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Med Sci (Paris). 37(11): 1060–1061.
doi: 10.1051/medsci/2021123.

Et le Bien dans tout ça ? (Axel Kahn)
Une passion humaine

Reviewed by Hélène Gilgenkrantz1*

1Centre de recherche sur l’Inflammation, Inserm UMRS 1149, Université Paris Diderot, Faculté de médecine Xavier Bichat , 16 rue Henri Huchard , 75018Paris , France
Corresponding author.
 

Vignette (Photo © Inserm/Delapierre, Patrick).

« L’intelligence ne peut jamais pénétrer le mystère mais elle peutet peut seule rendre compte de la convenance des mots qui l’expriment »

Simone Weil

La pesanteur et la grâce 1

Au fil du temps, au fil des livres, Axel Kahn n’a cessé de répondre au message que son père, Jean Kahn, lui avait laissé avant de se donner la mort : « sois raisonnable et humain ». Il avait alors 26 ans. Il suffit d’égrener les titres de quelques-uns de ses différents ouvrages, « Et l’Homme dans tout ça ? Plaidoyer pour un humanisme moderne », « Raisonnable et Humain », « L’homme, ce roseau pensant », jusqu’à son dernier livre, « Et le bien dans tout ça ? », paru en mars 2021 [ 1 ], pour s’en convaincre : l’Humanité est au cœur de sa réflexion. Étant agnostique, mais un « agnostique évolutionniste » élevé chez les Jésuites, il s’agit plus là d’une quête que d’un chemin de croix ou, comme il aime à le rappeler, « un fil d’Ariane ». C’est certain, Axel Kahn est un incorrigible optimiste qui croit en l’humain. Dans « Être humain pleinement », il utilisait une fiction sur une enfant sauvage pour illustrer la construction de l’humain par la socialisation, l’échange avec autrui, « les êtres s’humanisant les uns les autres pour accéder à toutes les capacités d’un psychisme humain ». Dans « Copies conformes », prenant appui sur les premiers clonages animaux ou sur la révision des lois de bioéthique, il s’interrogeait sur les menaces qui pèsent sur l’humanité. Malgré les progrès techniques des dernières décennies en génétique, et à l’heure de l’utilisation courante du NGS ( next generation sequencing ), connaître l’intégralité du génome humain ne suffit certes pas à définir l’Homme, encore moins à le comprendre. Il incitait alors ses lecteurs – « Et l’Homme dans tout ça ? » – à réfléchir sur l’importance des notions de dignité et de solidarité pour élargir la définition de l’Homme dans toute son acception.

Alors, parmi tous ces recueils, qui semblent comme une déclinaison du même thème, que nous apporte ce dernier livre « Et le Bien dans tout ça » ? Comme la terre, la pierre ou le marbre pour un sculpteur, il nous offre de la matière à penser. Parce qu’Axel Kahn est avant tout un communicant, un passeur enthousiaste, un infatigable transmetteur. Partant de l’article premier – rénové – de la Déclaration des droits de l’homme « Tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en dignité et en droits », dont il avait proposé qu’il soit également l’article premier de la constitution française, il nous livre une définition de l’humain, indissociable de la notion de responsabilité, que celle-ci soit individuelle ou collective. « La responsabilité constitue le seul apanage de l’humain » , dit-il, « responsable parce qu’humain […]. Mais on ne peut être humain pleinement, sans être un homme révolté » . Alors, puisque raison et passion sont chez lui en dialogue constant, il revient sur les attentats de Charlie, interroge les limites de l’éthique en politique, analyse les conséquences du mouvement #MeToo, et défend avec conviction la notion de démocratie en santé. Fort de son expérience et de sa participation à différents groupes de réflexion et comités d’éthique, il nous guide aux confins de nouveaux territoires scientifiques : l’irruption de l’intelligence artificielle en médecine, l’idée d’un ordinateur quantique et peut-être, avec lui, la possibilité d’une raison non humaine… Avant de clore son propos sur l’évolution de notre société moderne et la pandémie actuelle, il livre un chapitre sur les fragilités, le handicap, le retard mental, en rappelant ce très beau poème que Paul Eluard écrivit à l’asile de Saint-Alban-sur-Limagnole en 1943, et dont une stèle du cimetière garde encore la trace de l’inhumanité dans l’indifférence (« Ce cimetière enfanté par la lune… Ce cimetière archipel de mémoire ») 2 . En convoquant certains philosophes marquants, il nous interroge : quoi de plus important, le degré d’artificialité d’un homme réparé ou son degré d’humanité sauvée ?

Son dernier combat en tant que président de la Ligue contre le cancer ? Œuvrer pour que les personnes malades ne soient jamais réductibles à leur maladie, pour l’égalité des soins de patients atteints de cancer et pour leur accompagnement dans la dignité qui leur est due. Chemin faisant, tel Alberto Giacometti qui recommençait sans fin ses sculptures, quitte à épuiser son modèle, il reprend son ouvrage pour esquisser, une fois encore, une définition du bien, « être présent à la fragilité de l’autre » , suivant un principe de réciprocité. Cette notion de réciprocité dans le respect de la dignité d’autrui aura été fondatrice de sa réflexion éthique, de sa vision morale. À tant sur le métier remettre son ouvrage, on pourrait s’interroger sur son insatisfaction. Pourtant, en reprenant sa définition du bonheur « être en adéquation avec ce que l’on espère », il semble que ses émerveillements scientifiques, ses réflexions éthiques et ses longues marches diagonales en France lui aient permis d’atteindre ce Graal et que sa curiosité soit restée inassouvie plutôt qu’insatisfaite. Aura-t-il été, au bout du compte, et comme le lui intimait son père, raisonnable et humain ? Est-il quelqu’un de bien ? « Cet idéal n’est sans doute pas impossible », dit-il , « le regret de n’y pas parvenir non plus… ». Alors qu’il se rassure, s’il n’en a toujours pas la conviction, il n’est probablement pas le meilleur juge et l’inébranlable incertitude a probablement été un moteur puissant !

Liens d’intérêt

L’auteure déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article

 
Footnotes
1 Weil S. La pesanteur et la grâce. Genève : Éditions Agora, 1991 : 288 p.
2 Eluard P. Le lit, la table . Genève : Éditions des Trois Collines, 1944 : 72 p.
References
1.
Kahn A . Et le Bien dans tout ça ? Paris: : Stock; , 2021 : :358. p.