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Med Sci (Paris). 37(3): 226–230.
doi: 10.1051/medsci/2021006.

Un passager clandestin
Un VIH infectieux caché dans les plaquettes alimente les macrophages tissulaires

Fernando Real,1,2,3 Aiwei Zhu,1,2,3 and Morgane Bomsel1,2,3*

1Laboratoire Entrée muqueuse du VIH et immunité muqueuse, Département 3I, Institut Cochin, Université Paris Descartes, Sorbonne Paris Cité , 75014Paris , France .
2CNRS UMR8104 , 75014Paris , France .
3Inserm U1016, Institut Cochin , 22 rue Méchain , 75014Paris , France .
Corresponding author.

MeSH keywords: Plaquettes, Réservoirs de maladies, Infections à VIH, VIH-1 (Virus de l'Immunodéficience Humaine de type 1), Humains, virologie, transmission, isolation et purification

 

Chez les patients infectés par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) sous traitement antiviral efficace, avec une virémie indétectable dans le sang, le virus arrête sa réplication mais reste intégré dans l’ADN de cellules appelées « réservoirs du virus ». Plusieurs types cellulaires peuvent former des réservoirs, les mieux connus étant les lymphocytes T CD4 + circulants [ 1 ]. Cependant les macrophages tissulaires sont aussi capables de constituer des réservoirs du VIH, comme nous l’avons montré récemment [ 2 ]. Les mécanismes qui permettent aux réservoirs du virus de se maintenir au cours du temps (jusqu’à plusieurs dizaines d’années) malgré les traitements antirétroviraux restent mal compris.

En plus de leur implication dans l’hémostase, les plaquettes sanguines ont un rôle dans la réponse immunitaire dont l’importance commence à être reconnue. En particulier, les plaquettes sont capables d’internaliser des agents infectieux bactériens ou viraux, comme le VIH ou les virus de l’herpès, in vitro [ 3 ]. Si tel était le cas in vivo, ces virus seraient alors abrités par la plaquette, protégés des agressions extérieures, tout en circulant dans l’organisme et pouvant atteindre les tissus. Par ailleurs , les plaquettes sont éliminées par les macrophages tissulaires dans des contextes aussi bien physiologiques qu’inflammatoires [ 4 , 5 ], et la phagocytose des plaquettes contenant du virus par les macrophages représenterait donc une voie permettant au VIH d’établir et de maintenir des réservoirs viraux dans ces cellules [ 2 , 6 ] ( )

(→)Voir la Nouvelle de F. Real et M. Bomsel, m/s n° 3, mars 2019, page 209

L’étude dont nous avons récemment publié les résultats dans la revue Science Translational Medicine montre que les plaquettes sanguines de patients infectés par le VIH hébergent des virus infectieux, malgré une thérapie antivirale combinée efficace supprimant la charge virale dans le sang. Chez ces patients, la présence de VIH dans les plaquettes est fortement corrélée à l’échec du rétablissement de la réponse immunitaire impliquant les lymphocytes T CD4 + . De plus, les plaquettes peuvent propager le virus infectieux aux macrophages in vitro , ce qui révèle l’existence d’une voie alternative de dissémination du VIH vers ce réservoir cellulaire du virus [ 7 ].

In vivo, les plaquettes sanguines de sujets infectés par le VIH sous traitement antirétroviral, efficace contiennent du virus infectieux

Nous avons d’abord testé l’hypothèse selon laquelle les plaquettes se comportent en vecteur circulant du VIH in vivo , mettant le virus à l’abri de l’action directe des médicaments antirétroviraux, ce qui favoriserait sa propagation dans l’organisme. Ainsi, nous avons analysé du plasma riche en plaquettes provenant de personnes infectées par le VIH et recevant un traitement antirétroviral efficace. Nous nous sommes concentrés sur des patients ayant une charge virale dans le sang indétectable pendant plus d’un an, à la date du prélèvement de plaquettes, que nous appellerons patients « virologiquement supprimés ». À l’aide de ces prélèvements de plaquettes, nous avons montré par une combinaison de techniques – PCR quantitative, cytométrie en flux couplée l’hybridation in situ , immunomarquages détectés par microscopies confocale et électronique – que les plaquettes de ces patients contiennent du VIH, non seulement de l’ARN viral mais aussi des protéines comme la protéine de capside p24, le virus étant toujours localisé dans des vésicules internes. Nous avons ensuite montré que ce virus est infectieux et capable de transférer l’infection à des macrophages tissulaires in vitro [ 7 ] ( Figure 1 ) . L’infection de ces macrophages est productive car les macrophages tissulaires secrètent à leur tour des virus infectieux. Comment alors empêcher la transmission par les plaquettes de cette infection aux macrophages tissulaires ? En bloquant l’interaction entre les plaquettes et les macrophages avec des agents antiagrégants plaquettaires tels que les anticorps monoclonaux (fragment Fab) spécifiques des intégrines des plaquettes, comme l’intégrine αIIb/β3 (abciximab) [ 7 ].

La présence du VIH dans les plaquettes est fortement corrélée à une défaillance immunologique

Environ 20 % des patients sous traitement antirétroviral efficace et « virologiquement supprimés » ne parviennent pas à reconstituer un taux de lymphocytes T CD4 + suffisant pour leur conférer un statut de compétence immunitaire. Ces patients, appelés « non-répondeurs immunologiques » (NRI) [ 8 ], sont définis comme des individus infectés par le VIH et dont le nombre de lymphocytes T CD4 + dans le sang est inférieur à 350 cellules/μl malgré une charge virale sanguine indétectable depuis plus d’un an [ 9 ]. Les causes de cette défaillance immunologique restent inconnues, et aucun traitement n’est disponible pour améliorer la restauration du nombre de lymphocytes T CD4 + et la santé de ces patients NRI. À cause de leur faible taux de lymphocytes T CD4 + , les patients NRI sont plus exposés aux risques de morbidité et de mortalité liées au Sida (syndrome d’immunodéficience acquise) et à d’autres maladies.

Nous avons analysé les données cliniques de l’ensemble des patients durant 18 mois avant et 18 mois après avoir recueilli et analysé la présence du virus dans leurs plaquettes. Ces analyses ont montré que la présence du VIH infectieux dans les plaquettes est indépendante de la virémie du patient et du nombre de ses plaquettes. En revanche, elle est fortement corrélée avec la valeur la plus basse de la concentration des lymphocytes T CD4 + dans le sang atteinte pendant les 36 mois de suivi du patient (< 200 lymphocytes T CD4 + /μl) et la faible concentration de ces lymphocytes à la date du prélèvement (< 350 lymphocytes T CD4 + /μl) [ 7 ]. L’analyse multivariée en composantes principales et la régression logistique multinomiale des données montrent que le seul paramètre clinique fortement associé à la présence du VIH dans les plaquettes est un nombre faible de lymphocytes T CD4 + . De plus, la présence du VIH dans les plaquettes permet de prédire une absence de remontée du taux de lymphocytes T CD4 + chez ces patients pendant les 18 mois suivant l’échantillonnage, ces patients restant NRI. Plus précisément, les analyses statistiques prédictives indiquent que les patients dont les plaquettes sont porteuses du VIH ont une probabilité environ 50 fois plus élevée de ne pas se rétablir immunologiquement, gardant des taux de lymphocytes T inférieurs à 350/μl dans les 18 mois qui suivent l’échantillonage malgré la thérapie antirétrovirale, par rapport aux patients dont les plaquettes ne contiennent pas de VIH [ 7 ] ( Figure 2 ) .

Les mégacaryocytes infectés sont la source probable des plaquettes contenant le virus

Comme les patients dont les plaquettes contiennent le VIH n’ont pas de virus détectable dans le sang, cela exclut la possibilité que les plaquettes aient capturé des particules virales provenant du sang par endocytose, bien que l’endocytose des virus ait été montrée in vitro [ 10 , 11 ]. En outre, la présence de virus infectieux intacts dans les plaquettes provenant de personnes chez lesquelles la virémie a été supprimée par traitement antirétroviral indique que le VIH s’associe aux plaquettes dans une niche de réplication virale active et que le virus présent dans les plaquettes ne provient pas d’une endocytose de particules virales produites par réplication « à bas bruit » à partir des réservoirs lymphocytaires circulants. Un séquençage du génome du VIH suivi d’analyses phylogénétiques a été effectué à partir d’échantillons longitudinaux de cellules mononucléées du sang et de plaquettes avant le traitement et après une suppression prolongée de la virémie par des antirétroviraux. Cela nous a permis de montrer que les virus contenus dans les plaquettes proviennent d’un site de réplication active, continue, dans un compartiment différent du sang, chez les patients ayant subi une suppression des antirétroviraux.

Quel pouvait être ce compartiment ? Les mégacaryocytes (cellules précurseurs des plaquettes), dont l’infection par le VIH avait été suggérée dès la fin des années 1980 par des études d’hybridation in situ détectant l’ARN viral chez des patients infectés et non traités, semblaient le meilleur candidat [ 12 ], d’autant plus que leur infection par d’autres types de virus avait également été documentée [ 13 ]. Des études récentes ont montré que les précurseurs des mégacaryocytes de la moelle osseuse provenant de patients ayant longtemps été sous traitement antirétroviral contiennent de l’ADN viral capable de se répliquer [ 14 ]. Ainsi, contrairement aux plaquettes qui ne peuvent que transporter le VIH et son ARN, les mégacaryocytes infectés dans la moelle osseuse, ayant intégré l’ADN proviral dans leur noyau, pourraient représenter ce site de réplication active du VIH conduisant à l’incorporation de virions ou de l’ARN viral dans les plaquettes lors de leur production (thrombopoïèse). Nous avons alors analysé des prélèvements de moelle osseuse de sujets infectés par le VIH sous traitement antirétroviral efficace, sans virémie détectable, et avec un faible taux de lymphocytes T CD4 + . Dans ces échantillons, nous avons détecté l’ARN du VIH et l’ADN proviral intégré dans le noyau des mégacaryocytes par hybridation in situ sur des frottis de moelle osseuse et par une technique de PCR quantitative (qPCR) sur des mégacaryocytes provenant de ces patients [ 7 ]. Ces résultats indiquent que les mégacaryocytes infectés sont la source la plus probable du virus infectieux présent dans les plaquettes, et qu’ils constituent un réservoir important supplémentaire du VIH, qu’une thérapie antirétrovirale devra aussi éliminer pour être totalement efficace.

Perspectives

Aucun traitement n’est actuellement disponible pour améliorer la santé des patients non-répondeurs immunologiques, qui sont plus exposés à des risques de morbidité et de mortalité liées au Sida et à d’autres maladies. La forte corrélation entre la présence de plaquettes sanguines contenant le VIH et une mauvaise récupération immunologique sous traitement antirétroviral incite désormais à considérer la détection du VIH dans les plaquettes comme un marqueur prédictif potentiel en pratique médicale. En outre, les résultats de notre étude suggèrent que les inhibiteurs de la fonction plaquettaire, largement utilisés dans la prévention des accidents thrombotiques en clinique, pourraient également améliorer l’efficacité de la thérapie antirétrovirale sur la récupération immunologique des patients infectés par le VIH.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Acknowledgments

Ce travail a été soutenu financièrement par l’Agence nationale de recherches sur le SIDA et les hépatites virales (ANRS # AO2015-2-17046) et SIDACTION (# 15CONV03). FR a bénéficié d’une bourse post-doctorale de la SIDACTION et de l’ANRS, et AZ d’une bourse de doctorat du Chinese Science Council.

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