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Med Sci (Paris). 37(1): 7–8.
doi: 10.1051/medsci/2020270.

médecine/sciences : 2021, résister, parler de la recherche et aller de l’avant !

Jean-Luc Teillaud1*

1 Rédacteur en chef de médecine/sciences , Directeur de recherche émérite à l’Inserm Équipe « Microenvironnement immunitaire et immunothérapie », Centre d’immunologie et des maladies infectieuses (CIMI-Paris), Inserm UMRS 1135, Sorbonne université , 91 boulevard de l’Hôpital , 75013Paris , France
Corresponding author.

MeSH keywords: Recherche biomédicale, Vaccins contre la COVID-19, Éthique de la recherche, Santé mondiale, Humains, Diffusion de l'information, Pandémies, Périodiques comme sujet, normes, tendances, ressources et distribution, prévention et contrôle

 

Dans un tweet récent 1, , l’un de mes prédécesseurs à la tête de la rédaction de médecine/sciences , Axel Kahn, se demandait avec raison « ce que nous avions manqué » pour aboutir à un tel regard de la société – particulièrement la société française – sur la science et la recherche scientifique, notamment biomédicale, un « nous » qui désignait intellectuels, scientifiques et vulgarisateurs. Ce qu’est notre part de responsabilités dans ce chaos grandissant touchant les pratiques de la recherche et son intégrité, les pratiques de la communication scientifique et son éthique, se doit de nous interpeller. Cette année 2020, débutée avec notre regard étonné sur ce confinement total de la ville de Wuhan, que nous avions mis sur le seul compte d’une société totalitaire devant faire face à une petite particule virale de quelques dizaines de nanomètres et que nous voulions penser naïvement devoir rester dans cet Orient si lointain mais en fait si proche, a bouleversé nos certitudes sur la société de Progrès et de bonheur que nous avaient promis le culte de la Raison des révolutionnaires de 1793 et le positivisme d’Auguste Comte 2, . Faisant fi des avancées médicales qui ont jalonné la fin du XIX e siècle, tout le XX e siècle et le début du XXI e siècle, de la sérothérapie anti-diphtérique aux vaccins contre les papillomavirus, des antibiotiques aux greffes d’organes, de la thérapie génique d’immunodéficiences létales aux lymphocytes « chimeric antigen receptor » T pour traiter des leucémies, une folle déraison s’est emparée d’une partie de nos sociétés, ouvrant la porte à l’acceptation des théories « complotistes » les plus fumeuses et lézardant y compris ce que nous croyions être une communauté scientifique et médicale soudée devant l’évolution du monde, ou peut-être, plus grave, mettant en évidence ce que nous refusions de regarder en face depuis plusieurs années : la lente dégradation non pas de la raison, mais celle d’une pratique et d’une éthique de la recherche biomédicale, qu’elle soit fondamentale ou clinique, et de son acceptation sociale. Les temps obscurs, comme l’a si bien écrit José-Alain Sahel dans son éditorial publié dans m/s 3, , sont-ils de retour ? Que de questions agitent le monde de la recherche ! Devons-nous oublier qu’il existe une éthique des essais cliniques où les patients, tout en recevant les soins les plus attentifs de la part de soignants dévoués et au fait de l’incertitude du résultat – bien loin d’une arrogance d’un « sachant » mandarinal –, donnent l’un des plus beaux exemples de la générosité humaine, en participant à l’amélioration des traitements que recevront à l’avenir d’autres patients, comme Annick Alperovitch et Philippe Lazar nous l’ont rappelé, également dans un éditorial publié dans notre revue 4 . Devons-nous oublier que le temps de la recherche n’est pas celui des urgences, légitimes pourtant, de réponses thérapeutiques à apporter à nos concitoyens ? Devons-nous refuser l’humilité et le doute qui animent la recherche pour clamer l’arrogance d’un savoir scientifique auto-proclamé qui sera finalement jeté dans les poubelles de l’Histoire ? Devons-nous accepter l’absence de preuves, de méthodes, le refus de la probabilité et du r , le risque d’erreur statistique ? Faut-il faire croire à nos concitoyens que notre expertise est sans limite et leur asséner des pseudo-vérités fondées sur le seul argument d’autorité, plutôt que rappeler que nos démarches tâtonnantes, contradictoires et justement contredites, fondées sur des savoirs acquis tout au long des décennies précédentes par les fous de science que nos sociétés ont eu la grandeur de faire exister, visent en toute humilité à tracer de nouveaux chemins pour l’établissement d’une connaissance critique, d’une vérité scientifique marquée par les faits et non par les rumeurs, et par sa capacité à modifier le cours du monde et particulièrement d’améliorer la santé des peuples ?

Car c’est là le paradoxe de notre monde. D’un côté, une dégradation de la perception par les citoyens de ce qu’est la démarche scientifique, la recherche, particulièrement biomédicale, en raison de ses erreurs et de ses échecs, et, de l’autre, la folle espérance d’une efficience si rapide de la science qu’elle puisse mettre fin en quelques mois à cette pandémie qui ravage notre art de vivre comme nos pensées et qui atteint nos corps, quoique de façon limitée (que l’on songe qu’au moment où ces lignes sont écrites, qu’il n’y a « que » 1,8 million d’êtres humains décédés sur la surface du globe 5, , loin derrière les terribles bilans humains qu’engendrèrent peste, grippe et que continuent à engendrer VIH et paludisme). D’un côté, le dirigeant de la plus grande puissance scientifique du monde niant l’évidence d’une hécatombe évitable dans son pays, traitant « d’idiots » les scientifiques du National Institute of Allergy and Infectious Diseases (NIAID) des National Institutes of Health (NIH) ; de l’autre, une mobilisation générale des scientifiques et des cliniciens, virologues, immunologistes, épidémiologistes, sociologues et philosophes, une mobilisation de centaines, de milliers de nos collègues, souvent organisée au travers de réseaux internationaux de recherche, réseaux dont l’importance stratégique a été soulignée dans l’éditorial de Christian Bréchot publié le mois dernier dans notre revue 6 , et qui vise à apporter des réponses à l’infection mais aussi au mal-être et à la pauvreté que cette pandémie suscite dans le monde.

Certes, d’un côté, une profusion de rumeurs, d’absurdes affirmations déferlant sur les réseaux sociaux, une jouissance nihiliste de contre-vérités et de délations, mais, heureusement, d’un autre côté, une réflexion venue de si nombreux milieux, scientifiques, littéraires, artistiques et économiques. Faibles contre-feux penseront certains, et, parmi les plus pessimistes, la pensée d’une course désormais perdue contre l’irrationalité et la démagogie, car moins rapide que le paysage et la société que nous dessinent et imposent les réseaux sociaux ? Rien n’est moins sûr. De cet ébranlement naissent de nouvelles pratiques, de nouvelles pensées. Que l’on songe à l’extraordinaire rapidité avec laquelle des vaccins actifs contre le SARS-CoV-2 ont été produits et rendus disponibles, à la formidable attente d’un vaccin protecteur et sécurisé à travers le monde – n’en déplaise aux opposants à la vaccination –, à la formidable accumulation de savoirs sur cette pandémie et son agent causal. Que l’on songe à tous ces jeunes scientifiques qui, durement touché-e-s dans leurs activités de recherche par des confinements successifs, étudiants de masters, thésards et post-doctorants, n’ont pas renoncé, et, passionnés de science, sont présents dans les laboratoires, mus par cet indicible désir et plaisir d’être des explorateurs aux frontières de nos connaissances. Oui, nos « jeunes pousses ont du talent ! » et les remarquables contributions que m/s continue à recevoir de leur part, comme en témoignent notre rubrique dédiée et le récent numéro hors-série « Les jeunes contre le cancer : la Ligue en soutien », montrent que, comme l’écrivait Jean-Claude Weill dans nos colonnes en 2018 7 , « nos jeunes aiment – encore – la recherche » ! Contre-feu également que se veut modestement notre revue, médecine/sciences , mais - bonne nouvelle - avec ses centaines de milliers de lectrices et lecteurs annuels et ses dizaines d’auteur-e-s, et qui, dès sa création il y a maintenant plus de trente années par des scientifiques, cliniciens et politiques visionnaires, s’est donné comme mission et comme responsabilité, de présenter les avancées des connaissances médicales et scientifiques en donnant à ses lectrices et lecteurs les éléments permettant de comprendre les cheminements qui ont permis d’y parvenir. Cet engagement de notre revue à assurer, par une approche multidisciplinaire, la cohérence des connaissances transmises, tout en maitrisant une sémantique partagée entre différentes disciplines, en défense de la langue française, nous oblige à une rigueur et à un didactisme permettant une compréhension respectant la diversité des connaissances de nos lectrices et lecteurs. Exercice également plus que nécessaire et exigeant par ces temps obscurs que celui de mettre en exergue intégrité et éthique en recherche, impliquant non seulement une absence de conflits d’intérêt, mais également de s’assurer de la qualité et de l’intégrité des données utilisées pour la rédaction des articles publiés. Plus que jamais, m/s s’attachera en cette nouvelle année à décliner toute défense univoque de communautés, qu’elles soient scientifiques ou entrepreneuriales, et à ouvrir ses colonnes à la pluralité de la recherche et à ses controverses. Et, à l’orée de cette année nouvelle, je peux vous assurer que m/s , une revue en français unique en son genre, continuera à assurer ce flux continu entre sciences , productrices de connaissances, et médecine , elle-même source de connaissances fécondes pour la recherche, et jouera ainsi son rôle de transmission des savoirs et de formation universitaire.

Avec nos meilleurs vœux de succès pour cette nouvelle année et que vive et s’exprime en 2021 notre passion pour la recherche dans médecine/sciences !

 
Footnotes
1 « Qu’avons-nous manqué, nous les intellectuels, scientifiques et vulgarisateurs de la fin du XX e siècle ? », Axel Kahn. https://axelkahn.fr/quavons-nous-manque-nous-les-intellectuels-scientifiques-et-vulgarisateurs-de-la-fin-du-xxe-siecle/
2 Parmi les nombreux écrits et rééditions des œuvres d’Auguste Comte, on pourra se reporter au Cours de philosophie positive I , présentation et notes par Michel Serres, Alla Sinaceur et François Dagognet (Paris, Édition Hermann, 1998).
3 Sahel AJ. Temps obscurs. Med Sci (Paris) 2020 ; 36 : 435-6.
4 Alperovitch A, Lazar P. L’éthique des essais thérapeutiques. Med Sci (Paris) 2020 ; 36 : 303-6.
5 COVID-19 Dashboard by the Center for Systems Science and Engineering (CSSE) at John Hopkins University. https://gisanddata.maps.arcgis.com/apps/opsdashboard/index.html#/bda7594740fd40299423467b48e9ecf6
6 Bréchot C. La pandémie due au SARS-CoV-2 : plus qu’une grave crise sanitaire, un changement d’époque et des leçons à en tirer d’urgence. Med Sci (Paris) 2020 ; 36 : 1107-8.
7 Weill JC. Nos jeunes aiment – encore – la recherche. Med Sci (Paris) 2018 ; 34 : 1105.