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Med Sci (Paris). 37(3): 298–299.
doi: 10.1051/medsci/2021030.

Le Grand Prix Inserm 2020 a honoré Dominique Costagliola

Marcel Goldberg1*

1Unité Cohortes épidémiologiques en population-Inserm/Université de Paris/Université Paris Saclay/UVSQ , 16 avenue Paul-Vaillant-Couturier , F-94800Villejuif , France
Corresponding author.

MeSH keywords: Biostatistiques, Commerce, Épidémiologie

 

Vignette (Photo © Inserm).

Épidémiologiste et biostatisticienne, après une formation initiale en physique, Dominique Costagliola intègre l’École nationale supérieure des télécommunications. En troisième année, elle choisit l’option « Génie biologique et médical », et soutient ensuite en 1981 une thèse en biomathématique. Dès 1982, elle est recrutée à l’Inserm dans l’unité « Biomathématiques et biostatistiques » dirigée par Alain-Jacques Valleron. Après avoir tout d’abord travaillé sur le diabète, elle s’oriente rapidement vers l’étude des maladies infectieuses, qui implique des approches complémentaires d’épidémiologie et de modélisation, où sa formation en mathématiques et statistique peut s’exprimer pleinement. En ces années 1980, l’épidémie d’infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) est en plein développement et est devenue un problème majeur de santé publique : c’est le domaine où elle va s’investir à partir de 1986.

Dans un premier temps, Dominique Costagliola utilise des méthodes statistiques pour estimer les paramètres cachés de l’épidémie, tels que la durée d’incubation, l’incidence de l’infection à VIH, ou la taille de l’épidémie. Ainsi, en collaboration avec Christine Rouzioux, elle a estimé le moment de la contamination mère-enfant, montrant que chez les femmes non traitées et n’allaitant pas, les deux-tiers des contaminations se produisent lors de l’accouchement et, chez la plupart des autres, pendant le dernier mois de la grossesse, ouvrant ainsi la voie à la prévention de la transmission via le traitement de la mère, même initié tardivement au cours de la grossesse. Alors qu’elle a ensuite largement diversifié ses thématiques de recherche, elle reprend à partir de 2008 l’étude des paramètres cachés de l’épidémie. Avec Virginie Supervie, elle montre que l’objectif de ONUSIDA pour contrôler l’épidémie (le « 90-90-90 » : 90 % des personnes vivant avec le VIH diagnostiquées, 90 % des personnes diagnostiquées sous traitement antirétroviral et 90 % des personnes sous traitement avec une charge virale contrôlée), est pratiquement atteint en France, mais que l’épidémie reste toujours active, en particulier chez les hommes qui ont des relations sexuelles avec les hommes. Les modèles de diffusion de l’épidémie montrent en effet que le paramètre clé pour le contrôle de l’épidémie est le délai entre l’infection et le fait d’avoir une charge virale contrôlée, synonyme d’absence de risque de transmission. Ces modèles montrent qu’il faudrait que 90 % des personnes infectées soient traitées dans l’année qui suit leur infection pour espérer contrôler l’épidémie grâce au traitement. Or, en France, le délai entre infection et diagnostic est alors en médiane de 3 ans et 2 mois, indiquant ainsi que, avec cette durée de dépistage, il ne sera pas possible de contrôler l’épidémie par le traitement sans, en parallèle, prévenir l’acquisition de nouvelles infections. C’est pourquoi, la prophylaxie préexposition (ou PrEP) chez les personnes à haut risque d’infection est une avancée majeure et Dominique Costagliola en sera une actrice majeure. Elle préside le comité indépendant de l’essai Ipergay (qui sera interrompu précocement car il montre rapidement son efficacité : 86 % de réduction du risque d’acquisition de l’infection). Elle coordonne avec Jean-Michel Molina l’étude Anrs Prévenir, qui vise à montrer qu’en déployant la PrEP chez une proportion suffisante des hommes à haut risque (hommes qui ont des relations sexuelles avec les hommes), on observera une baisse de l’incidence de l’infection à VIH dans ce groupe, permettant d’envisager le contrôle de l’épidémie en France.

Une autre des contributions majeures de Dominique Costagliola à la lutte contre l’épidémie d’infections par le VIH est la conduite d’un dispositif, particulièrement innovant à l’époque, d’observation épidémiologique. Après avoir participé en 1988 à la création par Alain-Jacques Valleron de ce qui deviendra la base de données hospitalières française sur l’infection à VIH ANRS CO4 FHDH ( French Hospital Database on HIV-ANRS CO4 FHDH), elle en prend la direction en 1992. Alors qu’à cette époque l’idée de mettre en place des cohortes épidémiologiques de longue durée faisait l’objet d’un large scepticisme, cette initiative s’est avérée primordiale dans le domaine de l’étude de l’infection à VIH, ayant permis plus de 250 publications de haut niveau. Cette cohorte hospitalière multicentrique où les patients sont inclus en continu, associant 176 hôpitaux, constitue une des plus grandes cohortes de ce type au monde, et participe à plusieurs collaborations internationales. Elle permet, à partir de quelques données biologiques et cliniques structurées, recueillies de façon systématique à l’occasion des soins, de décrire les personnes vivant avec le VIH prises en charge en France et, seule ou en collaboration avec d’autres cohortes des pays du Nord comme du Sud, de faire progresser les connaissances.

Parmi les nombreux travaux auxquels Dominique Costagliola a contribué, on peut également citer l’étude des facteurs pronostiques et du choix du moment de mise en Ĺ“uvre du traitement, l’étude de l’impact de l’infection à VIH et/ou des traitements sur la morbi-mortalité sévère non-Sida, où, en utilisant les méthodes d’inférence causale en situation observationnelle, elle a notamment montré l’impact de l’immunodépression et de l’activation immune induite par l’infection à VIH sur le risque de cancer, notamment les cancers associés à des virus, et sur le risque d’infarctus. Une de ses contributions importantes en termes de santé publique est d’avoir montré qu’en France, près d’un patient sur trois est pris en charge tardivement et mis ainsi en évidence les conséquences défavorables d’une prise en charge tardive sur le risque de décès.

À partir de 1992, alors que l’arrivée des combinaisons antirétrovirales s’annonce, Dominique Costagliola s’engage également dans le domaine de la recherche clinique en tant que responsable d’un centre de méthodologie, de gestion et d’analyses statistiques de l’Anrs, conduisant de nombreux essais cliniques et des études observationnelles, en particulier avec Christine Katlama, avec laquelle elle travaille notamment sur l’optimisation du traitement antirétroviral. Une de leurs thématiques de recherche récente consiste à questionner, dans le domaine de la prise en charge des patients, des aspects aussi cruciaux que la nécessité d’une trithérapie à vie pour toutes les personnes vivant avec le VIH, ou la possibilité de changer le paradigme d’une trithérapie pour tous par un traitement adapté à chacun, garantissant une charge virale contrôlée.

Outre ces travaux, Dominique Costagliola a une importante activité d’expertise scientifique, en France et à l’étranger, dans différents domaines de santé publique. Elle a aussi joué un rôle très important en matière d’animation et de formation à la recherche, en dirigeant de 2014 à 2018 l’Institut Pierre-Louis d’Épidémiologie et de santé publique, dont elle est encore directrice adjointe, et l’École doctorale Pierre-Louis de santé publique à Paris (Sorbonne Université et Université de Paris) de 2011 à 2018.

Aujourd’hui, en ces temps de crise sanitaire, Dominique Costagliola est très active dans la lutte contre la pandémie de COVID-19. Qui ne l’a pas vue à la télévision ou entendu à la radio ? Toujours juste et claire, s’appuyant sur des données établies, elle est, au milieu d’une pléthore d’intervenants dans les médias grand public dont l’expertise est souvent auto-proclamée, une des très rares scientifiques qui sait de quoi elle parle.

Cette brillante carrière, qui mêle des travaux faisant appel aux méthodes complémentaires de l’épidémiologie observationnelle, de la recherche clinique et de la modélisation mathématique, qui a apporté des avancées majeures pour la recherche et pour la santé publique, sans oublier sa profonde implication avec les associations de malades, est largement reconnue, comme notamment le montrent son élection en 2017 à l’Académie des sciences, où elle a rejoint Alain-Jacques Valleron, et le Grand Prix de l’Inserm reçu en 2020.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.