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Med Sci (Paris). 37(12): 1087–1088.
doi: 10.1051/medsci/2021240.

La quatrième loi de bioéthique 2021 : un passage progressif du médical au sociétal pour la procréation

René Frydman1*

1Professeur émérite Consultant à l’hôpital Foch , 92150Suresnes , France
Corresponding author.

MeSH keywords: Questions bioéthiques, Bioéthique, Humains, Reproduction, Techniques de reproduction assistée

 

La saison 4 des lois de bioéthique s’est ouverte le 2 août 2021 par la promulgation de ses textes de loi [ 1 ]. La France est en effet l’un des rares pays à légiférer par paliers. La première loi de 1994 fait entrer la procréation médicalement assistée (PMA) 1 dans le paysage médical sous contrôle y compris le don anonyme de gamètes femelles, le tout remboursé par la sécurité sociale pour les couples infertiles [ 2 ]. Elle affirme d’emblée la non commercialisation du corps humain et accepte la possibilité du diagnostic génétique préimplantatoire permettant à des couples fertiles, mais susceptibles de transmettre une maladie génétique identifiée, de bénéficier d’un choix embryonnaire, évitant la transmission d’une maladie particulièrement grave et incurable au moment du diagnostic.

La deuxième loi du 6 août 2004 [ 3 ] crée l’Agence de la biomédecine, limite la recherche sur les cellules souches et interdit le clonage reproductif, mais autorise l’enfant du double espoir 2 .

La troisième loi en 2011 [ 4 ] maintient, grosso modo , les mêmes interdictions sur la recherche scientifique et affirme sur le plan clinique l’interdiction de la gestation pour autrui (GPA) et du transfert embryonnaire post-mortem , mais autorise la congélation d’ovocytes par la technique de vitrification.

La quatrième loi de bioéthique 2021 [ 1 ] élargit désormais l’assistance médicale à la procréation aux couples de femmes et aux femmes célibataires, autorise les enfants nés d’une PMA avec dons de gamètes à accéder à leurs origines biologiques et permet une autoconservation des gamètes sans motif médical.

Cette évolution marque donc un passage progressif du médical au sociétal, permettant d’être plus en phase avec l’évolution de la société, ce qui mérite d’être salué, mais pose un certain nombre de questions : y a-t-il sur le plan sociétal des incohérences ? Et sur le plan scientifique, des insuffisances ?

Concernant la première question, je prendrai quatre exemples :

L’autoconservation des ovocytes sans indication médicale est devenue possible, mais uniquement entre 29 et 37 ans et uniquement dans les centres publics. Pourquoi ne pas ouvrir cette possibilité au-delà des trente centres publics actuellement autorisés parmi tous ceux qui ont le savoir-faire biologique, et qui le souhaitent. La proximité de l’accueil des patientes sera l’un des facteurs d’une prise en charge correcte.

La facilité ou non de l’accès au don de gamètes est liée à la disponibilité de ceux-ci. Il faut donc recruter des donneurs et des donneuses ; il y a bien une campagne nationale de recrutement chaque fin d’année, mais son impact est insuffisant. Ne faudrait-il pas créer parallèlement un personnel médical et/ou paramédical spécifique (infirmières, ou sages-femmes ou médecins) dédié à cet objectif, capable d’organiser au sein des centres hospitaliers, et surtout hors les murs de l’établissement de santé (mairies, universités, lieux de travail…), des réunions d’informations et d’accompagnement destinées aux personnes intéressées à donner leurs gamètes ? Ce personnel pourrait être commun à plusieurs centres géographiquement proches.

Par ailleurs, les Centres d’études et de conservation des œufs et du sperme (CECOS) ne sont que 29 dans toute la France ! Ne devraient-ils pas être plus nombreux et/ou s‘ouvrir à un fonctionnement en réseau, afin d’être au plus près de la population ? Aujourd’hui, pour le don de sperme, la durée d’attente pour le premier rendez-vous est de six mois environ, auquel il faut ajouter un an d’attente pour la délivrance des paillettes, ce qui est long. La pénurie de gamètes, si elle s’installait, ferait alors repartir de plus belle le recours aux centres situés à l’étranger, particulièrement en ce qui concerne le don d’ovocytes, ainsi qu’à internet pour le sperme vendu par des centres hors nos frontières ou à des pratiques illégales dans notre pays (don direct et rémunéré). Les portes des magasins sont donc ouvertes, mais sans grand-chose dedans, ce qui risque de mettre à mal la réalisation de l’objectif de permettre à plus de bénéficiaires d’y avoir accès.

La limite d’âge de toute prise en charge, y compris de transfert d’embryons préalablement congelés, 45 ans pour les femmes et 59 ans pour les hommes, ne correspond pas à des situations du quotidien ; quid d’un couple ayant le projet de constituer une famille élargie, ayant déjà eu un enfant, et ayant conçu des embryons surnuméraires in vitro, mais dont l’un ou l’autre membre aura dépassé les limites d’âge au moment des transfert des embryons restants ? Le projet parental se limite-t-il à un seul enfant ? Certes, un âge élevé comporte certains risques pour la femme comme pour l’homme, mais cela doit se traiter au cas par cas, une fois l’information donnée, et non pas par oukazes.

Le transfert post-mortem est heureusement rare, mais la loi reflète l’état d’esprit rigide qui règne dans notre pays. Non pas que toutes les femmes devenues veuves en cours d’AMP souhaiteraient poursuivre le projet parental, mais comment refuser par principe à celles qui le souhaitent de disposer des embryons obtenus avec leur défunt compagnon, tout en informant celle-ci qu’elle peut toujours donner cet embryon à un autre couple et que, si elle continue à souhaiter d’avoir un enfant, elle sera autorisée légalement à faire appel à un sperme de donneur anonyme, étant une femme seule !

La levée de l’anonymat du donneur de sperme, qui était la règle jusqu‘à cette année 2021, pourrait devenir rétrospective. Ce qui n’est pas sans poser un problème d’ordre éthique de manquement à la parole donnée, puisqu’il avait été affirmé à ces donneurs que l’anonymat de leurs dons serait total et jamais levé.

Ces ouvertures sociétales s’accompagnent d’une certaine rigidité, surtout comparées à un certain nombre de pays qui ont une pratique encadrée, évaluée, mais plus ouverte (double don, transfert post-mortem , âge sans couperet systématique…, etc.).

Et cette frilosité se retrouve sur le plan scientifique…

Après une grande réticence au développement de recherches sur l’embryon humain pendant des années, un plus grand spectre d’études scientifiques sur les cellules souches humaines est rendu possible par la loi, mais l’analyse de l’embryon avant son transfert utérin reste interdit.

Le diagnostic pré-implantatoire (DPI) consiste à analyser un embryon obtenu in vitro en lui prélevant une ou deux cellules au troisième ou cinquième jour de son développement in vitro . Il existe depuis 1991 dans le monde et depuis 2000 en France ; cette technique a été proposée aux couples qui avaient une forte probabilité de transmettre à leur enfant une grave maladie génétique reconnue et ne pouvant être guérie au moment du diagnostic. Une soixantaine de maladies sont aujourd’hui ainsi diagnostiquées grâce au progrès de la génétique, ce qui est très positif, mais les couples concernés attendent trop longtemps pour y avoir recours et être pris en charge par cette technique (un an et demi à Paris, pour 20 % de succès), ce qui impacte sur le résultat, puisque l’âge augmente et la fertilité baisse (sans parler des conséquences de cette attente pour les couples dont un certain nombre qui le peuvent financièrement vont à l’étranger). Cependant, cette technique ayant le mérite d’exister, elle pourrait être appliquée avec un autre objectif que celui d’éviter la transmission d’une maladie génétique connue : elle pourrait être utilisée pour la recherche d’une aneuploïdie embryonnaire (DPI-A), spécialement chez les femmes plus âgées ou ayant fait des fausses couches à répétition.

En effet, le problème principal de la PMA est son relativement faible taux de réussite, accompagné de répétitions souvent inutiles, et seuls 40 % à 50 % des couples qui commencent la procédure auront l’enfant désiré, y compris ceux qui vont jusqu’à multiplier le nombre d’essais. Améliorer le taux de succès et offrir une meilleure prise en charge restent des objectifs scientifiques et médicaux majeurs.

Ainsi en 2016, selon l’Agence de la biomédecine, 297 744 embryons ont été conçus après PMA in vitro , et seulement près de la moitié (49,2 %) ont été jugés aptes, en fonction de leur aspect morphologique, à être transférés immédiatement ou ultérieurement après congélation ; de plus, parmi les embryons qui ont été transférés, seuls 16,5 % se sont développés jusqu’à une naissance viable. On estime donc que 60 % des embryons obtenus in vitro ne possèdent pas le potentiel de développement nécessaire, ce pourcentage pouvant atteindre 80 % chez les patientes de plus de 40 ans.

N’est-ce pas faire violence aux femmes et à leurs compagnons, que de leur infliger des tentatives inutiles, ou en leur donnant de faux espoirs de réussite ? On pourrait rechercher une aneuploïdie, un désordre chromosomique ou des altérations métaboliques. Or ce principe d’études embryonnaires pré-implantatoires n’est pas accepté en France, de crainte d’une politique eugénique, ce qui n’est vraiment pas à l’ordre du jour, puisqu’il s’agit de déterminer le potentiel de développement de chaque embryon et non pas le choix de telle ou telle caractéristique (ainsi, le diagnostic du sexe ne serait pas communiqué, comme au Canada). De toutes les façons, toutes les données recherchées doivent être transmises au couple qui, en dernier ressort, est le seul à décider de l’avenir des embryons (pour être clair, si un couple mis au courant de l’existence d’une anomalie chromosomique embryonnaire in vitro , que celle-ci soit certaine ou probable, demande à ce que l’embryon soit transféré, leur décision doit primer, après information complète).

Il s’agit de garder une hauteur éthique, mais la recherche d’innovations scientifiques doit être favorisée, l’application de ces dernières devant être transparente et, surtout, évaluée.

Pour terminer sur un point optimiste, l’article 4 de la nouvelle loi prévoit la mise en place d’une prévention de l’infertilité et d’une amélioration de l’accompagnement des personnes ayant recours à la PMA. Souhaitons qu’un comité de suivi permette, avant sept ans, d’adapter les règles législatives aux réalités médicale et sociétale.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 PMA ou assistance médicale à la procréation, AMP.
2 Désigne un enfant qui est susceptible d’apporter une solution thérapeutique à son frère et/ou à sa sœur malade. Le nouveau-né peut donner ainsi des cellules saines à l’enfant malade, via une transplantation.
References