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Med Sci (Paris). 37(8-9): 716–719.
doi: 10.1051/medsci/2021100.

Par ici la sortie ! Le SARS-CoV-2 utilise les lysosomes pour sortir de la cellule infectée

Riddhi Atul Jani,1* Laura Salavessa,1* and Cédric Delevoye1**

1CNRS UMR 144, Structure et compartiments membranaires, Institut Curie, université de recherche PSL , 12 rue Lhomond , 75005Paris , France .
Corresponding author.
*Ces auteurs ont contribué à cet article à parts égales

MeSH keywords: Angiotensin-converting enzyme 2, COVID-19, Endocytose, Exocytose, Humains, Lysosomes, SARS-CoV-2, Pénétration virale, Libération de particules virales, métabolisme, virologie, physiologie

 

Depuis les premiers signalements de patients atteints de pneumonie virale en République populaire de Chine à la fin de l’année 2019, la pandémie actuelle de COVID-19 ( coronavirus disease 2019 ) a entraîné une crise sanitaire mondiale. Le responsable est un nouveau β-coronavirus, isolé au début de l’année 2020 [ 1 ] ( ), à l’origine d’un syndrome respiratoire aigu sévère ( severe acute respiratory syndrome ou SARS ) : le SARS-CoV-2 ( SARS coronavirus 2 ). C’est un virus enveloppé à ARN simple brin positif, reconnaissable en microscopie électronique grâce aux projections de glycoprotéine S ( spike ) qui ornent sa surface, ressemblant à une couronne ( corona ). Plus généralement, les virus de la famille Coronaviridae représentent un enjeu sanitaire majeur car ils sont souvent responsables de maladies respiratoires ou intestinales hautement transmissibles.

(→) Voir la Synthèse de F. Iseni et J.N. Tournier, m/s n° 8-9, août-septembre 2020, page 797

En tant que parasite intracellulaire obligatoire, le virus détourne la machinerie d’une cellule hôte pour se reproduire. Cette cellule hôte contient différents compartiments membranaires, ou organites, qui échangent divers composants en utilisant les voies du trafic intracellulaire. Parmi elles, la voie de sécrétion achemine des protéines néo-synthétisées à travers le réticulum endoplasmique, l’appareil de Golgi, et les vésicules d’exocytose, lesquelles sont transportées à la périphérie cellulaire et fusionnent avec la membrane plasmique pour libérer leur contenu dans l’espace extracellulaire. La voie d’endocytose permet également l’absorption de molécules solubles et membranaires, qui sont triées dans les endosomes avant de retourner à la surface cellulaire ou d’être dégradées dans les lysosomes, des organites à activité protéolytique et au pH acide. Lors du cycle infectieux, un virus peut exploiter ces organites et ces voies du trafic intracellulaire comme véhicules et chemins de sortie de la cellule hôte afin de transmettre de nouveaux virions aux cellules voisines. De nombreux virus enveloppés sortent de la cellule en empruntant la voie de sécrétion [ 2 ], mais les résultats d’une étude récente suggèrent que les coronavirus et le SARS-CoV-2 utilisent le lysosome comme voie de sortie alternative [ 3 ].

La clé d’entrée cellulaire du SARS-CoV-2 est sa protéine spike , qui facilite son internalisation en se liant au récepteur ACE2 (enzyme de conversion de l’angiotensine 2) ( Figure 1 ) [ 4 ]. Une fois internalisé, le virus réside dans une vésicule d’endocytose, qu’il quitte rapidement pour libérer, dans le cytosol de la cellule hôte, son matériel génétique. Ce génome viral est traduit en protéines permettant la production d’ARN génomiques viraux, lesquels contribueront à la formation de nouveaux virions par l’exploitation de membranes dérivées du réticulum endoplasmique et de l’appareil de Golgi ( Figure 1 ) . C’est là que débute l’étude de Ghosh et al. [ 3 ], qui explore comment les virions d’un β-coronavirus murin, le virus de l’hépatite de souris ( mouse hepatitis virus , MHV), s’échappent de la cellule hôte. En étudiant la voie de sécrétion, ces auteurs ont constaté que sa perturbation par la bréfeldine A, qui interrompt le transport entre le réticulum endoplasmique et l’appareil de Golgi, n’affecte pas la sortie des virions. Par microscopie à fluorescence de cellules infectées par le virus, ces auteurs ont également montré que certaines protéines virales sont partiellement co-localisées avec des composants couramment associés avec les lysosomes. Bien que cela puisse refléter la capacité de la cellule hôte à « digérer » le virus, des virions d’apparence intacte sont identifiés, par microscopie électronique, à l’intérieur de compartiments ressemblant morphologiquement à des lysosomes. Cette observation suggérait que les particules virales pourraient résister à la dégradation dans ces organites. En utilisant des sondes fluorescentes ciblant les organites au pH acide ou à activité protéolytique, les auteurs ont découvert une alcalinisation des lysosomes des cellules infectées, à laquelle est associée une moindre activité de dégradation protéolytique. Ces lysosomes sont donc dysfonctionnels, mais peuvent-ils jouer le rôle de véhicules guidant les virions vers la sortie cellulaire ? Par des approches d’inactivation de gènes, les auteurs ont identifié la petite GTPase Arl8b, connue pour faciliter le transport des lysosomes vers la périphérie [ 5 ], comme un composant de la cellule hôte nécessaire à la sortie des virions. Les lysosomes dysfonctionnels contenant des virions utiliseraient cette GTPase pour s’approcher de la membrane plasmique et faciliter l’exocytose des particules virales. Étonnamment, ces virions sont libérés concomitamment à la protéine chaperon GRP78/BIP, qui ajuste, dans la lumière du réticulum endoplasmique, le repliement de protéines empruntant notamment la voie de sécrétion [ 6 ]. Cette libération conjointe des virions et de GRP78/BIP indiquerait qu’il existe une connexion étroite, bien que mal comprise, entre la voie de sécrétion et les lysosomes. D’un point de vue fonctionnel, les auteurs proposent que le dérèglement des lysosomes des cellules infectées par le virus altère la présentation des antigènes viraux aux cellules du système immunitaire, ce qui nuirait à la défense de l’organisme contre l’infection.

Ces travaux mettent en lumière des mécanismes cellulaires et moléculaires employés par un β-coronavirus, tel que le SARS-CoV-2, pour se propager. En exploitant les lysosomes de la cellule hôte, ce virus aurait acquis l’avantage d’un mécanisme d’échappement, pas encore décrit pour les virus enveloppés ( Figure 1 ) . Au sein des Coronaviridae, l’usurpation du lysosome par le virus contribue-t-elle à « l’efficacité » de son cycle infectieux ? D’autres coronavirus sont sécrétés simultanément avec GRP78/BIP, ce qui optimiserait le repliement de la protéine spike et sa liaison à ACE2, rendant ainsi le virus plus infectieux [ 7 , 8 ]. Ainsi, le cycle infectieux du SARS-CoV-2 comporterait des caractéristiques cellulaires communes aux Coronaviridae , mais aussi d’autres, nouvellement acquises, qui, en ciblant le lysosome, interféreraient avec la réponse immunitaire de l’hôte et contribueraient à la pathogenèse de la COVID-19.

Cette étude présente cependant des limites qu’il convient d’examiner. L’une d’elles est l’emploi du MHV plutôt que du SARS-CoV-2 lui-même (pour des raisons de biosécurité). Bien que génétiquement proches, MHV et SARS-CoV-2 appartiennent à des sous-genres différents de β-coronavirus ( Embecovirus et Sarbecovirus , respectivement), qui ont pu diverger et acquérir de nouvelles propriétés. Cependant, les auteurs ont validé certaines de leurs observations, comme la présence de composants viraux dans les lysosomes, sur des cellules infectées par le SARS-CoV-2. L’identité précise de l’organite hôte du MHV ou du SARS-CoV-2 reste cependant à définir. En effet, et bien qu’appartenant à la lignée des lysosomes, les compartiments contenant les virions pourrait être des corps multi-vésiculaires, des endo-lysosomes, ou des organites apparentés aux lysosomes [ 9 ]. Les auteurs excluent les corps multi-vésiculaires, car la perturbation expérimentale de leur biogenèse, transport ou exocytose n’a pas eu d’impact sur la sortie des virions. Cependant, les traitements utilisés dans l’étude pourraient n’avoir affecté qu’une sous-population de corps multi-vésiculaires. Les auteurs ont cherché à assigner une identité moléculaire plus précise à ce compartiment viral en identifiant la présence des marqueurs LAMP1 ou Rab7, mais ces marqueurs sont aussi présents dans de nombreux compartiments de la lignée des lysosomes sus-mentionnés [ 10 ]. Toutefois, il faut noter qu’un traitement par un antagoniste de Rab7 altérant la formation et le transport des lysosomes [ 10 ] limite la sortie du virus. Ce résultat, quoique prometteur, devra être confirmé car cet antagoniste est un inhibiteur à large spectre des protéines de la famille Ras, incluant Rab7 [ 11 ]. Néanmoins, de tels inhibiteurs pourraient constituer une nouvelle classe d’agents thérapeutiques capables d’entraver la propagation virale.

Si l’identité des organites dans lesquels résident MHV ou SARS-CoV-2 reste imprécise, le mécanisme permettant à la protéine chaperon GRP78/BIP de quitter la lumière du réticulum endoplasmique pour rejoindre celle des lysosomes chargés de virions est encore plus énigmatique. Compte tenu des nombreux contacts membranaires entre le réticulum endoplasmique et les lysosomes [ 12 ], s’agit-il d’un échange non vésiculaire de molécules, ou, au contraire, d’un transport membranaire non conventionnel, entre ces deux compartiments cellulaires ( Figure 1 ) ? Par ailleurs, les virions issus des membranes du réticulum endoplasmique pourraient-ils être « ingérés » par les lysosomes ? Si c’est le cas, ces lysosomes sont-ils pré-alcalinisés, ou leur pH acide est-il neutralisé après l’absorption du virus ? Enfin, quel est le mécanisme de « l’attaque » des lysosomes par le virus ? ( Figure 1 ) . Toutes ces questions encore sans réponse ouvrent un large champ d’investigations nécessaires à la clarification du parcours intracellulaire du SARS-CoV-2.

L’utilisation des lysosomes comme porte de sortie du SARS-CoV-2 représente une nouveauté dans le domaine de l’infection par les virus enveloppés, mais aussi une opportunité pour mieux appréhender l’origine des symptômes cliniques de la COVID-19 et pour identifier des médicaments afin de la combattre. Le dérèglement des lysosomes par alcalinisation, en tant que processus infectieux, tend à éliminer l’usage de bases faibles et d’agents « lysosomotropes », comme la chloroquine et ses dérivés, qui pourraient au contraire favoriser la propagation virale en facilitant la désacidification de ces organites. La co-sécrétion de GRP78/BIP avec les virions de SARS-CoV-2 rappelle celle observée pour d’autres virus (Zika, Ebola, virus de la dengue), dont l’entrée cellulaire ou la production dans la cellule hôte est affectée par des médicaments ciblant cette protéine chaperon, suggérant la possibilité d’une réutilisation de tels médicaments contre la COVID-19. Les auteurs de cette étude sur le MHV proposent également que la présentation des antigènes viraux et l’activation des lymphocytes T soient réduites suite au dérèglement des lysosomes, lui-même nécessaire au processus de sécrétion des virions par les cellules infectées. Une telle connexion entre le cycle intracellulaire du virus et l’activation du système de défense immunitaire ouvre des possibilités de mieux comprendre les complications observées chez les patients développant des formes sévères de la COVID-19. Ces formes pouvant résulter d’une réponse immunitaire affaiblie ou dérégulée, cette étude pourrait contribuer au développement de nouveaux traitements par des molécules immuno-modulatrices.

Cette étude illustre, s’il était besoin, l’importance de décrypter le cycle cellulaire du SARS-CoV-2 pour progresser dans notre compréhension de la physiopathologie de la COVID-19, identifier de nouvelles cibles thérapeutiques, et éventuellement repositionner des médicaments existants pour lutter contre cette maladie. Les biologistes du monde entier cherchent à comprendre comment l’infection par le SARS-CoV-2 module le fonctionnement de la cellule hôte, en caractérisant par exemple comment les protéines virales exploitent individuellement les composants cellulaires [ 13 ] ou les organites [ 14 ] afin d’interférer avec les fonctions des lysosomes [ 15 ]. Soyons confiants quant au fait que ces nouvelles connaissances sur l’infection des cellules par le SARS-CoV-2 auront un impact sur la prise en charge thérapeutique des patients atteints de la COVID-19.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Acknowledgments

National Institutes of Health R01 EY015625 (Michael S. Marks et Graça Raposo), Fondation pour la recherche médicale (labellisation équipe FRM EQU201903007827, Graça Raposo), Fondation ARC pour la recherche sur le cancer (ARCPJA22020060002267, Cédric Delevoye), ANR « MYOACTIONS » (ANR-17-CE11-0029-03, Anne Houdusse et Cédric Delevoye), GENESPOIR (Cédric Delevoye), LabEx Cell(n)Scale (ANR-11-LABX-0038), Inserm, Institut Curie, et CNRS.

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