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Med Sci (Paris). 37(6-7): 677–680.
doi: 10.1051/medsci/2021077.

La voie cGAS-STING
Une nouvelle arme « innée » contre le cancer

Hisoilat Bacar1* and Marie-Cécile Michallet2*

1Master 2 biologie du cancer, ISPB - Université Claude Bernard Lyon 1 , France .
2 TERI ( Tumor Escape, Resistance and Immunity ), Centre de recherche en cancérologie de Lyon, Centre Léon Bérard, Université de Lyon, Université Claude Bernard Lyon 1, Inserm 1052, CNRS 5286 , 69008Lyon , France .
Corresponding author.

MeSH keywords: Humains, Tumeurs, Nucleotidyltransferases, thérapie

 

Le système immunitaire a pour fonction de protéger l’organisme des pathogènes, tels que les virus, les bactéries ou les champignons. Chez les organismes supérieurs, ce système repose sur deux grands types de réponses : l’immunité innée, qui se met en place très rapidement et qui n’est pas spécifique du pathogène, et l’immunité adaptative, qui nécessite plusieurs jours pour sa mise en place et qui est très spécifique du pathogène rencontré. Ces réponses immunitaires requièrent la participation de différents types cellulaires spécialisés. Les cellules de l’immunité innée sont caractérisées par l’expression de récepteurs appelés PRR ( pattern recognition receptors ), qui détectent les signaux de danger dérivés de pathogènes, appelés PAMP ( pathogen-associated molecular patterns ), ou libérés par les cellules endommagées (on parle alors de DAMP pour damage-associated molecular patterns ). Il existe cinq grandes familles de PRR : les récepteurs des lectines de type-C (CLR), les récepteurs Toll-like (TLR), les récepteurs NOD(nucleotide oligomerization domain receptors)-like (NLR), les récepteurs RIG( retinoic acid-inducible gene )- like (RLR), et les récepteurs des ADN cytosoliques. Récemment, une nouvelle voie impliquée dans la reconnaissance des ADN présents dans le cytosol a été découverte : la voie cGAS ( cyclic GMP-AMP synthase )-STING ( stimulator of interferon genes) . Cette voie est activée par des ADN cytosoliques d’origine microbienne, mais également par de l’ADN d’origine tumorale, suggérant un rôle de cette voie dans l’immunité anti-tumorale. Cette nouvelle s’intéresse au rôle de la voie cGAS-STING dans l’immunosurveillance des cancers et à son ciblage par des approches d’immunothérapie.

La voie de signalisation cGAS-STING

cGAS est une nucléotidyl-transférase qui catalyse, en présence d’ADN double brin cytosolique, la condensation du GTP et de l’ATP en GAMP cyclique (cGAMP), ligand de STING. Localisé à la surface du réticulum endoplasmique (RE), STING, une fois activé par son ligand, induit la production de cytokines inflammatoires et d’interférons de type I (IFN-I).

La liaison du cGAMP induit un changement de conformation de STING, permettant le recrutement et l’activation, par son extrémité carboxyle, des deux kinases TKB1 ( TANK-binding kinase 1 ) et IKK ( I k B kinase ). TKB1 phosphoryle le facteur de transcription IRF3 ( IFN regulatory factor 3 ). IKK phosphoryle IκBα, le répresseur du complexe NF-κB ( nuclear factor kappa B ). NF-kB ainsi libéré, et IRF3 phosphorylé, peuvent alors se relocaliser dans le noyau. Cette relocalisation permet l’expression de gènes codant des cytokines inflammatoires et l’IFN-I, et la mise en place d’une réponse immunitaire dirigée contre le pathogène détecté (un ADN pathogénique), d’une réponse auto-immune (vis-à-vis de l’ADN de l’hôte) ou d’une réponse anti-tumorale (un ADN tumoral) [1,2] ( Figure 1 ) .

Le rôle de la voie cGAS-STING dans le cancer

Des données récentes de la littérature ont révélé un rôle de la voie cGAS-STING dans la régulation des réponses induites suite à un dommage à l’ADN, suggérant l’importance de cette voie comme une possible protection anti-tumorale, aux étapes précoces de la tumorigenèse. à la suite d’irradiations, la formation de micronoyaux, conséquence d’une instabilité chromosomique induite par des dommages à l’ADN, a ainsi pu être observée dans les cellules au cours de la mitose [3,4]. La rupture de l’enveloppe de ces structures entraîne une accumulation de cGAS. cGAS est alors activé au contact de la chromatine présente dans les micronoyaux, induisant ainsi la production d’IFN-I, puis l’expression des ISG ( interferon-stimulated genes ) [ 3 ]. Des fragments de chromatine cytosolique engendrés dans différentes conditions de sénescence (réplicative, liée à des dommages à l’ADN, ou induite par la surexpression d’un oncogène) ont également été décrits comme activant la voie cGAS-STING, et comme étant à l’origine de la production des cytokines du SASP ( senescent-associated secretory phenotype ), un ensemble de cytokines produites par les cellules sénescentes [ 5 ].

L’IFN-I a un rôle clé dans la réponse anti-tumorale. Il permet l’induction d’une réponse des lymphocytes T CD8 + cytotoxiques contre les antigènes tumoraux [ 6 ]. Cette réponse dépend de l’activation des cellules dendritiques (DC) qui expriment à leur surface le récepteur de l’IFN-I (IFNAR). Chez la souris, la liaison de l’IFN-I à son récepteur augmente ainsi les capacités de présentation croisée des antigènes tumoraux par les DC CD8a + , une sous-population de cellules dendritiques exprimant CD8a [6,7].

L’équipe de Deng a montré que STING était nécessaire à l’induction d’IFN-I par les DC en réponse à des cellules tumorales irradiées, ainsi qu’à la mise en place d’une réponse immunitaire adaptative anti-tumorale [ 8 ]. Ces observations ont ainsi révélé un rôle majeur de la protéine STING dans les cellules immunitaires. Des expériences récentes, réalisées chez la souris (dans des modèles de tumeurs transplantées), ont montré que l’expression de cGAS dans les cellules tumorales était critique pour l’activation de STING dans les cellules non tumorales (les cellules myéloïdes et les lymphocytes B). cGAMP est en effet transféré de la cellule tumorale à la cellule non tumorale (un transfert effectué possiblement via des jonctions serrées, ou par fusion entre membranes cellulaires). Ce processus aboutit au rejet de la tumeur par les cellules natural killer (NK) qui sont indirectement activées par l’IFN-I produit par les cellules myéloïdes [ 9 ] ( Figure 2 ) .

Les observations que nous avons évoquées montrent l’importance de la voie cGAS-STING dans le contrôle de la progression tumorale, en particulier aux étapes précoces de la tumorigenèse. Les cellules cancéreuses vont cependant mettre en place des mécanismes d’échappement à des stades plus tardifs, ciblant cette voie de signalisation [ 10 ]. Les analyses de bases de données, telles que cBioPortal (qui permet de visualiser, d’analyser et de télécharger des ensembles de données génomiques à grande échelle sur le cancer – www.cbioportal.org ) ou COSMIC (ressource la plus importante et la plus complète au monde pour explorer l’impact des mutations somatiques dans les cancers humains – https://cancer.sanger.ac.uk/cosmic ), ont en effet permis de mettre en évidence l’inhibition de la voie cGAS-STING dans une grande variété de tumeurs, celle-ci reposant sur des mutations perte de fonction ou sur des modifications épigénétiques des régions promotrices des gènes cgas et sting [ 11 ]. Une étude a par ailleurs démontré que le récepteur tyrosine kinase HER2 (également connu sous le nom de ErbB-2 ou Neu), dont l’expression est augmentée dans les cancers du sein, était un inhibiteur naturel de la voie cGAS-STING. L’effet inhibiteur de ce récepteur est critique pour empêcher l’entrée en sénescence ou en apoptose des cellules tumorales [ 12 ].

La voie cGAS-STING dans l’immunothérapie

Du fait de l’importance de la voie cGAS-STING dans l’immunosurveillance des cancers, le développement de thérapies ciblant cette voie est apparu comme une évidence pour améliorer l’arsenal thérapeutique déjà existant, qui vise à activer la réponse immunitaire anti-tumorale. La première piste explorée a été l’utilisation d’analogues synthétiques de cGAMP. Ils présentent des modifications chimiques qui les rendent résistants à l’hydrolyse, augmentant ainsi l’efficacité anti-tumorale induite par l’activation de STING dans plusieurs modèles de souris porteuses de tumeurs. Dans deux modèles murins de cancer colorectal et de mélanome, l’injection intra-tumorale d’analogues synthétiques de cGAMP induit la production d’IFN-I via STING dans les DC, puis l’activation des lymphocytes T CD8 + cytotoxiques dirigés contre les cellules tumorales [ 13 ]. L’administration de cGAMP à des souris porteuses de tumeurs potentialise également les effets thérapeutiques d’autres traitements, comme l’utilisation d’inhibiteurs de point de contrôle immunitaire ou la radiothérapie [8,14,15].

Les résultats pré-cliniques prometteurs qui ont été obtenus ont accéléré le développement d’agonistes de STING utilisables chez l’homme. Deux études cliniques de phase I sont actuellement en cours. Elles utilisent deux agonistes de STING, l’ADU-S100 et le MK-1454, qui sont administrés par injection intra-tumorale dans des tumeurs solides, et dans des lymphomes [ 16 , 17 ]. Malheureusement, les réponses cliniques semblent modestes, même lorsque ces agonistes sont utilisés en combinaison avec des inhibiteurs de point de contrôle immunitaire. Deux explications pouvant rendre compte de ces résultats décevants sont avancées : l’instabilité des agonistes synthétiques de STING, et la voie d’injection (intra-tumorale), qui limite l’effet de ces petites molécules. Des ligands plus stables de STING ont été développés, comme les petites molécules SR-717 et MSA-2 [18,19]. Chez les souris porteuses de tumeurs, l’administration orale ou par voie générale de SR-717 a induit une activité anti-tumorale qui favorise l’infiltration et l’activation des lymphocytes T CD8 + cytotoxiques dans la tumeur, l’activation des cellules NK et l’augmentation de la présentation antigénique croisée par les DC [ 18 ]. MSA-2 a également montré un effet anti-tumoral dans un modèle de cancer colorectal chez la souris. Il potentialise l’effet thérapeutique d’un inhibiteur de point de contrôle immunitaire, un anticorps monoclonal anti-PD-1 ( programmed cell death protein 1 ) [ 19 ].

Conclusion

Des données récentes de la littérature ont permis de mettre en évidence le rôle majeur de la voie cGAS-STING dans l’établissement d’une barrière anti-tumorale aux étapes précoces de la tumorigenèse. Nous avons décrit l’activation de cette voie dans les cellules prénéoplasiques et dans les cellules immunitaires, et son importance dans la production d’IFN-I, à l’origine d’une réponse anti-tumorale in vivo dans des modèles murins pré-cliniques. Ces résultats ont été à l’origine du développement de molécules synthétiques agonistes de STING, stables. Ces molécules montrent des effets thérapeutiques prometteurs dans des modèles de souris porteuses de tumeurs, en monothérapie ou en association avec un inhibiteur de point de contrôle immunitaire. Ces nouveaux agonistes devraient permettre d’améliorer les traitements d’immunothérapie fondés sur les inhibiteurs de point de contrôle immunitaire et d’augmenter la survie des patients atteints de cancer.

Liens d’intérêt

Les auteures déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

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