en laissant d’assez grosses cicatrices. V. Cas tertiaire de pille. LEV. M. 6 mois. Un cas tertiaire a éclaté en ville, dans les conditions suivantes : un nourrisson de l an, non vacciné. Lag.. G. (cas secondaire) fut hos¬ pitalisé au pavillon Jenner, le 10 février, pour varicelle. Il s’infecta DE LA VARIOLE 2 au contact du vieillard et fut repris par ses parents le jour même où débuta la variole, c’est-à-dire le 21 février. Il contamina à son domi¬ cile, son cousin, un enfant de 6 mois. Lev.. M., non vacciné, fréquen¬ tant la crèche de Pantin. Heureusement, le 16 mars, lorsque appa¬ rurent les premiers symptômes, l’enfant fut gardé à son domicile. Il fut rapidement hospitalisé à Claude-Bernard. Aucun cas n’a été observé à la crèche où, d’ailleurs, les vaccina¬ tions étaient en cours. FOYER DE LA SALPETRIÈRE (7 cas) Les vingt-six cas de variole que nous venons de rapporter sont parfaitement enchainés : le vieillard avait contaminé douze sujets qui. eux-mêmes, donnèrent lieu à treize contaminations. A l’hôpital de la Salpêtrière, une épidémie fut aussi constatée : elle fut limitée, car elle apparut plus tardivement à une époque où des mesures prophylactiques étaient déjà mises en œuvre. Aux environs du 15 mars, c’est-à-dire au moment de l’apparition des cas tertiaires de Claude-Bernard, sept cas de variole furent observés chez des enfants hospitalisés pour varicelle dans une petite salle de la Salpétrière, la salle Leuret. Les enfants avaient été vaccinés la première fois les II et 12 mars, c’est-à-dire trop tard pour empêcher l’apparition de la variole. Manifestement, ils avaient été infectés par un varioleux admis par erreur, dans ce pavillon de varicelle vers le ler mars. Nous avons recherché, mais sans succès, cet agent contaminateur parmi les malades encore hospitalisés, et parmi ceux qui avaient déjà été rendus à leur famille. Aucun d’eux ne présentait de cicatrice ni d’élément palmo¬ plantaire suspect. Aucun cas de variole n’a été constaté en ville dans leur entourage. Aucun d’eux n’avait été en contact avec le vieillard. Nous avons été réduits à supposer que la contamination de ce varioleux méconnu avait pu s’opérer en ambulance (ces dernières, lorsqu’il s’agit de varicelle, ne sont désinfectées que sommairement avec up pulvérisateur à main, ce qui est insuffisant). Mais c’est là une pure hypothèse. Peut-être aussi la personne avant contaminé le vieillard a-t-elle pu infecter un autre sujet dont la variole fruste serait restée ignorée et qui aurait transmis la maladie à l’agent contaminateur de la salle Leuret. Bref, toutes nos recherches sont restées vaines. Tout ce que nous pouvons dire, c’est que cet agent contaminateur, resté inconnu, a été atteint de variole en même temps que les cas secondaires de Claude¬ Bernard, et que la petite épidémie de la salle Leuret coincide avec les cas tertiaires de cet hôpital. ÉPIDÉMIOLOGIE ET PROPHYLAXIE 52 Cas de la salle Leuret. 1) Cas DUC. C. 2 ans er demi¬ Cet enfant, venant de Saint-Vincent-de-Paul, entra à la Salpe¬ trière pour varicelle. Il fut vacciné la première fois le 12 mars, mais sans succès. La variole débuta le 17 mars. Elle fut typique et motiva son transfert, le 21 mars, à Claude-Bernard. 2) Cas MON.. L, 3 ans et demi. Entrée le 27 février à la Salpêtrière pour varicelle, elle fut vaccinée pour la première fois le 12 mars. La variole débuta le 16 mars. L’enfant fut transférée le 20 à Claude-Bernard. 3) Cas LAM, M. 3 ans. Cette malade, non vaccinée, entra à la Salpêtrière le ler mars pour varicelle. La variole débuta le 12. L’enfant fut transférée à Claude¬ Bernard. Forme assez sévère. 4) Cas COD., D., 20 mois. Non vaccinée, cette malade fut admise à la Salpétrière pour vari¬ celle. Elle ne fut vaccinée pour la première fois que le II mars. Le, 16. la variole débuta. Elle fut très bénigne. Quelques éléments durs pré¬ dominèrent à la face, aux paumes des mains et aux jambes 5) CaS LE CLO, D., 2 ans. Cet enfant entra lui aussi à la Salpetrière pour varicelle, Treize jours après, survint un épisode fébrile suivi d’une éruption discrète, mais dure, siégeant surtout à la face, aux membres, et notamment aux plantes des pieds. Les croates laissèrent des cicatrices typiques La primo-vaccination, pratiquée le 1I mars, fut, dans ce cas aussi. trop tardive pour empêcher l’apparition de la variole. 6) Cas PER,, M. I1 mois. Cette, enfant entrée, également, à la Salpêtrière pour varicelle. fut vaccinée le II mars pour la première fois. La variole débuta le 16. Elle resta très discrète (quelques éléments durs à la face, aux membres inférieure, et, notamment aux paumes des mains et aux plantes de pieds). DE LA VARIOLE 53 Cas de ville avant pour origine la solle Leuret : MAR. C. AH Lorsque ces six cas simultanés ont éclaté, nous nous rendîmes aussitôt au domicile des enfants qui étaient sortis, en mars, de la salle Leuret et qui pouvaient être alors en incubation de variole. Nous pûmes ainsi dépister un enfant atteint de variole, le jeune Mar.. C., 20 mois. Ce petit malade entra à la salle Leuret le ler mars pour varicelle. Ilut vacciné pour la première fois le 11 mars. Apparemment bien por¬ tant, il quitta l’hôpital le 16. Le 17, la variole éclata. Le médecin de famille, alerté, pensa d’abord à une grippe, puis à une rougeole, lorsque l’éruption morbilliforme apparut. C’est l’erreur classique. Néanmoins. la mère qui avait vu de nombreuses rougeoles (dans son appartement s’entassaient 17 personnes dont II enfants) ne fut pas convaincue du diagnostic, surtout lorsque de grosses pustules profondes apparurent à la place des éléments morbilliformes. Elle alla consulter dans les hôpitaux. A la Salpêtrière, le petit varioleux fut refusé car, a-t-on dit à la mère, « il aurait risqué de contracter la variole» " (sic) Les admis¬ sions étaient suspendues dans cet établissement depuis le dépistage du premier cas de la salle Leuret. A Trousseau, le diagnostic de gale infectée fut porté, sans doute par un externe de la consultation. La mère, en désespoir de cause, se rendit à Hérold où la variole fut prise pour une pyodermite. La rareté extrême de la variole en France explique, ces méprises sur lesquelles nous reviendrons. La mère, voyant que l’état général de l’enfant s’améliorait, décida alors de le soigner elle-même et profita d’une belle journée de mars pour le sortir. Le petit varioleux fut aussitôt entouré de femmes et d’enfants. La famille Marc., habitait un groupe de grands immeubles pour familles nombreuses. Il y avait environ une quinzaine de personnes par appartement. Les enfants s’entassaient dans les nombreuses cours de ce groupe d’immeubles : les contacts infectants étaient donc mul¬ tiples. C’est au 8e jour de sa maladie que nous pames dépister le petit varioleux. Une heure après notre arrivée, il fut conduit à Claude¬ Bernard dans le service du Docteur Laporte qui confirma notre diagnos¬ tic de façon formelle. Le malade guérit, mais les pustules assez grosses. dures et profondes, laissèrent des cicatrices nettes. Ce petit varioleux avait donc été en contact avec de nombreuses personnes à son domicile, dans le métropolitain (sa mère l’avait en effet conduit dans les divers hôpitaux en prenant, soit un taxi, soit le métropolitain), ainsi que dans les consultations de la Salpêtrière, de Trousseau et d’Hérold. Cependant, aucune propagation n’a -été cons¬ tatée. Certes, la vaccination de nombreux habitants de l’immeuble a été faite dès que l’alerte a été donnée. Mais même généralisée, elle était trop tardive pour éviter l’apparition de la variole chez les sujets contacts jamais vacinés. Elle n’a pu, en tout cas, être faite chez ceux qui ont ÉPIDÉMIOLOGIE ET PROPHYLAXIE 54 approché l’enfant dans le métropolitain et dans les consultations externes des hopitaux. On ne peut tirer qu’une conclusion : l’enfant. au début de son éruption pustuleuse, n’était pas encore contagieux. L'épidémie s'éteignit alors. Ce fut en effet le dernier cas constaté. CONSIDERATIONS GENERALES SUR L'EPIDEMIE DE 1947 Il est essentiel de décrire les mesures prises et de montrer les diffi¬ cultés rencontrées. Hospitalisation En présence d’un cas de variole, la consigne resta formelle : tout malade devait être hospitalisé à Claude-Bernard. Nous avons pu aisé¬ ment, par persuasion, obtenir l’hospitalisation dans presque tous les cas. Une exception est à signaler : Mlle Duc., qui, comme nous l’avons vu (page 36) a du être hospitalisée par le commissaire de police. Un tel cas montre que les services d’hygiène chargés de la lutte contre les maladies infectieuses devraient pouvoir agir avec autorité et sans perdre de temps, lorsque les circonstances l’exigent. Diagnostie précoce L’isolement du malade est d’autant plus eficace que le diagnostic est plus précoce. En 1947, nous avons fait les mêmes constatations qu’en 1942. Peu de médecins parisiens connaissent bien la variole, cette maladie avant pratiquement disparu de France depuis les effets de la loi de 1902. Des erreurs de diagnostic étaient donc fatales. L’exemple du petit varioleux refoulé successivement de trois consultations hospitalières le prouve nettement: d’excellents médecins non spécialisés dans les maladies infectieuses se sont trompés. Dès que la présence de la variole à Paris a été connue, nous avons recu plus de deux cents déclarations téléphoniques ou écrites émanant de médecins signalant un cas qu’ils croyaient suspect. — ou même certain. — de variole. Dans aucun de ces cas, le diagnostic ne fut confirmé. De nombreuses varicelles hémorragiques ou pustuleuses, ou simplement des varicelles très fébriles à éléments multiples, furent considérées comme des varioles. En outre de nombreux érythèmes. depuis l’érythème polymorphe jusqu’aux érythèmes médicamenteux (dus aux sulfamides par exemple), furent déclarés, et même des gales infectées comportant des pustules multiples. Certains de ces malades étaient adressés en ambulance à Claude-Bernard, mais l’interne de garde rejetait le diagnostic de variole et refusait presque toujours P DE LA VARIOLE l’admission. D’autres malades restaient à leur domicile; alors nous nous Y rendions aussitot. Rectifier lé diagnostic était en général faille: mais nous avons constaté quelques cas où le diagnostic n’a pu être établi qu’après quelques jours d’hospitalisation. Le Professeur Lemierre enseignait d’ailleurs que dans la grosse majorité des cas, le diagnostic de variole est facile à poser à la période pustuleuse, mais il ajoutait : pour un médecin qui en a vu un nombre suffisant de cas. Si de nombreuses affections furent prises pour des varioles, par contre des varioles authentiques, mais très atténuées et néanmoins contagieuses, furent diagnostiquées varicelles. C’est ce qui s’est passe aux deux pavillons de varicelle de Claude-Bernard (Jenner et Davaine et à cclui de la Salpêtrière (salle Leuret). Des varioles survenant chez des enfants vaccinés pendant la période d’incubation de la maladie ont été diagnostiquées à tort vaccine généralisée, affection dont il faut souligner la rareté. Ces erreurs étaient grosses de conséquences. Poser à tort le dia¬ gnostic de variole dans de nombreux cas, c’était risquer de déborder les services de désinfection, de vaccination, ainsi que les hôpitaux. Méconnaitre une variole était plus grave encore. C’était permettre la diffusion de la maladie en ville où une partie de la population était réceptive. Nous ne reviendrons pas sur les éléments permettant de soup¬ conner la variole à la période d’invasion où elle est constamment prise pour une grippe, sauf si l’on a un renseignement d’ordre épidé¬ miologique, et sur les arguments faisant écarter d’autres maladies à la période d’éruption. Nous les avons développés à propos de l’épi¬ démie de 1912 (page 28). Nous voulons toutefois souligner un fait : en 1947, aucune forme sans éruption n’a été constatée. Toutefois, l’enfant Pod.. P. a été atteint d’une forme très atténuée, dans laquelle l’éruption devint morbilliforme, et par place purpurique, mais n’aboutit pas au stade pustuleux. La, variole était pourtant certaine. Pourquoi des formes sans éruption n’ont-elles pas été observées au cours de cette épidémie 2 C’est d’abord que la variole de 1947, bien qu’atténuée, le fut beaucoup moins que celle de 1942. Dans cette dernière épidémie il Y eut bien 3 morts sur 6l cas de variole (formes sans éruption non com¬ prises), mais les malades étaient en réalité décédés de sénilité, de cancer avancé et de misère physiologique. L’autopsie, rappelons-le, n’avait montré alors aucune lésion habituellement constatée chez les varioleux. L’épidémie de 1947 au contraire a provoqué deux decès sur 33 cas : soit une mortalité de 6 9%, mais il s’agissait alors d’une forme confluente et d’une forme avec syndrôme infectieux secondaire. Les enfants étaient bien morts de variole. De plus on observa plusieurs formes sévères qui ont fini par guérir, en laissant de grosses cicatrices ÉPIDEMIOLOGIE ET PROPHYLAXIE 56 Une autre raison explique aussi la rareté des formes sans éruption en 1947. Nous avons vu que l’épidémie de 1042 avait sévi surtout chez les adultes et les grands enfants (âge moyen 9 ans) vaccinés dans la première année et pas encore revaccinés. Très peu de varioleux n’avaient jamais été vaccines. En 1942 beaucoup de personnes avaient gardé une immunité excessivement légère, qui ne les aurait pas protégées contre un virus d’activité moyenne, mais qui a pu atténuer la variole lorsque s’est produite une infection par une très faible quantité de virus extrêmement atténué. En 1947, il en a été autrement : l’épidémie, moins bénigne. s’est surtout développée dans des salles de varicelle et a atteint essen¬ tiellement de jeunes enfants jamais vaccinés. Sur les 33 cas on note 24 enfants d’âge pré-scolaire totalement réceptifs, et 9 adultes seulement. La proportion relativement élevée d’enfants non vaccinés au cours de cette épidémie s’expliquait d’abord par la très forte natalité constatée entre 1945 et 1947 (alors qu’entre 1940 et 1942 elle avait été très faible). et ensuite par l’abandon des vaccinations dans les maternités, depuis les fortes réactions vaccinales de 1942. Beaucoup d’enfants de moins de 3 ans étaient donc réceptifs à Paris, car leur famille avait négligé de les faire vacciner au cours de leur première année, conformément à la loi de 1902. Récepuivité Nous venons de voir que sur les 33 cas de variole, 24 étaient sur¬ venus chez des enfants dont aucun n’était vacciné, Parmi les 9 adultes. 3 ne l’avant pas été depuis plus de trente ans, avaient perdu leur immu¬ nuté et les 6 autres faisaient partie du personnel hospitalier, toujours exposé au début des épidémies (médecin, étudiant, infirmières, garçon de la salle d’autopsie, et même ouvrier électricien de l’hôpital Claude¬ Bernard). On a constaté avec regret en 1947 la très forte proportion de membres du personnel hospitalier atteints par la variole. En 1042 seules des formes sans éruption y avaient été constatées, notamment à Saint-Louis, salle Biett : mais comme alors les infirmières n’avaient pas été hospitalisées pendant quarante jours, l’attention n’avait pas été attirée sur leur cas. Si la variole de 1942 avait été moins bénigne. et un peu plus contagieuse, il y aurait eu sans doute alors parmi le personnel hospitalier, des formes avec éruption. Plus tard, lorsque la variole sévira à Marseille, la morbidité parmi le personnel médical et infirmier sera nettement plus forte, et, au cours de l’épidémie de Vannes, le directeur de la santé paiera de sa vie la négligence de ne s’être pas fait immuniser. Il en est de même à l’étranger. Au cours de l’épidémie de variole qui a sévi en Angleterre, au début de 1962, deux médécins ont succombé à la variole. 1948, le danger qu’il y a à ne pas tenir compte des résultats de la vacci¬ pation. de le maladie. 51 DE LA VARIOLE Une conclusion est à tirer de ces faits : le personnel médical et infirmier devrait être revacciné périodiquement avec succès, si possible tous les trois ans. Les deux médecins, les deux infirmières et le garçon de la salle d’autopsie de l’hôpital Claude-Bernard avaient bien te revaccinés récemment, mais sans succès. Or seule une vaccination pratiquée avec succès confère l’immunité désirable. Aussi conseillons¬ nous de recommencer l’inoculation, avec un vaccin plus actif, en faisant deux ou trois scarifications un peu plus longues, chez tous les sujets venant d’être revaccinés sans succès. Nous soulignerons d’ailleurs, lors de l’exposé de l'incursion de Faible contagiosité de la variole à la période d’invasion et qu délut de l’éruption. L’un de nous, en 1948, avec X. Leclainche et M. Tissier, écrivait ceci, dans un travail sur l’épidémie de 1947 où il insistait sur la faible contagiosité de certaines varioles au début du stade éruptif : « De nombreuses observations avaient toutefois établi que des vario¬ leux étaient également dangereux dès le debut de leur maladie : aussi certains auteurs n’opposent pas les différents stades de la variole : le stade de début où la maladie est moins contagieuse et la période de crôtes où sa transmissibilité est parfois extraordinaire. Or, dans l’épidémie de 1947, peut-être en raison de la rareté de l’énanthème. les risques de contagion ont été tout à fait minimes au début de la variole, comme nos enquêtes l’ont prouvé, tandis qu’à la période des crot̂tes ils ont été très grands (1). (1) Ces constatations ont été confirmées a Madras par A. W. Domie. L. St. Vin cent. G. Meiklejohn, R. N. Ratnakannan, A. R. Rao. G. N. Krishnan et C. H. Kempe (Bulletin de l’O.M.S. 1961, 25, n° 2, pages 49 à 53. « Studies on the virue content of mouth in the acute phase of smallpox »). Leurs travaux ont permis de préciser la période de contagiogité maxima de l’énanthène. Ces auteurs ont tenté d’isoler le virus par culture aur membrane chorio allantoidienne, à partir de lavages de gorge ou de bouche, pratiqués avec une solu tion d’eau peptonée additionnée de pénicilline et de streptomycine. Dans 150 pré¬ levements sur 300 (soit dans 48,5 9% des cas), la culture a été poitive. La plus grande partie des prélèvements positifs correspondait à la période s’étendant du 6e au 9e jour de la maladie. Les jours précédents le virus n’a généralement pas été mis en évidence. 47 cultures ont été effectuées dans 17 formes sans énanthème ni exanthème Aucune d’elles n’a révélé la présence de virus. On peut conclure que ces recherches virologiques correspondent à nog déduc¬ tions épidémiologiques de 1947 D’une part les formes sans ́ruption ne senblent pas contagieuses. D’autre part les varioles prégentant un énanthême sont peu contagieuges dana les premiers jourg. Or, en 1942 et 1947 nous avons obgervé des formes très atténuée où l’énanthème était inconstant. Il ne faut donc pas c’étonner que la plupart de ces formes sans énanthème n’aient pas semé la contagion au coura de la première semaine ÉPIDÉMIOLOGIE ET PROPHYLAXIE 8 « Le vieillard de 88 ans, arrivé au pavillon Jenner au huitième jour de sa variole, était extrêmement contagieux. Dans ce pavillon boxé de 42 lits, onze enfants, jamais vaccinés, étaient réceptifs : neuf ont été contaminés aussitôt et les deux qui avaient échappé momentanément à la contagion (ils avaient été placés dans des box à l’extrémité opposée du pavillon) ont été contaminés lors de l’apparition des cas secondaires. Il a suffi à un électricien réceptif de pénétrer quelques minutes dans le box du vieillard, sans le toucher, pour être contaminé: il avait suffi d’ailleurs à une voisine d’entrer en contact pendant cinq minutes avec le vieillard avant son hospitalisation pour s’infecter¬ « A la Salpêtrière, l’agent contaminateur a infecté les sept enfants non vaccinés de la petite salle non boxée de 24 lits. « Par contre, nous avons pu constater que de très nombreux varioleux, au début de leur affection, n’avaient fait aucune victime parmi les nombreux enfants réceptifs avec lesquels ils avaient été en contact. Voici des exemples : « La variole de l’enfant Van.. S, contractée à Claude-Bernard. éclata alors que le petit malade était retourné dans le service de chi¬ rurgie de l’hôpital Saint-Louis. Dans cette salle non boxée, le vario¬ leux est en contact avec de nombreux enfants réceptifs (comme l’ont montré les résultats des vaccinations) ainsi qu’avec le personnel médical et infirmier. En outre, de nombreux visiteurs ont pénétré dans la salle où il était admis, salle qui n’a d’ailleurs été désinfectée que quelques jours après, quand le diagnostic a été porté. Aucune contamination n’est pourtant survenue. Ce petit malade a ensuite été transféré, dans une autre salle, non boxée (dans le service d’oto-rhino-laryngologie) où aucun cas de transmission ne s’est produit. Admis ultérieurement au pavillon des douteux, puis à celui des rougeoleux de l’hôpital Saint¬ Louis, l’enfant a certes été placé alors dans un des box, mais on sait la contagiosité extrême de la variole et la possibilité de transmission d’un box à l’autre malgré les précautions prises. Il n’y a eu pourtant aucun cas de contagion. Il en aurait été tout autrement si l’enfant avait été à la deuxième semaine de la maladie. « Examinons le cas de l’enfant Arp.. V., qui, elle aussi, a été transférée de salle en salle : la propagation a été très réduite : cette enfant était atteinte de variole au centre d’Antony des Enfants assistés. Elle était alors en contact avec plusieurs enfants non vaccinés, qui n’ont pas été contaminés. Dans le pavillon Henri-Becquet où de nom¬ breux enfants réceptifs étaient hospitalisés une seule transmission est à signaler. Il en est de même dans le pavillon de médecine de cet hospice et dans le pavillon de varicelle Davaine de l’hôpital Claude-Bernard. « Pour couligner la très faible transmissibilité de la variole dans les premiers jours de cette affection, citons le fait suivant : des vario¬ leux ont pris le métropolitain, l’autobus, et ont été en contact avec de nombreuses personnes réceptives. Les uns ont vovagé à la période pré-éruptive, c’est le cas de deux infirmìres de Claude-Bernard et DE LA VARIOLE 59 du garçon de la salle d’autopsie. D’autres étaient au début de la période éruptive lorsqu’ils ont pris le métropolitain : c’est le cas du stagiaire de Claude-Bernard et de l’enfant Marc. C., contaminé à la Salpe¬ trière (dernier cas signalé dans cette étude). Aucune transmission ne s’est opérée parmi les voyageurs entassés dans les véhicules de trans¬ port en commun. Nous avons vu qu’au pavillon lenner où étaient admis les varioleux à tous les stades de leur afection, deux infirmières et deux médecins avaient été contaminés. Par contre, aucune atteinte n’a été constatée parmi les membres du personnel hospitalier des diffé¬ rents services de Saint-Louis et de Saint-Vincent-de-Paul, oN des varioleux avaient été admis au début de leur maladie. « Dans l’épidémie récente d’Arras, étudiée par Le Bourdelles. les faits sont assez démonstratifs. Un sujet tombe malade à Marseille à sa descente d’avion. Il se rend néanmoins à Paris par chemin de fer, puis à Arras : aucune contamination n’est observée au cours de ce voyage effectué dans les premiers jours de la variole. A Arras, au contraire, il infecte plusieurs personnes. « Lors de l’épidémie de 1942, l’un de nous avait signalé, avec H. Cambessedes, la contamination d’une personne au cours d’une visite dans la salle Biett où une varioleuse méconnue avait été admise à une période avancée de sa maladie. Il n’y a pas eu cette annéei de contamination de visiteurs. A Claude-Bernard, les visites sont inter¬ dites, sauf aux très grands malades. Avant que le diagnostic de variole ne fut porté chez l’enfant AIL.. J., (premier cas connu), atteinte de variole confluente, la mère avait été exceptionnellement autorisée à rendre visite à sa fillette : elle avait été vaccinée quelques années aupa¬ ravant et n’a pas été contaminée. « Mais si, à Claude-Bernard, comme à la Salpétrière, les visiteurs ont été très rares, par contre ils ont été extrêmement nombreux dans les divers salles de Saint-Louis ct de Saint-Vincent-de-Paul où des varioleux avaient été admis dans les premiers jours de la maladie. Or, aucune contamination n’a été observée. Pourtant, parmi les visi¬ teurs, il existait un grand nombre de personnes âgées réceptives. « Dans les consultations hospitalières de Hérold, de la Salpé¬ trière et de Trousseau, où le varioleux Marc. C., avait été amené aux 5e et 6e jours de sa maladie, des contaminations étaient à craindre. Les femmes qui, on le sait, échappent à la revaccination au cours de la 2le année, ne sont guère immunisées. Il en est de même des jeunes enfants qui ne sont pas tous vaccinés. Pour donner un exemple de la réceptivité de ces derniers, soulignons que dans la salle Leuret de 24 lits. il y avait, au moment de l’admission de l’agent contaminateur, sept enfants réceptifs qui ont été atteints de variole (soit huit enfants non vaccinés sur vingt-quatre). A Claude-Bernard, au moment de l’entrée (1) Il s’agit de 1947. EPIDEMIOLOGIE ET PROPHYLAXIE 60 du vieillard, il y avait dans ce pavillon de 42 lits onze malades récep¬ tifs, ce qui révèle une application imparfaite de la loi de 1902. « Au cours de l’épidémie de variole de 1947, la contagiosité a done été très grande à la période des crot̂tes: elle a été très faible au début de la maladie et même nulle dans les tout premiers jours de l’affection. C’est gurtout grâce au dépistage précoce, dépistage permettant l’iso¬ lement des malades avant la période très contagieuse de l’affection que nous avons pu combattre la variole et empécher son extension. Certes, la désinfection et la vaccination ont été entreprises rapidement. mais elles ne l’ont été, en moyenne, qu’au cinquième ou sixième jour de la variole. Or, on sait qu’une revaccination n’a de chance d’empêcher l’apparition de la variole que si elle est pratiquée dans les deux pre¬ miers jours de la période d’incubation. « Prenons un exemple : l’enfant Marc. C., contaminé à la Salpé. trière, a été atteint de variole à son domicile. Parmi les enfants qui partageaient sa chambre, deux d’entre eux n’avaient jamais été vac¬ cinés : ils n’ont pas été contaminés et, pourtant, la variole de l’enfant Marc.. C., n’a été dépistée que le huitième jour. Les nombreux sujets réceptifs avant été en contact avec cet enfant, au début de la période pustuleuse, n’ont certainement pas été tous revaccinés à temps. Ils n’ont pourtant pas contracté la variole. « Si le dépistage a été l’élément essentiel du succès, les autres mesures prises par les services d’hygiène parisiens à l’occasion de l’épi¬ démie n’ont pas été négligeables. « La désinfection a été faite aussitôt au domicile des malades. On sait en effet que le virus varioleux est résistant et peut se conserver longtemps dans les croûtes. Les services parisiens ont fonctionné comme en 1942 et des permanences ont été tenues le dimanche, de manière à assurer une plus grande rapidité à la désinfection ». Enquêtes à domicile Lorsque le diagnostic de variole fut porté, trente-et-un enfants étaient déjà sortis du pavillon Jenner, après avoir été en contact avec l’agent contaminateur. Il fallait se rendre à leur domicile et voir s’ils étaient ou non atteints de variole. Dix-sept sujets-contacts étaient sortis du pavillon Davaine et vingt-huit du pavillon. Nicolle à Claude¬ Bernard, infectés alors tous deux par la variole. A la Salpêtrière, trente-sept enfants ont da être surveillés pour la même raison. A Saint-Louis, l’enfant Van.. S, avait été en contact avec de nombreux sujets avant déjà quitté l’hôpital lorsque le diagnostic de variole a été porté (cina en chirurgie, seize en oto-rhino-laryngologie, douze au service des contagieux). A Saint-Vincent-de-Paul, le varioleux A., avait été en contact avec quatre-vingt-treize malades dans différentes salles : certains d’entre eux avaient été transférés dans d’autres établissements. elle était pratiquement terminée. DE LA VARIOLE 61 Plus nombreux encore étaient les visiteurs avant pénétré dans une salle infectée et susceptibles d’avoir été contaminés. Les surveil¬ lantes des différentes salles nous donnèrent immédiatement leurs noms et adresses. Quant aux nombreuses déclarations de variole qui furent toutes erronées, elles arrivèrent surtout à notre service quand l’épidémie de variole fut connue du grand public, c’est-à-dire à une époque où Vaccination Un arrêté du Préfet de Police, en date du 14 mars 1947, avait rendu obligatoire la vaccination de tous les sujets-contacts non vac¬ cinés avec succès depuis moins de cina ans. La revaccination a été généralement bien acceptée par les sujets¬ contacts et leur entourage, mais quelques résistances ont été observées : certains ont refusé catégoriquement de se faire vacciner, d’autres se sont intentionnellement absentés de leur domicile à l’heure où les séances gratuites étaient organisées sur place par les services préfec¬ toraux. Au cours de toutes les épidémies, on a constaté de tels faits. En 1947, la bénignité de la variole encourageait les réfractaires. Il ne suffisait pas de revacciner les sujets-contacts, il fallait aussi les mettre en surveillance sanitaire pendant deux semaines. Or. à cet égard, il est habituel de convoquer les intéressés à l’inspection géné¬ rale des services techniques d’hygiène de la Préfecture de Police. Cette manière d’opérer nous avait paru dangereuse : en effet, il fallait éviter. par exemple, qu’un enfant atteint de variole soit amené à notre cabinet, en empruntant le métropolitain. C’est la raison pour laquelle nous avons préféré surveiller ces sujets-contacts à leur domicile, ce qui nous a donné un gros travail supplémentaire. Nous avons été aidés par des assistantes sociales dont la collaboration est indispensable en cas d’épi¬ démie. Au cours de cette surveillance à domicile, on pouvait en outre vérifier si tous les sujets-contacts avaient bien été signalés (certaines familles, pour éviter la vaccination de telle ou telle personne qui la refuserait, sont parfois tentées de ne pas indiquer tous les sujets¬ contacts aux médecins chargés de l’enquête épidémiologique). Nous avons vu que des varioleux en pleine éruption avaient voyagé dans le métropolitain. On pouvait craindre l’apparition de cas épars dans la région parisienne. Il était donc indiqué de procéder à une revac¬ cination étendue de la population. Cette revaccination n’a pas été toutefois rendue obligatoire comme l’aurait permis la loi de 1902 et, ceci, pour les mêmes raisons qu’en 1942 (voir page 32). Des séances publiques furent organisées tant à Paris qu’en ban¬ lieue, dans les écoles, les dispensaires et les usines, les administrations ÉPIDÉMIOLOGIE ET PROPHYLAXIE 62 et les ministères. Le service de vaccination de l’Académie de médecine fut actif. Les directeurs des bureaux municipaux d’hygiène apportèrent une aide précieuse. Les médecins traitants firent, eux aussi, une forte propagande en faveur de la vaccination. La radio, les journaux, ne restèrent pas inactifs. En outre, des affiches placardées à Paris et en banlieue signalèrent les séances gratuites de vaccination. En fait, de nombreuses personnes se sont fait revacciner, mais le plus souvent tardivement, lorsque l’épidémie était terminée. De plus, les sujets étaient en général ceux qui avaient accepté de se faire immuniser au cours de l’épidémie de 1942. L’autre partie de la popu¬ lation, plus négligente, n’a pas suivi nos conseils, notamment les gens Agés, pourtant très réceptifs, mais qui croient volontiers que leur âge les met à l’abri de la variole. L’épidémie avant très vite rétrocédé, nous avons cessé toute pro¬ pagande quand nous l’avons jugée définitivement arrêtée, mais il a fallu un certain délai. Si la variole de 1947 a été jugulée avant la vaccination d’une frac¬ tion notable de la population, par contre les mesures suivantes prises dans les hôpitaux avec rigueur et célérité, ont été d’une utilité pri¬ mordiale : 19 Vaccination de tout le personnel hospitalier (médecins, étudiants, infirmières, ouvriers) : 29 Vaccination de tous les malades hospitalisés, sauf contre-indi¬ cations exceptionnelles découlant de leur état : 39 Vaccination des visiteurs et de certains malades non hospitalisés fréquentant des consultations spéciales (les malades des consultations externes qui ne pénétraient pas dans les services étaient dispensés de l’obligation vaccinale, mais non ceux qui devaient se rendre au voi¬ sinage des salles de malades). Les précautions spéciales suivantes ont été prises dans toute salle où avait éclaté un cas de variole : 1o Interdiction de l’admission ou de la sortie de tous les malades pendant les quinze jours suivant le transfert ̀ Claude-Bernard du vario¬ leux. En effet, ce dernier pouvait avoir infecté un ou plusieurs malades de la salle, et il fallait éviter la sortie d’un sujet en incubation de variole, comme cela s’était produit en 1942, et comme on l’a observé quatre fois en 1947 avant que le diagnostic de variole ne fut porté. De même, il était formellement contre-indiqué d’admettre de nouveaux malades dans une salle où allait peut-être éclater un cas de variole. 29 Toute visite était interdite pendant les quinze jours suivant le transfert à Claude-Bernard du varioleux, car dans cette salle, pouvait DE LA VARIOLE 63 éclater un cas secondaire qui aurait pu contaminer les visiteurs et. de plus, cette salle n’était pas encore désinfectée. 30 La désinfection de la salle devait être faite 16 jours après le transfert du dernier varioleux à Claude-Bernard. Cette opération une fois exécutée, on pouvait alors recevoir de nouveaux malades dans la salle. Ces diverses mesures, pratiquées avec rapidité, empêchèrent l’appa¬ rition de tout cas quaternaire dans les hôpitaux. Certaines ont été d’application aisée. Il a été facile de vacciner les malades des salles ainsi que le personnel hospitalier. Mais lorsqu’il a fallu faire de même pour certains consultants et pour les visiteurs, il en a été tout autre¬ ment. Les directeurs de Saint-Louis, et de Saint-Vincent-de-Paul ont préféré, les premiers jours, interdire les consultations et les visites. Cependant les mesures générales prescrites ne tardèrent pas à être mises en vigueur. A l’hospice de la Salpêtrière, l’économe faisant fonction de direc¬ teur avait déjà appliqué les mesures prescrites. Il était certes difficile de vacciner les très nombreux visiteurs, mais non impossible : certains directeurs d’hôpitaux l’avaient fait sur notre demande, pendant l’épi¬ démie de 1942. Il a suffi de placer quelques gardiens de la paix à la porte de l’hôpital pour vaincre toute résistance. Le premier jour. certes — c’était un dimanche, jour où les visiteurs sont très nombreux à la Salpêtrière — le public a vivement protesté, 2,000 visiteurs ont néanmoins été vaccinés en une heure et demie, mais le second jour aucune difficulté n’a été rencontrée. Finalement, personne n’a pénétré dans les hôpitaux sans un certificat de vaccination, Bien plus, certains parisiens désireux de se faire vacciner gratuitement se sont rendus dans les hôpitaux uniquement dans cette intention aux heures des visites. L’obligation de la vaccination dans les hôpitaux a en effet incité le public à se faire immuniser. Des articles de journaux, des commen¬ taires de radio, des affiches même avaient aussi poussé les parisiens à suivre nos conseils. Dans les maternités, en dehors d’une épidémie de variole, on ne vaccine généralement plus à la naissance, même les enfants robustes. Au cours de l’épidémie de variole de 1947 les nouveaux-nés ont été vaccinés comme par le passé avant leur départ de l’hôpital, ce qui était une précaution essentielle. Dans les hospices, l’immunisation des vieillards, très réceptifs en général, a été pratiquée. Une revaccination a été faite par prudence dans les écoles, dans les lycées et les facultés. Il en a été de même dans les usines. La plupart des ouvriers avaient cependant été vaccinés au cours du service militaire et pendant l’épidémie de 1942. Beaucoup conservaient encore une certaine immunité : néanmoins il était prudent de la renforcer. ÉPIDÉMIOLOGIE ET PROPHYLAXIE 64 Dans certaines administrations, les vaccinations ont été rendues obligatoires. C’était le cas de la Préfecture de Police. Dans la plupart des mairies de banlieue, tout le personnel, le maire donnant l’exemple, d’est fait vacciner, Mais, dans d’autres administrations, la vaccination. facultative, a été beaucoup moins suivie. Les médecins ont parfois observé de violentes réactions vaccinales. ce qui avait été constaté, en 1942 et au cours des épidémies antérieures. Beaucoup ont considéré à tort le vaccin comme trop actif. Nous ren¬ voyons le lecteur à la page33 où cette question a déjà été traitée, dans l’étude de l’épidémie de 1942. L’INCURSION DE 1946 L’année suivante la variole reparut, Par chance l’alerte fut donnée dès l’apparition du cas princeps, ce qui est un avantage considérable, car on a pu alors contrôler et maîtriser cette incursion. Le diagnostic avait été établi dès le début de l’éruption, c’est-à-dire à une période où la maladie était fort peu, ou n’était pas encore contagieuse. On pouvait donc espérer obtenir d’excellents résultats. Cette incursion est intéressante à décrire pour les deux raisons principales suivantes : a) Danger des faux certificats D’abord l'’étude de ce foyer souligne le danger des faux certificats ou des vaccinations sans succès. Les trois malades de l’épidémie repré¬ sentent les divers types de ce danger. Le premier avait demandé et obtenu un certificat de complai¬ sance pour éviter, à son retour d’Afrique du nord où sévissait la variole. d’être mis en surveillance par le service de contrôle sanitaire aux fron¬ tières. Avec le développement des transports aériens, avec l’accroisse¬ ment des exigences en matière de certificat de vaccination antivario¬ lique, cette fraude s’est développée de plus en plus par la suite, et. nous le verrons plus loin, elle est devenue extrêmement préoccupante. Le second malade est un étudiant en médecine qui avait obtenu de faux certificats de vaccination lors de son entrée à la Faculté et lors de son inscription au concours de l’externat (1). Le troisième malade avait bien été vacciné à deux reprises, mais il avait chaque fois essuyé aussitôt le vaccin. Les résultats avaient été (1) Le danger des faux certificats délivrés au corpa médical tend à diminuer. surtout depuis l’épidémie de Marseille où de nombreux médecins furent atteints de variole et depuis celle de Vannes où le directeur départemental de la ganté asuc¬ combé à cete affection. ailleurs. DE LA VARIOLE 65 négatifs. Cette pratique est courante chez certains passagers demandant un certificat international de revaccination, et voulant éviter au courg de leur voyage des accidents post-vaccinaux. Or ils savent que le certificat est valable, même si la vaccination a été pratiquée sans succès. Nous verrons plus loin qu’on ne devrait pas attacher d’importance aux certificats ne mentionnant pas le résultat de vaccination. Malheu¬ reusement il faudrait rectifier sur ce point le règlement sanitaire de l’Organisation mondiale de la santé. b) Fallait-il prévenir les journalistes, et, partant, le publie 2 L’incursion de variole de 1948 a souligné un autre aspect : l’intérêt national pousse les médecins qui ont la responsabilité de la lutte contre cette maladie, à ne pas prévenir la grande presse, lorsqu’ils croient pouvoir maitriser rapidement cette incursion. C’est pourquoi l’un de nous a cru bon, à cette époque, de ne pas avertir les journalistes, pour des raisons économiques, notamment pour éviter la fuite des touristes. A l’exception de l’hôpital Claude-Bernard, aucune mesure ne fut prise dans les hôpitaux, car elle aurait donné l’éveil. En agissant ainsi, l’un de nous avait assumé sciemment un gros risque. Il s’est borné à prendre des mesures très complétés à l’hôpital Claude-Bernard et dans l’entou¬ rage du cas princeps pour les raisons ci-après : D’abord une bonne partie de la population de la région parisienne avait été vaccinée l’année précédente, et l’expérience des épidémies de 1942 et 1947 avait montré que ce sont toujours les mêmes sujets (enfants des écoles, employés d’administration, ouvriers d’usine ainsi que les personnes accessibles aux conseils médicaux) qui se font revac¬ ciner au cours des épidémies. L’autre fraction de la population est réfractaire ou négligente. Elle ne se serait pas plus fait vacciner en 1948 qu’en 1947. D’autre part la revaccination des malades n’est pas tout à fait sans risque. Au cours des épidémies de 1942 et de 1947 des nourrissons hospitalisés, des adultes atteints d’hémopathie notamment, ont eu des réactions vaccinales très dangereuses. Or la vaccination des malades hospitalisés ne se justifie que lorsqu’il y a risque d’apparition en ville de cas de variole non dépistés, car ils sont généralement pris par les médecins traitants pour des grippes, des varicelles ou des érythèmes polymorphes, comme cela fut le cas en 1942 et en 1947. En effet, la plupart de ces malades de ville ont été alors admis dans des hôpitaux autres que Claude-Bernard. Mais dans l’incursion de 1948, nous savions que le varioleux avait été contaminé en Afrique du nord, et qu’il avait été dépisté à temps, à une période où la maladie est fort peu contagieuse. Nous avions vacciné néanmoins tout son entourage, que nous surveillions chaque jour étroitement : à la moindre élévation thermique, nous aurions fait conduire ces sujets à l’hôpital Claude-Bernard et non ÉPIDEMIOLOGIE ET PROPHYLAXIE 665 Quelques médecins spécialistes étaient au courant de l’existence de la variole à Paris, mais non la masse des médecins parisiens, car finalement la grande presse l’aurait appris elle aussi. Nous contrôlions l’épidémie. D’ailleurs les incursions de 1942 et de 1947 nous avaient montré que, n’ayant pas vu de cas de variole, la plupart des médecins de ville ne pouvaient guère nous aider dans le dépistage. Notre tactique paraissait fondée. Tout a bien débuté, comme nous l’espérions. Aucun cas de variole n’a éclaté dans l’entourage du malade. La surveillance se borna alors à l’hôpital Claude-Bernard. Lorsqu’apparut le cas secondaire dans cet établissement rien n’était encore alarmant. Mais trois semaines plus tard, au moment où l’on se montrait optimiste, le cas tertiaire apparut : c’était le malade qui. vacciné à deux reprises, à huit jours d’intervalle, avait essuyé minu¬ tieusement son vaccin et avait eu des réactions négatives. Pour comble de malchance, il dut être opéré dans une clinique. Le chef de service ne put s’opposer à son transfert, en raison de l’urgence, et la variole débuta quatre jours après son opération. L’ascension thermique à 300 fut alors attribuée aux suites opératoires. Nous reprenions donc confiance. Mais le quatrième jour la fièvre avait baissé et une éruption vésiculo-pustuleuse était apparue : elle évoquait la variole. Par malheur. le malade venait de se faire raser et nous nous aperçûmes que le coiffeur avait écorché une pustule de la face. Nous fîmes hospitaliser l’opéré à Claude-Bernard et nous primes aussitôt les mesures qui s’imposaient à la clinique. Il n’y eut aucune propagation dans cet établissement. comme prévu. Mais les renseignements pris aussitôt chez le coiffeur n’étaient pas rassurants : après avoir écorché la pustule, il avait bien nettoyé son rasoir, mais il ne l’avait pas flambé : il était reparti ensuite en ville raser d’autres clients. Bien entendu il ignorait le nom et l’adresse de ces personnes. Ainsi la situation se retournait brutalement. Auparavant nous étions surs de contrôler l’épidémie, car nous connaissions en effet tous les sujets contacts. Désormais nous étions beaucoup moins certains de l’arrêter rapidement. Fallait-il continuer à cacher l’existence de la variole à Paris, quitte à la révéler, si de nouveaux cas apparaissaient en ville. L’un de nous, qui avait la lourde responsabilité de prendre cette décision, pensait qu’il fallait agir ainsi. Mais on commençait déjà, dans certaines, sphères administratives, à juger téméraire son action. Les instructions officielles ne précisaient-elles pas que dès le début de l’incursion, il aurait fallu prévenir les médecins et avertir la population par voie de presse 2 En outre, le fait pour un adminis¬ trateur de prendre une décision, comme la diffusion de la vaccination. constitue une activité qui met en évidence l’importance de son ser¬ vice et qui dégage sa responsabilité. C’est alors que le Professeur Lemierre soutint énergiquement l’action de l’un de nous et toute opposition s’estompa. La presse resta dans l’ignorance de la maladie. Après cette vive alerte, la fortune vint à sourire. Il n’y eut aucun cas quaternaire. Le rasoir n’avait déterminé aucune propagation. DE LA VARIOLE 67 Quatorze ans après, grâce à son expérience, l’un de nous pense qu’il à eu raison d’agir ainsi. Mais depuis lors il se méfie davantage des vaccinations pratiquées sans succès et ne tient compte, selon l’enseignement du Profeseur Lemierre, que des certificats mentionnant un résultat positif (papulo vésicule ou pustule). La relation de l’incursion de 1947 offre un sujet de réflexion à ceux qui ont la lourde charge de lutter contre une épidémie de variole. Lorsqu’ils penseront pouvoir juguler l’incursion rapidement, ils seront placés devant cette alternative. — Ou bien divulguer, l’affection : ils se mettront en vedette. dégageront leur responsabilité, puisqu’ils appliqueront les instructions ministérielles : mais leur action nuira énormément au pays. Les touristes quitteront inutilement la France. A la fin, ces médecins seront félicités pour leur beau succès, et on ne tiendra pas compte des fâcheuses réper¬ cussions économiques que les mesures prises par eux auront entrainées. — Qu bien ces médecins, cacheront aux journalistes, done au public, l'’existence de la variole. Ils feront ainsi leur devoir en défen¬ dant les intérêts économiques du pays. Mais s’ils échouent, c’est-à-dire si l’épidémie traine, quelle responsabilité : On parlera d’imprudence, d’inconscience ou de témérité. On soulignera que les instructions minis¬ térielles n’ont pas été suivies. Bref ces médecins seront accablés de reproches. S’ils réussissent au contraire, à l’exception de quelques confrères qui étaient avertis, personne ne connaitra le succès qu’ils ont remporté, les risques professionnels qu’ils ont encourus en défendant l’intérêt national, et nul ne les félicitera. Aussi cette incursion de 1948 peu connue, mais riche de consé quences, méritait-elle d'être rapportée. Nous présentons ci-après les trois cas de variole observés dal région parisienne en 1946. Cas princeps — VAL. J. — 50 ans. Ce malade fut contamine au cours d’un voyage à Oran, où quelques cas de variole avaient été signalés Pour revenir en France, il se pro¬ cura le 4 février un faux certificat de vaccination — c’était d’ailleurs son habitude au cours de ses déplacements — et prit le bateau le len¬ demain. Il était en incubation de variole. L’affection débuta au cours d’un week-end à Fontainebleau le dimanche 8 février: le lendemain matin, le varioleux, bien qu’avant une forte fièvre à 40°, rentra à Paris par chemin de fer. Le 12, une ÉPIDÉMIOLOGIE ET PROPHYLAXIE 68 éruption survint, et imposa son transfert à Claude-Bernard (pavillon Bouchard). Le Docteur Laporte porta le diagnostic de variole le 16 février et nous en avertit par téléphone. Le malade présentait en effet de nombreuses pustules dures pré¬ dominant à la face et aux membres, et siégeant en grand nombre aux paumes des maine et aux plantes des pieds. De plus, l’éruption, pré¬ cédée d’un rash, avait débuté au moment de l’amélioration de l’état général. Par la suite, le diagnostic de variole avait pu être mis en doute pour deux raisons : la présence de deux poussées éruptives anormales et le résultat encore négatif dans les délais habituels de l’inoculation au singe. En réalité, l’animal présenta, mais avec un très grand retard. deux pustules varioliques. Enfn un cas secondaire apparut au pavillon Bouchard. Il s’agissait donc bien de la variole. Cas secondaire — LE C., étudiant en médecine. Un malade admis depuis longtemps dans un box voisin de celui de M. Val. L, fut atteint de variole indiscutable dix-sept jours aprèa l’arrivée du cas princeps dans ce pavillon. C’était un étudiant en méde¬ cine, soigné à Claude-Bernard pour méningite tuberculeuse et qui DE LA VARIOLE 69 présentait une érythrodermie due à la streptomycine. Cette érythro¬ dermie d’ailleurs en voie de régression au moment de la contamination. a semblé avoir favorisé cette dernière. De même le cas tertiaire était atteint d’eczéma étendu, ce qui a dû également faciliter la transmission de la variole. Cet étudiant, vacciné avec succès à la naissance, mais non revaccine depuis, avait utilisé de faux certificats de vaccination antivariolique au moment de son entrée à la Faculté, puis en 1947 lorsqu’il s’était présenté à l’externat. Le 16 février 1948, au moment où le diagnostic de variole avait été porté chez Val.. J., il fut revacciné, mais sans succès pour une raison mal précisée. Le 29 février, la variole débuta par un épisode fébrile. On pensa tout d’abord à une rechute de la méningite, mais une éruption apparut trois jours après et devint bientôt pustuleuse. Elle imposait le dia¬ gnostic de variole. Elle était en effet quasi confluente à la face, très importante aux membres — on pouvait voir de nombreux éléments palmo-plantaires — et plus discrète au niveau du tronc. Il existait en outre un énanthème. Malgré l’importance de l’éruption et l’état morbide antérieur du malade, la variole évolua vers la guérison. Mais à la fin de la conva¬ lescence de cette affection, on constata une reprise de l’évolution de la méningite tuberculeuse, et c’est de cette affection que le malade succomba. Cas tertiaire BOU, 62 ans Ce cas a pris naissance au pavillon Bouchard. Il concerne un malade hospitalisé pour une infection des voies biliaires avant nécessité l’essai d’un traitement par la streptomycine. Ce malade, en raison de la présence de deux cas de variole au pavillon Bouchard, avait été vacciné à deux reprises, mais sans succès. Il avait essuvé volontairement le vaccin pour éviter les réactions locales et générales. Comme le traitement par la streptomycine n’avait pas donné de résultat notable, une opération sur les voies biliaires fut jugée nécessaire. En raison de l’urgence, le chef de service dut per¬ mettre au malade, deux fois vacciné, de quitter la galle infectée. Il fut transféré le 14 mars dans une maison de santé où il fut opéré le 15. Mais il était en incubation de variole: il avait été contaminé par le cas secondaire. Le 20 mars, la période d’invasion débuta : elle fut atténuée, et la fièvre fut attribuée aux suites opératoires, si fréquentes dans ces interventions septiques. Mais quand les signes généraux s’estompèrent, apparut une éruption très discrète composée d’une quinzaine de pus¬ tules seulement. Ces éléments étaient durs, enchâssés dans le derme. Le 26 mars le malade retourna à Claude-Bernard, où le Docteur Laporte confirma notre diagnostic. Les mesures habituelles furent prises et aucun cas quaternaire n’eut lieu. éPIDÉMIOLOGE ET PROPHYLAXIE 70 MESURES PRISES Lorsque le premier cas de variole fut déclaré, les divers services d’hygiène procédèrent d’urgence à la désinfection des locaux et à la vaccination des sujets-contacts qui étaient nombreux. Le directeur de la santé de Seine-et-Marne prit ces mesures à l’hôtel de Fontainebleau où la maladie avait éclaté. Les services parisiens firent de même. La fille du malade qui avait été en contact prolongé avec lui pendant quatre jours, du 8 au 12 février, (c’est-à-dire pendant toute la période d’invasion et le début de l’éruption), n’a pas été atteinte. Pourtant, elle était réceptive : cette enfant dé deux ans aurait été nous a-t-on dit, vaccinée auparavant, mais sans succès à l’occasion d’un voyage en Argentine. Elle ne présentait pas de cicatrice de primo vaccination. Une revaccination pratiquée le 16 février, jour même de la déclaration de la maladie, a déterminé une forte pustule. Ainsi, le varioleux au début de son affection, n’a pas contaminé sa fille nettement réceptive non plus que d’autres sujets contacts. notamment les voyageurs qui l’avaient côtoyé de Fontainebleau à Paris. C’est une confirmation supplémentaire des faits que nous avons soulignés plusieurs fois : les formes bénignes de variole sont peu conta¬ gieuses à leur début. Les mêmes conclusions peuvent être tirées à propos du cas tertiaire : il n’y a pas eu en effet de contamination à la clinique. Lorsque le cas tertiaire éclata dans une clinique parisienne, il a fallu procéder d’urgence à la vaccination des malades dont certains étaient revenus à leur domicile, ainsi qu’à celle des sujets-contacts. Le nécessaire fut fait rapidement : plusieurs centaines de personnes ont été vaccinées et surveillées. Un danger persistait toutefois. Nous avons exposé que le coiffeur de la clinique, en rasant le varioleux avait ouvert une pustule débu¬ tante de la face et avait essuyé minutieusement son rasoir, mais ne l’avait pas flambé. Après avoir rase les malades de la clinique, et notam¬ ment le varioleux qui était au 3e étage, il s’était servi en ville de ce rasoir dans la boutique de son patron. Par contre le blaireau utilisé appartenait au malade. Le coiffeur fut immédiatement vacciné et surveillé, mais des cas pouvaient survenir en ville dans sa clientèle. Certes, les risques étaient moins grands qu’on pouvait le penser : une bonne partie de la popu¬ lation parisienne avait été vaccinée l’année précédente. Les hommes d’ailleurs sont bien moins réceptifs. Lorsqu’ils constatent que leur client est atteint d’une éruption pustuleuse de la face, les coiffeurs nettoient minutieusement leur rasoir. Ce réflexe a été heureux dans le cas particulier. C’est peut-être ce qui explique qu’aucun cas quaternaire ne s’est produit en ville. Des hygiénistes ont jadis attiré l’attention sur les dangers de transmission par le rasoir, non seulement de la syphilis, mais d’autres 71 DE LA VARIOLE maladies. C’est ainsi que l’ancien règlement sanitaire (Il septembre 1936). établi par le Préfet de Police prévoyait ceci : (art. 47). « Les objets employés par les coiffeurs, soit dans les lieux de l’exercice de leur profession, soit chez leurs clients, seront après usage désinfectés. « A cet effet, ils geront passés soigneugement à la famme ou immergés dans de l’eau bouillante pendant quelques minutes. Cette opération pourra être faite au moyen d’un des appareils utilisés pour la stérilisation des instruments de chirurgie ou par tout autre procédé soumis à l’administration et reconnu efficace par le conseil d’hygiène. « Chaque fois qu’elles auront été utilisées, soit pour la tête, soit pour la barbe. les brosses seront lavées au savon, rincées et séchées. « Article 48. — Les linges, cotons et autres objets destinés au même usage et avant un contact direct avec la peau ne pourront servir que pour un seul client, après quoi ils seront aussitôt jetés ou mis au lavage. « Article 49. — Les personnes visées à l’article 46 seront tenues, avant de servir un client, de se laver les mains au savon ou de les désinfecter par un procédé efficace ». Mais les règlements sanitaires communaux avaient été retouchés à la suite de l’établissement du règlement sanitaire départemental type de 1937 qui ne prévoyait pas de telles mesures. C’est pourquoi le dernier règlement sanitaire du département de la Seine, établi par les deux Préfets, conformément au règlement sanitaire départemental type, ne précisait pas alors les mesures d’hygiène, à prendre dans les salons de coiffure. C’est une lacune qui a été comblée, à la suite de notre observation. Malheureusement la surveillance est fort difficile et le nouveau texte reste théorique. Nécessite d’isoler certains sujets-contacts réceptifs Enfin, il convient de signaler une difficulté qui découle de l’insufi¬ sance de la législation sanitaire nationale : l’impossibilité d’isoler les sujets-contacts réceptifs. En 1948, un malade atteint d’érysipèle a quitté le pavillon Bouchard contrairement à l’avis du Docteur Laporte : il avait été en contact avec le varioleux, et était peut-être réceptif. Nous avons emplové, en pure perte, la persuasion pour le faire retourner à Claude-Bernard, et nous avons da nous résoudre à le surveiller. I n’était heureusement pas, à sa sortie du pavillon Bouchard, en incu¬ bation de variole, comme on pouvait le craindre alors. La loi de 1902 permet bien l’hospitalisation d’office, mais seule¬ ment des malades et non des sujets-contacts réceptifs vraisemblable¬ ment en incubation de variole. C’est là un fait regrettable, car ces sujets non hospitalisés sont dangereux pour leur entourage et peuvent être la cause de la prolongation d’une épidémie. Le règlement sanitaire international est en avance sur la légig¬ lation sanitaire nationale. Il rend possible l’isolement d’un passager non porteur de certificat international de vaccination, lorsqu’il a été ÉPIDÉMIOLOGIE ET PROPHYLAXIE 72 en contact, au cours de son voyage, avec un varioleux. Ce passager, en principe réceptif, peut en effet propager la maladie. Il est donc souhaitable que soit retouchée la législation sanitaire nationale de manière que l’on puisse non seulement hospitaliser plus facilement que ne le permet la loi de 1902 les personnes atteintes de variole, de peste ou de choléra, mais aussi pour que puissent être isolés les sujets-contacts réceptifs risquant de propager ces affections redou¬ tables lorsque débutera la maladie. Une harmonisation des réglementations internationales et natio¬ nales est donc souhaitable. Il est heureux de pouvoir isoler à leur arrivée en France les sujets contacts réceptifs d’un varioleux et regrettable de ne pas pouvoir le faire lorsque ces personnes n’ont pas quitté la France. Donnons pour terminer un exemple de cet inconvénient. Lorsqu’un malade, généralement guéri de l’affection qui a motivé son hospitali¬ sation, veut quitter la salle où vient d’être découvert un cas de variole, les médecins s’opposent à son départ. Le plus souvent ils réussissent à l’empêcher de sortir soit par la persuasion, soit par autorité: les malades ignorent en effet que la législation sanitaire ne leur en donne pas le droit. Il y a parfois des résistances et pour les vaincre un chef de ser¬ vice courageux a fait jadis cacher les effets d’un de ces sujets-contacts. pour l’empêcher de quitter une salle infectée. Ce sont là des moyens illégaux auxquels, si on veut faire son devoir, on est obligé de recourir. tant que la législation nationale ne sera pas retouchée. DÉDUCTIONS GÉNÉRALE Ces trois incursions de la variole sont riches en enseignements. Pour rendre l’exposé des épidémies moins aride, nous l’avons déjà émaillé de déductions, considérant que ce mode d’exposition est plus vivant et plus convaincant. Il faut être plongé dans l’ambiance de la lutte contre l’épidémie pour en bien saisir les imperfections, souvent lourdes de conséquences. Le seul inconvénient, d’ailleurs mineur, qui découle de cette façon d’exposer est l’impossibilité d’éviter les répétitions. Nous avons tenté néanmoins de les limiter. C’est pourquoi lorsque les déductions ont déjà été suffisamment développées à l'’occasion du récit de l’épidémie, nous les résumerons en quelques lignes dans ce chapitre et nous renverrons le lecteur aux passages où cette question a déjà été suffisamment traitée. Dans le cas contraire, nous les développerons et nous signalerons les observations qui les justifient. Ce que nous allons proposer est le fruit de l’expérience d’un hygié¬ niste, poursuivie depuis vingt ans dans la région parisienne. Les cli¬ niciens savent que la variole est une maladie généralement facile à diagnostiquer au stade pustuleux, par la seule clinique. Ils verront que les problèmes prophylactiques sont dans l’ensemble beaucoup plus difficiles à résoudre qu’on ne le pense ordinairement, pour atteindre un résultat aussi parfait que possible. L’exposé qui va suivre sera divisé en deux parties. Dans la pre¬ mière nous développerons les déductions épidémiologiques. Dans la seconde, nous montrerons comment peuvent actuellement ou devraient être résolus les problèmes prophylactiques. Nous tenons à souligner que nos diverses propositions tendant à modifier la réglementation n’ont aucun caractère officiel et qu’elles nous sont personnelles. A. DÉDUCTIONS ÉPDEMIOLOGIQUES Réceptivité Nous ne ferons que résumer ce qui a déjà été exposé. L’épidémie de 1942 a été surtout observée chez les grands enfanta avant la revaccination de la onzième année, et surtout chez les sujets ÉPIDÉMIOLOGIE ET PROPHYLAXIE M4 assez âgés ou les vieillards (âge moyen des adultes : 52 ans) : les femmes ont été nettement plus atteintes : 36 femmes contre 12 hommes, soit 3 fois plus. L’épidémie de 1947 a sévi principalement chez les très jeunes enfants jamais vaccinés : 24 jeunes enfants sur 33 varioles, soit près des 3/4 des cas. Ces divers faits s’expliquent de la façon suivante :la revaccination des hommes au cours du service militaire et de la dernière guerre explique la prédominance de la maladie dans le sexe féminin. Quant aux vieillards, ils sont volontiers très négligents lorsqu’on leur demande, en cas d’épidémie, de se faire revacciner. Beaucoup estimaient qu’ils étaient à l’abri de la variole, car ils avaient échappé à la grippe dite eapagnole de 1918 et à diverses épidémies. D’autres, très diminués physiquement, ne tenaient plus guère à la vie, étaient fatalistes et nous répondaient : « Si la variole survient, que je meure de cette maladie ou d’une autre, cela n’a guère d’importance pour moi ». Ils ne se ren¬ daient pas compte que la vaccination a’ deux buts tout différents : immuniser certes l’individu, mais aussi protéger, la société, en limitant la diffusion de la maladie. C’est pourquoi, lorsque survient une-incur¬ sion de variole, il faut porter l’effort sur les personnes âgées. La durée de la protection conférée par la dernière vaccination a été très variable selon les individus et selon que l’agent contaminateur présentait une éruption récente, ou qu’elle était déjà au stade crouteux. Eliminons les cas de vaccinations pratiquées sans succès, dont il ne faut tenir aucun compte, et examinons la réceptivité des sujets vaccinés ou revaccinés avec succès, depuis un temps plus ou moins long. Elle a été très variable. C’est ainsi que dans ces varioles bénignes, de nombreux hommes, vaccinés depuis fort longtemps déjà au service militaire ont été protégés. Une femme de 77 ans, hospitalisée salle Nélaton, n’avait jamais été vaccinée depuis sa naissance et n’a fait qu’une variole très atténuée (forme fébrile pure). Au contraire dans cette épidémie, plusieurs grands enfants (âge moyen : 9 ans), vaccinés avec succès au cours de leur première année, avaient été atteints d’une forme typique de variole. Le facteur individuel est donc indiscutable. Contagiosité L’un de nous a souligné, lors des incursions de la variole, que cette maladie, du moins dans sa forme bénigne, était fort peu conta¬ gieuse, ou ne l’était absolument pas, à la période d’incubation et même au début de la période d’éruption. L’exposé des diverses incursions fourmille de ces remarques. Nous les résumerons donc, mais en insistant dès maintenant sur le fait que les dernières incursions étaient constituées dans l’ensemble par des formes bénignes, où l’énanthème était rare. On ne saurait donc tirer des conclusions aussi rassurantes pour les formes graves. DE LA VAROLE 75 Récapitulons tous les cas avant débuté en-ville, ou dans un établis¬ sement hospitalier, et commençons par l'épidémie de 1942. Le cas princeps, le convoyeur vraisemblablement infecté dans l’Est fut admis au pavillon Bouchard en 1942, peu après le début de son éruption. Personne n’a été infecté à son domicile. Au contraire. quinze jours après son admission éclataient les deux cas secondaires : Lé B., et Mme Jar.. Tout porte à croire que ces deux malades n’ont été infectés que deux ou trois jours après l’admission au pavillon Bou¬ chard du convoyeur, l’incubation de la variole étant de douze à treize jours en moyenne. Parmi les cas tertiaires, citons l'’enfant Baum, sorti de la salle infectée au moment où on ignorait la présence de la variole. Cette affection débuta le 26 janvier et l’enfant revint au pavillon Bouchard le 31, c'est-à-dire le cinquième jour de sa maladie, lorsque l'éruption pustuleuse venait d’apparaitre. Il n’a pourtant contaminé personne à son domicile. Au contraire, un ambulancier Pot, atteint de variole le 24 jan¬ vier et hospitalisé au pavillon Bouchard le 7e jour de sa maladie, c’est¬ à-dire le 30 janvier, avait contaminé sa femme. L’infection de cette dernière n’a dû avoir lieu qu’au moment de l’admission de son, mari. la variole de Mme Pot., avant débuté le 12 février, c’est-à-dire treize jours après l’hospitalisation de son mari. Aucun autre cas n’à éclaté dans l’entourage des époux Pot. Une ambulancière Mme Mon... fut également admise à Claude¬ Bernard le 6e jour de sa variole : elle n'a déterminé aucune propagation à son domicile. Il en est de même de Mme Char,, et de M. Mon. Ce dernier n’a été hospitalisé que le 7e jour. Aucun cas n’a éclaté dans son entourage. La même remarque doit être faite pour Mme De Ser, et Mme Ja. infectées salle Biett. La première l’avait quittée pendant l’incubation de sa variole, et la seconde y avait été rendre visite à une malade hospitalisée, à une époque où on ignorait la présence de la variole dans cette, salle. Dans la seconde phase de l’épidémie de 1942, période des cas isolés dans la région parisienne, 21 cas de variole ont été dépistés, par¬ fois assez tardivement et ont donné lieu aux mêmes remarques. Examinons maintenant ce que nous avons observé au cours de l’épidémie de 1947. Le cas princeps, un vieillard de 88 ans a contaminé deux personnes en ville. L’une, sà ille, n’a été infectée qu’une semaine après le début de la variole de son père, car la maladie de la ille a éclaté vingt jours après celle de son père. L’autre cas secondaire. Mme Dem., à été contaminée au moment du transfert à l’hôpital du varioleux alors méconnu, c’est-à-dire le 10e jour de la maladie. L’enfant Van S.. (cas secondaire) a contracté la variole au pavillon Jenner, et était en incubation de cette maladie lorsqu’il revint au ÉPIDÉMIOLOGIE ET PROPHYLAXIE 7 service de chirurgie infantile de l’hôpital Saint-Louis. Quand la variole éclata, il fut transféré, pendant la période d’invasion, au service d’oto¬ rhino-laryngologie (salle non boxée), puis au pavillon des douteux. et enfin au pavillon de la rougeole. La variole était au 7e jour lorsque l’affection fut reconnue et le malade fut transféré à Claude-Bernard. Or aucune propagation n’a eu lieu, bien que l’éruption de variole fut très forte. Un autre cas secondaire. Arp, cette fois mortel, avait pris nais¬ aance au pavillon Jenner : mais la petite malade était revenue aux Enfants assistés (annexe d’Antony) pendant la période d’incubation. Lorsque l’invasion de sa variole débuta, elle fut transférée au service de désencombrement (H. Becquet), puis en médecine où l’éruption apparut. Le médecin chef pensa alors à une varicelle et on transféra cette enfant au pavillon Davaine à Claude-Bernard,. Malheureusement elle avait contaminé pendant la période d’invasion de la variole un enfant à H. Becquet et, au début de la période d’éruption un second enfant, en médecine. Elle devait en contaminer un troisième au pavillon Davaine (varicelle) à Claude-Bernard. Voici un cas d’exception dans lequel la transmission d’est opérée pendant la période d’invasion, Mais elle a été très limitée : un seul enfant dans chacune des deux salles non boxées a été contaminé, et pourtant beaucoup d’entre eux étaient réceptifs. Un dernier cas secondaire, l’enfant Lag., entré pour varicelle le 10 février au pavillon Jenner, y contracta la variole. Cette affection débuta le 21, jour de sa sortie (l’incubation a été alors, au maximum, de onze jours). Cet enfant contamina à son domicile son cousin âgé de 6 mois, jamais vacciné. Ce n’est que le 16 mars que la variole débuta chez ce dernier, soit vingt-cinq jours après celle de son cousin. Les douze premiers jours de sa maladie, le jeune Lag., n’avait pas conta¬ miné l’autre enfant. Cinq membres du personnel médical et hospitalier ont été infectés par l’enfant Alt., cas secondaire, atteinte de variole confluente. Leur. affection a débuté en ville. Le chef de clinique avait examiné quelques malades à son cabinet pendant la période d’invasion de sa variole. Le stagiaire fut très imprudent puisque malgré son éruption débutante, il se rendit pour une consultation chez le Docteur Laporte, en prenant le métropolitain. Les deux infirmières ont été hospitalisées rapidement, lorsque survint l’éruption,. Elles avaient côtoyé peu de personnes en ville. Quant au garçon de la galle d’autopsie, il avait pris l’autobus au début de la période d’invasion. Aucune propagation n’eut lieu, pour¬ tant, dans ces 5 cas. Lors de l’étude du foyer de la Salpêtrière, pour avons vu qu’un enfant Mar, avait quitté la salle Leuret pendant la période d’incu¬ bation de sa variole, à une période où on ignorait la présence de cette maladie dans cet hôpital. Lorsque l’éruption de variole débuta, le médecin de ville porta le diagnostic de rougeole. La mère, incrédule. qncgg cagu pece vaoncax à la Salpétrière où on le refusa, « de 77 DE LA VARIOLE crainte qu’il ne contracte la variole » (sic), puis à Trousseau ò on porta le diagnostic de gale infectée, enfin à Hérold où on conclut à une pyodermite. Lorsque nous le dépistâmes, grâce à notre enquête épidémiologique, nous le trouvâmes dans une cour d’immeuble bondée d’enfants. Or aucune propagation n’eut lieu. Si le malade avait été contagieux, au début de la phase éruptive de la variole, il aurait trans¬ mis la maladie à plusieurs voyageurs du métropolitain ou de l’autobus. à plusieurs consultants des hôpitaux Hérold et Trousseau, ou même à plusieurs habitants des immeubles pour familles nombreuses où li résidait. Enfin, lors de l’incursion de 1948, un varioleux contaminé en Afrique du nord fut hospitalisé à Claude-Bernard au bout de quatre jours de maladie. Pendant la période d’invasion, il avait pourtant fait un déplacement en chemin de fer à Fontainebleau. Sa fille non vaccinée n’a pas été contaminée. Bref l’hospitalisation rapide a évité toute propagation. En conclusion, dans les incursions de variole bénigne observées depuis vingt ans ̀ Paris, peu de malades ont semé la contagion pen¬ dant la première semaine de l’affection, ce qui a été extrêmement heureux. Un seuil d’entre eux a contaminé un enfant pendant la période d’inva¬ sion. Dans les cas où les varioleux, au début de leur éruption, ont pro¬ pagé la maladie, ils n’ont alors été que faiblement contagieux : un seul enfant en a contaminé trois autres, et encore, dans trois pavillons différents. Dans l’ensemble ces varioles discrètes ont été moins contagieuses que d’habitude. En effet lorsque la présence de la variole était ignorée, des centaines de visiteurs ont pénétré dans des salles infectées. Un seul d’entre eux a été contaminé. Bien plus, en 1942, un certain nombre de femmes, hospitalisées salle Nélaton, ont échappé à la contagion et pourtant elles étaient très réceptives comme l’a montré la vacci¬ nation effectuée ultérieurement. Il est vrai que le séjour dans cette salle faiblement infectée était beaucoup moins dangereux que d’ordinaire, aucun varioleux n’y étant soigné. Au XVIIIe siècle, les médecins qui pratiquaient la variolisation avaient remarqué que dans l’ensemble l’inoculation du contenu de pustules débutantes ne déterminait qu’une variole atténuée, tandis que celle de pustules datant de plusieurs jours risquait de provoquer une forme grave. L’un de nous a donc essayé de savoir si les contaminations par des varioleux malades depuis plus de dix jours aboutissaient à des formes plus graves. Il n’a pu répondre affirmativement, faute de cas en nombre suffisant, mais il pense que cette hypothèse expliquerait les deux faits suivants. Les deux seuls malades décédées en 1947 avaient été contaminées dans la salle par un malade venant d’être hospitalisé le 10e jour de sa variole. En 1942, aucune conclusion ne peut être tirée car les trois décès n'’étaient pas dus à la variole, mais essentiellement à un état antérieur très grave. ÉPIDÉMIOLOGIE ET PROPHYLAXIE 18 Certains auteurs, quelque peu étonnés par notre conclusion sur la faible contagiosité de ces varioles bénignes au cours de la première semaine ne manqueront pas de faire remarquer que nous avons évité bien des propagations en vaccinant les sujets-contacts le jour même où le diagnostic a été posé. En effet souvent une revaccination, pra¬ tiquée dans les deux premiers jours de la période d’incubation, peut empêcher l’apparition de la variole. En réalité l’épidémie de 1942 a été découverte tardivement à l’occa¬ sion de l’apparition d’un cas tertiaire typique et celle de 1947 à l’occa¬ sion d’un cas secondaire. Or les mesures prophylactiques rapides ou assez rapides n’ont pu être prises, que lors de l’apparition des cas qua¬ ternaires en 1942 et des cas tertiaires en 1947. C’est alors qu’un certain nombre de contaminations ont pu être évitées. Les preuves les plus troublantes sont les suivantes : plusieurs vario¬ leux n’ont pas semé la contagion, en 1948 durant un voyage en chemin de fer, et en 1947 dans le métropolitain ou dans l’autobus. Les sujets¬ contacts n’ont pu évidemment être dépistés. Or aucun cas de variole. provenant d’un tel contact n’a été découvert par la suite. Force est donc de conclure que les varioleux n’étaient pas, ou n’étaient que très faiblement contagieux. Les remarques qui ont été faites aur la faible transmissibilité de la variole dans la première semaine de la maladie s’appliquent-elles aux épidémies de variole grave, telle celle qui règne au Pakistan, au moment où nous écrivons ces lignes 2 Il est probable que ces affections sont plus contagieuses que les formes bénignes si l’on en croit diverses publications. Les cas de transmission pendant la période d’invasion sont plus nombreux. L’énanthème est très fréquent dans ces cas, alors qu’il a été beaucoup plus rare dans les épidémies de variole discrète. Il n’en est pas moins vrai que dans les varioles graves, la contagiosité est maxima à partir de la 2e semaine de la maladie. Nous citerons un exemple récent : un voyageur venant du Pakistan a fait escale le 25 décembre 1961 à Orly. Il était alors atteint de variole, au début de la période éruptive. (C’est à ce moment-la, c’est-à-dire aux environs du 5é jour que l’amélioration temporaire de l’état général permet à de tels malades de voyager). Des passagers avaient remarqué l’éruption du pakistanais dans l’avion. L’un d’eux avait même pensé qu’il s’agissait d’un cas de variole, car la forte épidémie du Pakistan avait été relatée dans les journaux, et le malade était très fatigué. C’est pourquoi le passager pensant éviter ainsi la contagion s’était assis sur un siège placé le plus loin possible du malade. Ce varioleux n’a pas été dépisté par le service de contrôle sanitaire à Orly, et a. pu rester, la figure cachée dans ses vêtements, (car il ne voulait pas qu’on remarque son éruption), une bonne partie de l’après-midi, dans le vaste local de transit de l’aéroport d’Orly. Il a ensuite pris tranquille¬ ment un avion pour Londres, où il a été à l’origine d’un foyer. Il s’agissait d’une forme grave de variole. Le malade est d’ailleurs mort quelques jours après. S’il avait été contagieux le 25 décembre. DE LA VARIOLE 29 lors de son passage à Orly, il aurait d’abord transmis la maladie aux voyageurs réceptifs, y compris ceux descendus à Rome, et à ceux avant pris dans cette ville l’avion infecté. Il aurait contaminé également d’autres voyageurs réceptifs (bien que généralement munis de certi¬ ficats internationaux de vaccination), arrivés à Orly par 7 avions diffé¬ rents, et qui l’avaient approché dans les locaux de transit de l’aéro¬ port avant de reprendre un avion pour d’autres parties du monde. Or aucun passager n’a été infecté, et pourtant l’alerte n’a été donnée que le 5e jour après le contact infectant présumé, à une époque où la revaccination ne pouvait plus empêcher l’apparition de la variole chez les passagers réceptifs, dont on ne connaissait d’ailleurs pas la liste complète. En outre de nombreuses personnes travaillant à Orly (personnel de l’aéroport, bagagistes, commerçants, etc.) qui risquaient d’être infectés ne l’ont pas été. Si ce varioleux, au début de son éruption, avait été contagieux lorsqu’il a pris l’avion, les résultats auraient été catastrophiques. Or aucun cas secondaire n’a éclaté en France ni dans les autres pays, à l’exception de l’Angleterre. Mais il est probable que dans ce pays la transmission de la maladie a eu lieu quelques jours après l’arrivée du varioleux. On peut donc déduire de ces faits que le succès de la lutte contre la variole repose en grande partie sur le diagnostic précoce, posé dans la première semaine de la maladie. C’est peut-être plus par le dépistage rapide que par les mesures de vaccination et de désinfection pratiquées d’urgence dans l’entourage du varioleux que les épidémies ont pu être arrêtées dans la région parisienne. Une conclusion doit être tirée de ces faits : seul un hygiéniste très qualifié en clinique, capable d’effectuer cor¬ rectement le dépistage précoce de la variole, peut obtenir d’excellents résul¬ tats dans la lutte contre cette affection. Les formes sans éruption sont-elles contagieuses 2. Nous avons vu qu’en 1942 un grand nombre de formes très atté¬ nuées, sans éruption, ont été observées. A cette époque on ne faisait pas, pour ces formes, de radiographies pulmonaires. Leur épisode thermique une fois terminé, les infirmières de la sale Biett avaient repris leur travail, après une très courte convalescence. Aucune pré¬ caution n’avait été prise. On ignorait alors la présence de la variole à l’hôpital Saint-Louis et la maladie avait été étiquetée infection grippale. Or aucune propagation n’a eu lieu. Quelques rares personnes avant alors pénétré dans la salle Biett pour rendre visite à des malades ont été atteintes de fièvre, de céphalée et de rachialgie. On a porté, en ville également, le diagnostic de grippe : ces affections devenaient pourtant particulièrement suspectes, lorsque fut connue la notion d’épidémicité, en raison de l’absence de certains symptômes habituellement constatés dans la grippe (voir page 28). ÉPIDÉMIOLOGIE ET PROPHYLAXIE 80 H. Cambessedes, conseilla de surveiller ces personnes et aucun cag n’a été constaté dans leur entourage. La vaccination, pratiquée dès que la présence de la variole fut signalée à l’hôpital Saint-Louis, avait été trop tardive pour qu’on puisse espérer éviter toute propagation. Tout porte donc à croire que ces formes atténuées au maximum, n’ont pas été contagieuses. On ne pouvait d’ailleurs hospitaliser d’office de tels sujets, car tout en songeant à une forme sans éruption de variole, nous n’en avions pas la preuve absolue, nécessaire pour une hospitalisation d’office. Transmission par l’air Il est classique de considérer que la variole est transmissible par voie aérienne, le virus étant véhiculé soit par les gouttelettes de Fligge. lorsqu’il existe un énanthème, soit par de très fines particules prove¬ nant des croûtes, au moment de la décrustation. Des contagions à distance avaient été signalées. Nous avons ajouté à ces faits une observation fort curieuse dans laquelle la salle sus-jacente avait été infectée par l’air de la salle inférieure. Transmission par le rasoir Aucun cas de variole n’a été propagé par le rasoir au cours de incursion de 1948. Mais nos craintes avaient été vives dans un cas. Nous avons, en signalant cette question, exposé la réglementation de l’hygiène des salons de coiffure et les difficultés de contrôle. Depuis lors un texte a été publié : au Journal Officiel du 4 août 1955 a paru une annexe au règlement sanitaire départemental d’hygiène concernant les salons de coiffure, texte qui va d’ailleurs être modifié. Rôle favorisant d’une érythrodermie ou d’un eczéma étendu L’expérience de la variolisation a montré que la transmission s’opère lorsqu’on dépose le virus sur une muqueuse, ou sur la peau préalablement scarifiée. Or nous avons remarqué que la contagion semblait avoir été facilitée chez deux malades atteints d’érythrodermie et chez un sujet présentant un eczéma étendu. Le virus avait pu se déposer directement par voie aérienne sur ces surfaces suintantes, mais l’affection a pu être transmise aussi par les mains souillées d’une infirmière avant donné des soins à un varioleux, avant de faire un pansement aux malades réceptifs atteints d’une affection suintante de la peau et admis dans la même salle. giquement du virus vaccinal. la réglementation sanitaire nationale. DE LA VARIOLE Durée de l’incubation 81 Il est difficile de préciser la durée de l’incubation dans la majorité des cas, la variole étant peu contagieuse au début, si bien que lorsqu’une personne est atteinte vingt jours après l’agent contamineur, il faut bien se garder de conclure à une incubation de vingt jours. Ne sont vraiment valables que les observations dans lesquelles le contact infectant a été court et bien précisé. Dans ce cas l’incubation a varié de onze à quatorze jours, et a été en moyenne de douze à treize jours. Déclaration et diagnostic précoces Nous avons insisté sur le fait que la plupart des médecins de ville n’ont jamais eu l’occasion d’observer de cas de variole. Aussi, lorsqu’il s’agit d’une épidémie bénigne faut-il s’attendre à des erreurs de dia¬ gnostie quasi constantes, qui, en se multipliant, risquent de déborder les services d’hygiène. En 1947, plus de deux centa déclarations, géné¬ ralement téléphoniques, parvinrent à l’un de nous. Aucune n’a été confirmée. Réserve faite pour les affections tout à fait exceptionnelles en France, comme la peste et le choléra, il est deux maladies que les méde¬ cins devraient signaler par téléphone : la variole et les toxi-infections ali¬ mentaires collectives, en raison de l’urgence des mesures prophylactiques qui doivent être prises. Les carnets de déclaration des maladies conta¬ gieuses devraient indiquer le numéro de téléphone du cabinet du médecin chargé de recevoir ces déclarations. Nous avons étudié les bases cliniques permettant d’établir un diagnostic précoce, capital dans la variole. Dans les cas douteux, peu fréquents, on peut avoir recours au microscope électronique, comme l’a montré P. Lépine, Toutefois si le virus de la variole est nettement différent de celui de la varicelle, il ne peut être distingué morpholo B. DEDUCTIONS PROPHYLACTIQUES Il existe deux problèmes dans la prophylaxie de la variole : 19 D’une part il faut empêcher l’introduction de la maladie dans un pays normalement indemne : c’est le but des anciennes conventions sanitaires internationales, maintenant remplacées par le règlement sanitaire international de l’O M. S. 2° D’autre part il faut luter contre une incursion de la maladie lorsqu’elle a éclaté dans un État jusque-là indemne : c’est le but de logique hebdomadaire. ÉPIDÉMIOLOGIE ET PROPHYLAXIE 82 L. Lutte contre l’introduction de la variole en France Le règlement sanitaire international La variole sévit surtout dans certains pays africains et asiatiques. mais on peut la rencontrer partout. Dans les nations très évoluées les épidémies risquent de se produire pour deux raisons : — d’une part, à cause d’un relâchement dans la pratique des vaccinations obligatoires: on craint moins la variole que les compli¬ cations post-vaccinales, d’ailleurs très rares : — d’autre part, en raison de l’essor de l’aviation : dans la règle les passagers contaminés arrivent en France pendant la période d’incu¬ bation, en raison de la rapidité des déplacements aériens et la maladie éclate quelques jours après leur arrivée. Avec le bateau, l’affection contractée dans les régions lointaines débute généralement à bord, et les mesures prophylactiques nécessaires peuvent ainsi être prises avant l’arrivée du navire en Europe. Toutes les mesures tendant à empêcher l’introduction de la variole dans un pays jusque-là indemne sont précisées par le règlement sani¬ taire international de l’Organisation mondiale de la santé. Une des plus importantes questions abordée par ce texte se rapporte aux condi¬ tions de validité du certificat international de vaccination antivario¬ lique. C’est ce point que nous allons aborder maintenant. Le certificat international de vaccination anti-variolique de L’O M.S. Éliminons le cas exceptionnel dans lequel un varioleux et à bord d’un avion ou d’un navire — éventualité qui nécessite des mesures complémentaires et que nous examinerons plus loin. Envisageons seu¬ lement le cas simple, celui d’un voyageur venant d’un pays infecté et qui risque, si le voyage dure moins de quatorze jours, d’arriver en incubation de variole, donc d’introduire une épidémie dans l’Etat où il se rend. Le règlement sanitaire international, comme la convention anté¬ rieure a suivi ce principe : les Etats ont le droit d’exiger de tout pas¬ sager venant d’une circonscription infectée d’un autre Etat, un certi¬ ficat international de vaccination. La circonscription est la plus petite partie du territoire d’un État avant une organisation sanitaire propre. Il est évident que s’il y a des cas de variole à San Francisco, aucune mesure ne doit être prise à l’égard de passagers venant de Ney-York et arrivant en France. On sait aussi que les Etats, lorsque survient un cas non importé de variole, doivent le déclarer à l’Organisation mondiale de la santé (O.M.S.). Cet organisme diffuse chaque jour en deux langues par T. S.F. de telles informations épidémiologiques et édite un bulletin épidémio¬ De LA VARIOLE 83 Ces renseignements sont-ils complets 2 Certains États sous-déve¬ loppés peuvent ne pas déclarer des cas de variole, notamment lorsque cette affection sévit dans la brousse. Mais les risques de transmission à l’Europe sont alors très limités. Au contraire le danger se précise lorsque sévit une épidémie dans les centres principaux du pays sous¬ développés. Dans ce cas, l’O M.S. est presque toujours alertée, d’autant plus que les missions de cet organisme dans ces pays sont assez fré¬ quentes. La protection d’un Etat sain contre une incursion de variole repose sur le certificat international de vaccination. Pour que cette défense soit valable, il faut : 19 que les passagers soient de bonne foi : 29 que le certificat international de vaccination soit établi sur des bases scientifiques. La première condition est loin d’être toujours réalisée. En effet le passager ignore que le but du règlement sanitaire international est de préserver un Etat sain contre une incursion de variole. Il croit au contraire qu’on lui demande un certificat de vaccination en vue de sa propre protection. Sur ces bases erronées, il s’étonne alors qu’on ne lui demande rien lorsqu’il se rend dans un pays où sévit la variole tandis qu’on exige la présentation d’un certificat international de vaccination lorsque les risques cessent pour lui, c’est-à-dire lorsqu’il quitte ce pays infecté. Le voyageur considère les formalités de contrôle sanitaire aux frontières comme désagréables, comparables à celles de la douane : de là l’idée de fraude et la fréquence des faux certificats. La seconde condition, relative aux bases scientifiques du certi¬ ficat international de vaccination, n'’est malheureusement pas très bien remplie, ce qui gêne considérablement les services sanitaires. Cette question préoccupante a été exposée par l’un de nous au conseil d’hygiène de la Seine, et reprise avec notre collègue le Docteur A. Besson devant l’Académie de médecine. Elle va être développée tout d’abord, en uti¬ lisant les termes de la première communication. Validité administrative et validité scientifique du certificat international de vaccination contre la variole Les conventions sanitaires internationales avaient établi que le certificat de vaccination ou de revaccination antivariolique devenait valable quatorze jours après l’inoculation vaccinale, lorsque cette dernière était pratiquée avec succès. Ces bases avaient été fixées en tenant compte des expériences de Trousseau et des constatations épi¬ démiologiques. Trousseau avait en effet vacciné un sujet totalement réceptif. et avait continué l’inoculation les jours suivants. Les cinq premiers ÉPIDÉMIOLOGIE ET PROPHYLAXIE 84 jours, ces scarifications aboutissaient à une pustule, mais le 6e jour environ, ne survenait qu’une papule, prouvant que le sujet était immu¬ nisé. Les enquêtes épidémiologiques ont prouvé qu’un sujet totalement réceptif doit être vacciné avant le contact infectant, pour éviter sure¬ ment l’infection, tandis que le sujet vacciné depuis moins longtemps et qui n’a plus guère d’immunité, peut éviter la variole s’il est revac¬ ciné dans les deux jours suivant le contact infectant : mais c’est une possibilité et non une certitude. D’où les règles établies par les conventions sanitaires internatio¬ nales, dressées par les épidémiologistes qui connaissaient bien la variole. Ces exigences ne perturbaient guère alors la navigation maritime, car ces certificats pouvaient n’être demandés que rarement, les voyages maritimes entre la France et les régions où sévissent de fortes épidémies de variole durant en général plus de quatorze jours, c’est-à-dire plus que l’incubation maxima de la variole. Mais si ces conditions de validité étaient exigées des personnes venant par avion d’une circonscription infectée, elles auraient perturbé la navigation aérienne, dont la qualité essentielle est la rapidité. Aussi dans le but de faciliter les voyages par avion, l’O M.S. a-t-elle demandé aux experts chargés de préparer le règlement sanitaire inter¬ national d’assouplir les conditions de validité du certificat de vacci¬ nation antivariolique. Ces experts ont estimé qu’un individu revacciné correctement tous les trois ans peut être considéré comme immunisé : dans ce cas. on peut donc, selon eux, considérer que le certificat de revaccination est valable immédiatement, c’est-à-dire le jour de l’inoculation, et qu’à la rigueur, une révision n’est pas absolument nécessaire. Mais les experts n’ont pas toujours été suivis dans l’élaboration du règlement sanitaire international. La commission spéciale, pour l’examen du projet de règlement sanitaire international, se demanda d’abord si un passager vacciné depuis plus de trois ans, et revacciné à l’occasion du voyage, ne pouvait pas bénéficier aussi des mêmes avantages (validité immédiate du cer¬ tificat, pas de révision). Au début, cette commission, se plaçant sur des bases scientifiques, supprima le mot « valable » (décision prise par 13 voix contre 8), dans les termes « certificat valable de vacci¬ hation ». Le texte proposé commençait par ce membre de phrase : « Les personnages effectuant un voyage international qui ont quitté depuis moins « de quatorze jours une circonscription infectée et qui, de l’avis de l’autorité sanitaire, « ne sont pas suffisamment protégés par la vaccination ». Ce texte, à la demande du président, fut ensuite modifié de la façon suivante : « d oui, bien qu’en possession d’un certificat de vaccination valable, ne sont pas de « l’avis de l’autorité sanitaire protégées par la vaccination ». DE LA VARIOLE 85 Puis par 28 voix contre 8 et 4 abstentions, le texte ci-joint fut adopté par le comité de rédaction. « La validité du certificat couvre une période de trois ans commençant huit « jours après la date de la primo-vaccination ou, dans le cas d’une revaccination « pendant cette période de trois ans, le jour de cette revaccination ». Mais au dernier moment, à la demande de M. Stroyman, délégué des Etats-Unis, tout a été remis en question et finalement l’Assemblée vota le texte que l’on connait : 1) les certificats de primovacination sont valables le 8e jour. en cas de succès, et le restent trois ans : 2) les certificats de revaccination sont valables immédiatement. même si le passager n’a pas été vacciné depuis de très longues années, et le restent trois ans. La lecture des résultats de la revaccination n’est pas d faire. Ainsi, il y a opposition, nette entre la validité administrative du certificat et la validité scientifique. Or pour lutter contre une épidémie, c’est la seconde qui importe. Ces conclusions n’ont pas été adoptées par tous les membres des Etats et notamment par le délégué de l’Australie qui a dit avec juste raison : « Si la vaccination doit avoir une valeur quelconque, le certificat devrait donner « quelque indication sur le résultat de la vaccination, ce qui signifie qu’un certain « laps de temps doit s’écouler après la vaccination, avant que le certificat puisse être « accepté comme valable. La délégation australienne ne peut accepter le certificat « sous sa forme actuelle, qui semble accorder plus d’importance à l’apposition d’un « timbre d’authentification qu’à la mention de renseignements pertinents ». D’ailleurs on sait que l’Australie a rejeté le règlement sanitaire de l’O M.S., et reste liée par la convention de 1944. Du point de vue scientifique, les conditions de validité du certi¬ fcat international de vaccination antivariolique de l’O. M.S. sont en effet très discutables: si un enfant jamais vacciné est contaminé le ler janvier, puis vacciné le 4, la vaccination ne pourra empêcher l’apparition de la variole le 12. Ce voyageur sera atteint de variole et présentera un certificat international « valable » (administrativement bien entendu) de vaccination. Examinons le cas de la revaccination. Prenons un sujet réceptif. non vacciné depuis plus de vingt ans et qui fera, s’il est bien vacciné. une réaction pustuleuse. Il est contaminé le ler janvier, revacciné correctement du 3 au 1I, ou même le 12, quelques heures avant l’appa¬ rition de la variole. Il prend l’avion le 12 et il arrive atteint de variole débutante et porteur d’un certificat de revaccination, « valable » administrativement. Si un autre passager, non vacciné depuis de longues années, est incorrectement revacciné (ce qui arrive très fréquemment aux sujets ÉPIDÉMIOLOGIE ET PROPHYLAXIE demandant un certificat de vaccination, le médecin se bornant à faire une seule scarification trop superficielle ou le sujet essuyant aussitôt le vaccin), et si la revaccination, pour cette raison n’est pas suivie de succès, ce sujet restera réceptif, mais comme son certificat sera valable trois ans, il pourra pendant cette période contracter la variole, arriver par avion en incubation de cette affection dans un pays indemne et présenter alors un certificat « valable » de vaccination. La variole éclatera lorsqu’on ne s’y attendra pas. Il faut donc s’étonner de la fin de l’article 83 du règlement sani¬ taire international qui spécifie ceci : « un certificat valable de vacci¬ nation constitue la preuve d’une protection suffisante ». Cette afirma¬ tion est absolument fausse, en raison des conditions de validité fixées par l’O M S. Cette phrase aurait dû être supprimée dans le règlement sanitaire de l’O. M.S. approuvé par la France. Encore, n’avons-nous pas fait état d’une autre difficulté : les nom¬ breux faux certificats délivrés beaucoup trop facilement, dans certains pays surtout. Une bonne partie des faux certificats a pour origine le premier paragraphe de l’article 83, ainsi conçu : « L’administration sanitaire peut exiger de toute personne effectuant un voyage « international qu’elle soit munie à l’arrivée d’un certificat de vaccination contre la « variole, à moins qu’elle présente des signes d’une atteinte antérieure de variole « attestant de façon suffisante son immunité. Si la personne n’est pas munie de ce « certificat, elle peut être vaccinée. Si elle refuse de se laisser vacciner, elle peut être « soumise à la surveillance pendant quatorze jours, au plus, à compter de la date « de son départ du dernier territoire par où elle a passé avant son arrivée ». Ainsi, un voyageur, venant d’une région non infectée de variole et se rendant par air dans un autre pays où cette maladie n’existe pas, peut se voir réclamer un certificat de vaccination. Une personne voyageant par bateau pour se rendre aux Etats¬ Unis n’a pas besoin de posséder un certificat de vaccination, bien que les voyages par bateau soient plus courts que la durée d’incubation de la variole. Mais si elle voyage par avion, le certificat est exigé et la compagnie doit paver au gouvernement américain une très grosse somme, au cas où un passager serait démuni de certificat. Dans ce cas. comme il s’agit d’une simple formalité (les médecins savent qu’il n’y a pas de variole en France et aux Etats-Unis), comme il s’agit aussi d’un court déplacement pendant lequel le sujet ne veut pas être gèné par son vaccin, certains médecins font de faux certificats que les passa¬ gers utilisent plus tard, lorsqu’ils viennent réellement d’une circong¬ cription infectée. Jusqu’à ces dernières années, la France, pays de tourisme, n’avait exigé la présentation de certificats de vaccination que des voyageurs venant d’une circonscription infectée. L’histoire des épidémies montre en effet que les risques de propagation sont illusoires, lorsque le voya¬ geur vient d’un pays où il n’existe que quelques cas de variole : maig 87 DE LA VARIOLE ils sont notables lorsque sévit une véritable épidémie comme c’est le cas actuellement au Pakistan. Or la France a voulu utiliser cet article 83 du règlement, qui lui permet d’exiger des certificats de vaccination des voyageurs venant de certains pays où il n’existe pas officiellement de cas de variole. Pourtant dans son mémoire explicatif, le directeur général de l’O.M.S. avait fait des recommandations inverses, très judicieuses : « Les mesures qui peuvent être prises contre la propagation de la variole reposent « gur les résultats de l’expérience épidémiologique acquise pendant des années de « lutte victorieuse contre cette maladie. La valeur de la vaccination contre la variole « est reconnue, mais, bien que la présentation d’un certificat de vaccination antivario¬ « lique puisse être exigée de tout voyageur par l’administration sanitaire, cette obligation « devrait, en temps normal, être limitée aux personnes en provenance de régions contaminées « ou aux suspects. Il ne paraît pas nécessaire de l’imposer d’office aux voyageurs à « leur arrivée ». Par un arrêté, regrettable, à notre avis, la France a fait des dis¬ criminations entre les Etats. Sauf en cas d’épidémie, les voyageurs venant des Etats-Unis sont dispensés de fournir un certificat de vacci¬ nation. Ceux venant d’Amérique du Sud sont aussi dispensés, mais seulement à titre provisoire, ce qui semble maladroit et vexant pour nos amis des républiques latines. Ceux venant de Syrie et du Liban sont dispensés définitivement de la production du certificat, mais non ceux venant d’Egypte. Peu après la publication de l’arrêté, se forma la République Arabe Unie. Ce texte fut retouché pour des raisons administratives, mais on ne songea pas à modifier la dénomination du nouvel État d’alors : La République Arabe Unie: et on continua à demander des certificats aux voyageurs venant d’une province de cet Etat (l'’Égypte) et d’en dispenser ceux venant de l’autre province de cet Etat (la Syrie) " Nous croyons que les pouvoirs publics ont eu tort d’établir une discrimination entre peuples, toujours blessante pour certains États et, dans les cas limites, impossible à établir sur une base scientifique. Bien entendu les pays de tourisme n’ont généralement pas eu recours aux exigences facultatives du premier paragraphe de l’article 83. Certains voyageurs venant d’un État indemne de variole, mais en provenance duquel le certificat de vaccination est exigible en France. nous ont déclaré avoir le choix entre : 1) se faire vacciner contre leur gré. 2) demander un faux certificat, ce qu’ils n’ont pas fait. 3) passer leurs vacances ailleurs qu’en France, dans un paye moins exigeant. 4) prendre les lignes aériennes allemandes ou suisses, rester au besoin quelque temps dans ces pays et venir en France par le train ou la route (dans ce cas il ne leur est rien demandé). « tion de son territoire contre les maladies quarantenaires ». ÉPIDÉMIOLOGIE ET PROPHYLAXIE 5) suivre ces conseils (ce qu’ils ont fait) : le règlement sanitaire de l’O. M. S. prévoit des sanctions contre les voyageurs venant d’un pays exempt de variole et non porteurs de certificats, contrairement aux exigences de l’Etat où ils se rendent : la vaccination leur est offerte à l’arrivée (elle est refusée bien entendu): on les met alors en surveillance sanitaire pendant quatorze jours. Avertis, certains d’entre eux donnent une fausse adresse, et échappent ainsi à la surveillance. Ceux qui, au contraire, se présenteraient devant les médecins chargés de cette sur¬ veillance placeraient ces derniers dans une situation embarrassante. voire quelque peu ridicule : les médecins savent que le passager vient d’un pays où il n’y a pas de variole : or ils sont chargés officiellement de vérifier que dans les quatorze jours qui suivent son arrivée, la variole n’éclate pas chez le passager. Ces directives quelque peu comiques ont néanmoins un avantage : elles évitent les faux certificats. Or certains fonctionnaires français songeraient, parait-il, à copier le système amé¬ ricain, qui a pourtant trois inconvénients : — II gérait contraire à l’intérêt de notre pays où le tourisme est très développé. — Il augmenterait la proportion des faux certificats, donc les risques d’importation de la variole, car en temps d’épidémie, les méde¬ cins ne font pas de certificats de complaisance. — Il serait en contradiction avec le grand principe des conventions sanitaires internationales et du règlement sanitaire de l’O. M.S. Ce dernier spécifie en effet, dans son article 23 : « Les mesures sanitaires permises par le présent règlement constituent le maxi¬ « mum de ce qu’un État peut exiger à l’égard du trafic international pour la protec¬ La sanction pour un voyageur venant d’une circonscription non infectée par la variole, et qui n’a pas de certificat de vaccination, est la surveillance sanitaire. On peut — et ce serait intelligent — ne pas appliquer cette sanction lorsqu’un passager venant d’une circons¬ cription non infectée arrive en France : mais on ne peut faire plus, à notre avis, c’est-à-dire obliger les compagnies à verser de très fortes sommes lorsqu’un passager n’a pas son certificat de vaccination. En présence d’une telle situation, doit-on demander la modifica¬ tion du règlement sanitaire international 2 Bien que le résultat final soit douteux, il serait bon de proposer certaines modifications. A notre avis, deux solutions sont acceptables du point de vue scientifique : — soit maintenir les conditions actuelles de validité du certificat mais en supprimant alors la phrase indiquant que la possession d’un certificat international en règle apporte une preuve suffisante d’immu¬ nité, ce qui choque les épidémiologistes : 89 DE LA VARIOLE soit maintenir cette phrase, mais revenir, aux conditions de validité fixées par les experts de l’O. M.S., ou à celles fixées par les conventions sanitaires internationales antérieures. Pour diminuer la fréquence des faux certificats, la présentation du certificat ne devrait alors être obligatoire que lorsque le voyageur vient d’un pays où sévit une épidémie dont l’étendue ou la gravité serait reconnue par l’O M.S. Par la même occasion, il serait souhaitable de revenir aur des décisions, cette fois nationales, prises sans l’avis de l’Académie de médecine, ni celui du Conseil supérieur d’hygiène. Ces modifications geraient alors beaucoup plus faciles à obtenir, car il suffirait de retou¬ cher des arrêtés. Nous avons vu que le directeur général de l’O M.S, avait recom¬ mandé aux différents Etats de n’exiger de certificats de vaccination que des voyageurs venant de circonscriptions infectées par la variole. Or le gouvernement français n’a pas suivi ces conseils, et a même fait des discriminations entre les Etats, ce qui ne peut que défavoriser la France, pays de tourisme. Cette pratique donne aussi une fausse sécu¬ rité, car elle augmente le nombre des faux certificats, trop fréquemment délivrés, en l’absence d’épidémie. D’autre part le gouvernement français, mais non l’O M.S, a exige la formalité selon laquelle les médecins de ville doivent indiquer sur leurs certificats leur numéro d’inscription au tableau de l’Ordre, ce qui est contraire aux principes de cet organisme (une circulaire récente rappelait que les clients doivent ignorer le numéro d’inscription de leur médecin à l’Ordre). Cette indication est-elle très utile 2 Il est permia d’en douter, aucune vérification n’étant faite avant l’application du cachet d’authentification. Il nous semble que l’inscription du numéro du lot de vaccin, exigée par les conventions antérieures était beaucoup plus efficace pour lutter contre les faux certificats. Ce qui serait infi¬ niment plus utile encore, ce serait d’indiquer à la place le résultat de la vaccination : aucune réaction ou présence de papule (résultat dou¬ teux), de papulo-vésicule ou de pustule (résultats positifs). Enfin nous voudrions attirer l’attention sur le point suivant : le modèle de certificat international de l’O M.S., s’il ne demande pas d’indiquer le numéro d’inscription au tableau de l’Ordre — et les cer¬ tifcats délivrés par Air-France ne le mentionnent pas — exige néan¬ moins un « cachet d’authentification ». Mais on se demande alors : que doit-on authentifier 2 Qui doit le faire 2 Est-ce que l’O M S, demande à chaque État de faire vérifier par un médecin contrôleur, que le passager à bien été vacciné 2 Nous ne le croyons pas, car cette conclusion cadre mal avec les débats qui ont précédé l’adoption du règlement sanitaire. D’ailleurs le contrôle ne serait guère possible. Souvent les médecins ont déjà vacciné depuis plus d’un mois leur client, lorsque ce dernier demande l’apposition du cachet d’authentification. Il n’y a alors plus trace de vaccination. Mais, même lorsque le client est vacciné depuis quelques heures, le médecin chargé du contrôle ne pourrait savoir si du vaccin périmé n’a 90 ÉPIDÉMIOLOGIE ET PROPHYLAXIE pas été apposé, ou même si on a réellement déposé du vaccin sur la scarification. Le médecin contrôleur ne peut authentifier que la signature du médecin. C’est pourquoi dans la pratique, une employée du service applique, sans contrôle, le cachet dans la case réservée. Or la légalisation des signatures ne semble pas être une tâche de médecin. On pourrait la pratiquer dans les mairies ou dans les. commissariats de police où les fausses signatures seraient mieux dépis¬ tées. On éviterait aussi des conséquences fâcheuses. Les personnes devant prendre l’avion, et qui habitent loin de la préfecture, siège de la direction de la santé, doivent néanmoins s’y rendre pour obtenir l’apposition du cachet d’authentification : cette démarche leur fait souvent perdre beaucoup de temps. Un ancien médecin-chef d’une grande compagnie aérienne française nous a cité plusieurs cas de vova¬ geurs qui avaient dû perdre une journée pour obtenir cette « authen¬ tification ». L’un d’eux était arrivé aux Etats-Unis juste après le décès de l’être très cher auprès duquel il était appelé d’urgence : d’autres avaient manqué une grosse commande, étant arrivés un jour trop tard. Or il n’y avait pas de variole en France et il n’y en avait pas non plug aux Etats-Unis : Enfin, à la direction de la santé une employée s’était bornée à appliquer un cachet sans contrôle " Cette réglementation a pu passer pour le type de la tracasserie administrative inefficace. Si elle n’était pas modifie, pourrait-on avertir les voyageurs que, s’ils se faisaient vacciner dans un dispensaire, le cachet d’authen¬ tification de la direction de la santé ne serait pas exigé 2 Celui du dis¬ pensaire suffit alors. On se heurterait toutefois au principe du libre choix et on défavoriserait les médecins traitants, au profit des dis¬ pensaires. Il est possible d’améliorer les conditions de validité du certificat international de vaccination de l’O. M.S., par rapport aux données scientifiques. Mais il est difficile d’éviter la délivrance de faux certi¬ ficats. On sait que dans certains pays avec de l’argent, tout passager obtient presque à coup sur un faux certificat. En France, certains médecins délivrent des attestations de complaisance en cas d’exigence excessive, par exemple lorsqu’un passager quitte la France pour se rendre, pendant un temps assez court, aux Etats-Unis, ces deux pays étant indemnes de variole. C’est pourquoi si l’on veut restreindre la fréquence des faux certificats (qui sont valables trois ans et dont peut se servir ultérieurement le passager lorsqu’il vient d’un pays où règne une véritable épidémie), force est de limiter les exigences en cette matière. L’article 83 du règlement ne devrait être appliqué qu’aux ressortissants des nations sous-développées. Aussi le directeur général de l’O M.S, a-t-il eu raison d’écrire : « une communauté est plus efficacement protégée contre les maladies pestilen¬ «’tielles par son propre service de santé publique que par un cordon de mesures qua¬ « rantenaires. Les mesures ezcessives éncouragent la fraude, donnent une impresion de «fausse seurité et suscitent féquemment des représailles ». DE LA VARIOLE 96 H. Surveillance sanitaire. L’article 63, 8 2 du règlement sanitaire de l’O M.S. précise : « Toute personne qui, effectuant un voyage international, s’est trouvée, au « cours des quatorze jours précédant son arrivée, dans une circonscription infectée « et qui, de l’avis de l’autorité sanitaire, n’est pas suffisamment protégée par la vacci¬ « nation ou par une atteinte antérieure de variole, peut être vaccinée ou soumise « à la surveillance, ou vaccinée puis soumise à la surveillance; si elle refuse de se laisser « vacciner, elle peut être isolée. La durée de la période de surveillance ou d’isolement ne peut dépasser quatorze jours à compter de la date à laquelle la personne a quitté 1 « une circonscription infectée. Un certificat valable de vaccination contre la variole « constitue la preuve d’une protection suffisante ». En fait un voyageur venant d’une circonscription infectée de variole n’est jamais isolé à son arrivée en France, lorsqu’il ne possède pas de certificat international de vaccination: administrativement valable. Il n’est soumis qu’à la surveillance sanitaire pendant quatorze jours, moins la durée du voyage. Or si le voyage a duré plus de quatorze jours et s’il n’y a pas eu de cas de variole à bord du bateau, les passa¬ gers non munis de certificat international de vaccination ne peuvent être soumis à aucune mesure sanitaire. En conclusion la possession du certificat international de vacci¬ nation anti-variolique permet au passager d’éviter la surveillance sani¬ taire en temps normal et même l’isolement s’il survient un cas de variole à bord. Contrairement à ce qué le public croit trop souvent, on peut donc voyager, même par avion, sans certificat international de vaccination, lorsqu’on vient d’une circonscription infectée, mais on risque alors d’être mis en surveillance sanitaire à l’arrivée. Cette mesure est particulièrement douce, car le voyageur reste libre: il est seulement tenu, pendant un temps déterminé, de se rendre au lieu de sa résidence, au cabinet d’un médecin désigné par l’autorité sanitaire. Il y a quelques années cette mesure était régulièrement observée par les passagers. Pendant l’épidémie de choléra d’Egypte, presque tous les voyageurs venant de ce pays ont suivi les prescriptions sani¬ taires. Mais depuis lors on a abusé de cette mesure. Lorsque les risques étaient minimes, et même insignifiants, de nombreux passagers ont été mis en surveillance sanitaire par les services de contrôle sanitaire aux frontières, peut-être pour dégager leur responsabilité, peut-être pour donner l’impression d’une certaine activité de leur service, en l’absence de toute épidémie véritable. Le résultat a été que la surveil¬ lance sanitaire est désormais considérée comme une formalité inutile et ennuyeuse par les passagers qui s’y soumettent de moins en moins. Ils savent d’ailleurs que la France n’applique pas aux réfractaires les sanctions prévues par la loi. En effet la France, pays de tourisme, ne doit pas rebuter les étran¬ gers. De plus, la législation nationale n’est pas appropriée à cette ou d’un avion ÉPIDÉMIOLOGIE ET PROPHYLAXIE 92 mesure: Une loi, vieille de plus d’un siècle et demi, la loi de 1822 pré¬ voit des sanctions allant jusqu’à la peine de mort, pour les voyageurs venant de l’étranger qui n’auraient pas suivi les instructions du service de police sanitaire aux frontières : elle est évidemment désuète. Quant à l’autre loi, celle de 1002 qui pourrait être invoquée, elle ne prévoit dans ce cas que 2 à 5 francs d’amende : le montant de cette amende a bien été partiellement revalorisé, mais la sanction reste encore minime. On comprend ainsi que les voyageurs mis en surveillance sani¬ taire ne se soumettent que rarement à cette mesure prophylactique. Ils sont certains ou presque de l’impunité. Ils ont pris cette habitude et la conserveront sans doute dans les cas où les risques de transmission seront grands, c’est-à-dire lorsqu’ils viendront d’un pays où règne une forte épidémie. On sera alors obligé de les faire rechercher par la police des garnis. Mais une telle demande ne peut être qu’exceptionnelle: pour que la police accepte de pratiquer ces longues investigations, il faut que le danger soit pressant. La difficulté du dépistage des voyageurs mis en surveillance sani¬ taire et ne se présentant pas, comme il leur a été prescrit, devant le médecin désigné, provient non seulement du fait que beaucoup de passagers donnent intentionnellement de fausses adresses de résidence pour échapper aux recherches, mais que d’autres ignorent la durée de leur séjour, à leur arrivée à Paris. Beaucoup d’hommes d’affaires n’y restent qu’un jour et repartent ensuite pour l’étranger, omettant de signaler qu’ils sont en surveillance sanitaire. L’un de nous avait proposé la solution suivante : avant de quitter un pays infecté, tout passager non porteur de certificat international de vaccination en règle devrait verser une certaine caution. Cette somme assez importante ne lui serait remboursée que si l’autorité sanitaire du ou des pays oì il se rend attestait que le voyageur s’est soumis à toutes les mesures prescrites par le service de contrôle sani¬ taire aux frontières. En conclusion, en toute hypothèse, les mesures excessives ont conduit au fait regrettable qu’on ne peut plus guère compter sur la surveillance sanitaire, pourtant jadis si utile. On est en outre en droit de se méfier maintenant des certificats internationaux de vaccination. si souvent établis par complaisance. HI. Cae exceptionnel ò un varioleux est à bord d’un bateau Les mesures prévues dans cette éventualité par le règlement sanitaire international sont naturellement beaucoup plus sévères. Elles sont toutefois d’application généralement impossible dans l’immédiat. comme nous allons le voir. 93 DE LA VARIOLE a) Impossibilité du diagnostic précoce de variole Nous avons vu que, pendant la période d’invasion, on ne pouvait affirmer l’existence de la variole, mais que dans la plupart des cas, un médecin qualifié était en mesure de porter ce diagnostic aux environs du 5e jour de la maladie. Par conséquent dans les voyages par bateau le médecin à bord a généralement le temps de dépister les cas de variole et de prendre les mesures nécessaires (isolement à l’infirmerie, vacci¬ nation, désinfection), avant l’arrivée du navire dans un port d’Europe. Mais, avec la navigation aérienne, il en est tout autrement. Certes. un voyageur atteint de variole peut profiter de la rémission des signes généraux survenant aux environs du 4e jour, pour prendre l'’avion. Mais comme l’éruption débute à ce moment-là, il doit être dépisté par les services de contrôle sanitaire aux frontières. Il suffit donc à ces ser¬ vices d’être vigilants pour éviter une incursion de variole dans leur pays. Mais la situation la plus embarrassante pour les médecins du contrôle sanitaire aux frontières aériennes est la suivante. Tel passager. venant d’un pays où sévit une épidémie, était bien portant au départ. La variole débute pendant le voyage. Lors de l’atterrissage, le passager n’est atteint de variole que depuis quelques heures et par conséquent le diagnostic ne peut être posé. Dans ce cas certains médecins pensent à une forte grippe ou même à un accès palustre, ce qui est tout à fait excusable. Le règlement sani¬ taire de l’O.M.S., fait étonnant, semble ignorer cette difficulté inaur¬ montable (1). Il ne prévoit rien concernant cette éventualité. Il édiete céei : — Ou bien le voyageur est atteint d’une maladie quarantenaire : dans ce cas le règlement sanitaire international est applicable, et l’auto¬ rité sanitaire doit agir conformément aux prescriptions de ce texte : — Qu bien il s’agit d’une autre maladie, contagieuse ou non et la réglementation nationale est seule valable. Le règlement sanitaire international devrait à notre avis envisager une troisième éventualité : le cas suspect de variole. Malheureusement le mot suspect ne s’applique pas, dans le règlement sanitaire interna¬ tional, à un malade : il désigne un sujet contact réceptif bien portant qui peut être en incubation d’une maladie quarantenaire. Somme toute, le médecin chargé du contrôle sanitaire des aéro¬ dr̂mes, devant une variole avant débuté depuis quelques heures, pense généralement à toute autre maladie : il ne prend pas les mesures prescrites par le règlement sanitaire de l’O.M.S. Celles-ci ne sont prises qu’au bout de cinq à six jours, lorsque le diagnostic de variole peut être posé. Mais on ignore le nom et l’adresse des passagers et du per¬ (1) Il en est de même pour les autres maladies quarantenaires ÉPIDÉMIOLOGIE ET PROPHYLAXIE 94 sonnel de l’aérodrome qui ont été en contact avec le varioleux L’avion a déjà fait plusieurs voyages lorsqu’on le désinfecte. Heureusement la variole est généralement peu contagieuse à cette période. Si au contraire le médecin du contrôle sanitaire aux frontières considère comme une variole une affection qui n’en est pas, il soumet à tort le malade à l’hospitalisation d’office et il isole inutilement les passagers non porteurs de certificats internationaux de vaccination en rgle. L’avion subit des retards pour une désinfection inutile. Le médecin risque alors d’être poursuivi en dommages et intérêts, car d’après le règlement sanitaire, il ne peut prendre ces mesures que si le passager est effectivement atteint de variole. On pourrait penser que lorsque le voyageur arrive d’une région où sévit une épidémie de variole, ce diagnostic puisse être considéré comme probable en cas d’apparition d’une forte fièvre. En réalité cet argument épidémiologique permet seulement de suspecter la variole. Citons un exemple : lors dé l’épidémie de variole de Vannes, l’un de nous a examiné un assez grand nombre de personnes venant du Mor¬ bihan et arrivées à Paris ou en banlieue. Certaines étaient atteintes d’affections grippales : d’autres de varicelle ou d’érythème polymorphe mais aucun cas de variole n’a été dépisté. Cette épidémie n’avait pas évidemment supprimé les affections habituelles, beaucoup plus fré¬ quentes que la variole. La possession d’un certificat international de vaccination anti¬ variolique en règle peut-elle être un guide " Dans une certaine mesure oui, mais avec de sérieuses réserves. En effet les faux certificats et les vaccinations pratiquées sans succès sont très fréquents. La variole peut être maintenant introduite par des passagers porteurs de certi¬ ficats en règle. La dernière incursion parisienne (1948) en est la preuve. De même le pakistanais qui, le 25 décembre 1961 est resté une demi journée dans les locaux de transit de l’aérodrome d’Orly, avait, lui aussi, un certificat international de vaccination en règle. A la même époque l’épidémie allemande était consécutive à l’arrivée d’un passa¬ ger porteur, d’un certificat international en règle. La variole a néan¬ moins débuté peu de jours après. En conclusion le règlement, sanitaire international devrait envi¬ sager le cas du passager «suspect » de variole qui, porteur ou non d’un certificat international de vaccination, proviendrait d’une région où règne une, épidémie et présenterait les symptômes habituellement constatés dans la variole à la période d’invasion. Dans cette éventualité on devrait offrir avec insistance à tous les passagers une revaccination (même à notre avis aux porteurs de cer¬ tificats internationaux ne mentionnant pas le résultat de l’inoculation). et prendre leur nom et leur adresse. Au cas où la variole serait confirmée les mesures prescrites par le règlement sanitaire international seraient appliquées aussitôt, le se jour par exemple, c’est-à-dire que les passa gers non porteurs de certificats internationaux pourraient être isolés 95 DE LA VARIOLE le 5e jour, ce qui est largement suffisant. Quant aux autres, ils seraient mis en étroite surveillance sanitaire jusqu’au l4e jour. Certes l’avion ne serait désinfecté qu’avec retard, mais répétons-le, la variole est peu contagieuse à ce stade de tout début. Cependant il serait bon éga¬ lement, en présence d’un cas douteux, d’avoir la possibilité de faire désinfecter l'avion. b) Visite médicale Le règlement sanitaire international permet aux services de contrôle sanitaire aux frontières d’effectuer une « visite médicale » pour dépister éventuellement les varioleux parmi les passagers. Cette visite peut se faire au départ d’un pays infecté et surtout à l’arrivée dans un pave sain. Lorsqu’un avion venant d’une région oì règne une véritable épi¬ démie — et non quelques cas seulement — arrive dans un pays indemne l’officier de santé doit monter à bord, et s’assurer qu’il n’y a pas de malade. S’il découvre un passager suspect, il appelle le médecin qui jugera si le voyageur doit être ou non isolé. Cette pratique nous semble indispensable, d’autant que seule, elle permet, de surveiller éventuellement les passagers se rendant dans la zone de transit direct pour prendre un autre avion. Or cette zone. d’après le règlement sanitaire de l'’O) M.S, doit être placée sous le « contrôle immédiat » de l’autorité sanitaire. Un exemple montre l’importance de cette pratique. Nous avons vu que le 25 décembre 1961, un pakistanais atteint de variole au début du stade éruptif, était arrivé à Orly. Il n’avait pas été dépisté à l’aéro¬ drome d’Orly et était resté plusieurs heures dans les locaux de transit avant de partir pour l’Angleterre. L’absence de dépistage a permis une incursion de la variole en Angleterre et a risqué d’en provoquer une dans de nombreux pays. e) Isolement du malade et des passagers non porteurs de certificats inter¬ nationaux de vaccination anti-variolique Examinons maintenant les mesures à prendre en présence d’un cas certain de variole parmi les passagers. Bien entendu le malade sera hospitalisé aussitôt après l’arrivée du bateau ou de l’avion. Mais les passagers non porteurs de certificats de vaccination pourraient l’être aussi. Or, sauf cas exceptionnel d’une contamination antérieure à son voyage chez un passager réceptif, les premiers symptômes n’appa¬ raîtront que de onze à quatorze jours après le contact infectant. A la rigueur ce voyageur pourrait être mis d’abord en surveillance sanitaire : son isolement pourrait ne débuter que dix jours après le contact infec¬ tant et ne durer alors que quatre jours. Mais sans doute par mesure de sécurité, le règlement sanitaire international ne prévoit pas l’isolement retardé. On peut en effet ne pas avoir une confiance excessive dans les ÉPIDÉMIOLOGIE ET PROPHYLAXIE 96 assurances que pourraient donner certains passagers pour éviter l’iso¬ lement immédiat. d) Surveillance sanitaire En règle générale, les passagers, porteurs, de certificats interna¬ tionaux de vaccination anti-variolique sont soumis à la surveillance sanitaire lorsqu’ils ont été en contact avec un varioleux pendant le voyage. Mais dans ce cas cette mesure doit être appliquée avec une extrême rigueur : il peut s’agir en effet de faux certificat ou de revacci¬ nation sans succès. L’épidémie de Marseille a montré combien il fallait être prudent dans cette éventualité. C’est pourquoi les passagers qui tenteraient, comme cela est communément observé, de donner de fausses adresses pour se soustraire à cette mesure, doivent être recher. chés par la police, et poursuivis afin de faire un exemple. e) Désinfection de l’avion et des objets souillés Tous les objets avant pu être souillés et qu’il est facile d’amener à un poste de désinfection doivent être assainis dans des étuves à vapeur ou à formol. La désinfection terminale de l’avion doit être pratiquée en employant un produit agréé à cet effet par le conseil supérieur d’hy¬ giène, et qui n’attaque ni les matières plastiques, ni, les métaux et notamment l’aluminium. Elle doit être aussi rapide que possible de manière à réduire l’immobilisation d’un avion, source de gros préju¬ dices pour la compagnie. Il convient de mettre en garde contre l’emploi de certains pro¬ duits inactifs appelés désinfectants de l’air, qui ne sont pas agréés pour la désinfection terminale. Cette dernière doit en effet être minu¬ tieuse en cas de variole. H. LUTTE CONTRE UNE INCURSION DE VARIOLE SÉVISSANT EN FRANCE RÉGLEMENTATION NATIONALE Nous examinerons tout d’abord la tactique générale à suivre et notamment les questions de vaccination puis les moyens légaux qu’ont à leur disposition les services d’hygiène, enfin l'organisation générale de cette lutte. 1. Tactique générale à suivre. Vaccination Nous avons vu que le succès rapide dans la lutte contre une incur¬ sion de variole dépend de la mise en œuvre immédiate de mesures ÉPIDÉMIOLOGIE ET PROPHYLAXIE: 93 En présence d’un cas de variole, faute de pouvoir isoler rapidement. ces sujets contacts réceptifs, il faut immédiatement revacciner leur entourage familial et professionnel et exercer une surveillance très étroite, afin de pouvoir hospitaliser les sujets contacts dès le début de leur maladie. Habituellement le cas est plus embarrassant : on dépiste un vario¬ leux vers le 5e jour, c’est-à-dire au début du stade éruptif. Les sujets contacts réceptifs ont pu être contaminés dès la période d’invasion. Une revaccination sera alors inopérante, Mais nous avons vu que dans la plupart des cas observés à Paris depuis vingt ans la variole n’a que rarement été contagieuse à cette période de la maladie, Par conséquent les sujets contacts réceptifs peuvent n’avoir été contaminés que depuis un ou deux jours. C’est alors que la revaccination peut dans un certain nombre de cas éviter l’apparition de la maladie. Cette mesure est donc justifiée dans cette éventualité. Les médecins et le personnel soignant hospitalier doivent être revaccinés rapidement. On sait qu’en 1947, 5 cas furent observés, et qu’à Marseille la variole a fait des ravages plus importants encore. dans le personnel médical. Cette mesure ne doit pas être limitée aux services hospitaliers de contagieux, car surtout au moment de l’inva¬ sion, un diagnostic erroné peut être porté et les malades dirigés sur des services de médecine générale. Nombreux ont été en 1942 et 1947 les cas de variole dépistés dans les hôpitaux d’enfants. Autrefois à l’hôpital Claude-Bernard tout entrant était -vacciné systématiquement contre la variole même en dehors d’une incursion de cette maladie à Paris. Depuis trente ans cette coutume est aban¬ donnée, en raison de la rareté de la variole : mais on devrait la reprendre en présence d’un foyer. NÉCESSITE DE DIFFUSER LA VACCINATION ANTIVARIOLIQUE EN DEHORS DES ÉPIDÉMIES Nous avons vu que les vaccinations de masse, pratiquées au cours d’une épidémie, pouvaient présenter des inconvénients sérieux. Les médecins désireux d’immuniser à coup sur leurs clients sont portés à pratiquer de très larges scarifications et utilisent un vaccin récem¬ ment préparé par l’Institut de Vaccine, donc très actif. Il en résulte de fortes réactions qui, en 1942, ont été attribuées à tort à la sous¬ alimentation. La vaccination des malades dans les hôpitaux, notamment celle des jeunes enfants, n’est pas non plus sans danger. Ces fortes réactions vaccinales, s’ajoutant à la maladie antérieure, ont parfois fait courir un gros risque à certains nourrissons très malades ou particulièrement Technique de la vaccination DE LA VARIOLE 89 fragiles. Force est donc de veiller systématiquement à la stricte appli¬ cation de la loi de 1902. Jadis, les nouveaux-nés normaux étaient vaccinés à la maternité. à une époque où les incursions de variole étaient plus fréquentes. On a abandonné cette coutume car les quelques jours qui suivent la nais¬ sance représentent pour les nourrissons une période dangereuse. On a jugé préférable de les vacciner à l’âge de 4 moia comme le Conseil supérieur d’hygiène l’avait recommandé sous l’impulsion du Professeur Lemiere, ou à l’âge de 6 mois comme le prescrit le calendrier des vaccinations. De toute façon il faut absolument que certains organismes (bureau municipal d’hygiène, assistantes des services de protection maternelle et infantile, etc.) rappellent ces directives aux mères négligentes qui n’ont pas fait vacciner leurs nourrissons contre la variole à l’âge oppor¬ tun. Il faut que, passé, l’âge d’un an, des poursuites soient intentées contre les réfractaires. C’est d’ailleurs l’intérêt des enfants, car plug on diffère la primo-vaccination, plus on risque, selon la théorie clas¬ sique, la complication, tout à fait exceptionnelle il est vrai, qu’est l’encé¬ phalite post-vaccinale. Sur un million de vaccinations pratiquées dans notre service de la Préfecture de Police, nous n’en avons relevé qu’un seul cas. Les vaccinations pratiquées dans les hôpitaux semblent exposer les jeunes enfants à dé plus fréquents risques, peut-être parce que ces jeunes sujets peuvent y être infectés par un virus encéphalitique. Nous sommes pour notre part restés fidèles à la vaccination dans les écoles, à condition, que les nourrissons puissent être séparés, des grands enfants à revacciner. Les personnes exposées (médecins, infirmières, ambulanciers. garçons de salle d’autopsie) devraient se faire revacciner tous les trois. à cinq ans. Auparavant, on conseillait de le faire tous les cinq ans. mais on a observé quelques cas de variole chez des personnes vaccinées avec succès depuis un peu plus de trois ans. Aussi tend-on de plus en plus à retenir cette périodicité de trois ans. H. Cambessedes, constatant que les médecins ne se souvenaient guère du moment où ils ont été revaccinés contre la variole, leur conseillait d’y procéder toutes les années bissextiles. Bien entendu en cas d’insuccès, la revaccination sera recommencée dans tous les cas. Beaucoup de médecins vaccinent assez mal, ce qui n’est pas sur¬ prenant car, au cours de leur séjour dans les hôpitaux, ils n’apprennent pas à le faire. L’un de nous avant dirigé pendant seize ans le service de vaccination antivariolique de la Préfecture de Police, conseille la technique suivante : ÉPIDÉMIOLOGIE ET PROPHYLAXIE 190 La région à vacciner est d’abord nettoyée avec un tampon imbibé d’alcool ou d’éther. Il convient d’attendre l’évaporation de l’alcool avant de déposer le vaccin, sinon ce dernier, risquerait d’être détruit au contact de l’antiseptique. Dans les séances publiques, quelques médecins — désireux d’aller, vite — suppriment, sauf chez les enfants sales, l’application d’antiseptique. Bien que nous n’avons connaissance d’aucun accident inhérent à cette technique simplifiée, il nous paraît difficile de la recommander. L’application d’alcool est plus une mesure de propreté qu’une véritable désinfection : aussi certains se bornent-ils à frotter la peau avec un coton stérile imbibé d’eau bouillie. .La scarification doit être légère, intéresser seulement l’épiderme et non le derme. Il faut éviter de faire saigner sinon le vaccin pourrait être entrainé par le sang : de plus une scarification profonde exposerait peut-être le sujet au risque, à vrai dire minime, d’une vaccine géné¬ ralisée. Une scarification trop superficielle pourrait inversement être. chez certains sujets dont la peau est très épaisse, une cause d’insuccès. Aussi, avant de tendre la peau pour scarifier, le médecin vaccinateur devra apprécier tant la résistance et la vascularisation de la peau que le tranchant de son vaccinostyle. La scarification avant été correctement faite, on dépose le vaccin et, pour mieux assurer sa pénétration, il est recommandé de tendre la peau pour écarter les deux lèvres de la petite plaie et d’exercer à plusieurs reprises une légère pression avec le plat du vaccinostyle. La région vaccinée sera laissée quelques minutes à découvert, avant que le sujet soit autorisé à se rhabiller. L’excès de vaccin pourra le cas éché¬ ant, être absorbé avec un tampon d’ouate stérile, et les scarifications seront recouvertes d’une compresse stérile. Dans les vaccinations individuelles, pratiquées par le médecin de la famille, il est préférable de scarifier avant de déposer le vaccin. d’abord pour une raison de commodité, ensuite si la scarification est ou trop longue ou trop profonde, il convient de la recommencer et de ne déposer le vaccin que lorsqu’elle est correctement réalisée. Toutefois, dans les séances publiques, cette pratique a l’inconvé¬ nient de nécessiter deux vaccinostyles stériles par personne : on ne peut pas, en effet, après avoir scarifié la peau, utiliser le même vaccino¬ style, parfois souillé d’une trace de sang, pour puiser le vaccin dans le récipient stérile où il est habituellement placé. En agissant ainsi, on risquerait d’inoculer aux sujets suivants un vaccin pollué. Aussi certains auteurs préfèrent-ils, dans les séances publiques. puiser d’abord le vaccin avec un, vaccinostyle stérile, le déposer sur la peau, puis pratiquer la scarification quelques millimétres en dessous et ne rabattre le vaccin que sur une scarification correcte. Technique suivant l’Âge. — La loi oblige à vacciner ou revacciner des sujets d’âges très différents. La technique devra varier selon l’état de réceptivité du sujet. DE LA VARIOLE 101 1) Nourrissons. — Ceux-ci sont généralement réceptifs. Toutefois certains conservent un certain degré d’immunité lorsque leur mère a été récemment revaccinée. La loi accorde toute une année pour immuniser les nourrissons : mais, en cas d’épidémie, la vaccination est absolument nécessaire dès la naissance. Pour vacciner un nourrisson, il convient de faire une scarification très courte : 2 mm suffisent largement. Il est inutile de faire deux scari¬ fications comme d’habitude. Si on opère correctement : — ou bien l’enfant est réceptif et on verra survenir généralement autant de pustules que de scarifications. — ou bien il n’est pag réceptif et la vaccination sera sans succès. En tout cas, il ne faut jamais faire à un nourrisson trois scarifications qui tripleraient les réactions locales sans augmenter sensiblement la valeur de l’immunité. Depuis quelque temps, certains médecins pratiquent de longues scarifications en croix, analogues à celles qui sont nécessaires à l’inocu¬ lation du B.C.G. Une telle technique est à déconseiller formellement. 2) Onzième et vingt-et-unième années. — Au contraire, lorsqu’on revaccine un enfant vers sa 1le année et un adulte dans sa 216, on a en général à faire à des sujets présentant encore un certain degré d’immunité. Il est alors nécessaire de faire deux ou trois scarifications plus longues si on veut obtenir une réaction vaccinale notable. Une seule scarification, surtout si elle est trop limitée, est insuffisante dans ces cas. 3) Adultes âgés vaccinés au cours d’une épidémie. — Il convient ici d’être prudent si l’on veut éviter de fortes réactions locales. Il s’agit de sujets avant perdu presque totalement leur immunité et qui risquent de faire une grosse réaction pustuleuse. Il est donc préférable de ne faire qu’une seule scarification assez courte, comme chez le nourrisson. A quel endroit vacciner ? La région d’élection est la face externe du bras. En scarifiant à cet endroit, on évite en général les grosses réactions vaccinales. Aussi, les médecins doivent-ils s’efforcer de pré¬ venir la famille qu’une inoculation pratiquée ailleurs déterminerait des réactions plus fortes. Mais, lorsqu’on a affaire à un nouveau-né du sexe féminin, certains parents désireux d’éviter une cicatrice au bras exigent que la scarification soit faite ailleurs. Beaucoup de nourrissons sont vaccinés à la cuisse. Quelques familles demandent même que l’inoculation soit pratiquée à la fesse pour que la cicatrice soit cachée plus tard par le maillot de bain. De telles pratiques exposent à de grosses réactions locales, aggravées par¬ fois par le contact de l’urine. Certains médecins vaccinent à la face externe du pied ou à la plante du pied. Il en peut résulter des réactions douloureuses surtout chez les nourrissons de plus de 6 mois qui com¬ mencent à s’asseoir dans leur lit. ÉPIDÉMIOLOGIE ET PROPHYLAXIE 102 Ajoutons que le lieu de la scarification n’a guère d’importance dans les revaccinations au cours de la lle et de la 2le année car les réac¬ tions vaccinales sont alors faibles. Mais, au cours d’une épidémie, quand on a à revacciner des femmes avant depuis longtemps perdu leur immu¬ nité, les inoculations à la cuisse ne sont pas très indiquées. Les insuccès Les précautions que nous venons de rappeler permettent au méde¬ cin vaccinateur d’éviter certains insuccès inhérents, les uns à l’action antiseptique de l’alcool, lorsque le vaccin a été déposé trop tot, les autres à la pratique de scarifications trop superficielles ou à l’élimination du vaccin, soit par le sang en cas de scarification trop profonde, soit par essuyage trop rapide après l’opération vaccinale: dans les séances publiques, notamment, l’assistante scolaire devra empêcher les enfants de se rhabiller trop 46t. Le vaccin utilisé doit être de bonne qualité. Il sera conservé dans un, endroit frais et n’aura naturellement pas atteint sa date limite d’utilisation. On sait que, d’après les règlements en vigueur, le vaccin est périmé un mois après sa sortie de l’Institut vaccinogène. Mais il faut savoir que sa durée de conservation peut être moins longue au cours de la saison chaude. Aussi, en cas d’insuccès, faut-il recommen¬ cer la primo-vaccination deux fois, pour être en règle avec la loi. Les succès La primo-vaccination évolue de la façon suivante : pendant les trois ou quatre premiers jours, aucune réaction ne se produit. Le 4e jour. environ, apparait une macule qui se surélève et qui, le 5e jour, devient une papulo-vésicule. Le lendemain, le liquide se trouble: la pustule apparait alors, entourée d’une vérole rouge. Elle est accompagnée de douleurs et de réaction ganglionnaire. En même temps, l’état général est légèrement altéré : pendant deux ou trois jours, l’enfant a de la fièvre à 389, 399 ou quelquefois 406. Le 8e jour, l’ombilication se des¬ gine. A partir du 126, la croûte apparait. Elle se détache vers le 20e ou le 256, et laisse une cicatrice gaufrée, d’abord rouge, mais qui blan¬ chira et sera le témoignage de la primo-vaccination. Les revaccinations au cours de la lle et de la 2le année sont, dans l’ensemble, très bien supportées. Elles sont caractérisées par leur évo¬ lution accélérée. L’incubation n'’est plus que de deux jours environ ou même moins : les réactions locales sont atténuées et s’arrêtent géné¬ ralement au stade de papulo-vésicule. Il ne se forme pas de cicatrices indélébiles. La constatation d’une pustule-permet de déduire que le sujet avait perdu son immunité, et qu'il est désormais protégé. Celle d'une vaccin plus actif. ÉPIDÉMIOLOGIE ET PROPLYLAXIE 193 papulo-vésicule indique qu'il n’avait perdu qu’une partie de son immu¬ nité et qu’il l’a récupérée. Mais on ne peut rien affirmer en présence d’une simple papule, réaction précoce apparaissant douze à vingt-quatre heures après la vaccination et pouvant ne traduire qu’un état de sensi¬ bilisation à l’antigène vaccinal. L’expérience des épidémies de variole montre que ces sujets ont souvent contracté la maladie. Aussi convient-il dans ce cas, de recommencer l’inoculation, mais en employant un Incidents et accidents de la vaccination. En dehors des complications infectieuses surajoutées dues à un vaccin trop chargé en germes adventices, à la malpropreté du sujet ou à une infection secondaire, on constate assez fréquemment de fortes réactions locales et générales au cours de la primo-vaccination. Tous les médecins ont observé ces réactions pseudophlegmoneuses où la pustule est entourée d’une zone rouge vif très odématiée, fort douloureuse. L’adénopathie satellite est nettement sensible. Souvent la fièvre est élevée et peut dépasser 400, mais les troubles de l’état général ne durent habituellement que deux à trois jours. Parfois on constate une dissociation de ces symptômes. Il peut survenir une fièvre élevée chez un enfant présentant une pustule de primo-vaccination d’apparence banale. Plus souvent la fièvre est modé¬ rée, mais ce sont les réactions locales qui sont très accusées. Les parents sont alors tentés d’atténuer la douleur en appliquant des compresses humides. Il faut le leur interdire expressément si l’on veut éviter d’énormes ulcérations aboutissant à des cicatrices très disgracieuses. Il sufit de conseiller l’application d’un pansement sec abondamment poudré de talc. En outre, si la fièvre est élevée, il est bon de donner à l’enfant un peu d’aspirine. Le médecin évitera ces réactions trop vives en ne pratiquant pas d’inoculations trop copieuses, de scarifications trop longues, trop pro¬ fondes, trop nombreuses ou trop rapprochées. De plus, toute vacci¬ nation en dehors des zones d’élection devra être déconseillée. Chez les diabétiques on utilisera un vaccin atténué, et on s’abstiendra d’ino¬ culer les malades atteints de leucoses, de très grosses réactions locales étant alors fort à craindre. La vaccine généralisée est généralement secondaire (fausse vaccine généralisée) ; elle survient alors chez un enfant atteint d’une affection prurigineuse (gale, eczéma, strophulus, varicelle) et qui, à la suite du grattage, s’est inoculé le vaccin avec ses ongles, surtout dans les régions découvertes. Dans ce cas, les pustules ne sont pas du même âge, les plus récentes étant souvent beaucoup plus petites. D’où la nécessité de surseoir à la vaccination lorsque l’enfant présente des lésions prurigineuses. Chez de tels sujets, ce n’est qu’en cas de force majeure (épidémie de variole) que la vaccination doit être pratiquée. ÉPIDÉMIOLOGIE ET PROPHYLAXIE 194 La scarification sera alors recouverte d’un large pansement pour éviter la dissémination de la vaccine par grattage. On peut exceptionnellement avoir affaire à une vaccine généralisée d’emblée : le virus est alors transmis par voie sanguine, vraisembla¬ blement à la faveur de scarifications trop profondes. (L’affection a pu être reproduite expérimentalement par l’injection intraveineuse de doses, à vrai dire considérables, de virus vaccinal). Elle est caractérisée par l’apparition de pustules de même âge, disséminées au hasard, et qui laissent des cicatrices. Sa prophylaxie réside dans une vaccination correcte. Ajoutons toutefois que, malgré la fréquence du saignement au cours de la vacci¬ nation, cette complication reste exceptionnelle. Ainsi, à Paris, pendant les épidémies de variole de 1942 et 1947, la plupart des cas diagnos¬ tiqués « vaccine généralisée » étaient en réalité des varioles survenues en même temps que les réactions vaccinales habituelles. L’encéphalite post-vaccinale est la complication la plus redoutée. Elle est heureusement exceptionnelle en France et dans les régions méditerranéennes. On l’observe surtout en Hollande, en Angleterre et dans les pays scandinaves. Aussi ce risque ne doit-il pas être mis en balance avec les bienfaits de la vaccination. Elle survient plutôt chez des enfants vaccinés tardivement. En se conformant à la loi de 1902. c’est-à-dire en vaccinant les enfants au cours de la première année, on diminue classiquement le danger d’encéphalite. Après trois ans, on conseille d’avoir recours à un vaccin atténué (formol). Selon certains auteurs cette affection serait due à une localisation encéphalitique du virus vaccinal, mais on admet plus généralement qu'’elle est causée par des virus de toute autre origine dont l’évolution serait favorisée par l’infection vaccinale. La majorité des encéphalites postvaccinales coïncident en effet avec une recrudescence d’encépha¬ lites de différentes natures, d’où la nécessité de suspendre provigoi¬ rement les séances de vaccination lorsque des cas d’encéphalites sont signalés. Contre-indication. — Comme les complications sont rares, les contre-indications dont le médecin est seul juge, sont très limitées. Réserve faite des leucoses et de certaines maladies très graves, elles ne sont, en temps normal, que temporaires. Il convient : de ne pas vacciner un sujet atteint d’une affection fébrile, ou présentant une dermatose prurigineuse, ou dont l’état général est défectueux. Enfin,. mieux vaut ne pas vacciner l’enfant à la naissance. Si, au contraire, il existe un risque grave de contamination; les contre-indications deviennent pratiquement nulles. Lecture des résultats et rédaction du certificat La lecture de la primo-vaccination se fait au bout de huit jours. mais pour les revaccinations, il est préférable de la faire deux à quatre DE LA VARIOLE 105 jours après, ces réactions étant, en effet, accélérées et éphémères¬ Aucun certificat né devrait être délivré sans qu’il soit fait mention du résultat : il convient de préciser que la vaccination « été suivie de pustule de papulo-vésicule, de papule, ou été totalement négative. 2. Législation sanitaire. La loi du 15 février 1902 oblige chaque Français à être vacciné au cours de la lre, de la lle et de la 2le année. Pour être en règle avec la loi, il faut que la vaccination soit positive. Si l’inoculation est suivie d’insuccès, il faut alors la recommencer une seconde et éventuellement une troisième fois. Nous avons vu que des fautes de technique pou¬ vaient rendre la vaccination négative chez des sujets pourtant réceptifs. En cas de guerre, de calamité publique, ou de menace d’épidémie. la vaccination peut être rendue obligatoire pour toute personne non vaccinée avec succès depuis moins de cinq ans. Un délai de trois ans serait préférable. Enfin la vaccination antivariolique est également obligatoire au coure du service militaire, et pour l’entrée dans les administrations publiques, notamment dans le personnel hospitalier (loi du 27aôt 1948). En ce qui concerne le personnel hospitalier, la vaccination: l’entrée ne suffit pas; elle devrait être renouvelée tous les trois ou quatre ans. La légis- lation sanitaire devrait être complétée sur ce point. La loi de 1902 permet l’hospitalisation d’office des varioleux. Tou¬ tefois elle exige un arrêté préfectoral qui fait perdre du temps. Nous avons montre, en nous basant sur notre expérience personnelle, qu’il était souhaitable, pour, lutter efficacement contre les épidémies, de pouvoir hospitaliser rapidement et contre leur gré les malades atteints de variole. La même mesure devrait être appliquée à ceux atteints de choléra et de peste. Le décret-loi du 4 octobre 1939, maintenant abrogé. gur l’organisation de la nation en cas de guerre, donnait ce pouvoir à l’autorité sanitaire. En ce qui concerne ces trois maladies — et ces trois maladies seulement — la loi de 1902 devrait être retouchée, en s’inspirant du décret-loi de 1939. Nous avons montré l’importance de cette ques¬ tion à propos de l’épidémie de 1947. Enfin la loi devrait permettre l’isolement des sujets contacts réceptifs Dans une salle d’hôpital, lorsqu’un cas de variole éclate, on interdit la sortie des malades, mais cette mesure, très justifiée cependant du point de vue sanitaire, car les sortante risquent de disséminer la maladie en ville, n’a pas de fondement légal. On ne peut s’opposer au départ de l’hôpital d’un sujet guéri, d’un contagieux atteint de varicelle par exemple, pouvant être isolé à domicile, ou même d’un sujet qui ne se plaît pas dans un hôpital. Si la loi permettait les hospitalisations d’o. fice des sujets réceptifs avant ete en contact avec un varioleux (ou EPIDÉMIOLOGIE ET PROPHYLAXIE 198 avec un malade atteint de choléra ou de peste), une arme importante serait donnée aux services de lutte contre ces épidémies. Ces sujets contacts réceptifs sont très vraisemblablement en incubation de variole. mais dans l’état actuel de la législation, il faut attendre l’apparition de la maladie pour pouvoir légalement les faire hospitaliser d’office. Dans la pratique, que fait-on 2 Les malades ignorent la législation sanitaire et presque tous conçoivent le bien-fondé des mesures pré¬ sentes : interdiction de la sortie des malades admis dans la salle infectée et qui ont été en contact avec le varioleux. Mais il y a quelques excep¬ tions. Il convient donc de remanier dans ce gens la loi de 1902, afn d’harmoniser la législation nationale avec le règlement sanitaire inter¬ national. Il est paradoxal qu’on puisse isoler un sujet contact réceptif lorsqu’il vient d’un pays infecté, et qu’on ne puisse pas le faire lorsque règne une épidémie de variole en France. D’ailleurs l’isolement pourrait n’être institué que le 10e jour du contact infectant. 3. Organisation de la lute antivariolique Nous avons vu que la lutte antivariolique avait été comparée à la lutte contre un incendie. En effet les réactions prophylactiques doivent être très rapides et complètes. On a aussi comparé ce service à une armée défensive chargée de lutte contre une invasion brusquée éventuelle. Or, dans la lutte contre la variole, cette armée est morcelée en éléments départementaux, ne pouvant quitter ce territoire. Si bien que lorsque ce dernier est infecté, les services sanitaires sont débordés. et ceux des autres départements attendent inactifs une incursion éventuelle de la maladie. En outre, les décisions en dernière analyse doivent être prises par des fonctionnaires administratifs qui ignorent tout de cette question purement technique. On devine ce qu’il en adviendrait de l’efficacité d’une armée défensive, morcelée et dirigée de cette manière, si une attaque brusquée venait à survenir. Bien plus, la région parisienne a une structure administrative qui étonne les hygiénistes étrangers. Elle était soutenable sous Napo¬ léon ler qui l’a conçue — et encore se plaignait-il déjà que les deux préfète de la Seine et de Police n’étaient pas d’accord entre eux. — Maintenant l’agglomération parisienne est devenue gigantesque et son organisation sanitaire est morcelée. On a comparé jadis, la lutte contre la variole dans la Seine, à un régiment de sapeurs-pompiers dont le personnel dépendrait de la Préfecture de Police, les voitures de la Pré¬ fecture de la Seine et les tuyaux de l’Assistance publique. Encore cette comparaison est-elle au-dessous de la vérité, car elle ne tient pas compte des départements de Seine-et-Oise. Seine-et-Marne et Oise. De nom¬ breuses personnes travaillent à Paris et se rendent chaque jour dans des communes dortoirs de ces départements. Le même malade ou 107 DE LA VARIOLE sujet-contact est alors dépisté ou surveillé par deux services sani¬ taires débordés qui peuvent lui donner des instructions quelque peu différentes. En fait, l’organisation de la lutte contre la variole, comme de celle de la lutte contre les maladies contagieuses, devrait être régionale. Elle devrait être coordonnée sur le plan national par un technicien connaissant bien ces maladies qui se déplacerait à la moindre alerte, et en cas d’épi¬ démie, resterait sur place le temps nécessaire et pourrait prélever rapidement des effectifs dans d’autres régions indemnes. Si l’on veut concevoir la meilleure organisation de lutte contre la variole, il ne faut pas tenir compte de la structure actuelle du ser¬ vice. Il faut même supposer qu’elle n’existe pas, et qu’elle doit être créée selon les principes cartésiens : 1) La lutte contre une épidémie est une question purement tech¬ nique, qui doit être dirigée par un médecin qualifié. Dans la lutte contre la variole où il faut agir vite — c’est en effet une des conditions du succès — comment concevoir qu’un médecin qualifié doive perdre du temps à expliquer ce qu’il faut faire à un fonctionnaire adminis¬ tratif ne connaissant pas la question, mais qui est néanmoins placé à la tête du service. D’autre part les règles du secret professionnel plaident pour une direction médicale véritable. Continuons de faire abstraction de l’organisation actuelle. Quel esprit cartésien oserait propager la structure présente de la région parisienne : deux préfets dans le département de la Seine, un préfet en Seine-et-Oise qui l’entoure, des services morcelés, aucune unité. Le département était une unité acceptable au temps des voitures à chevaux : au XXe siècle, seule la région se justifie. Ces questions de structure intéressent d’ailleurs tous les pays. L’un de nous, il y a trois ans, au cours d’un voyage d’études en Italie. a pu s’entretenir longuement avec les médecins hygiénistes et connaitre les réformes décidées à par le gouvernement de ce pays. Auparavant la structure des services d’hygiène italiens rappelait celle de la France. Elle était appelée le « système napoléonien ». Mais le ministre de la santé publique avait remarqué que les préfets dans ce pays délaissaient les questions d’hygiène. Il avait insisté sur le point suivant : bien que représentant les ministres, ces hauts fonctionnaires ne sont nommés ou mutés que sur proposition du ministre de l’intérieur (et non gur celle du président du Conseil, après avis des différents ministres). Pour cette raison les préfets en Italie ne s’intéressent guère qu’aux affaires intérieures, qu’ils connaissent admirablement d’ailleurs. Le ministre de la santé de ce pays estima qu’on ne devait pas confier les questions d’hygiène à de hauts fonctionnaires qui s’en désin¬ téressaient ou n’avaient pas le temps de s’y consacrer. Les préfets avant des charges écrasantes, on a jugé bon en Italie de les dégager de leurs attributions en matière de santé publique, pour qu’ils puissent mieux se consacrer aux tâches intérieures, si complexes et délicates. EPIDÉMIOLOGIE ET PROPHYLAXIE 198 Finalement le gouvernement italien décida que les fonctionnaires de la santé publique ne dépendraient plus des préfets, et seraient ratta¬ chés directement au ministère de la santé. Depuis lors, cette autonomie a été source de gros progrès en Italie. Nous ignorons si le gouvernement français suivra la même voie qui conduirait à donner aux services d’hygiène la même structure qu’à ceux du travail ou des P. T. T. par exemple, pour ne citer que les services civils. On a beaucoup parlé en France de déconcentration administra¬ tive. La reconcentration sur le plan départemental est peut-être une bonne formule pour traiter les affaires administratives. Mais elle ne l’est pas pour certaines questions techniques, comme la lutte contre une épidémie, qui doivent avoir une structure régionale. Personnelle¬ ment nous apprécions beaucoup l’organisation des universités, qui constituent des éléments décentralisés excellemment dirigés par les recteurs. Ne pourrait-on pas s’inspirer de cette structure pour la lutte anti-infectieuse 2 CONCLUSION L’exposé des dernières épidémies ou incursions de variole en France nous a permis de tirer des déductions qui nous ont paru intéressantes à plusieurs points de vue : — Du point de vue scientifique, nous avons pu préciser un certain nombre de points importants. — Du point de vue législatif nous avons indiqué les modifications et additions qui seraient souhaitables, tant en ce qui concerne la légis¬ lation sanitaire nationale que le règlement sanitaire international de l’O M.S. — Enfn du point de vue de la structure du service de lutte contre les épidémies, nous avons montré que cette tâche était et devait être purement médicale, et que son morcellement actuel en France était non seulement contraire aux principes cartésiens, mais diminuait considé¬ rablement l’efficacité de ce service, ce qui, un jour, pourrait avoir les plus graves conséquences. Ces principes heurteront vraisemblablement certains intérêts, mais, en fn de compte, c’est celui de la Nation qui devrait l’emporter. Nous n'’aurions pas fait notre devoir si nous avions passé sous silence cette si importante question de structure. ACHEVÉ D’TM PRIMER L.E 19 A0 UT 19 6 21 SUR LES PRESSES DE L’LTE. 45, rue Colbert COLOMBES Paris 1962. — Prix : 9,50 NF. MONOGRAPHIES DE L’INSTTUT NATIONAL D’HYCIENE DÉLA PARUES : M° 1. — Documents statistiques eur la morbidite par cancer dans le monde, per P. F. DENOIX, Paris 1953. — Epuisé 2 - L’economie de j'alcopoliamne, par L. DIRODRT, Paris 195. — Ephise N° 3. - Mortalité urbaine et rurale en France en 1928, 1933 et 1947, par Ch. CANDIOTTI et M. MOINE, Paris 1933. — Prix : 9 NF. N° 4. — Contribufion à l’étute de l’anophlisme et du paludisme en Corse, par C. TOU¬ MANOFF, Paris 1954. — Prix : 12 NE N° 3. — De la diversité de certains cancers, par P. F. DENOIX, Paris 1954. — Epuise. N° 6. — La lutte préventive contre les malatles infectieuses de l’honme et des animaux domestiques au moyen des vaccins, par G. RAMON, Paris 1953. —- Prix : 12 NF. N° 7. — Etndes de sociopsychiatrie, par H. DUCHBNE et coll, Paris 1953. — Prix : 9 NE. N° 8. — Rapport sur la frénuence et la sensibilité aux insecticides de pellculus humanus humanus K. Linaens, 1758 (anoplura) dans le sud-est de la France, par R. M. NICOLL, Paris 1956. — Prix : 5 NF. N° 2. — Etude sur la maladie de Bouillaud et son traitement, par J. CHEVALLIER, Paris. 1956. — Prix : 11 NF. N° 10. — Rapport d’enquête sur la réataptation fonctiomnelle des adultes en Frances par H. G. POULIZAC, Paris 1956. — Prix : 10 NF. N° I1. — Etude pour l’établissement de rations alimentaires pour le tuberculeux en sana¬ torium, par F. VINIT et J. TREMOLIERES, Paris 1937. — Prix : 12,50 NF. N° 12. — Le cancer chez le noir en Afrfique française, par P. F. DENOIX et J. R. SCHLUM¬ BERGER, Paris 1937. — Prix : 15 NE. N° 13. — Broncho-phenmopathles à Mrus et à richetties chez l’enfant, par R. SOHIER. M. BERNHEIM, J. CHAPTAL et M. JEUNE, Paris 1957. — Prix : 13 NE N° 14. — L’assistance nsychiatrique aux malades mentaux d’origine nord-africailne musul¬ mane en métropole, par G. DALMEZON, Y. CHAMPION et MmE J. CHAM¬ PION-BASSET, Paris 1957. — Prix : 12 NE. N° 13. —- Documents statistiqnes sur l’épidémiologie des ipfections (ypho-paratyphoidiques. de la polipmvélite et des brucelloses en France en 1954 et 195s, par P. CHAS¬ SAGNE et Y. GAIGNOUX, Paris 1958. — Prix : 11 NE. N° 16. — La pêthologie régionale de la France, Tome I. Régions du Sud et de l’Ouest. par R. MAROT, Paris 1958. — Prix : 35 NE N° 17. — La nathologie répionale de la Frauce. Tome H. Régions du Mord, de l’Rst et du Centre, par R. MAROT, Paris 1938. —- Prix : 34 NF. N° 18. — De la destructon des bactéries par la chaleur. — Etude de l’effcacité de la pasteu¬ risation du lait, par A. NEVOT, Ph, et J. LAFONT, Paris 1958. — Prix : 14 NF N° 19. - Le Cancer au Moyer-Orient (Fsrael et fran). Données épidémiologiques par C. LAURENT et J. LEGUERINAIS, Paris 1960. — Prix : 13 NE. N° 20. - Problemes posés par la définition des aliments, par l’Unité de Recherche de Nutri¬ tion bumaine de l’Institut National d’Hygiène, Paris 1960. — Prix : 15 NF. N° 21. — Accients du travail et facteur humain, par H. G. POULIZAC, Paris 1960. Prix : 18 NF. N° 22. — Euquête suir jes enfants et les adolescents atteints d’infmité motrice, par. F. ALISON, J. FABIA et J. RAYNAUD, Paris 1961. — Prix : I1 NF. N° 23. — L’hospitalisation des entante, étude de péliatrie soctale dans l’agglomératon parisienne, par P. STRAUS, Paris 19614. — Prix : 16 NF. N° 24. — Méthtodes psychologiques, pedlapogiqus et sociales en psychiatrie infantile, sous la direction de 6. AMADO. N° 25. — pitmiotogie et promnluxie de l vartole, par J. BOYER et A. ROUiSEL. Vente des publicarions a L’INSTITIT NATIONAL D’HYGIENE 3, rue Léon-Bonnat, Parie (199) —- AUTeuil 32-84 Numéro de chque poatal: Inrtitut National d'’Hygine, 9063-83 Parite