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Med Sci (Paris). 37(4): 315–316.
doi: 10.1051/medsci/2021039.

L’envolée des publications scientifiques en temps de Covid-19
Séparer le bon grain de l’ivraie

Pierre Corvol1*

1Professeur émérite au Collège de France, Collège de France , 11 place Marcellin Berthelot , 75005Paris , France
Corresponding author.

MeSH keywords: Accès à l'information, Recherche biomédicale, COVID-19, Exactitude des données, Promotion de la santé, Histoire du 21ème siècle, Humains, Pandémies, Éducation du patient comme sujet, Évaluation de la recherche par les pairs, Pratique professionnelle, Relations entre professionnels de santé et patients, Publications, SARS-CoV-2, Inconduite scientifique, Biais de sélection, histoire, normes, statistiques et données numériques, tendances, épidémiologie, thérapie, virologie, méthodes, éthique, pathogénicité, physiologie

 

Il n’y a pas d’exemple de progression aussi rapide des connaissances dans la sphère biologique et médicale que celle provoquée par la pandémie de Covid-19. Les premiers cas de pneumopathie compliquée d’un syndrome de détresse respiratoire aiguë en novembre 2019 à Wuhan ont été suivis rapidement de l’identification de l’agent pathogène, le virus SARS-CoV-2. Le gène a été séquencé en quelques semaines et, actuellement, plusieurs centaines de milliers de séquences de génomes ont été répertoriées pour étudier la phylogénie du virus et rechercher l’apparition de mutations pouvant modifier la transmissibilité du virus et sa pathogénicité. La structure tridimensionnelle de la protéine « spike » du virus, responsable de son entrée dans les cellules pulmonaires humaines, a été publiée en un temps record. Au plan clinique, les études épidémiologiques et de modélisation ont très vite permis de suivre et de prédire la progression de la pandémie. Les informations sur le virus et son mode d’action, sur les formes graves de la maladie et l’emballement du système immunitaire ont, dès le début 2020, ouvert la voie à la recherche de médicaments. Les premières tentatives d’essais thérapeutiques ont eu lieu dès le premier trimestre 2020. Enfin, plusieurs types de vaccins, dont des vaccins originaux à ARN, ont été mis au point et auront été administrés en moins d’un an, une première !

Les chercheurs de tous les pays se sont massivement mobilisés et ont publié une somme impressionnante d’articles. La plateforme en ligne LitCovid 1 permet d’accéder aux 85 000 articles sur la Covid-19, dont il est déjà quasiment impossible de faire le tour, même dans un secteur bien déterminé. Chaque semaine, depuis mai 2020, près de 2 300 articles sont publiés sur la Covid-19. Comme pour toute publication scientifique, les manuscrits sont évalués de façon critique par les pairs (peer-review) et par les éditeurs qui décident de l’acceptation du manuscrit. La participation chinoise a été importante, surtout au début de la crise. Les journaux prestigieux ont pu recevoir jusqu’à une centaine de manuscrits par jour pour en publier moins de 2 ou 3 %. Plusieurs d’entre eux ont demandé aux examinateurs une revue rapide des manuscrits pour permettre une publication express.

En plus des publications scientifiques, la crise a stimulé la mise en ligne de manuscrits sur les plateformes de « preprints » MedRxiv et BioRxiv (actuellement 12 000 preprints 2 ). Jusqu’à la pandémie, ces archives étaient très peu utilisées par la communauté médicale. Elles permettent un accès rapide aux données, gratuit et accessible à tous. On peut s’en réjouir, mais rappelons que les manuscrits déposés sur ces plateformes ne sont pas encore revus et évalués par des examinateurs ; ils peuvent être améliorés en ligne par les lecteurs. Il s’agit donc de textes préliminaires qui ne peuvent être considérés à l’égal des publications. Ils ne doivent pas être utilisés comme guide thérapeutique et ne devraient pas être mentionnés dans les médias. Par ailleurs, la relative facilité de déposer une étude sous forme d’un preprint sur une archive en ligne a pu favoriser l’accès à une avalanche d’études médiocres, qui ne seront jamais publiées.

Plus de 30 éditeurs ont déclaré offrir un accès gratuit à leurs articles transférés sur les sites PubMed et PubMedCentral. Cette initiative renforce le mouvement de la « Science ouverte » mis en place avant la crise pandémique, qui permet d’avoir accès librement aux publications, aux codes et aux données source. De même, les recherches cliniques et les essais thérapeutiques en cours sont accessibles à tous sur le site ClinicalTrials.gov 3 de la National Library of Medicine ou son équivalent européen (EUdraCT). À ce jour, 4 300 études sont enregistrées dans 131 pays (dont 591 en France), 165 concernent les vaccins.

Dès le début de la crise, une recherche intense de médicaments antiviraux et de différents types de vaccins, dont les vaccins à ARN messager, a été entreprise. L’urgence de la pandémie explique la multiplication des études et la nécessité de les publier rapidement.

Les phases d’étude clinique des nouvelles molécules et des vaccins suivent des règles précises et longues. Des procédures accélérées pour l’évaluation initiale des demandes d’autorisation des essais en lien avec la Covid-19 ont été mises en place en France par la Direction générale de la santé, l’ensemble des Comités de protection des personnes (CPP) et l’Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé (ANSM). Le contexte d’urgence a pu motiver une tolérance vis-à-vis d’essais thérapeutiques sans expertise méthodologique suffisante, mais a dispersé l’effort de recherche clinique auquel ont contribué l’absence d’autorité de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et le manque de concertation entre les agences nationales du médicament, même au sein de l’Union européenne. De nombreux essais thérapeutiques ont été entrepris, certains redondants, non concluants, quand ils n’étaient pas contradictoires. Certains d’entre eux ont été publiés et diffusés prématurément dans les médias. Ils ont nourri la méfiance du public vis-à-vis de la science.

Tout essai thérapeutique répond à des règles méthodologiques et à l’observation d’impératifs déontologiques et éthiques. Il a pu être tentant de bousculer les règles pour répondre à l’urgence mais, avec le recul, la transgression de ces principes n’a pas facilité la découverte rapide d’un traitement et a abouti à une confusion qui a réduit les chances de trouver des indications thérapeutiques irréfutables 4 . Tel a été le cas des études sur la chloroquine et l’hydroxychloroquine, où la hâte à conduire des essais mal construits et à publier n’a pas permis pendant longtemps de conclure à l’absence d’efficacité thérapeutique de ces molécules.

Mais il faut bien distinguer les mauvaises pratiques de recherche et l’absence de rigueur scientifique dans une étude clinique ou un essai thérapeutique des articles frauduleux où les résultats sont délibérément faussés, avec intention de nuire à la vérité.

L’empressement à publier en période de crise ne doit pas conduire à s’abstraire du respect de l’intégrité scientifique tel que le rappelle le Code de conduite européen pour l’intégrité en recherche 5, . Consubstantielle de toute activité de recherche, c’est sur l’intégrité scientifique des chercheurs que reposent le savoir et la connaissance. Le site « Retraction Watch », qui signale les articles rétractés par leurs auteurs dans les journaux scientifiques, le plus souvent pour manquement à l’intégrité scientifique, relève 40 articles portant sur la Covid-19 rétractés en un an 6 . Il est cependant encore trop tôt pour faire le bilan de l’ensemble des articles qui n’ont pas respecté les règles de l’intégrité scientifique.

Deux articles ont été rétractés spectaculairement car les données à la base de ces publications n’ont pu être fournies par leurs auteurs. L’un, publié dans The Lancet le 22 mai 2020, portait sur l’analyse d’une banque de données de dossiers électroniques de 96 000 patients Covid-19 provenant de 671 hôpitaux de différents pays. L’article concluait à l’inefficacité thérapeutique de l’hydroxychloroquine et à un risque accru d’effets secondaires cardiaques graves, voire mortels, sous ce traitement. Cette publication a entraîné une réaction rapide de l’OMS qui a arrêté l’introduction de l’hydroxychloroquine dans son essai multicentrique Recovery. Il est vite apparu qu’aucune information ne pouvait être fournie sur les dossiers médicaux électroniques à l’origine de l’article. Ils provenaient de l’entreprise Surgisphere, dont l’un des dirigeants était aussi l’un des quatre auteurs de l’article. Absence de transparence, conflits d’intérêts, absence de consentement des patients et des hôpitaux, négligence des référés, précipitation de l’éditeur du Lancet, ont amené l’auteur principal à rétracter l’article. L’OMS est alors revenue sur sa décision d’interdire l’hydroxychloroquine dans son essai thérapeutique ; la France devait suivre ce volte-face. L’affaire a été qualifiée de « LancetGate »… Une autre étude publiée au début du même mois de mai dans le New England Journal of Medicine (NEJM), toujours avec des données provenant de Surgisphère, a également été rétractée par leurs auteurs pour les mêmes raisons. Elle concluait à l’absence d’effet des médicaments antihypertenseurs dans l’évolution de la Covid-19, mais sans provoquer le même émoi car elle ne portait pas sur la si controversée hydoxychloroquine.

Les publications rétractées du Lancet et du NEJM (et jusqu’à récemment encore citées !) mettent en avant l’importance de la qualité des données, du consentement des patients et des hôpitaux, et, en cas de publication, de leur analyse critique par les référés et du rôle de l’éditeur.

Les patients, les médecins et les scientifiques sont les premiers à pâtir des mauvaises pratiques de recherche et des entorses à l’intégrité scientifique. Les chercheurs et les sociétés savantes sont bien conscients de la nécessité de mener rigoureusement les essais cliniques et de lutter contre la fraude scientifique. Dans une Tribune publiée dans le quotidien Libération intitulée « Halte à la fraude scientifique » 7 , ils rappellent « qu’un scientifique est libre de ses hypothèses, de sa méthode et de défendre celles qui vont à contre-courant. Mais pour convaincre, il doit apporter des résultats transparents, exhaustifs, reproductibles, afin que ses pairs puissent vérifier ce qu’il proclame : préalable indispensable pour en faire rapidement bénéficier la population ».

Sur le plan sociétal et politique, les méconduites scientifiques conduisent à des interprétations erronées et à des comportements à risque dans le domaine de la santé. Le prétendu effet nocif des vaccins contre la rougeole, les oreillons et la rubéole a contribué à la méfiance du public vis-à-vis de la vaccination en général 8 . La méfiance, voire la défiance du public vis-à-vis de la science, est une des conséquences désastreuses des méconduites scientifiques. Elle s’ajoute aux critiques formulées par ailleurs sur la gestion de l’épidémie par le gouvernement pour alimenter les théories complotistes. Pour autant, elles ne doivent pas éclipser les remarquables progrès scientifiques et thérapeutiques qui ont été accomplis au cours de la crise. Avec un recul de seulement un an, on peut dire que la vraie science sort incroyablement gagnante de la pandémie. Il a fallu moins d’un an pour séparer le bon grain de l’ivraie.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
8 Un exemple caractéristique est celui du rejet de la vaccination ROR (rougeole-rubéole-oreillons) par le public suite à « l’affaire Wakenfield ». Une publication d’Andrew Wakenfield dans The Lancet en 1998 établissait un lien entre vaccination ROR et autisme. En 2011, plusieurs articles du British Medical Journal accusent le Dr. Wakenfield de fraude ; il est radié à vie du Collège des médecins, mais il se trouve encore des partisans pour soutenir ses travaux.