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doi: 10.1051/medsci/2021032.

Rôle du néphron distal dans le contrôle du volume extracellulaire en condition physiologique et dans le syndrome néphrotique

Éric Feraille1* and Valérie Olivier1

1Département de physiologie cellulaire et métabolisme, Université de Genève, Centre médical universitaire , 1 rue Michel-Servet , CH-1211Genève 4 , Suisse
Corresponding author.
 

Vignette (Photo ©Inserm-Blanc-Brunat, Nelly). 

Les compartiments liquidiens de l’organisme

Les compartiments liquidiens de l’organisme comprennent les compartiments intracellulaire et extracellulaire. Le volume intracellulaire, estimé à environ 25 litres pour un individu de 70 kg, dépend de l’osmolalité 1 extracellulaire qui, elle-même, dépend essentiellement de la concentration extracellulaire de sodium. Cette osmolalité extracellulaire est étroitement contrôlée par des osmorécepteurs centraux couplés à la sécrétion de l’hormone antidiurétique, ou vasopressine. En gérant la quantité d’eau contenue dans l’organisme par la stimulation de la réabsorption, dans le canal collecteur du néphron, de l’eau filtrée par le glomérule, la vasopressine contrôle la concentration des substances dissoutes et l’osmolalité du compartiment extracellulaire [ 1 ].

Ce compartiment est divisé en deux parties : le compartiment interstitiel et le compartiment plasmatique, d’un volume respectif de 12 et 3 litres pour un individu de 70 kg. Les compositions de ces deux sous-compartiments ont longtemps été considérées comme étant identiques, mais cette notion a été remise en cause par les travaux récents de Jens Titze. Il semble en effet qu’une partie du sodium du compartiment interstitiel ne soit pas prise en compte pour le maintien de l’osmolalité et, du fait de son stockage tissulaire, que celle-ci ne soit pas librement échangeable avec le pool de sodium plasmatique [ 2 ]. La concentration plasmatique de sodium est très étroitement régulée. Elle est maintenue dans une étroite fourchette, autour de 140 mM, afin de conserver une osmolalité plasmatique constante, et ainsi éviter les variations de volume intracellulaire. De cette contrainte physiologique résulte l’adage « l’eau suit le sel », qui implique que toute variation de la quantité totale de sodium contenu dans l’organisme sera associée à une variation proportionnelle de la quantité d’eau. Par conséquent, une perte de sodium par l’organisme sera associée à une perte d’eau. La déshydratation extracellulaire se traduira ainsi cliniquement par une baisse de la pression artérielle, signant la diminution du volume plasmatique, et le signe du pli cutané 2, indiquera la contraction du volume interstitiel. Au contraire, un gain de sodium sera associé à une rétention d’eau et à une augmentation de la pression artérielle, signant l’inflation du volume plasmatique. La présence d’œdèmes (avec le signe du godet 3 ) reflétera l’augmentation du volume interstitiel.

La répartition du volume entre les sous-compartiments interstitiel et plasmatique est décrite par l’équation de Starling, dans laquelle la pression nette de filtration (Pf) à travers un capillaire est égale à la double différence des pressions hydrostatiques capillaire (Pc) et interstitielle (Pi) et des pressions oncotiques capillaire (πc) et interstitielle (πi) : Pf = (Pc - Pi) - (πc - πi). Les œdèmes se forment lorsque la pression de filtration (Pf) augmente en raison, soit d’une augmentation de la pression hydrostatique capillaire, comme dans le cas d’obstacles au retour veineux (insuffisance cardiaque droite, cirrhose hépatique ou thrombose veineuse), soit de diminutions de la pression oncotique capillaire consécutives à une hypoprotidémie (syndrome néphrotique, cirrhose ou kwashiorkor 4 ). La Figure 1 schématise la répartition des fluides entre les différents compartiments et les principaux facteurs déterminant leur volume.

Rôle du rein dans l’homéostasie hydrosodée

Le rôle de facteurs généraux, comme le système nerveux sympathique, le système rénine-angiotensine-aldostérone et des peptides natriurétiques cardiaques, dans le contrôle du volume total de sang circulant dans l’organisme (ou volémie) et du volume extracellulaire, ne sera pas traité dans cette revue. Le lecteur pourra consulter à ce sujet la revue de référence de Cowley et Roman [ 3 ]. Nous nous focaliserons en effet sur les mécanismes intrarénaux impliqués dans le maintien de l’équilibre hydro-sodé et leur régulation.

Chaque jour, les reins produisent, chez l’homme, environ 180 litres de filtrat à travers les glomérules. Ce filtrat glomérulaire, ou urine primitive, a une composition en ions et en solutés de petite taille identique à celle du plasma, mais il contient très peu de macromolécules. Les protéines plasmatiques sont en effet arrêtées par la barrière glomérulaire. La composante mécanique de cette barrière, constituée notamment du diaphragme glomérulaire, s’oppose à la diffusion des molécules de grande taille. Sa composante électrique, constituée par les charges négatives accumulées dans la lame basale glomérulaire, s’oppose, quant à elle, à la diffusion des macromolécules anioniques, comme l’albumine, la principale protéine du plasma. Les faibles quantités de protéines plasmatiques qui échappent à ces barrières sont réabsorbées par endocytose en se liant au complexe polyvalent mégaline/cubiline/ amnionless du tube proximal [ 4 ]. Le filtrat glomérulaire est ensuite modifié par des processus de réabsorption et de sécrétion le long du tube rénal pour aboutir à l’urine finale, à l’extrémité du canal collecteur.

Le tube rénal est formé de plusieurs segments successifs, tous constitués d’un épithélium simple, mais dont la fonction est spécifique, comme le montre la Figure 2 .

Le tube proximal
Le premier de ces segments est le tube proximal. Il est classiquement divisé en une partie contournée, située dans le cortex rénal et subdivisée en parties précoce (S1) et tardive (S2), et une partie droite, allant du cortex à la médullaire externe (S3). Le tube proximal réabsorbe la majeure partie de l’eau et des solutés filtrés, de manière iso-osmotique. Ce sont environ 70 % de l’eau, du sodium, du potassium et du phosphate, 80 % des bicarbonates et 100 % du glucose et des acides-aminés filtrés, qui sont réabsorbés dans ce segment. Le tube proximal joue aussi un rôle clé dans la sécrétion d’ions H + et de son tampon urinaire, l’ammoniaque. Il est formé de cellules polygonales présentant une bordure en brosse apicale, sur laquelle les transporteurs sont présents, et une membrane basolatérale ayant de profondes invaginations entourant un dense réseau de mitochondries produisant l’ATP nécessaire au fonctionnement de la Na + -K + -ATPase. Cette enzyme, présente dans la membrane basolatérale des cellules tubulaires rénales, permet de maintenir un gradient électrochimique favorable à l’entrée du sodium (Na + ) dans les cellules, en expulsant trois ions Na + intracellulaires dans le milieu interstitiel en échange de deux ions potassium (K + ) prélevés dans le milieu interstitiel et transportés dans le cytosol [ 5 ]. Ce gradient permet l’entrée de sodium à travers la membrane apicale des cellules tubulaires. Comme le montre la Figure 3A , dans le tube proximal, la principale voie d’entrée du sodium (90 %) est constituée par un échangeur Na + /H + (NHE3) qui permet également la sécrétion luminale d’ions H + . Le sodium entre également dans ces cellules par de nombreux cotransporteurs couplés aux ions Na + , comme les cotransporteurs Na + -glucose (SGLT1 et 2), Na + -phosphate (NaPi2a et 2c), Na + -sulfate (NaSi), etc. Une grande partie du processus de réabsorption (30 à 50 %) est assurée par la voie paracellulaire, à travers les jonctions serrées qui lient les cellules du tube proximal entre elles et séparent les domaines membranaires apicaux et basolatéraux de ces cellules [ 6 ]. Ce segment est caractérisé par une perméabilité paracellulaire élevée, ce qui se traduit par une résistance électrique basse en raison de l’expression importante des protéines claudine-2 et claudine-10a. La présence de ces deux claudines, qui sont des composants des jonctions serrées proprement dites, sont responsable d’une perméabilité de ces jonctions aux ions ; la présence de la claudine-2 entraîne, de plus, une perméabilité à l’eau [ 7 ]. C’est l’association d’une forte perméabilité paracellulaire et d’une capacité de réabsorption transcellulaire élevée qui permet au tube proximal d’assurer une réabsorption massive de l’eau et des solutés filtrés. Cette réabsorption se fait au prix d’une forte consommation d’oxygène liée au métabolisme oxydant de ce segment rendu possible grâce à un débit sanguin cortical très élevé.

L’anse de Henle
L’anse de Henle, qui fait suite au tube proximal, se caractérise par les perméabilités différentes de ses branches descendante et ascendante. La branche descendante, grêle, réabsorbe 20 % de l’eau filtrée pat le glomérule, mais elle est imperméable aux solutés. Sa branche ascendante, qui réabsorbe 15 % du sodium filtré, est perméable aux ions, mais imperméable à l’eau. C’est cette perméabilité différente des branches ascendante et descendante de l’anse de Henle qui est à la base de la production du gradient osmotique cortico-papillaire permettant la conservation de l’eau en émettant une urine concentrée. Le mécanisme de concentration/dilution a été discuté ailleurs (voir la revue [ 8 ]). Les cellules de la branche ascendante large de l’anse Henle réabsorbent le sodium par un cotransporteur Na + -K + -2Cl - apical (NKCC2). C’est ce cotransporteur qui est inhibé par les diurétiques dits « de l’anse », dont le chef de file est le furosémide. Le chlore sort ensuite de la cellule par un canal anionique ClC-Kb ou un cotransporteur KCl, tous deux basolatéraux. Le potassium entrant dans la cellule par l’intermédiaire de NKCC2 est ensuite recyclé dans la lumière tubulaire par un canal potassique (ROMK), ce qui génère un potentiel électrique transépithélial positif responsable de la réabsorption paracellulaire de cations surtout divalents, comme Ca 2+ et Mg 2+ , mais aussi monovalents, comme Na + et K + ( Figure 3B ) [ 9 ]. Cette perméabilité paracellulaire aux cations divalents est liée à l’expression des claudines 16 et 19 [ 10 ] ; la perméabilité aux cations monovalents est, quant à elle, liée à la présence de la claudine 10b [ 11 ]. À noter que les claudines 16 et 19 sont localisées sur des domaines membranaires différents de ceux où se situe la claudine 10b [ 12 ]. Le syndrome de Bartter, associant une polyurie néonatale avec perte de sel et hypotension, une hypokaliémie, une hypercalciurie et une hypermagnésiurie (et parfois une surdité congénitale), est lié à des mutations de NKCC2, de ROMK, de ClC-Kb ou de sa protéine chaperone, la barttine [ 13 ]. Un second syndrome d’hypokaliémie avec alcalose métabolique, lié à une mutation perte de fonction du gène codant la claudine 10b, a récemment été identifié [ 14 , 15 ]. En cas de mutation à l’état homozygote, ce syndrome peut être associé à un dysfonctionnement épithélial multiple (diminution anormale de la sécrétion sudorale, dysfonctionnement des glandes lacrymales, bouche sèche, ichtyose cutanée) [ 15 ].
Le tube contourné distal et le système collecteur
Le tube contourné distal est le siège de la réabsorption (jusqu’à 5 %) du sodium filtré par l’intermédiaire d’un cotransporteur NaCl (NCC), inhibé par les diurétiques thiazidiques. Le chlore quitte la cellule par un canal anionique ClC-Kb basolatéral ( Figure 3C ) [ 16 ].

Enfin, le système collecteur, composé du tube connecteur et du canal collecteur, réabsorbe jusqu’à 4 % du sodium filtré, par l’intermédiaire de ses cellules principales qui réabsorbent le sodium via un canal sodique apical (ENaC), cible des diurétiques épargneurs de potassium, comme l’amiloride et le triamtérène ( Figure 3D ) . Ces cellules sécrètent également du potassium par l’intermédiaire des canaux potassiques ROMK et BK. Les canaux de type ROMK sont l’objet de multiples régulations, notamment par des protéines kinases ou des protéines phosphatases, alors que les canaux BK sont principalement activés par le flux tubulaire en réponse à une augmentation de la concentration de calcium intracellulaire [ 17 , 18 ]. La réabsorption de sodium par le canal ENaC génère un potentiel électrique transépithélial négatif, du fait de la soustraction de cations de la lumière tubulaire. Cette électronégativité luminale favorise la sécrétion de potassium par les canaux potassiques apicaux. La réabsorption de sodium et la sécrétion de potassium sont ainsi couplées dans le système collecteur [ 17 ]. L’épithélium du tube contourné distal et du système collecteur est un épithélium à haute résistance électrique, imperméable à l’eau et aux solutés [ 5 ]. Cette imperméabilité est liée à l’expression de claudines dites barrières, comme la claudine 8 et la claudine 4 [ 7 ].

Effets tubulaires du système rénine-angiotensine-aldostérone

Le système rénine-angiotensine-aldostérone (SRAA) est un des systèmes majeurs de contrôle de la pression artérielle, par ses effets sur la volémie, et des résistances périphériques 5, [ 3 ]. L’angiotensine II, un puissant vasoconstricteur, augmente les résistances périphériques mais modifie peu la filtration glomérulaire, en raison d’un effet préférentiel sur les artérioles efférentes. L’effet de la diminution du débit sanguin rénal est en effet compensé par l’augmentation de la pression de filtration glomérulaire, conséquence de la vasoconstriction des artérioles efférentes et de l’augmentation des résistances efférentes. Le débit de filtration glomérulaire est ainsi préservé par une augmentation de la fraction filtrée [ 19 ]. L’angiotensine II est également un activateur de la réabsorption du sodium dans tous les segments du tube rénal, en stimulant de manière coordonnée les transporteurs apicaux (NHH3, NKCC2, NCC et ENaC) et la Na + ,K + -ATPase basolatérale [ 5 ].

L’aldostérone, synthétisée par la zone glomérulée du cortex surrénalien, est principalement sécrétée en réponse à l’angiotensine II et à l’augmentation de la concentration sérique de potassium (kaliémie). Contrairement à celle des glucocorticoïdes, sa sécrétion est relativement peu sensible à l’hormone corticotrope hypophysaire (ACTH). Si un effet vasoconstricteur de l’aldostérone est documenté dans certaines conditions, son effet majeur est bien la stimulation de la réabsorption de sodium et de la sécrétion de potassium dans le néphron distal sensible à l’aldostérone (ASDN).

Les mécanismes d’action de l’aldostérone sont schématisés dans la Figure 4 [ 20 ]. L’ENaC est, avec la Na + ,K + -ATPase, une des cibles principales de l’aldostérone. Cette hormone induit l’expression et l’augmentation de l’activité de la protéine kinase SGK1 ( serum/glucocorticoid-regulated kinase 1 ) [ 21 ], qui phosphoryle l’ubiquitine ligase Nedd-4.2, inhibant ainsi son activité [ 22 ]. La diminution de l’ubiquitination des sous-unités beta et gamma d’ENaC, en ralentissant son internalisation et sa dégradation, augmente son expression de surface et son activité [ 23 ]. L’aldostérone induit également l’expression de la sous-unité alpha d’ENaC, qui est limitante pour son assemblage dans les cellules principales du canal collecteur [ 24 , 25 ]. Au pôle basolatéral des cellules principales, l’expression de surface de la Na + ,K + -ATPase augmente, en raison de l’inhibition de son internalisation et de sa dégradation lorsque l’entrée apicale de sodium par l’ENaC augmente [ 26 ]. Cet effet est en partie lié à une inhibition de la protéine kinase p38 par l’aldostérone. L’aldostérone stimule par ailleurs directement l’expression des sous-unités alpha et bêta de la Na + ,K + -ATPase [ 27 ]. Il s’agit ainsi d’un exemple de régulation coordonnée des transporteurs du sodium exprimés de part et d’autre de la cellule, ce qui permet d’éviter des variations potentiellement toxiques de la concentration intracellulaire de sodium. Notons que l’aldostérone ne régule pas directement l’expression et l’activité de ROMK. La sécrétion de potassium est indirecte, par le biais d’une augmentation de l’électronégativité luminale consécutive à la réabsorption du sodium. Cette augmentation de la force électromotrice permet la sécrétion de potassium, entretenue par son entrée dans la cellule via la Na + ,K + -ATPase activée par l’aldostérone [ 28 ].

Une augmentation de l’activité du cotransporteur Na-Cl dans le tube contourné distal en réponse à l’aldostérone a été rapportée par de nombreux auteurs [ 14 ]. Si certains ont montré que cet effet reposait sur l’activation du récepteur des minéralocorticoïdes (MR) 6 , d’autres ont démontré qu’il s’agissait d’un effet essentiellement indirect, lié à l’action kaliurétique et, par conséquent hypokaliémiante, de l’hormone [ 29 ]. La diminution de la concentration de potassium plasmatique induirait une hyperpolarisation intracellulaire avec une diminution de la concentration de chlore intracellulaire. Elle entraînerait indirectement l’activation du cotransporteur NCC par sa phosphorylation par les protéine kinases SPAK (STE20/SPS1-related proline-alanine-rich kinase ) et ORS1 ( oxidative stress response kinase-1 ), elles-mêmes activées par les kinases de la famille des WNK ( with no-lysin kinase ), notamment WNK4, qui est inhibée par le chlore [ 30 ]. Ce phénomène pourrait expliquer ce que l’on appelle le paradoxe de l’aldostérone. En effet, lorsque la kaliémie est basse, le cotransporteur NCC est phosphorylé et donc très actif, ce qui limite la quantité de sodium qui arrive au système collecteur et qui peut être « échangé » contre du potassium. L’inverse se produit lorsque la kaliémie est élevée. Dans ce cas, NCC est déphosphorylé, donc peu actif, ce qui limite la réabsorption de sodium dans le tube distal, augmente la quantité de sodium délivré au système collecteur et, par conséquent, la quantité de sodium réabsorbé par l’ENaC, ce qui stimule indirectement la sécrétion de potassium.

Apport des modèles expérimentaux murins pour la physiopathologie de la rétention hydro-sodée du syndrome néphrotique

Le syndrome néphrotique est une manifestation fréquente des maladies rénales glomérulaires. Il est caractérisé par l’association d’une protéinurie massive, d’une hypoalbuminémie et d’œdèmes périphériques. Ces derniers sont liés à une rétention hydrosodée dont la physiopathologie fait débat. Comme le résume la Figure 5 , s’oppose un modèle dit de surcharge à un modèle dit de déplétion. Le premier postule une rétention hydrosodée primitivement rénale, produisant ainsi des œdèmes généralisés. Dans le second modèle, la protéinurie entraînerait une hypoprotidémie et donc une diminution de la pression oncotique capillaire conduisant à un transfert de liquide vers l’interstitium, et à une hypovolémie à l’origine de l’activation du système rénine-angiotensine-aldostérone et de la libération de vasopressine, stimulant la réabsorption de sodium et d’eau dans l’ASDN ( aldosterone sensitive distal nephron ) [ 31 ].

Parmi les différents modèles expérimentaux de syndrome néphrotique, celui reposant sur son induction par l’aminoside de puromycine (PAN) chez le rat est le plus étudié. Dans ce modèle, la rétention hydrosodée est liée à un mécanisme local intrarénal, car l’injection de PAN dans une seule des artères rénales induit un syndrome néphrotique unilatéral [ 32 ]. Dans le modèle classique provoqué par l’injection intrapéritonéale de PAN, la rétention hydrosodée débute avant la protéinurie. Elle est détectable dès le 3 e jour après l’induction du syndrome néphrotique et se maintient pendant 7 à 10 jours avant la guérison spontanée. Elle est indépendante d’une augmentation de la concentration circulante d’aldostérone [ 33 , 34 ]. La rétention hydrosodée est en effet liée à une activation conjointe de la Na + ,K + -ATPase et de l’ENaC dans la partie corticale du canal collecteur [ 35 ]. Dans ce modèle expérimental, la rétention hydrosodée est indépendante de la protéinurie et des facteurs neurohormonaux contrôlant la volémie. Elle serait due à un mécanisme intrarénal (qui reste à élucider) aboutissant à une stimulation inappropriée de la réabsorption du sodium dans le canal collecteur, à l’origine d’une inflation du compartiment liquidien extracellulaire. L’hypoalbuminémie consécutive à la protéinurie faciliterait le transfert de fluides vers l’interstitium et éviterait une hypervolémie produisant une hypertension artérielle. La rétention sodée s’accompagne d’une rétention d’eau liée à une augmentation de la réabsorption de sodium dans le canal collecteur malgré la diminution de l’expression de l’aquaporine-2, une protéine exprimée par les cellules principales, qui permet le passage de l’eau et qui est limitante pour sa réabsorption [ 36 ].

Le mécanisme de la rétention hydrosodée a été réévalué en utilisant un modèle de souris transgénique. Dans ce modèle, le syndrome néphrotique est provoqué par une apoptose inductible des podocytes glomérulaires [ 37 ]. Dans ce modèle de syndrome néphrotique, l’étude de la cinétique de la rétention sodée permet d’identifier deux phases : une première phase, pendant laquelle la réabsorption excessive de sodium a lieu dans le tube contourné distal via une activation de NCC ; et une seconde phase, dans laquelle la rétention sodée se situe au niveau du système collecteur via une activation de ENaC [ 38 ]. Ce changement de site de rétention sodée est lié à l’apparition d’une hyperkaliémie. Celle-ci entraîne une inhibition de la réabsorption du sodium dans le tube contourné distal, réabsorption qui est alors stimulée dans le canal collecteur, où elle est couplée à la sécrétion de potassium, préservant ainsi l’homéostasie du potassium [ 38 ]. L’étude de ce modèle suggère que l’absence d’hypokaliémie, qui serait attendue en raison de l’hyperactivité de l’ENaC, serait liée à une réduction de la sécrétion de potassium consécutive à une diminution d’expression du canal potassique apical ROMK [ 39 ]. Ces observations s’inscrivent dans le modèle dit de surcharge, en introduisant ce paramètre important qu’est l’équilibre du potassium dans la régulation du volume extracellulaire.

Conclusion

L’homéostasie hydrosodée est donc possible grâce à un réseau complexe d’acteurs qui agissent sur le tubule rénal. Mais elle repose également sur des mécanismes rénaux intrinsèques et indépendants. La question de la rétention hydrosodée dans le syndrome néphrotique a été, et est toujours, l’objet de débats passionnés dans la communauté scientifique car son étude permet de progresser dans la physiologie rénale.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 L’osmolalité est une mesure du nombre de particules de soluté osmotiquement actives par kilogramme de solvant.
2 Le signe du pli cutané est la persistance du pli de la peau après l’avoir pincée entre deux doigts.
3 Le signe du godet est la persistance de l’empreinte du pouce après avoir appuyé sur la peau au niveau des points déclives.
4 Le kwashiorkor est une manifestation clinique d’une carence protéino-énergétique globale due à une malnutrition sévère.
5 Qui reposent sur la variation du diamètre des artères et artérioles.
6 Récepteur nucléaire de la famille des récepteurs des stéroïdes, auquel se lie l’aldostérone.
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