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Med Sci (Paris). 37(8-9): 791–792.
doi: 10.1051/medsci/2021120.

Histoire du cerveau et des neurosciences : repères historiques (XIX e -XX e siècles)
Une introduction générale

Céline Paillette,1* Pascal Griset,2** and Yves Agid3***

1Secrétaire scientifique du Comité pour l’histoire de l’Inserm, Inserm , 101, rue de Tolbiac75654Paris Cedex 13 , France
2Professeur à Sorbonne Université, président du Comité pour l’histoire de l’Inserm, Inserm , 101, rue de Tolbiac75654Paris Cedex 13 , France
3Professeur émérite à Sorbonne Université, membre de l’Académie des Sciences, membre fondateur de l’Institut du cerveau et de la moelle épinière, ICM CHU Pitié-Salpêtrière , 47, boulevard de l’Hôpital , 75013Paris , France
Corresponding author.

MeSH keywords: Encéphale, Humains, Neurosciences

 

Vignette (Photo © Inserm/Saoudi, Yasmina).

Émergeant aux États-Unis, au début des années 1960, le terme «  neurosciences  », alors au pluriel également en anglais, renvoie à un projet de connaissances pluridisciplinaires du cerveau et du système nerveux, de la pensée et du comportement [ 1 ]. L’histoire des neurosciences est aussi l’histoire d’une communauté scientifique d’hommes et de femmes qui ont été les entrepreneurs des neurosciences et de leur succès. Ces derniers ont participé à la construction d’une identité commune et d’une histoire partagée, voire standardisée des neurosciences, inhérentes à la légitimation du champ. Puisées dans le passé, des figures pionnières, des lieux emblématiques, des images incontournables, des innovations techniques donnent vie à cette histoire des neurosciences, tout en éclairant un projet fédérateur et unitaire. Aujourd’hui, les neurosciences sont « partout ». Elles sont au cœur de débats qui dépassent très largement les sphères de la recherche biomédicale. Aux risques d’une spécialisation excessive, auxquels se trouvent confrontées nombre de disciplines scientifiques, s’ajoute en effet l’appropriation de ce domaine par des approches d’une extraordinaire diversité, portées par différents acteurs de la société – notamment politiques et médiatiques –, dont les préoccupations sont parfois éloignées des préoccupations scientifiques, et qui, dans la logique conflictuelle inhérente aux controverses, pourraient néanmoins prétendre à devenir hégémoniques, comme l’illustrent par exemple les débats sur la place des neurosciences dans les sciences de l’éducation 1 .

De fait, l’histoire des sciences s’intéressant au cerveau et au système nerveux est marquée, dans la longue durée, par une continuité : celle des questionnements posés par la relation entre le corps et l’esprit [ 2 ]. Cette dialectique a souvent conduit à l’affrontement entre les individus, les sphères religieuses et les cercles scientifiques qui les portaient. Depuis le xvi e siècle, puis aux temps des Lumières 2 , les figures du philosophe et de l’anatomiste ont incarné ces tensions dialectiques [ 3 , 4 ]. Le cerveau est-il le siège de l’âme ? Quels liens entre la matière – fût-elle vivante – et la pensée ? Si la connaissance de l’essence humaine est un horizon qui ne peut durablement être éludé, les recherches sur le cerveau n’ont cependant progressé qu’en mettant de côté cet horizon, à bien des égards hors de portée, afin de se concentrer sur des objectifs plus accessibles. Comprendre, soulager, soigner, réparer… Aujourd’hui, ces ambitions se nourrissent de savoirs qui semblaient, il y a peu encore, inaccessibles. Les progrès réalisés et les techniques développées ont donné au domaine scientifique des neurosciences une visibilité exceptionnelle dans les débats social et politique.

Sur quels socles cette discipline s’est-elle construite ? Quelles furent les étapes de cette progression ? Quelles dynamiques l’ont-elle animée ? Selon certaines interprétations actuelles, l’avancée des techniques d’observation et d’exploration serait le moteur historique des sciences du cerveau et du système nerveux, et le « déclencheur » des avancées du xx e siècle. Cette vision serait confortée par le fait que, depuis l’avènement de la théorie neuronale à la fin du xix e siècle, les neurosciences n’auraient pas connu de véritable changement de paradigme, comparable par exemple à celui qu’a provoqué la découverte de la structure de l’ADN [ 5 ].

Une telle hypothèse ne peut cependant constituer une base réellement satisfaisante pour aborder un domaine scientifique qui dépend de champs multiples arrimés à des concepts, des sensibilités, mais également des croyances, qui livrent au regard de l’historien(ne) des sciences un spectre d’une extraordinaire diversité. Les conceptions sur la nature et les fonctions du cerveau ne peuvent en effet se «  ranger selon l’ordre linéaire d’une filiation continue  » [ 6 , p. 599].

L’ambition des auteurs des deux articles de synthèse sur ce sujet, couvrant essentiellement les xix e et xx e siècles, est donc de donner des repères, d’identifier les articulations principales, la multiplicité des acteurs et de leurs interactions, pour proposer les repères historiques nécessaires pour identifier et analyser la construction originelle d’un champ scientifique dont la complexité n’a d’égale que celle de l’organe qui en est l’objet [ 7 ].

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Le lecteur pourra lire sur les neurosciences de l’apprentissage, Jean-Gaël Barbara. Apprendre à apprendre, approche historique de la neuropédagogie et débat actuel. Esprit, juin 2020, n° 465, édition numérique sur https://esprit.presse.fr
2 Le Siècle des Lumières fait référence à un mouvement philosophique, littéraire et culturel en Europe au XVIIIe siècle (de 1715 à 1789), qui se propose de dépasser l’obscurantisme et de promouvoir les connaissances.
References
1.
Abi-Rached R , Rose N . Historiciser les neurosciences. In : Moutaud B , Chamak B (eds). Neurosciences et société : enjeux des savoirs et pratiques sur le cerveau. . Paris: : Armand Colin; , 2014 : :51. – 77 .
2.
Bovet E , Kross C , Panese F , et al. Les neurosciences à l’épreuve de la clinique et des sciences sociales. . Regards croisés. Rev Anthropol Connaiss. 2013; ; 7 : :555. – 569 .
3.
Harrington A. . The brain and the behavorial sciences. In : Bowler P , Pickstone J (eds). The Cambridge history of science. , vol. 6. The modern biological and earth sciences. Cambridge: : Cambridge University Press; , 2009 : :504. – 523 .
4.
Chérici C , Dupont JC Les querelles du cerveau. Comment furent inventées les neurosciences. . Paris: : Vuibert; , 2008 .
5.
Hagner M , Borck C Mindful practices: on the neurosciences in the twentieth century. . Sci Context. 2001; ; 14 : :507. – 510 .
6.
Laplassotte F. Quelques étapes de la physiologie du cerveau du xvii e au début du xix e siècle . . Ann Economies Sociétés Civilisations. 1970; ; 3 : :599. – 613 .
7.
Du cerveau aux neurosciences : itinéraires dans la longue durée. Cahiers Comité Histoire Inserm 2021; 2 (2 vol.). En libre accès sur www.ipubli.inserm.fr . .