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Med Sci (Paris). 37(1): 68–76.
doi: 10.1051/medsci/2020260.

Modélisation tridimensionnelle in vitro des systèmes nerveux et immunitaire de la peau

Quentin Muller,1,2,3 François Berthod,2 and Vincent Flacher1*

1Laboratoire CNRS UPR3572 / I2CT Immunologie, immunopathologie et chimie thérapeutique, Université de Strasbourg, Institut de biologie moléculaire et cellulaire , 2 allée Konrad Roentgen , 67084Strasbourg , France
2Centre LOEX de l’Université Laval ; Centre de recherche du CHU de Québec - Université Laval et Département de chirurgie, Faculté de médecine , 1401, 18 e avenue , Québec, QCG1J 1Z4 , Canada
3Adresse actuelle : Laboratoire BIOTIS, Inserm U1026, Université de Bordeaux , Bordeaux , France
Corresponding author.
 

Vignette (Photo © Inserm/Zhang Huimin/Labouesse, Michel).

Les interactions neuro-immunes dans la peau

Le système immunitaire et le système nerveux sensoriel sont responsables de la perception du danger. Bien que ces deux systèmes transmettent ces signaux par des voies distinctes, ils peuvent être considérés comme complémentaires. En effet, ces dernières années, l’étude des interactions neuro-immunes s’est imposée comme un axe de recherche susceptible d’améliorer la compréhension des maladies inflammatoires. Dans la peau, les terminaisons nerveuses sensorielles, par leur sécrétion de neuropeptides, peuvent en effet stimuler l’inflammation en augmentant la perméabilité vasculaire et en facilitant le recrutement et l’activation de cellules de l’immunité innée. Un autre aspect de cette collaboration entre systèmes, particulièrement important mais encore mal connu, concerne l’influence des neurones sensoriels sur la fonction des cellules présentatrices d’antigène (cellules dendritiques, macrophages) présentes dans la peau. Ces sentinelles du système immunitaire, par la détection des signaux de danger, la capture et la présentation d’antigènes, orchestrent le développement adéquat de la réponse immunitaire adaptative.

La complexité des interactions neuro-immunes cutanées rend cependant difficile leur modélisation à des fins expérimentales. L’approche in vivo est en effet limitée car les modèles animaux ne reproduisent pas correctement les maladies humaines, et les analyses ex vivo sur explants de peau humaine, qui ne contiennent que des axones sectionnés, ne peuvent renseigner sur la participation des neurones dans une pathogenèse déterminée. Cependant, il existe aujourd’hui des modèles tridimensionnels (3D) in vitro qui reproduisent la structure de la peau, et de récents développements en génie tissulaire permettent d’intégrer à ces modèles 3D une fonction immunitaire ou sensorielle.

Dans cette revue, nous résumerons les connaissances actuelles sur les interactions entre neurones et cellules présentatrices d’antigènes dans le contexte de différentes réponses physiologiques et inflammatoires dans la peau (cicatrisation, dermatite atopique, psoriasis). Nous présenterons ensuite les modèles de peau reconstruite conçus pour l’étude du système nerveux sensoriel et/ou des cellules dendritiques et macrophages. Enfin, nous discuterons les évolutions à apporter à ces modèles existants, afin que ceux-ci puissent proposer une vision aussi complète que possible des influences réciproques entre système immunitaire et système nerveux sensoriel.

Le système nerveux sensoriel dans la peau
Le système nerveux périphérique communique des informations sur l’environnement depuis les tissus vers le système nerveux central [ 1 ]. Dans la peau, les fibres sensorielles Aβ véhiculent les indications relatives au sens du toucher. Les fibres Aδ et C 1 transmettent quant à elles des informations de douleur ou de démangeaison (nociception), particulièrement impliquées dans les maladies inflammatoires cutanées ( Figure 1 ) .

La dépolarisation des fibres nerveuses de type C, à la suite d’une stimulation mécanique, chimique ou thermique, n’a pas seulement pour rôle d’informer le système nerveux central d’un événement douloureux, mais elle déclenche également le processus d’inflammation neurogène via la libération de neuropeptides dans la peau. Ceux-ci interagissent avec des récepteurs exprimés par les cellules de différents types présentes dans la peau (kératinocytes [ 2 ], cellules endothéliales, macrophages, mastocytes [ 3 ], cellules dendritiques) afin d’induire une inflammation, en dilatant le réseau vasculaire, en augmentant sa perméabilité et en attirant localement des cellules immunitaires. Cela aboutira rapidement aux symptômes bien connus que sont la rougeur, la douleur et la chaleur.

De nombreux stimulus capables de déclencher la dépolarisation de neurones sensoriels sont également des signaux de danger reconnus par le système immunitaire, comme par exemple certains motifs moléculaires exprimés par les microorganismes ( pathogen-associated molecular patterns , PAMP) reconnus par les TLR (Toll-like receptors ) [ 4 , 5 ]. L’activité de nociception du système nerveux sensoriel peut ainsi être considérée comme complémentaire de la perception du danger par le système immunitaire. La densité des fibres nerveuses dans la peau et la rapidité avec laquelle les neuropeptides stockés dans des vésicules intracellulaires sont libérés à la suite du déclenchement d’un potentiel d’action induit par les PAMP représentent des avantages indéniables pour cette collaboration entre les deux systèmes.

Régulation des cellules dendritiques et des macrophages par l’innervation sensorielle
Les cellules dendritiques (DC) de la peau forment un ensemble hétérogène. Le derme en contient au moins deux populations distinctes, contrairement à l’épiderme dans lequel les seules DC sont les cellules de Langerhans (LC). À l’état immature, les DC surveillent leur environnement et capturent les antigènes [ 6 ]. La perception de signaux de danger (agonistes des TLR ou cytokines proinflammatoires) provoque leur maturation et leur migration vers les ganglions lymphatiques. L’intégration de ces signaux régulera ensuite l’expression par les DC de cytokines et de récepteurs de surface dont la combinaison, lors de la présentation d’antigène aux lymphocytes T CD4 + naïfs, déterminera la différenciation de ces derniers en lymphocytes T auxiliaires (ou T helper ; Th) de type Th1, Th2 ou Th17, qui orchestreront le déroulement des réponses immunitaires adaptatives. Les macrophages, présents en abondance dans le derme, sont également des cellules présentatrices d’antigène importantes, mais, contrairement aux DC, ils ne migrent pas vers les ganglions lymphatiques. Leur rôle dans la réponse adaptative est donc principalement une régulation des lymphocytes T mémoire résidant dans le derme. Les macrophages contrôlent également le processus de remodelage tissulaire lors de la cicatrisation.

Les rôles de sentinelle et de chef d’orchestre joués par les cellules présentatrices d’antigène rend leur contribution essentielle dans l’activation des lymphocytes effecteurs et de la mémoire immunitaire. Bien que d’autres cellules immunitaires résident dans la peau (mastocytes, lymphocytes T mémoire) ou y sont attirées depuis la circulation en cas d’inflammation (neutrophiles, monocytes), nous nous focaliserons ici sur les DC et les macrophages.

In vivo , DC et macrophages ont été observés en interaction étroite avec des fibres nerveuses sensorielles [ 7 , 8 ] et les DC expriment des récepteurs de neuropeptides qui influencent leur activité [ 7 , 9 ]. Les DC pourraient ainsi jouer un rôle d’intermédiaire dans le contrôle des réponses immunitaires par l’innervation sensorielle. Pour autant, l’influence des neurones sur la capacité des DC à contrôler la différenciation des lymphocytes T in vivo reste peu claire à ce jour, probablement à cause de limitations intrinsèques de tests in vitro utilisant des neuropeptides synthétiques. De plus, la contribution indirecte d’autres types cellulaires, comme celle des cellules de l’endothélium vasculaire, a rarement été étudiée et pourrait jouer un rôle clé dans la relation entre DC et neurones [ 10 ].

Innervation et physiopathologie cutanée
La cicatrisation
La cicatrisation de la peau est un processus d’une extrême complexité, faisant appel à de nombreux types de cellules et de médiateurs solubles. Ce processus a été abondamment étudié in vivo en utilisant des modèles de plaies chez la souris, bien que les mécanismes cicatriciels y soient très différents de ceux déployés chez l’homme. Les plaies cutanées des rongeurs se referment en effet rapidement, par contraction plutôt que par réépithélialisation, et leur fermeture est tellement efficace qu’il est difficile de disposer de contrôles négatifs (absence de guérison), même chez des souris diabétiques pour lesquelles la cicatrisation est problématique. L’utilisation de cellules humaines pour reproduire le processus de cicatrisation est donc une approche souhaitable, mais les techniques conventionnelles de culture sur plastique ne permettent pas de reproduire la complexité du mécanisme.

La peau a été le premier organe reconstruit avec succès par génie tissulaire, dans les années 1980, et plusieurs modèles ont été développés afin de reproduire, au moins en partie, le mécanisme de la réépithélialisation d’une plaie. L’intégration de fibres nerveuses sensorielles dans une peau reconstruite ou dans un explant chirurgical a ainsi permis de démontrer que les neuropeptides qu’elles libèrent ont un effet accélérateur sur la réépithélialisation ( Figure 2A ) [ 11 , 12 ]. Toute blessure déclenche en outre une réponse immunitaire qui est destinée à limiter l’invasion d’agents pathogènes. Son déroulement affecte profondément la cicatrisation proprement dite. Dans les modèles innervés de cicatrisation, l’intégration de cellules immunitaires (en particulier des DC, des cellules de Langerhans, des macrophages) serait donc nécessaire pour comprendre leur implication dans le processus. Le maintien et la réparation des neurones eux-mêmes apparaissent aussi conditionnées par des macrophages spécialisés dans la surveillance du réseau nerveux cutané [ 8 , 13 ].

La dermatite atopique
La dermatite atopique (DA) est une inflammation chronique de la peau. Elle affecte environ 10 % des enfants et 4 % des adultes. Cette inflammation, qui génère des lésions eczémateuses, est dominée, dans sa phase initiale, par des réponses immunitaires de type Th2 [ 14 ]. Le microbiote cutané est perturbé chez ces patients : il présente en effet un enrichissement en bactéries Staphylococcus aureus . La pathogenèse de la DA est généralement associée à un défaut de la barrière épidermique, dont on suppose qu’il facilite la pénétration d’allergènes et de signaux de danger. Ce défaut peut résulter de polymorphismes génétiques, mais aussi de l’inflammation elle-même. Un modèle murin de DA a mis en évidence le rôle de la thymic stromal lymphopoietin (TSLP), qui est libérée notamment par les kératinocytes en situation de stress, et qui induit dans les DC un programme de maturation soutenant une différenciation lymphocytaire Th2, chez l’homme [ 15 ] 2 comme chez la souris [ 16 ].

La dermatite atopique se caractérise par une hyperinnervation des lésions avec des démangeaisons persistantes et très handicapantes. Ces démangeaisons résultent de l’activation des fibres C et Ad, par des voies indépendantes de l’histamine, un médiateur de la réponse allergique [ 1 ]. Les nocicepteurs sont sensibles à des inducteurs présents dans les lésions associées à la DA, comme les bactéries S. aureus [ 4 ]. La TSLP est à l’origine de la transmission d’un signal à laquelle les nocicepteurs participent [ 17 , 18 ] ( ).

(→) Voir la Nouvelle de L. Misery, m/s n° 2, février 2014, page 142

Les interleukines IL-31 et IL-4 produites par les lymphocytes T Th2 provoquent de vives démangeaisons in vivo [ 19 , 20 ]. Ces observations permettent ainsi d’esquisser un schéma pathogénique dans lequel l’inflammation et le prurit s’auto-entretiendraient ( Figure 2B ) . Une implication directe de l’innervation cutanée dans l’initiation des réponses lymphocytaires Th2, typiques de la DA, reste cependant à démontrer. Chez la souris, une inactivation dans les neurones sensoriels des voies de réponse aux cytokines associées aux réponses Th2 ne fait pas disparaître les lésions [ 20 ]. Toutefois, le grattage empêche la cicatrisation, ce qui fragilise la barrière épidermique et participe probablement à établir la phase chronique de la maladie, dominée par une réponse lymphocytaire de type Th1. Enfin, l’efficacité d’anticorps bloquant le récepteur de l’IL-31 dans la prévention du prurit chez les patients atopiques [ 21 ] apparaît comme une avancée importante, qui incite à élucider les interactions neuro-immunes dans la DA.

Le psoriasis
Le psoriasis est une maladie chronique inflammatoire qui affecte plus de 100 millions de patients dans le monde. Elle est caractérisée par un épaississement épidermique, par plaques, consécutif à une réponse immunitaire qui déclenche une hyperprolifération des kératinocytes, notamment via la production d’IL-22 [ 22 ]. L’IL-23, libérée par des DC inflammatoires présentes dans les lésions, est une cytokine essentielle dans les réponses lymphocytaires de type Th17 que l’on observe dans le psoriasis chez l’homme [ 23 ].

Les patients atteints de psoriasis présentent fréquemment un prurit que des traitements anti-inflammatoires ou plus spécifiques contribuent à limiter [ 24 ]. La disparition des plaques inflammatoires à la suite d’une dénervation sensorielle locale est connue depuis plusieurs décennies en clinique [ 25 ] et a été confirmée dans des modèles murins [ 26 ]. Toujours chez la souris, il a été démontré que le CGRP ( calcitonin gene-related peptide ) produit par les neurones sensoriels stimule la production d’IL-23 par les DC de la peau ( Figure 2C ) [ 5 , 7 ]. Ces interactions neuro-immunes pourraient représenter une variante pathologique d’un processus physiologique déclenchant des réponses Th17 protectrices contre certains pathogènes [ 27 ].

Chez la souris, les modèles de psoriasis présentent des caractéristiques souvent très différentes de la pathologie observée chez l’homme [ 28 ]. Développer un modèle humain, combinant innervation sensorielle et DC et utilisant des cellules de patients, présenterait un intérêt particulier pour une comparaison avec les données obtenues chez la souris, permettant de mieux comprendre la pathogenèse humaine.

Modèles de peau innervés ou immunocompétents
Les modèles de peau non innervés
Initialement, le génie tissulaire visait à reproduire un organe fonctionnel in vitro dans le but de le transplanter pour compenser une déficience. Cette approche a évolué vers la modélisation in vitro , reconnaissant ainsi l’utilité de ces reconstructions tissulaires pour des recherches de toxicité de molécules ou le criblage de médicaments. De nombreux modèles non innervés de peau humaine ont donc été développés au cours des dernières décennies, et il est possible de les exposer à un ou plusieurs neuropeptides synthétiques. Cette approche est tout à fait réalisable pour des modèles de peau élaborés à partir de cellules de patients atteints de DA [ 29 , 30 ] ou de psoriasis [ 31 ]. Néanmoins les neuropeptides étant libérés in vivo sous forme de cocktail, leur effet global reste difficile à prédire à partir de leurs propriétés individuelles. Ils sont en outre sécrétés rapidement, très concentrés localement au niveau de l’épiderme ou à l’interface entre le derme et l’épiderme, et ils ont une demi-vie très courte (moins de 15 min). De telles particularités s’avèrent impossibles à reproduire par simple ajout de neuropeptides dans le milieu de culture.
Les modèles de peau innervés
Afin de mimer la libération physiologique de neuropeptides dans la peau, une approche prometteuse consiste à intégrer un réseau nerveux constitué de neurones sensoriels dans un modèle 3D de peau. En introduisant dans le milieu de culture un agoniste induisant une dépolarisation de ces neurones, il sera ainsi possible d’induire, transitoirement, une libération de neuropeptides dans des conditions qui se rapprochent de celles observées dans une peau « normale ». On peut ainsi s’attendre à ce que, en fonction de l’agoniste choisi et de sa concentration, les proportions des neuropeptides libérés soient différentes.

Il est possible de ré-innerver des explants de peau [ 12 , 32 ]. Toutefois, cette procédure, difficilement applicable à des biopsies provenant de patients, ne permet pas de moduler la composition cellulaire de l’explant et ne garantit pas l’élimination des cellules immunitaires cutanées et des fibres nerveuses du donneur (sectionnées lors de la biopsie), et dont les éléments qui subsistent après prélèvement sont susceptibles d’affecter la réponse du modèle. Par conséquent, la reconstruction de peau saine innervée se fait le plus souvent par ensemencements successifs des différents types cellulaires dans une matrice de collagène.

Les neurones sensoriels de rongeurs ont été de longue date la première source disponible de neurones, en particulier ceux extraits d’embryons de souris avant extension axonale. Des neurones de rat (nouveau-né ou adulte) ou de porc ont également été utilisés [ 12 , 30 , 32 , 33 ] ( ).

(→) Voir le Dossier technique de M.M. Beaulieu et al., m/s n° 3 mars 2009, page 288

Fortement conservés entre les espèces et de séquences très courtes, les neuropeptides libérés par ces neurones sont reconnus par les cellules humaines [ 30 , 33 ]. Cependant, les neurones inclus dans ces modèles ne sont pas caractérisés, et il est probable que leurs capacités fonctionnelles soient très hétérogènes, ce qui complique l’interprétation des résultats et la comparaison des modèles entre eux. À notre connaissance, une seule publication présente un modèle innervé pathologique : il est constitué de cellules de peau de patients atteints de DA [ 30 ].

La présence de nocicepteurs animaux dans un modèle de peau humaine peut poser un problème de fiabilité pour l’étude de l’inflammation neurogène. Les facteurs solubles humains produits par les kératinocytes, les fibroblastes ou les cellules immunitaires, pourraient en effet ne pas interagir efficacement avec les récepteurs des neurones murins. En outre, l’obtention de neurones immatures à partir de rongeurs va à l’encontre de la tendance actuelle à la réduction de l’utilisation des animaux de laboratoire. Un système 3D intégrant des neurones sensoriels humains représenterait donc une avancée importante. Une publication récente propose un modèle s’en approchant, bien que fondé sur des cellules souches neurales humaines fonctionnellement immatures [ 34 ]. Nous sommes parvenus à intégrer dans un modèle de peau des neurones sensoriels humains dérivés de cellules souches induites pluripotentes ( induced pluripotent stem cells, iPS cells), formant ainsi un réseau nerveux fonctionnel capable de libérer des neuropeptides [ 35 ].

Les modèles de peau intégrant des cellules présentatrices d’antigène
Des modèles de peau ont été rendus immunocompétents par l’introduction de DC, LC ou macrophages. Leur différenciation à partir de cellules souches hématopoïétiques, isolées à partir de sang de cordon ombilical, est possible [ 36 ], mais rarement proposée, en raison notamment de la difficulté à obtenir ce type de progéniteurs. Les monocytes du sang humain constituent donc l’origine principale de cellules présentatrices d’antigène pour la modélisation in vitro . Une méthode fréquemment utilisée en 2D consiste à générer des DC à partir de monocytes mis en présence de GM-CSF ( granulocyte-macrophage colony-stimulating factor ) et d’IL-4. Un autre type de différenciation peut être réalisé avec les facteurs GM-CSF, TNF-α ( tumor necrosis factor alpha ) et TGF-β ( transforming growth factor beta ), qui induisent l’expression des marqueurs E-cadherine et CD207/Langérine, caractéristiques des LC. Leur intégration en peau reconstruite met en évidence la capacité des LC dérivées de monocytes à s’insérer préférentiellement parmi les kératinocytes de l’épiderme [ 37 ]. La lignée cellulaire MUTZ-3, issue d’une leucémie myéloïde aiguë, a également été utilisée pour générer des LC, selon un protocole similaire à celui mis en œuvre pour les monocytes. Ces « MUTZ-LC » s’incorporent également au niveau de l’épiderme [ 38 ]. Cette approche présente l’avantage de limiter les variations phénotypiques existant entre donneurs de monocytes.

Dans un modèle innervé ensemencé par une suspension cellulaire d’hypoderme, le marqueur CD68, souvent exprimé par les macrophages, a été détecté, sans démontrer pour autant la présence de ces cellules [ 34 ]. La plupart des modèles de peau humaine intégrant des macrophages utilisent du M-CSF ( macrophage colony-stimulating factor ) pour les différencier à partir de monocytes [ 39 ]. Une autre combinaison de facteurs (GM-CSF, M-CSF, IL-10) qui permet, à partir de monocytes, d’obtenir des macrophages ayant un phénotype très proche de ceux isolés du derme, a été mise à profit pour la construction d’un derme immunocompétent [ 40 ]. à terme, la possibilité de différencier des macrophages à partir de cellules iPS humaines sera vraisemblablement utilisée afin de générer des modèles de peau immunocompétents.

Considérant la capacité des monocytes circulants à infiltrer la peau en cas d’inflammation, leur devenir après ensemencement dans des modèles de peau a fait l’objet de plusieurs études [ 41 , 42 ]. Des marqueurs spécifiques d’une différenciation en macrophages ont pu être mis en évidence, traduisant l’influence du microenvironnement cutané sur leur phénotype, avec une tendance plus marquée dans des modèles reproduisant un vieillissement cutané [ 42 ].

Vers un modèle immunocompétent et innervé ?

Un modèle de peau comprenant à la fois une composante immunitaire et des neurones humains fonctionnels pourrait être un support de choix pour des études portant sur la régulation des réponses inflammatoires par l’innervation. Ce domaine de recherche reste cependant largement inexploré ( Tableau I ) . Une étude récente a montré la faisabilité d’un modèle intégrant des macrophages et des cellules souches neuronales [ 34 ]. Ces dernières ne peuvent pourtant être considérées comme des neurones sensoriels matures, et la fonctionnalité de ces macrophages, issus de l’hypoderme, reste à démontrer. Nos travaux indiquent que des DC peuvent être maintenues à long terme dans un modèle de peau reconstruite innervée (publication en cours de rédaction). Cependant, la caractérisation fonctionnelle des cellules composant ces modèles demeure un défi important. En particulier, la production de cytokines et de neuropeptides est difficile à quantifier dans le surnageant des cultures 3D, en raison des faibles quantités libérées par rapport au grand nombre de cellules présentes. Les analyses in situ , voire en temps réel, de la capture de microorganismes et d’antigènes et celles s’intéressant aux déplacements des DC, nécessiteront l’adaptation de techniques d’imagerie tridimensionnelle (microscopie biphotonique, transparisation des échantillons). Les approches transcriptomiques sur cellules uniques ( single-cell RNA sequencing ) devraient permettre d’identifier les types cellulaires composant le modèle 3D et de les comparer à ceux présents dans un tissu physiologique.

Combiner les propriétés des DC à celles des fibroblastes, des kératinocytes, des neurones et des cellules endothéliales, permet de se rapprocher davantage de la réalité physiologique. Or, plus la complexité du modèle augmente, plus il devient difficile de discriminer précisément le rôle de chacun de ces types cellulaires vis-à-vis de la réponse à un stimulus. Une grande force de la reconstruction par génie tissulaire est néanmoins de permettre de développer des contrôles sophistiqués dans lesquels différents types cellulaires pourront être omis. En testant la réponse des DC en présence ou en absence de kératinocytes, ou de neurones, il sera possible d’affiner le rôle joué par chaque type cellulaire dans la réaction immunitaire. Enfin, la possibilité d’utiliser des cellules de patients est un avantage considérable par rapport aux modèles animaux. Cela permet de reproduire au mieux un phénotype pathologique, précis et quantifiable in vitro , à partir duquel seront analysées les modifications induites par la stimulation immunitaire et/ou nerveuse.

Une autre limite liée à la complexité de ces modèles est la difficulté à les mettre au point, à les manipuler, et à les produire de façon reproductible. On peut espérer, dans l’avenir, pouvoir développer efficacement des modèles, grâce à la robotisation, à l’impression 3D et à la technique des cellules iPS afin d’obtenir des tissus miniaturisés avec une excellente reproductibilité.

C’est en apportant ces améliorations que nous pouvons espérer, dans les années à venir, disposer d’un modèle 3D de peau innervée et immunocompétente, utilisable pour la recherche fondamentale et appliquée sur les maladies cutanées inflammatoires et neuroinflammatoires. Ces modèles devraient permettre de faire des progrès majeurs dans la compréhension des mécanismes physiopathologiques et dans le développement de nouveaux traitements.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Ces fibres se distinguent par leur diamètre et leur vitesse de conduction.
2 Voir aussi Brulefert A et al. Allergy 2020, doi : 10.1111/all.14718 .
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