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Med Sci (Paris). 37(2): 120–123.
doi: 10.1051/medsci/2020273.

Maladie de Huntington
Une neuro-dégénérescence qui prend sa source dans le développement cérébral ?

Alexandra Durr1* and Sandrine Humbert2**

1Sorbonne Université, Institut du cerveau, AP-HP, Inserm, CNRS, Hôpital Pitié-Salpêtrière , 47 boulevard de l’Hôpital , 75013Paris , France .
2Univ. Grenoble Alpes, Inserm U1216, Grenoble Institut Neurosciences, Chemin Fortuné-Ferrini , 38700La Tronche , France .
Corresponding author.

MeSH keywords: Protéines adaptatrices de la transduction du signal, Adulte, Facteurs âges, Animaux, Antigènes CD, Encéphale, Cadhérines, Protéines du cycle cellulaire, Cortex cérébral, Enfant, Amplification de gène, Humains, Protéine huntingtine, Maladie de Huntington, Souris, Neuroimagerie, Protéine-1 de la zonula occludens, bêta-Caténine, analyse, Imagerie diagnostique, embryologie, composition chimique, anatomopathologie, génétique, métabolisme

 

La maladie de Huntington est une maladie neurologique rare et héréditaire qui se manifeste généralement à l’âge adulte. Elle est causée par une expansion anormale de la répétition d’un triplet CAG dans la séquence nucléotidique du gène codant la huntingtine. Comme pour les autres maladies causées par une expansion similaire dans la séquence nucléotidique d’un gène, mais aussi comme pour d’autres maladies génétiques neurodégénératives se déclarant à l’âge adulte, incluant la sclérose latérale amyotrophique ou les maladies d’Alzheimer et de Parkinson dans leurs formes héréditaires, le gène dont la mutation est responsable de la maladie de Huntington est exprimé dès les premiers jours de la vie embryonnaire. Son expression est d’ailleurs indispensable pour le développement de l’embryon, comme en témoigne la mort in utero , à 7 jours et demi de développement, des souris invalidées pour ce gène [ 1 ]. La huntingtine intervient à plusieurs étapes du développement du cortex cérébral. L’étude d’un modèle murin de la maladie a montré que la huntingtine mutante perturbe le déroulement normal de ces étapes, ce qui conduit à une diminution de l’épaisseur corticale [ 2 ]. De plus, l’expression de la huntingtine mutante ou une diminution de la quantité de huntingtine normale pendant la période de développement cérébral suffit à produire des phénotypes caractéristiques de la maladie de Huntington chez les souris adultes [ 3 , 4 ]. L’ensemble de ces observations suggère qu’il pourrait exister une composante développementale dans la maladie de Huntington.

En accord avec cette hypothèse, des études de neuroimagerie réalisées chez des enfants porteurs de l’expansion anormale de la répétition du triplet CAG à l’origine de la maladie de Huntington ont révélé, dès l’âge de sept ans, c’est-à-dire bien avant l’apparition des premiers symptômes, l’existence d’un volume intracrânien plus faible que celui d’autres enfants du même âge [ 5 ]. Chez des individus adultes également porteurs de cette expansion anormale, l’imagerie par résonance magnétique (IRM), répétée à un an d’intervalle, a permis de constater une diminution du volume neuronal dans le cortex cérébral, précédant l’apparition des symptômes de plusieurs années [ 6 ]. Des neurones dérivés de cellules souches pluripotentes induites (IPS) provenant d’individus porteurs de l’expansion anormale présentent des changements dans l’expression de différents gènes impliqués dans le développement cérébral [ 7 ]. Enfin, la huntingtine mutante modifie l’identité neuronale dans les populations de cellules corticales d’organoïdes cérébraux [ 8 ]. Pour tenter de comprendre comment la huntingtine mutante affecte le développement cérébral humain, nous avons étudié le développement cérébral de fœtus humains porteurs d’une répétition anormale du triplet CAG à l’origine de la maladie de Huntington [ 9 ]. Les fragments de cerveau analysés proviennent de demandes d’interruption médicale de grossesse après un test génétique pré-symptomatique chez la mère ou le père et un test génétique prénatal chez le fœtus [ 10 ]. Nous avons obtenu, à la 11 e semaine d’âge gestationnel (13 e semaine d’aménorrhée), des tissus intacts du cortex cérébral de quatre fœtus porteurs de la mutation qui les prédisposait à la survenue de la maladie après l’âge de 40 ans, et de quatre fœtus témoins.

Pourquoi s’intéresser au cortex cérébral ? Bien que le striatum soit une des premières structures à présenter une perte neuronale dans la maladie de Huntington, ce n’est pas la première à présenter un dysfonctionnement. En effet, les résultats de plusieurs études soutiennent l’hypothèse selon laquelle la dégénérescence du striatum dans la maladie de Huntington est secondaire à un dysfonctionnement du circuit cortico-striatal [ 1 ]. À 11 semaines de développement embryonnaire, les neurones corticaux générés sont ceux des couches profondes du cortex, qui projettent leurs axones vers le striatum et qui sont particulièrement affectés dans la maladie de Huntington à des stades tardifs de la maladie. Les neurones corticaux proviennent de la division des cellules progénitrices de la zone ventriculaire. Ces cellules envoient de fins prolongements vers les surfaces apicale et basale du neuroépithélium, et leur noyau se déplace le long de l’axe apico-basal de concert avec la progression du cycle cellulaire [ 11 ]. Ce processus de migration nucléaire intercinétique, commun au développement des neuroépithéliums pseudostratifiés, permet de maintenir l’équilibre entre le renouvellement et la différenciation des cellules progénitrices de la zone ventriculaire en contrôlant l’exposition de leurs noyaux à des signaux prolifératifs ou neurogènes.

Nous avons d’abord analysé la distribution de la huntingtine qui, chez les fœtus témoins, délimite la surface apicale du neuroépithélium et est plus diffuse dans sa région basale. Chez les fœtus porteurs de la mutation, la huntingtine est anormalement concentrée à la surface apicale du neuroépithélium ( Figure 1 ) . Cette surface est constituée par les extrémités des prolongements apicaux des cellules neuroépithéliales progénitrices unis par des jonctions intercellulaires, elles-mêmes constituées par différentes protéines membranaires et sous-membranaires, telles que ZO1 ( zonula occludens-1 ), PAR-3 ( partitioning defective 3 ), la N-cadhérine et la β-caténine. Or la huntingtine contrôle le trafic de ces protéines, qui est affecté par la huntingtine mutante [ 1 ]. Nous avons donc émis l’hypothèse que la huntingtine mutante pourrait empêcher leur adressage correct aux jonctions intercellulaires. Il existe une colocalisation de la huntingtine avec ZO1, PAR-3, la N-cadhérine et la β-caténine dans la région apicale du neuroépithélium. Les niveaux d’expression de ZO1, de la N-cadhérine et de la β-caténine, qui sont élevés à la surface apicale du neuroépithélium dans la zone ventriculaire des fœtus témoins, le sont encore plus chez les fœtus porteurs de la mutation, avec une réduction concomitante de l’expression de ces protéines dans la région basale du neuroépithélium ( Figure 1 ) . Il existe également une anomalie de la distribution de PAR-3 chez les fœtus porteurs de la mutation : le niveau d’expression de cette protéine est diminué, de sorte que la démarcation de la surface apicale du neuroépithélium dans les échantillons tissulaires issus de ces fœtus et marqués par un anticorps spécifique de la protéine, est atténuée (et non pas intensifiée comme pour la N-cadhérine, la β-caténine, et ZO1).

Pour analyser plus précisément ces désorganisations et leurs conséquences, nous nous sommes tournées vers un modèle murin de la maladie de Huntington. Remarquablement, la huntingtine et les protéines des jonctions intercellulaires présentent les mêmes anomalies de distribution dans le neuroépithélium que chez les fœtus humains. Nous avons par ailleurs observé que déjà à ce stade précoce du développement, la huntingtine mutante empêche le trafic des endosomes, ce qui pourrait être à l’origine des défauts de distribution de ZO1, de PAR-3, de la N-cadhérine et de la β-caténine. Ce modèle murin a également permis d’étudier la migration nucléaire intercinétique, dont le bon déroulement nécessite l’intégrité des extrémités des prolongements apicaux des cellules neuroépithéliales ( Figure 1B ) . Pendant la phase G1 du cycle cellulaire, les noyaux des cellules progénitrices nées à la surface apicale du neuroépithélium se déplacent vers le pôle basal, où se déroule la phase de réplication de l’ADN (phase S), puis retournent pendant la phase G2 vers la surface apicale, où les cellules se divisent (phase M) ( Figure 2A ) . Pour mesurer les déplacements du noyau cellulaire vers les surfaces basale (phase G1) et apicale (phase G2) in vivo chez la souris, nous avons utilisé l’expression de protéines fluorescentes révélant les différentes phases du cycle cellulaire. Chez les embryons de souris modèles de la maladie de Huntington, les noyaux en migration se déplacent plus lentement durant les phases G1 et G2 que ceux des embryons témoins, ce qui entraîne un allongement de ces phases, alors que la transition G1/S est raccourcie. Nous avons également trouvé un indice mitotique plus faible chez les embryons de souris modèles de la maladie de Huntington que chez les embryons témoins, et avons retrouvé cette différence chez les fœtus humains que nous avons analysés [ 9 ].

Les cellules du neuroépithélium possèdent à leur surface apicale un cil primaire, dont l’assemblage et le désassemblage suit la progression du cycle ( Figure 2 ) . Le marquage par un anticorps spécifique a révélé que la longueur et la densité des cils dans la région apicale du neuroépithélium étaient augmentées dans les échantillons issus des fœtus murins et humains porteurs de la mutation, ce qui confirme que les cellules ne progressent pas correctement dans le cycle cellulaire. Comme une phase G1 plus longue et une transition G1/S plus courte caractérisent les cellules progénitrices engagées vers le lignage neuronal, nous avons émis l’hypothèse que la huntingtine mutante pourrait favoriser la production de cellules progénitrices basales, qui sont davantage engagées dans la différenciation neuronale que les cellules progénitrices situées dans la région apicale du neuroépithélium [ 11 ]. En effet, dans les échantillons murins et humains porteurs du gène muté à l’origine de la maladie de Huntington, nous avons observé une plus grande proportion de cellules progénitrices basales. Une analyse de la disposition des cils primaires, dont l’orientation baso-latérale est révélatrice de la production de cellules progénitrices basales, nous a permis de confirmer cette observation ( Figure 2 ) .

En résumé, dans la zone ventriculaire du cerveau des fœtus humains porteurs d’une mutation responsable de la maladie de Huntington, la huntingtine mutante et certaines protéines impliquées dans les jonctions intercellulaires sont anormalement distribuées et la polarité du neuroépithélium est modifiée. Le cycle cellulaire des cellules apicales est perturbé, entraînant une diminution du nombre des cellules neuroépithéliales en train de proliférer et une augmentation du nombre des progéniteurs neuronaux entrant prématurément dans la spécification du lignage neuronal. Ces résultats indiquent que la huntingtine est impliquée dans le contrôle de l’équilibre entre prolifération et différenciation cellulaires au cours du développement. Les défauts du développement cérébral que nous avons observés pourraient rendre ultérieurement le circuit neuronal cortico-striatal plus vulnérable aux dysfonctionnements qui caractérisent la maladie de Huntington. Ainsi, lorsqu’un traitement sera disponible, il devra probablement être administré tôt, bien avant le début des symptômes. Il reste à comprendre en quoi ces défauts précoces du développement contribuent au dysfonctionnement cérébral et à la dégénérescence neuronale qui suivent à l’âge adulte, et comment leur compensation se met très tôt en place et se maintient pendant la longue période silencieuse sans symptômes cliniques (qui dure généralement plusieurs décennies). D’autres études chez l’homme et dans des modèles animaux de la maladie seront nécessaires pour tenter de répondre à ces questions.

Liens d’intérêt

Les auteures déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Acknowledgments

Les auteures remercient les personnes concernées par la maladie de Huntington pour leur aide inconditionnelle à la recherche sur cette maladie, ainsi que M. Barnat pour certaines illustrations de cet article. Ce travail a été cofinancé par l’Agence nationale pour la recherche, la Fondation pour la recherche médicale et la Fondation pour la recherche sur le cerveau.

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