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Med Sci (Paris). 37(10): 831–832.
doi: 10.1051/medsci/2021151.

Une médecine « pour » et « avec » le patient
Les enseignements de la pandémie

Henri-Corto Stoeklé1 and Christian Hervé1,2,3,4*

1Département d’éthique et intégrité scientifique, Hôpital Foch , 40 rue Worth , 92150Suresnes , France
2Université de Paris , Paris , France
3Académie internationale d’éthique, médecine et politique publique, Université de Paris , Paris , France
4Académie vétérinaire de France , Paris , France
Corresponding author.

MeSH keywords: COVID-19, Humains, Médecine, Soins aux patients, SARS-CoV-2, épidémiologie, prévention et contrôle, tendances

 

Face à la pandémie (une épidémie qui s’étend à la planète entière) de la COVID-19, nombre d’innovations scientifiques et médicales ont permis de réagir vite, très vite même. Jusqu’ici, nous subissions, presque sans armes, des pandémies d’une telle ampleur. Aujourd’hui, non seulement nous les comprenons, mais nous les modélisons, nous les combattons. Le fait est que, remarquablement, en l’espace seulement d’une année, le virus responsable de la COVID-19 a été isolé et son génome décrypté, puis ses variants détectés et séquencés au fur et à mesure de leurs apparitions et, surtout, des vaccins, d’un tout nouveau genre, validés pour leur sécurité et leur efficacité, ont été mis au point par des scientifiques, développés par des industriels et ont été rendus disponibles à grande échelle, au moins dans les pays développés [ 1 ] ( ).

(→) Voir la Synthèse de Y. Feraoun et al ., m/s n° 8-9, août-septembre 2021, page 759

En dépit cependant de ces progrès remarquables et inédits dans l’histoire des maladies infectieuses, une défiance, problématique, non négligeable, semble-t-il, résiste à leur propos. Les raisons en sont complexes et demandent d’être analysées.

Dès son apparition, les scientifiques et les cliniciens ont tenté d’expliquer pas à pas au public toutes les évolutions de l’épidémie qui s’est transformée rapidement en pandémie, les dangers immenses de cette dernière et ont décrit la mise au point des vaccins et de leurs tests. C’est alors que ce nouveau mode de communication auquel nous sommes désormais quotidiennement soumis s’est déclenché : nous entendons par là les chaines continues d’information, leurs tables-rondes et leurs journalistes (volontairement ou involontairement anxiogènes), faisant appel à de nombreux et différents professionnels de santé aux connaissances et aux compétences parfois peu adaptées, voire inadaptées, pour répondre aux questions posées, et le tout, sans forme, sans fond, puis sans fin, réponses qui se répandent sur les réseaux sociaux, conduisant parfois jusqu’à l’insulte, entre pairs [ 2 ]. La crédibilité des propos et la confiance envers la médecine et la recherche biomédicale s’en sont trouvées très altérées tant auprès de l’opinion publique qu’auprès des patients.

Force est de constater que minimiser des situations, comme ériger des urgences d’actions ne peuvent restaurer la confiance du patient en de nouvelles solutions thérapeutiques que le corps médical peut proposer ; cela n’est également pas en invoquant des dogmes, fussent-ils appuyés par des résultats incontestables en ce qui concerne, par exemple, la vaccination des populations, assénés comme des vérités. Et devant la vaccination contre la COVID-19, le choix proposé a été : la confiance en la médecine et dans les succès antérieurs et présents de la vaccination contre les maladies infectieuses ou celui de la confiance aveugle dans des théories complotistes, théories qui font florès dans les médias et les réseaux sociaux [ 3 ] ( ).

(→) Voir l’Éditorial de J.L. Teillaud, m/s n° 1, janvier 2021, page 7

Alors aujourd’hui, forts de l’expérience acquise après près de 20 mois de tâtonnements, c’est bien vers une médiation, pragmatique entre les différents acteurs de la santé, dont le patient/acteur, qu’il faut se tourner. Rappelons le, pour exemple, voilà déjà quelque temps qu’est apparue une médecine dite « personnalisée », médecine qui associe patients, cliniciens et chercheurs, pour réaliser concrètement ce qui sonne comme une devise, le « bench to bedside 1 » [ 4 ]. La voie est donc tracée…

L’autre élément de réflexion inspiré par le déroulé de cette période est l’importance qui dans les débats et dans les questionnements a été accordée à la « santé publique » et à « l’épidémiologie » dans les communications et les interviews informant régulièrement les citoyens. Pourquoi ? Parce que voilà déjà quelque temps que se sont développés de nouveaux modèles mathématiques de prévision presqu’en temps réel, permettant d’établir un véritable pont temporel efficace entre les soins et la recherche biomédicale. Et, dans ce nouveau contexte pandémique, les outils informatiques de type « CovidTracker », « VaccinTracker » et « ViteMaDose », développés par le jeune ingénieur français Guillaume Rozier, en sont une intéressante illustration 2 .

Mais cela n’est pas tout : face à ce nouveau virus et à ses vaccins, c’est l’individuel et le collectif qui sont également et étroitement mêlés, faisant resurgir l’idée, essentielle, que l’on ne se vaccine pas seulement pour soi, mais pour l’autre, afin d’atteindre, ensemble, le seuil d’immunité collective. Les effets secondaires éventuels, au niveau individuel, doivent être pris en compte, mais assumés collectivement. Lorsqu’il est question du collectif, les responsabilités de chacun induisent le devoir de celui-ci envers les autres.

Dans ce contexte, on comprend que les droits enfin accordés au patient, il y a près de vingt ans avec la loi du 4 mars 2002 3 , appelée aussi « loi Kouchner », notamment le droit d’être informé sur son état de santé, implique également une meilleure compréhension par le patient de ce qu’est la Science dans son ensemble, pétrie d’incertitudes ; et, pour ce qui concerne la recherche biomédicale, les hypothèses scientifiques et cliniques, qui doivent être reproductibles et validées par les pairs. Dès lors, on comprend la nécessité de prendre en compte, plus concrètement, ce que l’on nomme la « littératie » [ 5 ], c’est-à-dire la capacité de quelqu’un à réellement comprendre une information [ 6 ] ( ), avec ses éléments d’incertitude et ses effacements de limites anciennes. Les professionnels de santé, comme les patients auraient intérêt, dans le cadre de médiations pragmatiques et préparées, d’adopter de telles attitudes et de telles pratiques. De nouvelles attitudes, plus humbles, plus attentives et apaisées, attendues des deux côtés, pourraient, enfin, apparaître, comme lors de l’émergence du sida dans les années 1980. Ici, c’est la compréhension par tous qui en serait l’objectif, et la participation de chacun à s’impliquer, qui en serait la finalité.

(→) Voir l’Éditorial de M. Gaille, m/s n° 8-9, août-septembre 2019, page 603

Comprendre la complexité du vivant nécessite en effet une formation qui peut être longue. Le « patient expert » joue un rôle de médiateur entre les deux communautés : celle des soignants d’un côté, des soignés de l’autre [ 7 ] ( ).

(→) Voir la Synthèse de M. Friconneau et al. , m/s hors série n° 2, décembre 2020, page 759

Il existe des formations de patients experts. Le patient expert doit avoir ou doit gagner la confiance des deux communautés, parce qu’issu de la communauté des patients et/ou parce qu’il a suivi une formation pour comprendre une maladie et les traitements mis en Ĺ“uvre [ 9 ] ( ).

(→) Voir le témoignagede Manon Picchi dans le prochain numéro ( m/s n° 11, novembre 2021)

La prise en charge du patient réclame également de nouvelles approches, tenant compte de l’expérience vécue avec la Covid-19, des leçons tirées de ces moments d’incertitude ou de confusion surmédiatisées, à la télévision, à la radio, dans la presse, ou sur les réseaux sociaux. Nous devons repenser l’information et sa communication à la lumière de la place que le patient devrait désormais occuper, tant au niveau des soins de santé que celui de la recherche biomédicale.

En conclusion, de même que la médecine est faite « pour » le patient, aujourd’hui, l’enjeu est qu’elle le soit aussi « avec » lui, tout au long des étapes médicales, depuis la recherche jusqu’au soin, et que celui-ci ne reste pas dans une attitude de consentement passif, mais soit profondément engagé dans l’action. Dès lors, nulle information ne serait définitive : elle serait dynamique [ 8 ] ( ).

(→) Voir le Forum de H.C. Stoeklé et al. , m/s n° 2, février 2017, page 188

Un refus pourrait alors se transformer, de manière effective, suite à un éclaircissement et à une compréhension indispensable de cette complexité, en une acceptation. Et nous pourrions, peut-être, reconquérir une confiance, hélas, en partie perdue, celle pourtant évidente des bienfaits et de la nécessité de se faire vacciner, mais également d’être tous concernés et mobilisés, en particulier devant à une pandémie d’une telle ampleur.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Remerciements

Les auteurs remercient l’aide apportée par Suzy Mouchet à la réalisation de ce texte.

 
Footnotes
1 Littéralement « de la paillasse (du chercheur) au lit du malade ».
3 La Loi du 4 mars 2002 (dite « loi Kouchner ») consacre deux principes étroitement liés l’un à l’autre : le consentement libre et éclairé du patient aux actes et traitements qui lui sont proposés et son corollaire, le droit du patient d’être informé sur son état de santé (article L.1110-2 du Code de la santé publique). https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000227015/
References
1.
Feraoun Y , Maisonnasse P , Le Grand R , Beignon AS . COVID-19, des vaccins à la vitesse de l’éclair. . Med Sci (Paris). 2021; ; 37 : :759. – 72 .
2.
Vingtième anniversaire des Journées franco-québécoise de l’Institut international de recherche en éthique biomédicale. Intégrité scientifique, fausses nouvelles, et réseaux sociaux », Table ronde « Fraude scientifique et omplotisme. Avec Claude Huriet, Cédric Villani, Anne-Marie Duguet, Sylvie Retailleau, Sylvestre, Alain Ducardonnet. https://www.youtube.com/watch?v=dfC9eoqkY8E&t=6092s .
3.
Teillaud JL . médecine/sciences : 2021, résister, parler de la recherche et aller de l’avant ! Med Sci (Paris). 2021; ; 37 : :7. – 8 .
4.
Wolf S . The real gap between bench and bedside. . N Engl J Med. 1974; ; 290 : :802. – 803 .
5.
OCDE. . La littératie à l’ère de l’information: rapport final de l’enquête internationale sur la littératie des adultes. . Paris: : OCDE; , 2000 .
6.
Gaille M. Pour un nouveau « Code de Nuremberg » : de quelques enjeux contemporains du consentement. . Med Sci (Paris). 2019; ; 35 : :603. – 604 .
7.
Friconneau M , Archer A , Malaterre J , et al. Le patient-expert. . Med Sci (Paris). 2020; ; 36 : :62. – 4 .
8.
Stoeklé HC Deleuze JF Vogt G Hervé C Vers un consentement éclairé dynamique. . Med Sci (Paris). 2017; ; 33 : :188. – 192 .
9.
Picchi M . De la patiente experte à l’actrice de la démocratie en santé : journal de bord. . Med Sci (Paris). 2021; ; 37 (sous presse).