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Med Sci (Paris). 37(8-9): 752–758.
doi: 10.1051/medsci/2021111.

Cellules α et β du pancréas
Meilleures ennemies ou partenaires pour la vie ?

Karen Leal Fischer,1* Manon Jaffredo,1* Jochen Lang,1 and Matthieu Raoux1**

1Institut de chimie et de biologie des membranes et des nano-objets, CBMN, Université de Bordeaux, CNRS UMR 5248 , B14 allée Geoffroy Saint Hilaire , F-33600 , Pessac , France
Corresponding author.
 

Vignette (Photo © Matthieu Raoux).

Les îlots pancréatiques de Langerhans : tour de contrôle de l’équilibre glycémique

Le pancréas est une glande, située proche du foie, qui exerce deux fonctions distinctes, exocrine et endocrine. Sa fonction exocrine (pancréas exocrine) consiste en la production par les cellules acinaires d’enzymes digestives qui dégradent les aliments. Sa fonction endocrine (pancréas endocrine), qui est vitale pour l’organisme, consiste en la sécrétion d’hormones assurant le maintien de la glycémie dans une gamme de concentrations étroite de quelques millimolaires chez un sujet sain ( Figure 1 ) . Ce contrôle glycémique précis est essentiel. Le sucre constitue en effet la principale source d’énergie des cellules. Sa diminution, lors d’hypoglycémies, peut rapidement conduire à des troubles neurologiques, voire au coma ou à la mort. À l’inverse, en cas d’excès prolongé, comme dans les diabètes sucrés, le sucre devient un véritable « poison » pour les organes.

Les hormones produites par le pancréas endocrine ciblent principalement le foie, les muscles et le tissu adipeux, afin de libérer du sucre, lorsque l’organisme en a besoin, ou pour capter le glucose sanguin en excès. Ces hormones ciblent également le cerveau qui contrôle la prise alimentaire. Impliquant de nombreux organes, l’homéostasie glucidique est complexe à étudier. Elle est également liée au métabolisme des autres nutriments, comme les acides aminés et les lipides. Or les protocoles utilisés in vivo , présentés comme « physiologiques » chez l’animal pour étudier l’homéostasie du glucose, consistent souvent en des injections intra-péritonéales de « bolus » de glucose. Ces protocoles ne reproduisent donc ni la voie digestive naturelle, ni la diversité des nutriments, et les observations qui sont alors faites nécessitent d’être interprétées avec prudence. Les administrations orales de mélanges de nutriments sont en effet préférables, afin de rendre compte de la complexité des processus impliqués dans la régulation de l’homéostasie nutritionnelle.

Dans cet équilibre glycémique et nutritionnel impliquant plusieurs organes, le pancréas endocrine joue en fait le rôle de « tour de contrôle ». Il ne représente pourtant que 1 à 2 % de la masse totale du pancréas. Les micro-organes qui le composent, les îlots de Langer-hans, sont constitués de quelques dizaines à quelques centaines de cellules ( Figure 1 ) , qui assurent cette fonction endocrine essentielle. Ils sont disséminés au sein du pancréas exocrine, ce qui rend leur étude particulièrement difficile. Chez l’homme, on compte plusieurs millions d’îlots (la souris en possède environ 1 000). Ces îlots sont richement vascularisés. Cette vascularisation permet aux cellules d’îlots de détecter les nutriments présents dans le sang, mais aussi de libérer les hormones régulatrices le plus efficacement possible. Les îlots sont composés de plusieurs types de cellules dont les principales sont les cellules β (50 à 75 % selon les espèces), qui sécrètent l’insuline (hypoglycémiante), et les cellules α (20-35 %), qui libèrent le glucagon, aux effets opposés à ceux de l’insuline sur la glycémie (hyperglycémiant) ( Figure 1 ) [ 1 ]. Parmi les autres types cellulaires, les cellules δ (5 à 10 %) sécrètent la somatostatine, une hormone connue pour inhiber les cellules β et α. Alors que la cellule β pancréatique a une fonction vitale pour l’organisme, elle ne représente qu’une seule cellule sur 100 000 cellules.

Une altération de la fonction des îlots peut conduire à des troubles métaboliques importants, comme les diabètes sucrés. Ces maladies très répandues sont caractérisées par une dérégulation de la glycémie, et plus précisément par une hyperglycémie chronique. Elles se manifestent principalement sous deux formes : le diabète de type 1 (DT1) et le diabète de type 2 (DT2). Dans le DT1, les cellules β sont détruites par des réactions auto-immunes. Le DT2 est dû à un déficit de sécrétion d’insuline (insulinopénie) par les cellules β qui sont cependant toujours présentes. Dans le DT2, se développe également une insulino-résistance se traduisant par un défaut d’action de l’insuline sur les tissus cibles [ 2 ] ( ).

(→) Voir la Synthèse de J. Capeau, m/s n° 8-9, août-septembre 2003, page 834

Le DT1 et le DT2 conduisent à une hyperglycémie chronique avec des conséquences désastreuses, principalement vasculaires, au niveau du cœur, des reins et des yeux, ou affectant la peau, notamment au niveau du pied [ 3 ].

Les diabètes ont longtemps été appréhendés comme des maladies de la cellule β uniquement. Mais les patients atteints de diabète présentent également des modifications de la sécrétion d’autres hormones produites par les îlots, notamment de la sécrétion du glucagon par les cellules α [ 4 - 6 ]. Ces cellules α ont longtemps été considérées comme ayant uniquement des actions indépendantes et opposées aux cellules β. Or, ces dernières années, des travaux ont montré que les cellules α communiquaient directement avec les cellules β pour agir de manière synergique sur le contrôle de la glycémie [ 5 , 7 - 12 ].

Les cellules b : intégrateurs d’informations pour une sécrétion optimale et coordonnée d’insuline

La cellule β est la plus étudiée des cellules d’îlots, en raison de son nombre et de son rôle dans les diabètes sucrés. Elle intègre des signaux nutritionnels, hormonaux et nerveux pour ajuster en permanence sa sécrétion d’insuline. Elle reçoit également des signaux via d’autres messagers libérés au sein même des îlots par les cellules β voisines ( e.g. acide gamma-aminobutyrique [GABA], sérotonine, zinc) et par les cellules non β ( e.g. glucagon, acétylcholine, somatostatine, corticolibérine [ou CRH, corticotropin releasing hormone ]) [ 13 ].

Le glucose est le principal stimulus des cellules β. Il pénètre dans la cellule par des transporteurs spécifiques (GLUT), où il est métabolisé, produisant ainsi des molécules de couplage dont la principale est l’ATP ( Figure 2 ) . L’augmentation du ratio ATP/ADP dans le cytosol induit la fermeture des canaux potassiques dépendants de l’ATP (K ATP ), conduisant à une dépolarisation de la membrane plasmique, puis à une activation et une inactivation séquentielle de canaux ioniques dépendants du potentiel de membrane. Un signal électrique est alors généré et l’entrée de calcium qui en résulte, avec une dynamique bien précise, déclenche l’exocytose des vésicules d’insuline ( Figure 2 ) [ 1 , 14 ] ( ).

(→) Voir la Nouvelle de P. Ferré, m/s n° 8-9, août-septembre 2005, page 694

Les cellules β sécrètent l’insuline de manière coordonnée, notamment grâce à des jonctions communicantes (ou jonctions GAP) formées entre elles par les connexines 36 ( Figure 2 ) . Ainsi « connectées », les cellules β sécrètent plus efficacement l’insuline que lorsqu’elles fonctionnent indépendamment les unes des autres ( Figure 3 ) [ 15 ]. Certains travaux suggèrent l’existence de cellules β pacemakers ou leaders [ 16 ], y compris in vivo [ 17 ], qui seraient plus « connectées » aux autres, même si cela reste encore très débattu [ 18 ]. Lorsque, au cours d’un repas, le glucose est détecté par les cellules β, la sécrétion d’insuline qui en résulte suit une cinétique optimale, tenant compte des impératifs physiologiques. Cette cinétique comprend deux phases caractéristiques [ 15 ] : une première constituée d’un pic transitoire (qui dure moins de 20 minutes) agissant principalement sur le foie pour rapidement diminuer la glycémie. Elle est suivie d’une seconde phase de « maintien », avec un plateau oscillatoire, qui cible principalement les muscles et les adipocytes. L’origine de cette cinétique fut longtemps débattue et des travaux récents ont montré qu’elle impliquait des changements de couplage entre cellules β, permettant l’installation d’un mode d’activité « économique » des cellules β lors de la seconde phase [ 15 ]. Dans des conditions diabétogènes, cette cinétique est altérée, avec une augmentation de l’activité basale des cellules β lorsque le taux de glucose est bas, une réduction de la quantité d’insuline sécrétée lors de la première phase et une diminution des oscillations lors de la seconde phase [ 15 , 19 ].

Pour ajuster précisément la quantité d’insuline sécrétée aux besoins physiologiques, les cellules β intègrent d’autres informations que le taux de glucose, comme certains signaux qui les préparent à l’arrivée des nutriments. En effet, la vue et l’odeur des aliments activent le système nerveux parasympathique qui libère dans les îlots de l’acétylcholine, un neurotransmetteur excitateur qui « prépare » les cellules β à la sécrétion. Après la prise de nourriture, le passage des nutriments dans l’intestin provoque la libération dans la circulation sanguine d’hormones incrétines, comme le GLP-1 ( glucagon-like peptide-1 ) qui est produit par des cellules intestinales entéro-endocrines, les cellules L [ 20 ] ( ).

(→) Voir la Mini-Synthèse de B. Thorens, m/s n° 8-9, août-septembre 2003, page 860

Ces incrétines gagnent ensuite les îlots pour potentialiser les effets du glucose sur la sécrétion d’insuline par les cellules β [ 1 , 20 ].

Les connaissances actuelles sur les cellules β sont surtout centrées sur leur réponse au glucose. Or, les autres nutriments sont également détectés par les cellules β et influencent leur sécrétion d’insuline ( Figure 3 ) . L’alimentation humaine était constituée, à l’origine, principalement de protéines et de glucides. Nos régimes alimentaires ayant évolué, comportant désormais plus de sucres et de graisses [ 21 ], l’organisme a dû s’adapter afin de réguler l’arrivée de l’ensemble de ces nutriments. L’action des lipides sur les cellules β est bien documentée en raison de leur lien avec le DT2 [ 22 ] ( ).

(→) Voir la Synthèse de J. Girard, m/s n° 8-9, août-septembre 2003, page 827

Les lipides interviennent assez tardivement au cours de la digestion. Les acides aminés (AA) interviennent plus précocement, mais leurs effets sur la sécrétion d’insuline par les cellules β ont été moins étudiés ( Figure 3 ) . En pénétrant dans les cellules par des transporteurs spécifiques, certains AA, comme la lysine ou l’arginine, dépolarisent directement la membrane des cellules β. D’autres, comme la leucine ou l’alanine, sont d’abord métabolisés, ce qui entraîne une augmentation de la quantité d’ATP synthétisé et donc la fermeture des canaux K ATP , ce qui dépolarise également la membrane. Des AA, comme la glycine, se fixent sur des récepteurs ionotropiques membranaires, ce qui provoque l’ouverture de canaux cationiques dépolarisants, ou se lient à des récepteurs couplés aux protéines G, comme le tryptophane sur le récepteur GPR142 ( G protein-coupled receptor 142 ) [ 1 , 23 ]. Cependant, certains AA agissent surtout indirectement sur les cellules β, en interagissant avec les cellules α, plus « sensibles » à ces AA. Ainsi, les cellules a agiraient au sein des îlots comme de véritables détecteurs d’AA [ 1 , 7 , 8 , 24 ] ( Figure 3 ) .

La cellule a, adversaire ou partenaire de la cellule b ?

La cellule α produit, à partir du proglucagon, le glucagon dont l’effet hyperglycémiant, opposé aux effets de l’insuline, est le plus documenté [ 4 ]. Le fonctionnement de cette cellule est en réalité complexe. La courbe de dépendance au glucose de la sécrétion du glucagon par ces cellules présente une forme de « L ». En effet, la libération de glucagon est maximale quand la concentration de glucose est faible. Lorsque le glucose augmente, la sécrétion de glucagon diminue jusqu’à ce que le niveau de glucose atteigne environ 6 mM. Au-delà de 6 mM, la sécrétion de glucagon reste réprimée, même pour des concentrations élevées de glucose [ 1 , 4 ]. Cette courbe de dépendance au glucose est altérée dans le DT2, avec moins de sécrétion de glucagon en hypoglycémie et d’avantage en hyperglycémie, contribuant ainsi potentiellement au développement de la maladie [ 1 , 4 , 6 ]. Les mécanismes par lesquels le glucose régule la sécrétion de glucagon par les cellules α sont complexes et ne sont pas totalement élucidés [ 4 ]. Le glucose possède à la fois une action directe sur ces cellules, via sa métabolisation et des activations et inactivations de canaux ioniques (facteurs intrinsèques), mais aussi une action indirecte, via des signaux paracrines provenant des cellules β et δ (facteurs extrinsèques).

Si l’action du glucose sur les cellules α est importante, de nombreux travaux identifient ces cellules comme le « détecteur » principal des AA au sein des îlots ( Figure 3 ) . En synergie avec l’insuline, le glucagon participe d’ailleurs aux métabolismes des lipides et des AA en stimulant la lipolyse des tissus adipeux et le stockage des AA par le foie [ 4 ] ( Figure 4 ) . Outre le glucose, les cellules α détectent 17 des 20 AA naturels [ 24 ]. Ainsi, lorsque les taux plasmatiques de glucose et d’AA augmentent après un repas, à la fois l’insuline et le glucagon sont sécrétés, ce qui est rarement pris en compte [ 5 ] ( Figure 3 ) . La synergie entre glucagon et insuline permet ainsi de faire face à l’apport de l’ensemble des nutriments, et pas uniquement du glucose. Surtout, cette synergie implique, au niveau des îlots, des communications entre les cellules α et les cellules β, qui commencent à être explorées ( Figure 3 , 4 ) . Si les communications entre cellules β ont été beaucoup étudiées pour leur rôle essentiel dans la dynamique de sécrétion de l’insuline [ 15 ] ( Figure 2 ) , les échanges hétérologues entre les cellules β et les cellules non β, bien que déterminants, restent encore mal connus. Récemment, des couplages électriques ont été observés entre les cellules β et les cellules δ [ 25 ]. Dans les années 1980, des couplages avaient été suggérés entre les cellules β et les cellules α [ 26 ], bien que cela n’ait jamais été confirmé aux niveaux moléculaire et fonctionnel. Les communications entre cellules α et cellules β sont en fait surtout chimiques, empruntant une voie paracrine : la cellule β inhibe la cellule α, de manière directe et indirecte via les cellules δ [ 13 ]. La cellule α, en libérant le glucagon, stimule l’activité de la cellule β [ 5 , 7 , 10 ] ( Figure 3 , 4 ) . D’autres molécules produites par les cellules α peuvent également stimuler les cellules β, comme l’acétylcholine, notamment chez l’homme. Le GLP-1, qui est sécrété par les cellules intestinales entéro-endocrines, peut aussi être libéré par les cellules α, notamment lors du vieillissement, ou à la suite d’un stress métabolique [ 12 ]. Si le glucagon est le principal médiateur entre cellules α et β ( Figure 3 , 4 ) , ses effets paracrines sur les cellules β sont surtout dus à sa liaison au récepteur du GLP-1. Le glucagon peut en effet se fixer à la fois sur ses propres récepteurs (récepteurs du glucagon) et sur les récepteurs du GLP-1. Comme les cellules β expriment un plus grand nombre de ces derniers récepteurs, l’action du glucagon sur les cellules β est principalement liée aux récepteurs du GLP-1 [ 8 , 9 , 27 ].

Si l’insuline réduit le niveau de sucre et augmente le métabolisme des AA, le glucagon augmente la glycémie tout en étant nécessaire au métabolisme des AA [ 1 ]. Localement, lorsque les AA arrivent au sein des îlots, ils stimulent surtout les cellules α, ce qui augmente ainsi l’influence paracrine stimulatrice des cellules α sur les cellules β ( Figure 3 ) . Cette influence paracrine a été démontrée ex vivo dans des travaux récents utilisant des mélanges d’AA à des concentrations physiologiques [ 7 ]. Elle disparaît lorsque les cellules β n’expriment plus les récepteurs du glucagon et du GLP-1 [ 7 , 8 , 11 ]. Ainsi, les AA qui arrivent après un repas stimulent les cellules α qui, à leur tour, en libérant différents médiateurs comme le glucagon, augmentent la capacité des cellules β à répondre à l’arrivée des divers nutriments en déclenchant une sécrétion d’insuline plus efficace et adaptée à chaque type de repas [ 1 , 7 , 11 ] ( Figure 4 ) .

Mais ces influences fonctionnelles paracrines explorées ex vivo sur des îlots isolés se produisent-elles in vivo ? Étant donné l’implication de multiples organes dans la réponse aux nutriments, les relations fonctionnelles qui existent entre les différentes cellules des îlots restent difficiles à explorer in vivo . Une approche transgénique élégante a été néanmoins développée chez la souris pour étudier le phénomène ex vivo et in vivo . Celle-ci consiste à faire exprimer le récepteur humain de la toxine diphtérique par un type cellulaire déterminé des îlots, afin de le supprimer sélectivement après injection de la toxine diphtérique 1 . L’élimination de ces cellules permet ensuite de déterminer leur influence sur l’homéostasie glucidique et sur les autres cellules d’îlots [ 28 ] ( ).

(→) Voir la Nouvelle de F. Thorel et P.L. Herrera, m/s n° 10, novembre 2010, page 906

Par cette approche, des résultats contradictoires ont été obtenus sur l’influence des cellules α sur l’homéostasie glucidique. En effet, une première étude n’a pas mis en évidence d’altération de la tolérance au glucose et de la sécrétion d’insuline induite par le glucose lorsque la quantité de cellules α est fortement réduite (environ 2,5 % de cellules α résiduelles) [ 29 ]. Mais une autre étude, plus récente, utilisant une lignée de souris différente, a permis d’obtenir une déplétion plus importante des cellules α (avec environ 0,4 % de cellules α résiduelles) et plus stable dans le temps (jusqu’à 63 semaines) [ 12 ]. Dans ce modèle, la sécrétion d’insuline induite par le glucose ex vivo est fortement réduite et une intolérance au glucose in vivo se développe avec l’âge. Toutefois, ces études n’ont évalué que les effets du glucose. Il serait intéressant d’étudier comment la glycémie de ces animaux évolue lorsque des AA et des lipides leur sont administrés en plus du glucose, afin de reproduire plus fidèlement la prise alimentaire.

Une modélisation mathématique de l’homéostasie glucidique tenant compte des interactions mutuelles entre cellules α et cellules β a d’ailleurs été réalisée [ 5 ]. Dans ce modèle in silico , les simulations ont montré que les interactions entre ces deux types cellulaires permettent un contrôle plus précis de la glycémie, limitant à la fois l’hyper- et l’hypoglycémie, que lorsque les interactions fonctionnelles entre les cellules α et β sont supprimées. In vivo , l’importance de ces interactions a également été montré : la coopération dynamique entre les cellules α et les cellules β fixe en effet le point d’équilibre de la glycémie de l’organisme entier 2, , à la manière d’un « glucostat » [ 10 ] ( Figure 4 ) . Chaque espèce possède son propre point d’équilibre glycémique (5 mM chez l’homme, 2,8 mM chez le singe et 8,3 mM chez la souris). Ce dernier est déterminé par la composition des îlots, qui est différente selon l’espèce. Des îlots provenant d’une espèce donneuse (par exemple, l’homme) greffés à des animaux d’une espèce receveuse différente (la souris) imposent ainsi le point d’équilibre de l’espèce donneuse à l’animal receveur. Ce processus est inhibé par un antagoniste des récepteurs du glucagon spécifique de l’espèce donneuse, montrant que les cellules α et les régulations paracrines qu’elles opèrent via le glucagon sécrété jouent un rôle fondamental dans la fixation du point d’équilibre glycémique [ 10 ].

Perspectives

Les cellules α jouent donc un double rôle : elles contre-régulent l’action des cellules β lors de l’hypoglycémie (action extra-pancréatique) ; et elles participent à la réduction de la glycémie post-prandiale, en interagissant avec les cellules β dans un contexte où les acides aminés et les lipides interviennent (action intra-pancréatique). Toutefois, la plupart des conclusions qui ont été tirées sont issues d’expériences réalisées chez le rongeur, notamment en raison de l’utilisation de modèles transgéniques. Or, des différences importantes, concernant le ratio entre cellules α et cellules β et l’architecture même des îlots, existent entre espèces [ 1 ]. Il est donc systématiquement nécessaire de vérifier que les résultats obtenus chez le rongeur sont confirmés avec les îlots humains.

La manière la plus directe de caractériser les régulations entre cellules α et cellules β est l’utilisation d’îlots isolés. Toutefois, dans ces études réalisées ex vivo , les influences extra-pancréatiques, comme les hormones incrétines (telles que le GLP-1) produites par l’intestin ou les neuromédiateurs du système nerveux, ne s’exercent pas, même si elles peuvent être plus ou moins mimées pharmacologiquement en utilisant des concentrations physiologiques de ces molécules [ 15 ]. Les interactions entre les cellules des îlots peuvent aussi être étudiées de façon plus intégrée sur des îlots après isolement puis transplantation, notamment dans la chambre antérieure de l’œil chez la souris [ 10 ]. Cette approche permet en effet, après revascularisation et ré-innervation des îlots transplantés, de suivre les dynamiques calciques des cellules lors de l’administration de nutriments [ 17 ]. Cependant, si dans ces expériences les îlots peuvent être d’origine humaine, les autres organes mis en jeu restent ceux de la souris hôte. Le recours futur à des systèmes multi-organes sur puce ( organs-on-a-chip ) utilisant du matériel biologique d’origine humaine, notamment issu de cellules souches [ 30 ], pourrait être une alternative intéressante.

D’un point de vue physiopathologique, de nombreuses observations indiquent que les cellules α sont altérées dans le DT2 [ 4 - 6 ], même si cela pourrait ne pas concerner toutes les formes de DT2 [ 4 ]. Il apparaît désormais indispensable de prendre en compte les interactions entre cellules α et b dans la compréhension du DT2, mais aussi dans son traitement et la recherche de nouvelles thérapies. Des cellules β leaders ont récemment été identifiées au sein des îlots [ 16 , 17 ] et seraient altérées dans des conditions diabétogènes [ 16 ]. Il sera intéressant de savoir, par des approches optiques ou électrophysiologiques ( multielectrode arrays à haute densité d’électrodes) [ 15 ] par exemple, si les cellules α ont des liens fonctionnels spécifiques avec ces cellules β leaders et si elles participent à la coordination des cellules β.

Concernant le DT1, le remplacement des cellules β détruites par des organoïdes formés de cellules « b -like  », issues de cellules souches pluripotentes induites (iPSC) après re-différenciation spécifique, est une perspective enthousiasmante. En effet, ces iPSC sont obtenues à partir de cellules qui peuvent être facilement isolées de patients (comme des cellules de la peau) [ 30 ]. Mais cette médecine personnalisée devra absolument tenir compte des interactions intra-îlots afin de générer des pseudo-îlots composés de cellules β, mais aussi de cellules α et δ dans les proportions nécessaires et suffisantes. En effet, les cellules δ, moins étudiées jusqu’à présent, constitueraient un troisième acteur important, qui s’active avec le glucose lors de la prise alimentaire, et qui inhibe à la fois les cellules β et les cellules α [ 1 ]. Ce « ménage à 3 » entre cellules β, α et δ, devra nécessairement être étudié en tenant compte de stimulus autres que le glucose, comme les acides aminés et les lipides, les hormones extra-pancréatiques et les régulations nerveuses, rendant ainsi toujours plus fascinante l’exploration fonctionnelle de ce réseau de cellules d’îlots qui, en établissant un véritable « dialogue » au sein de ces micro-organes, ont un impact considérable sur l’ensemble de l’organisme.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
* Contributions égales
1 L’administration de la toxine diphtérique (DT) induit la mort des cellules qui expriment le récepteur de la toxine (DTR).
2 C’est-à-dire la valeur de glycémie optimale entre hyper- et hypoglycémie.
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