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Med Sci (Paris). 37(11): 1076–1079.
doi: 10.1051/medsci/2021169.

Un nouveau pas contre la fièvre de Lassa ?

Lucas Breuil,1a Auriane Debache,1b Félicie Giraud-Sauveur,1c and Eleanor Glascott-Jones1d

1École normale supérieure de Lyon, Département de biologie, Master biologie , Lyon , France
Corresponding author.

MeSH keywords: Humains, Fièvre de Lassa, Virus de Lassa, diagnostic, épidémiologie

Le virus de Lassa

Le virus de Lassa (LASV) est un virus de la famille des Arenaviridae . Il sévit principalement en Afrique de l’Ouest, où il cause 300 000 à 500 000 cas d’infection par an, dont 5 000 à 6 000 sont mortels [ 1 ]. Le LASV peut se transmettre par les urines et les excréments d’un rat, Mastomys natalensis (le rat de Natal), réservoir principal du virus [ 2 ], mais aussi par les fluides corporels humains. Chez l’homme, le virus est associé à des fièvres, des courbatures et des vomissements dans les cas bénins, et des fièvres hémorragiques dans les cas les plus sévères. La majorité des survivants développent des séquelles, notamment des problèmes d’audition [ 1 ].

La mise en place de plateformes vaccinales

À ce jour, il n’existe qu’un seul traitement. Il est à base de ribavirine (un analogue nucléosidique inhibant la réplication virale), mais ce traitement se révèle plus efficace durant la phase précoce de l’infection. Or les premiers symptômes de la fièvre de Lassa étant aspécifiques, le diagnostic précoce est difficile et le traitement antiviral reste donc peu efficace [ 1 ]. Une vaccination préventive de masse serait donc plus appropriée. L’efficacité de celle-ci reste dépendante de sa capacité à : 1) induire une réponse immunitaire sans toxicité pour l’organisme ; 2) promouvoir une réponse immunitaire mémoire en cas d’infection et 3) limiter la réplication virale, ainsi que les symptômes associés à l’infection. Le nombre de personnes à vacciner (200 millions), la large zone à couvrir (2 millions de km²) et la difficulté d’accès pour les personnes concernées, laissent penser qu’une vaccination en une seule dose serait préférable à l’injection de multiples doses. L’importance de trouver un vaccin pour le LASV a conduit l’équipe de Mateo [ 3 ] à chercher des « plateformes vaccinales efficaces », c’est-à-dire un virus non pathogène ou atténué portant des fragments génomiques du virus LASV codant des protéines immunogéniques d’intérêt [ 4 ]. Une première plateforme appelée MOPEVAC, constituée du virus Mopeia (proche évolutivement du LASV, mais non pathogène), utilisé comme vecteur de la glycoprotéine de membrane GPC ( glycoprotein complex ) du LASV, a montré une certaine efficacité dans des modèles précliniques [ 5 ]. Dans cet article, les auteurs se sont concentrés sur le développement d’une autre plateforme vaccinale utilisant le virus de la rougeole (MeV) comme vecteur des protéines GPC et NP (nucléoprotéine), ou GPC et Z (protéine à doigt de zinc de la matrice du virus) du LASV ( Figure 1 ). L’avantage de cette nouvelle plateforme est qu’elle est déjà largement étudiée et utilisée pour la production de plusieurs vaccins [ 68 ].

Caractérisation des vecteurs vaccinaux et vaccination en une seule dose

Dans un premier temps, l’équipe de Mateo a analysé in vitro la capacité de leurs vecteurs vaccinaux MeV à induire la synthèse d’interféron de type I et l’expression de molécules d’activation par des cellules dendritiques et des macrophages humains, ces deux types cellulaires étant des cibles privilégiées et précoces du LASV [ 9 ] ( ).

(→) Voir la Nouvelle de S. Baize, m/s n° 8-9,août-septembre 2019, page 619

Les auteurs ont ensuite vacciné des singes cynomolgus avec une seule dose de MeV. L’innocuité des vaccins a été analysée en suivant les paramètres biologiques des animaux (température corporelle, poids et fréquence respiratoire). L’absence d’excrétion virale suite au vaccin a été vérifiée en étudiant la virémie associée, ainsi que la présence d’ARN dérivant du vecteur vaccinal dans le plasma, les cellules mononucléées du sang périphérique (PBMC), l’urine et les sécrétions nasales et orales. Par la suite, l’effet sur le système immunitaire a été testé. Tous les singes vaccinés possèdent des anticorps spécifiques du LASV (Ig[immunoglobuline]M et IgG) deux semaines après la vaccination. Concernant la réponse cellulaire, la vaccination avec le MeV-GPC-NP a induit une augmentation du taux de lymphocytes T CD4 + et CD8 + spécifiques de la NP et de la GPC. En revanche, la vaccination avec le MeV-GPC-Z induit peu ou pas de réponse lymphocytaire T contre les protéines Z et GPC. Les échantillons de PBMC et de plasma ont aussi permis de mettre en évidence des changements transcriptomiques et protéomiques post-vaccination, concernant notamment des voies impliquées dans la production des interférons de types I et II ou la réponse inflammatoire.

Protection induite par les vaccins contre le LASV

L’efficacité des vaccins a été testée en infectant par le LASV des singes cynomolgus préalablement vaccinés avec le MeV-GPC-NP ou le MeV-GPC-Z. Différents paramètres biologiques (température corporelle, niveau de CRP [ C-reactive protein ], etc.) ont été suivis au cours du temps après l’infection afin d’établir un score clinique évaluant la santé de l’animal. Ce score s’étend de 0 (bonne santé) à 15 (l’animal est alors euthanasié). À l’inverse des animaux non-vaccinés, tous les animaux vaccinés ont survécu à l’infection par le LASV. Certains animaux ayant reçu le vaccin MeV-GPC-Z, ont néanmoins présenté des scores cliniques atteignant 14. Les auteurs ont également cherché à quantifier la réplication du LASV chez les animaux vaccinés. Ce paramètre est en effet de la plus haute importance : si le virus se réplique au point que des particules virales se retrouvent dans les fluides corporels des primates, ces animaux sont alors capables de transmettre le virus. La quantité d’ARN viral a donc été mesurée par RT-qPCR ( reverse transcriptase-quantitative polymerase chain reaction ), et le titre viral a été évalué par FFA ( focus forming assay ) 1 . Malgré une augmentation transitoire de la quantité d’ARN du LASV dans le sang des animaux, le titre viral est resté nul dans le sang et les sécrétions orales et nasales des animaux vaccinés par le MeV-GPC-NP. Par contre, la quantité d’ARN viral dans le sang des animaux vaccinés par le MeV-GPC-Z est restée élevée pendant une dizaine de jours après l’infection, et une augmentation simultanée du titre viral dans le sang et les sécrétions orales et nasales des animaux a été observée. Le vaccin MeV-GPC-NP éviterait donc de développer les symptômes de la fièvre de Lassa ainsi que de transmettre le LASV, ce qui n’est pas le cas du vaccin MeV-GPC-Z.

Caractérisation de la réponse immunitaire après infection des animaux vaccinés

La réponse immunitaire après infection a été étudiée chez les animaux vaccinés avec le MeV-GPC-NP ou le MeV-GPC-Z. Lors de la réponse à l’infection, les deux groupes d’animaux ont présenté des IgG anti-NP et anti-GPC, mais les anticorps ont été produits plus tôt après l’infection chez les animaux vaccinés avec le MeV-GPC-NP. En revanche, plus d’anticorps neutralisants ont été induits par le vaccin MeV-GPC-Z. Concernant la réponse cellulaire, les animaux vaccinés avec le MeV-GPC-NP ont présenté de plus forts taux de prolifération et d’activation des lymphocytes T CD4 + et CD8 + par rapport à ceux vaccinés avec le MeV-GPC-Z. La réponse immunitaire cellulaire à l’infection par le LASV est donc plus efficace chez les animaux vaccinés avec le MeV-GPC-NP. De plus, la production de marqueurs de l’inflammation étant plus faible chez les animaux vaccinés avec le MeV-GPC-NP, l’infection par le LASV a été mieux tolérée chez ces animaux. Enfin, tous les vaccins ont engendré la production de lymphocytes T mémoires, notamment des lymphocytes T mémoire effecteurs.

Conclusion

En conclusion ( Figure 2 ), les auteurs ont démontré que le vaccin MeV-GPC-NP permet de déclencher une réponse immunitaire non toxique et protectrice contre le LASV chez des primates non humains. L’ensemble de ces résultats a donc conduit les chercheurs à sélectionner le vaccin MeV-GPC-NP pour des tests cliniques ultérieurs. Par ailleurs, bien que le MeV-GPC-Z engendre une production importante d’anticorps neutralisants, ce vaccin ne protège pas efficacement contre la fièvre de Lassa. L’immunité protectrice conférée par le MeV-GPC-NP semble donc reposer principalement sur une réponse cellulaire et non pas humorale, une caractéristique intéressante puisque l’efficacité vaccinale dans les pathologies infectieuses est souvent évaluée dans un premier temps à travers la production d’anticorps neutralisants.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Le test de formation de foyer (ou FFA) est une variante du test de plaques, qui mesure la lyse cellulaire par la détection de la formation de plaques de lyse. Le FFA utilise des anticorps fluorescents spécifiques d’un antigène viral pour détecter les cellules infectées et les particules virales avant la formation d’une plaque.
References
1.
Lingas G , Rosenke K , Safronetz D , et al. Lassa viral dynamics in non-human primates treated with favipiravir or ribavirin. . PLOS Comput Biol. 2021; ; 17 : :e1008535. .
2.
McCormick JB , Webb PA , Krebs JW , et al. A prospective study of the epidemiology and ecology of lassa fever. . J Infect Dis. 1987; ; 155 : :437. – 444 .
3.
Mateo M , Reynard S , Carnec X , et al. Vaccines inducing immunity to Lassa virus glycoprotein and nucleoprotein protect macaques after a single shot. . Sci Transl Med. 2019; ; 11 : :eaaw3163. .
4.
Lelièvre JD . Les vaccins de demain. . Revue Francophone des Laboratoires. 2019; ; 2019 : :52. – 63 .
5.
Carnec X , Mateo M , Page A , et al. A Vaccine platform against arenaviruses based on a recombinant hyperattenuated Mopeia virus expressing heterologous glycoproteins. . J Virol. 2018; ; 92 : :e02230. – e02217 .
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Combredet C , Labrousse V , Mollet L , et al. A molecularly cloned schwarz strain of measles virus vaccine induces strong immune responses in macaques and transgenic mice. . J Virol. 2003; ; 77 : :11546. – 11554 .
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