Logo of MSmédecine/sciences : m/s
Med Sci (Paris). 37: 13–14.
doi: 10.1051/medsci/2021217.

Axel Kahn, scientifique combattant

Marc Peschanski*, Rédacteur en chef de m/s (1998-2002)

Corresponding author.

MeSH keywords: Humains, Médecins

 

« Quel dommage qu’il se disperse dans tant de combats, il aurait pu décrocher un Nobel ! » En creux cette remarque, qu’un des pères fondateurs de médecine/sciences livrait à ma perplexité à propos d’Axel Kahn, résume sans doute parfaitement les sentiments que nous avons été nombreux à partager : nous avons admiré le scientifique, nous avons aimé le combattant. C’est d’ailleurs en combattant qu’il est entré dans ma vie. C’était il y a longtemps, la ministre Alice Saunier-Seïté nous avait traités de « chercheurs en chaise-longue », le secrétaire d’État Pierre Aigrain en avait profité pour rédiger des décrets dont l’application aurait réduit à néant les efforts de structuration des instituts de recherche. à la suite d’une assemblée générale tumultueuse, nous avions passé quelques heures nocturnes à rédiger un appel autour de Gisèle Guilbaud, ma directrice de thèse. Au matin, elle nous avait dit : « nous devons le montrer à Axel ». Je le connaissais si mal que je l’appelais « Alex » avant de m’enfoncer profondément dans le plancher sous le regard qu’il me jeta ! Car notre petite troupe, deux heures plus tard, était serrée debout dans son tout petit bureau de Cochin, à regarder ce jeune homme d’à peine 35 ans faire ce que je pensais n’être, peu perspicace, que des ronds sur nos « i »…, à la sortie, nous avions dans les mains le texte percutant autant qu’informatif dont nous avions rêvé sans l’atteindre toute la nuit. Il allait déclencher une vague de signatures d’une telle puissance dans notre communauté que les décrets disparurent rapidement d’un paysage dans lequel ils n’auraient jamais dû apparaître. Ses compagnons dans le combat, voilà ce que nous étions, et ses élèves déjà.

La seule correction que nous y avions apportée portait sur un imparfait du subjonctif qu’il avait introduit, tout simplement parce que nous n’arrivions pas à cette hauteur littéraire là. Je dois avouer que si j’ai intégré ensuite sans hésitation la Loi de Senghor (qu’il imposait sans faiblir) sur le pluriel en « s » des mots étrangers entrés dans la langue française, je n’ai jamais pu me lancer dans l’imparfait du subjonctif qu’il était le seul parmi nous à risquer sans faire sourire. Car le deuxième combat dans lequel il m’entraîna fut celui qu’il avait lancé pour défendre ce qu’il appelait « la science en français ». Comme beaucoup, j’avais regardé sortir médecine/sciences avec une certaine réserve, tempérée uniquement pour moi par le rôle majeur qu’Axel y jouait. S’il portait cette initiative, il devait y avoir un sens profond qui m’échappait un peu à une époque où la défense de la francophonie semblait surtout servir de hochet à quelques politiciens. Me demandant de rejoindre son équipe dans laquelle lui manquait un neurobiologiste, il m’avait convaincu par ses quatre premiers mots : « nous sommes tous bilingues ! ». La suite s’imposait. Nous n’étions pas là pour bouter l’anglais hors de la science hexagonale, nous devions agir pour faire vivre et s’enrichir notre langue. Quelque part, d’ailleurs, nous étions d’autant plus convaincus de l’utilité de cette tâche que « l’anglais » des échanges scientifiques est un idiome appauvri, bien loin de sa richesse vernaculaire. Nous étions là aussi pour populariser la science au plus haut niveau, afin de mieux combattre les dérives qu’elle semblait engendrer. Pour moi, à l’époque, ce combat des scientifiques se situait plutôt aux côtés de Richard Lewontin, le généticien américain, lui aussi militant qui – malheureux signe des temps peut-être – vient lui-aussi de disparaître, deux jours avant Axel. Son livre « Not in our genes ! », qui étrillait le mésusage de la génétique par la sociobiologie à l’appui du racisme et du sexisme, était la voie à suivre. médecine/sciences , c’était aussi cela, la tribune de la communauté scientifique francophone pour populariser la science en devenir au service de l’humanité.

Je ne dirai que peu de choses de ces dix ans de compagnonnage au cours desquels la science des autres, que nous servions, irriguait si souvent, grâce à Axel, nos propres travaux. La science y était un combat collectif dans lequel il était tour à tour attaquant, milieu de terrain, défenseur et gardien de but, en même temps qu’entraîneur et sélectionneur. L’objectif était que chacun, dans notre communauté, sache que des buts étaient marqués, que des facettes nouvelles de la réalité biologique étaient dévoilées, que les résultats de la recherche fondamentale ouvraient des pistes inexplorées vers des thérapies impensées. La science, mais aussi toujours un engagement quasi-militant pour des causes visionnaires. Je ne citerai que le titre de l’éditorial qu’Axel, après en avoir écrit l’essentiel, m’avait demandé de compléter pour une partie « neuro », « l’ADN, un médicament pour demain ». Plutôt après-demain sans doute, puisque nous écrivions en 1992, mais ô combien révélateur de l’intuition scientifique et de l’esprit conquérant d’Axel, à l’heure que nous vivons de la thérapie génique d’usage médical.

La suite a été moins intime. Quittant médecine/sciences pour, comme il me le disait, « se mettre au service de la défense de l’industrie pharmaceutique nationale » (un nouveau combat dont il sortit d’ailleurs meurtri, la course aux profits financiers n’ayant pas grand-chose à voir avec sa vision des valeurs à défendre), il me confia la revue. Il s’abstint presque de toute intervention, conscient de l’impossibilité d’une telle succession sans de profonds bouleversements. Presque, car son investissement dans les questions de bioéthique était déjà devenu trop fort pour qu’il s’empêche de réagir – très vivement… c’était Axel ! – lorsque je confiai à Philippe Lazar un éditorial, qui s’avéra très critique sur le Comité consultatif national d’éthique (CCNE). Ce nouveau combat pour l’établissement de règles de bioéthique qui correspondent à sa vision tant de la science que du monde a été profondément marqué par l’événement qui l’a inauguré, la naissance de la brebis Dolly par clonage reproductif. Le danger créé par l’application potentielle de cette technique à l’espèce humaine a été unanimement reconnu, mais pour le scientifique visionnaire Axel Kahn, cette dénonciation ciblée était insuffisante parce qu’elle masquait des recherches fondamentales dont les résultats pouvaient être tout aussi dangereux. Pour lui, il fallait donc les empêcher et pour cela borner la liberté de la recherche.… Je ne pouvais pas le suivre sur ce terrain, nous nous sommes éloignés, parfois confrontés.

Jamais pourtant, et jusqu’à ses derniers mois pendant lesquels nous avons dénoncé chacun de notre côté les faux apôtres du Covid, je n’ai cessé d’être pour lui « l’ami Marc », et c’est ma fierté. Ami, collaborateur, et surtout disciple au sens profond du terme qui, bien autre chose que la soumission, signifie le respect et l’admiration pour l’homme, le scientifique, le combattant.

Marc

Les couvertures des numéros de l’année 2000, réalisées par 10 artistes peintres.

Éditorial de Philippe Lazar (ancien directeur général de l’Inserm), paru dans le numéro de novembre 2000.

Éditorial d’Axel Kahn et Marc Peschanski dans le numéro de novembre 1992.