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Med Sci (Paris). 37(4): 342–348.
doi: 10.1051/medsci/2021031.

Les métabokines, des médiateurs essentiels de l’immunité anti-infectieuse

Adeline Cezard,1,2 Sarah Monard,1,2 Déborah Bréa-Diakite,1,2 Antoine Guillon,1,2,3★★ and Mustapha Si-Tahar1,2★★*

1Inserm, Centre d’étude des pathologies respiratoires (CEPR), UMR 1100 , 10 boulevard Tonnelé , 37000Tours , France
2Université de Tours , Tours , France
3CHRU de Tours, Service de médecine intensive réanimation , Tours , France
Corresponding author.
★/★★Contribution équivalente.
 

Vignette (Photo © Inserm/Cezard A, Bréa-Diakite D, Si-Tahar M).

Métabolisme énergétique et immunité ont longtemps appartenu à des domaines de recherche différents, la biochimie pour l’un et l’immunologie pour l’autre. Le métabolisme énergétique correspond à l’ensemble des réactions biochimiques, anaboliques et cataboliques, qui produisent et consomment des molécules d’ATP fournissant l’énergie nécessaire au fonctionnement de la cellule. Des nutriments, provenant essentiellement de l’alimentation, sont ainsi dégradés en des molécules « intermédiaires », nommées métabolites. Ces derniers alimentent de nombreuses voies biochimiques, notamment le cycle de Krebs, la voie des pentoses phosphates ou la phosphorylation oxydante [ 1 ]. Le système immunitaire, quant à lui, regroupe des mécanismes de défense vis-à-vis de divers stress (signaux de « danger », molécules du non-soi, etc.) et participe notamment à l’élimination des microorganismes pathogènes et au maintien de l’homéostasie tissulaire [ 2 ].

Métabolisme énergétique et immunité sont deux processus biologiques intimement liés. En effet, l’ensemble des organismes procaryotes et eucaryotes disposent de molécules qui ont non seulement un rôle nutritionnel, mais qui participent également à la résistance contre les agressions de leur environnement [ 3 , 4 ].

Ce lien étroit et essentiel entre métabolisme et immunité a été récemment redécouvert grâce au développement des outils dits « omiques » et grâce à une recherche transdisciplinaire à l’origine du concept d’« immunométabolisme ». Les premiers travaux s’intéressant à l’immunométabolisme ont principalement porté sur l’altération de la réponse immunitaire dans le contexte des maladies nutritionnelles et métaboliques, comme le diabète ou l’obésité [ 5 ]. Des travaux plus récents suggèrent que ces altérations métaboliques peuvent également survenir dans d’autres situations pathologiques, y compris dans des contextes infectieux [ 6 ]. Dans cette revue, nous nous intéresserons à l’importance de la reprogrammation métabolique des cellules immunitaires au cours d’une infection, ainsi qu’aux propriétés inattendues de plusieurs métabolites (que nous avons dénommés, ainsi que d’autres auteurs [ 7 ], métabokines), dans l’immunorégulation et la défense antimicrobienne.

La reprogrammation métabolique des cellules immunitaires

Une réponse immunitaire est déclenchée lorsqu’un récepteur exprimé par les cellules de l’immunité innée, comme les PRR ( pattern recognition receptor ), détecte un motif moléculaire associé à un stress tissulaire (DAMP pour danger-associated molecular pattern ) ou à des agents pathogènes (PAMP pour pathogen-associated molecular pattern ). Les cellules immunitaires répondent alors au danger ainsi détecté en activant leurs fonctions de phagocytose, de cytotoxicité et/ou de sécrétion de médiateurs inflammatoires ou de peptides antimicrobiens, ainsi que par l’intermédiaire des lymphocytes B et T de l’immunité acquise, via leur capacité à produire des anticorps et des fonctions effectrices spécifiques. Des cellules régulatrices sont ensuite recrutées afin de moduler l’intensité de cette réponse inflammatoire et ainsi rétablir l’homéostasie tissulaire.

Lors de leur activation, les cellules immunitaires subissent une reprogrammation métabolique. Celle-ci est adaptée à leurs besoins énergétiques et à leur phénotype. En effet, les cellules inflammatoires consomment rapidement de l’ATP via un métabolisme anabolique qui alimente la synthèse de lipides, d’acides aminés et d’acides nucléiques. Les cellules régulatrices, en revanche, produisent de l’ATP, essentiellement par un métabolisme catabolique, plus adapté à leur longévité. Cette reprogrammation métabolique a été décrite dans les cellules dendritiques [ 8 ] et les lymphocytes T régulateurs [ 9 ] stimulés in vitro par différents ligands, mais également dans des granulocytes neutrophiles isolés de patients (dont ceux souffrant de formes graves d’infection par le SARS-CoV-2 [ 10 ]). Cependant, les modifications métaboliques qui ont été les plus étudiées sont liées à la polarisation des macrophages. Ces cellules sont en effet sujettes à deux polarisations majeures : « classique », ils sont alors appelés macrophages M1 et adoptent un phénotype pro-inflammatoire ; « alternative », ils sont alors nommés macrophages M2 et présentent un phénotype régulateur qui les fait intervenir dans la reconstitution des tissus altérés [ 11 , 12 ] ( Figure 1 ) .

Activés par le lipopolysaccharide bactérien (LPS), les macrophages de type M1 sont soumis à l’effet Warburg [ 13 , 44 ] ( ) : ils utilisent la glycolyse aérobie couplée à la fermentation lactique afin de produire de l’ATP rapidement, et surexpriment le transporteur du glucose Glut1. La phosphorylation oxydante est alors diminuée [ 14 ] 1, . L’augmentation de la glycolyse stimule la voie des pentoses phosphates conduisant à la production d’acides aminés pour la synthèse de protéines, de riboses pour la synthèse de nucléotides, et du nicotinamide adénine dinucléotide phosphate sous forme réduite (NADPH) pour la production de dérivés réactifs de l’oxygène (ROS, pour reactive oxygen species ) [ 14 ]. Le cycle de Krebs, lui aussi alimenté par cette voie de glycolyse, est alors interrompu à deux de ses étapes. La première implique l’isocitrate déshydrogénase, dont l’inhibition conduit à l’accumulation de citrate, qui sera utilisé alors pour la synthèse de lipides [ 15 ]. Cela entraîne une réorganisation de la membrane plasmique des macrophages, favorable à une signalisation inflammatoire et à la phagocytose. La seconde fait intervenir la succinate déshydrogénase, dont l’inhibition par l’itaconate (issu de la décarboxylation du cis -aconitate, un intermédiaire du cycle de Krebs dérivé du citrate), provoque une accumulation de succinate et favorise l’expression de cytokines pro-inflammatoires [ 16 ]. Le fonctionnement des mitochondries de ces cellules est alors altéré, ce qui favorise la production de ROS et d’autres molécules pro-inflammatoires, comme l’interleukine-1β (IL-1β) [ 14 ].

(→) Voir la Synthèse de J. Razungles et al. , m/s n°11, novembre 2013, page 1026

Stimulés par des cytokines, telles que l’IL-4, les macrophages de type M2 vont, quant à eux, utiliser la glycolyse aérobie et l’oxydation lipidique afin d’approvisionner le cycle de Krebs qui, contrairement à celui des macrophages M1, n’est pas interrompu. Les métabolites produits par le cycle de Krebs stimuleront ensuite la phosphorylation oxydante, conduisant à une augmentation de la biogenèse mitochondriale et de la capacité respiratoire de la cellule [ 12 , 14 ]. De grandes quantités d’ATP seront alors produites. Le processus est cependant plus lent que celui de la glycolyse anaérobie. Les étapes non-oxydantes de la voie des pentoses phosphates seront par ailleurs favorisées. Elles permettront la production de riboses et donc d’ARN [ 14 ].

La reprogrammation métabolique des macrophages est donc à l’origine de leur activation, de leur phénotype et de leurs fonctions, notamment en fournissant l’énergie dont ils ont besoin, en remaniant leurs membranes, en stimulant la synthèse de biomolécules, et en induisant l’expression de molécules effectrices. Cette reprogrammation métabolique peut également affecter leur fonctionnement [ 17 ].

Les fonctions immunorégulatrices des métabokines

Les voies métaboliques des cellules sont modulées dans le temps, mais aussi dans l’espace. Le cycle de Krebs et la phosphorylation oxydante se déroulent en effet dans la mitochondrie, alors que la glycolyse se déroule dans le cytoplasme. Les métabolites qui sont produits peuvent néanmoins être transportés vers d’autres organelles, ou dans l’espace extracellulaire, par des transporteurs spécifiques [ 18 ], et ainsi participer à la régulation d’autres fonctions de la cellule [ 19 ]. Ces métabolites modulent notamment la signalisation intracellulaire, et peuvent également affecter la régulation épigénétique et/ou induire des modifications post-traductionnelles de diverses protéines ( Figure 2 ) .

Métabokines et signalisation intracellulaire
La détection par les cellules immunitaires de DAMP ou de PAMP par des PRR déclenche l’activation de voies de signalisation impliquant généralement des protéines kinases, qui activent leurs cibles en fonction des signaux qu’elles-mêmes perçoivent. Parmi ces cibles, les facteurs de transcription jouent un rôle majeur. Activés, ils permettent alors l’expression de gènes indispensables aux fonctions des cellules de l’immunité. Ces mécanismes d’alerte et d’activation des cellules de l’immunité ont en fait un lien étroit avec leur métabolisme : certaines métabokines interviennent dans la régulation de ces voies de signalisation, en agissant sur des protéine kinases. C’est le cas de mTOR ( mechanistic target of rapamycin ), la molécule cible de la rapamycine, une molécule à usage thérapeutique utilisée dans de nombreuses indications cliniques [ 45 ] ( ).

(→) Voir la Synthèse de L.J. André et P.P. Roux, m/s n°12, décembre 2010, page 1056

mTOR agit sous forme de deux complexes protéiques, mTORC1 et mTORC2, qui jouent un rôle majeur dans de multiples types cellulaires [ 20 ]. Ces complexes participent en particulier à l’activation, à la différenciation et à l’acquisition des fonctions des lymphocytes T, des cellules dendritiques et des macrophages [ 21 ]. L’activité de mTORC1 dépend de la disponibilité de certains métabolites, tels que la leucine [ 22 ] et l’α-cétoglutarate [ 23 ]. Le transport de leucine dans le cytoplasme par le transporteur solute carrier 7a5 est ainsi essentiel à la reprogrammation métabolique des lymphocytes T en réponse à un antigène [ 22 ]. L’absence de ce transporteur conduit à une carence en leucine dans le milieu intracellulaire et à une baisse de l’activité de mTORC1. Les lymphocytes T sont alors incapables de s’engager dans leur expansion clonale et de se différencier en cellules effectrices [ 22 ].

Plus en aval, d’autres métabokines interviennent dans le contrôle de la signalisation cellulaire en stabilisant des facteurs de transcription. Le succinate, par exemple, est transporté des mitochondries vers le cytoplasme, où il inhibe l’activité de la prolyl-hydroxylase qui intervient dans la régulation protéolytique d’HIF-1α ( hypoxia-inducible factor 1 a) [ 24 ], une sous-unité du facteur de transcription HIF-1 qui stimule, entre-autres, l’expression de l’IL-1β [ 24 ]. Le succinate est par ailleurs sécrété dans le milieu extracellulaire, où il est reconnu de façon autocrine et paracrine par le récepteur SUCNR1 ( succinate receptor 1 , aussi nommé GPR91 [ G-protein-coupled receptor 91 ]), ce qui exacerbe la réponse inflammatoire des macrophages en amplifiant leur production d’IL-1β [ 25 ].

Métabokines et régulation épigénétique
Localisées dans le cytoplasme ou dans l’espace extracellulaire, certaines métabokines modulent donc les cascades de signalisation cellulaire activées en réponse à divers stimulus. En revanche, d’autres métabokines agissent dans le noyau cellulaire et sont impliquées dans la régulation épigénétique en participant au processus de modifications post-traductionnelles. Ces modifications consistent en des ajouts de groupements chimiques sur un ou plusieurs acides aminés des protéines par des mécanismes dépendant ou non d’enzymes. L’ajout de ces groupements induit généralement des changements de conformation des protéines, ce qui affecte leur fonction, leur demi-vie ou leur localisation.

Les modifications post-traductionnelles peuvent avoir un impact important sur l’activation, la différenciation et les fonctions des cellules, notamment les cellules immunitaires [ 26 ]. Ces modifications sont en effet à l’origine de modifications épigénétiques conduisant à des changements de conformation de la chromatine, permettant à la cellule d’adapter l’expression de gènes à ses besoins [ 26 ]. De nombreuses métabokines, telles que l’acétyl-CoA, le succinate et l’α-cétoglutarate, ont été décrites comme étant des substrats ou des co-facteurs des enzymes impliquées dans la régulation épigénétique [ 19 ]. Par exemple, l’acétyl-CoA circule librement entre le noyau et le cytoplasme en empruntant les pores nucléaires. Dans le noyau, il peut être utilisé comme substrat par des acétyltransférases, des enzymes qui ajoutent des groupements acétyles sur les histones ; il peut ainsi influencer la capacité de réponse de certains leucocytes [ 26 , 27 ]. C’est le cas des monocytes, dans lesquels la concentration en acétyl-CoA augmente lorsqu’ils entrent en contact avec le vaccin contre la tuberculose, le BCG (bacille de Calmette et Guérin), ou avec du β-glucane (un sucre constitutif de la paroi des levures). Cette augmentation entraîne l’acétylation de la lysine 27 de l’histone H3 [ 27 ]. Les monocytes subissant cette modification post-traductionnelle de l’histone H3, associée à des méthylations d’histones, répondent alors plus rapidement et plus efficacement lorsqu’ils sont de nouveau stimulés, un mécanisme appelé en anglais trained immunity (en français, mémoire immunitaire entraînée) [ 27 , 46 ] ( ).

(→) Voir la Synthèse de C. Torre et al., m/s n°11, novembre 2017, page 979

Métabokines et modifications post-traductionnelles de protéines non nucléaires
L’acétyl-CoA peut acétyler de nombreuses autres protéines cellulaires, comme la D-glycéraldéhyde-3-phosphate déshydrogénase (GAPDH). Cette modification améliore les fonctions enzymatiques de la protéine, ce qui accélère la glycolyse et la production d’interféron-γ (IFN-γ) par les lymphocytes T CD8 + mémoires [ 28 ].

De même, l’itaconate est responsable de l’alkylation de cinq résidus cystéines de la protéine KEAP1 ( Kelch-like ECH-associated protein 1 ) [ 29 ]. En l’absence de modifications post-traductionnelles, KEAP1 se fixe au facteur de transcription Nrf2 ( nuclear factor erythroid 2-related factor 2 ) pour promouvoir sa dégradation. L’alkylation de KEAP1 empêche sa liaison à Nrf2 qui peut alors induire la transcription de gènes codant des molécules antioxydantes et cytoprotectrices [ 29 ].

Certaines métabokines peuvent donc être considérées comme des immunorégulateurs majeurs. Nous verrons ci-dessous que d’autres métabokines contribuent plus spécifiquement à l’immunité anti-infectieuse de l’hôte.

Les métabokines et leurs propriétés antimicrobiennes

Les maladies infectieuses constituent un enjeu majeur de santé publique et un fardeau économique pour notre société [ 30 ]. De nouvelles menaces sont apparues ces dernières années avec, d’un côté, l’émergence d’agents pathogènes (comme le SARS-CoV-2 ou le virus Zika) et de l’autre, l’apparition de résistances aux molécules thérapeutiques antimicrobiennes (exemples : entérobactéries productrices de carbapénèmases,  Enterococcus faecium  résistantes aux glycopeptides, levures du genre Candida résistantes aux azolés et virus influenza résistants aux inhibiteurs de neuraminidase) [ 31 ]. Ces menaces ont activé la recherche de nouvelles stratégies thérapeutiques. Récemment, plusieurs études ont ainsi mis en évidence la capacité de métabolites de l’hôte à inhiber des voies métaboliques microbiennes, à restaurer la sensibilité aux antibiotiques de bactéries résistantes et à perturber le cycle de réplication de virus.

Métabokines et inhibition des voies métaboliques microbiennes
Parmi les stratégies thérapeutiques envisagées en infectiologie, les molécules microbicides capables d’éliminer directement les agents pathogènes sont les plus étudiées. Ces stratégies visent notamment à interférer avec des caractéristiques propres aux microorganismes. Par exemple, les bactéries et les champignons utilisent un cycle particulier, le cycle du glyoxylate, une voie métabolique dérivée du cycle de Krebs, importante pour l’utilisation par ces micro-organismes de sources alternatives de carbone ( Figure 3A ) . Des métabokines endogènes sont capables de bloquer des enzymes clés de ce cycle, avec pour conséquence l’accumulation de composés toxiques pour le microorganisme ou le blocage de voies qui sont essentielles à sa survie ( Figure 3A ) . Ainsi, l’itaconate inhibe l’isocitrate lyase, l’enzyme qui catalyse chez plusieurs agents pathogènes le clivage de l’isocitrate en succinate et glyoxylate, ce qui induit la mort de ces micro-organismes. Parmi ceux-ci figurent les bactéries Mycobacterium tuberculosis , Salmonella enterica , Legionella pneumophilia , Staphylococcus aureus et Vibrio sp , ainsi que les levures du genre Candida [ 32 - 34 ]).

Métabokines et restauration de la sensibilité aux antibiotiques
La susceptibilité des bactéries aux antibiotiques est influencée par leur état métabolique [ 35 ]. Les bactéries persistantes présentent un métabolisme altéré ; leur force proton-motrice 2, est réduite, ce qui limite leur absorption d’antibiotiques et leur confère une résistance à la présence de ces derniers dans le milieu. Cette persistance bactérienne participe à la formation de biofilms 3 , et est également associée aux infections chroniques [ 36 ].

Certaines métabokines endogènes restaurent la sensibilité des bactéries résistantes aux antibiotiques ( Figure 3B ) . Le succinate, le glutamate, l’alanine et le glucose stimulent en effet la force proton-motrice des bactéries, ce qui accroît alors la pénétration des antibiotiques dans les cellules et donc la mort de ces dernières [ 35 , 37 , 38 ]. Cette restauration de la sensibilité aux antibiotiques a été démontrée aussi bien chez des bactéries à Gram négatif ( Escherichia coli, Pseudomonas aeruginosa, Edwardsiella tarda ) que chez des bactéries à Gram positif ( Staphylococcus aureus ) [ 35 , 37 , 38 ].

Métabokines et perturbation du cycle de réplication virale
Certaines métabokines endogènes présentent également des propriétés antivirales. Quelques études ont notamment montré que l’itaconate est capable de perturber le cycle de réplication de plusieurs virus. Ainsi, lorsque le virus Zika infecte des neurones [ 39 ] ou que les Mimivirus infectent des macrophages [ 40 ], une cascade de signalisation est activée dans les cellules infectées afin de déclencher une réponse antivirale. Le gène IRG1 ( immune responsive gene-1 ), qui code l’enzyme impliquée dans la synthèse de l’itaconate par décarboxylation du cis -aconitate, est alors fortement exprimé, créant un environnement cellulaire défavorable à la réplication virale via un mécanisme qui n’est que partiellement élucidé ( Figure 3C ) . Dans le cas du virus Zika, l’itaconate inhiberait l’activité de la succinate déshydrogénase au cours du cycle de Krebs, ce qui conduirait à l’accumulation de succinate et à la diminution de la consommation d’oxygène dans les neurones [ 39 ]. Chez la souris, l’administration d’itaconate prévient l’infection de leur système nerveux central par le virus Zika [ 39 ]. Par ailleurs, au cours d’un criblage pharmacologique, Sethy et al. ont identifié un analogue synthétique de l’itaconate capable d’inhiber la réplication du virus influenza en bloquant l’exportation de certaines protéines virales du noyau vers le cytoplasme de la cellule infectée [ 41 ] ( Figure 3D ) .
Conclusion et perspectives

Les métabokines jouent donc un rôle crucial dans l’immunité anti-infectieuse, en contrôlant la réponse des cellules immunitaires de l’hôte et en ciblant directement ou indirectement les microorganismes pathogènes. Rappelons que les métabolites présents chez un individu ne proviennent pas uniquement du métabolisme de ses propres cellules. Le métabolome (l’ensemble des métabolites) est en effet constitué également de métabolites issus de son alimentation, ainsi que de son microbiote [ 3 , 42 ].

Chaque individu possède un microbiote, c’est-à-dire une flore microbienne, qui lui est propre et qui produit des métabolites qui lui sont spécifiques. Il est désormais bien établi que la composition de ce microbiote influence la susceptibilité de l’individu aux infections, sans que les mécanismes moléculaires sous-jacents ne soient complètement élucidés [ 43 ]. Cette susceptibilité peut-elle dépendre en partie de ces métabolites, qu’ils soient endogènes ou microbiens ? La composition du métabolome conditionne-t-elle la robustesse de la réponse immunitaire d’un individu ? La réponse à ces questions devrait enrichir le concept d’immunité, ainsi que notre manière d’appréhender la lutte anti-infectieuse. Les recherches sur les métabokines pourraient ainsi ouvrir la voie au développement de traitements métaboliques anti-infectieux innovants.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 En présence d’oxygène, la plupart des cellules différenciées métabolisent le glucose en pyruvate dans le cytoplasme, puis en dioxyde de carbone au cours du cycle de Krebs dans les mitochondries. Cette réaction permet une production maximale d’ATP et une production limitée de lactate. Cette réaction n’est possible qu’en présence d’oxygène. Elle correspond à la glycolyse aérobie. La glycolyse anaérobie (en l’absence d’oxygène) convertit le glucose en acide lactique, produisant ainsi de grandes quantités de lactate et peu d’ATP.
2 Gradient de protons permettant les transferts de petites molécules au travers de la membrane.
3 Des amas structurés de cellules bactériennes enrobés d’une matrice polymérique et attachés à une surface.
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