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Med Sci (Paris). 37: 8–9.
doi: 10.1051/medsci/2021213.

Axel, le solitaire

Laurent Degos*, Membre du comité de rédaction de m/s de 1985 à 1997

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médecine/science est née au cours d’un déjeuner auquel j’étais convié, avec Axel, à la brasserie Vagenende, Boulevard Saint-Germain, autour de Jean Hamburger et de l’équipe des Éditions Flammarion médecine. Axel a été nommé rédacteur en chef en 1986, après Jean-François Lacronique, appelé à la direction de l’Institut Curie. Nous sommes restés ensemble jusqu’à son départ en 1997. Bien d’autres décriront ces premiers pas du journal sous les regards attentifs de deux bonnes fées, Suzy Mouchet et Brigitte Vogler. Axel y a pris toute sa place avec sa compétence, ses multi-compétences (à tel point, qu’il en savait souvent plus que nous sur notre propre discipline) et son caractère directif. Il a été un excellent rédacteur en chef, donnant des ordres plus que des suggestions, proposant des articles à écrire à ses ami(e)s et en en faisant entrer d’autres au comité de rédaction.

Je garde de lui, le souvenir d’un homme engagé, solitaire et d’un ami fidèle.

Engagé, j’ai perçu ce caractère dès notre première rencontre au cours de l’année appelée PCB, physique, chimie et biologie (dénommée ensuite PCEM), préparée dans la faculté des sciences et dont la détention était nécessaire pour entreprendre des études dans les facultés de médecine. Cela se passait dans les vieux amphithéâtres, rue Cuvier, à l’automne 1961. Au cours de chimie, particulièrement mal enseigné, l’enseignant, embrouillant les idées plus que les clarifiant, j’avais chahuté ce professeur, en lançant des remarques tout haut et même en me servant d’une corne de brume comme outil de réprobation. A la fin du cours, Axel est venu vers moi, d’un pas assuré, et d’une voix autoritaire, m’a donné une leçon sur le bien commun, soulignant que l’Etat m’octroyait la possibilité d’avoir des professeurs payés par l’État ; à ce titre, je prenais une part de ce bien commun et n’étais que redevable et non un client qui critique. Axel, à cette époque était engagé dans le parti communiste, chef de cellule à Malakoff, distribuant l’Humanité dimanche. Il donnait aussi des cours de philosophie en terminale, remplaçant parfois son père. Il avait une maturité politique et un engagement bien supérieur à nous, qui étions tous sortis du lycée trois mois auparavant. Il est resté longtemps fidèle au parti communiste jusqu’à la rupture du programme commun de la gauche en septembre 1977, et cherchait encore à nous faire trouver une justification à l’entrée des chars à Budapest, puis à Prague, lorsque nous étions tous deux internes chez Jacques Bousser en 1969. Il est ensuite devenu plus rose que rouge.

Nos études de médecine furent courtes, car nous avions pu présenter et réussir simultanément les examens du PCB en faculté des sciences et ceux de l’ancienne première année de médecine (ce fut la seule fois où cette double année en une avait été autorisée) et avions été reçus au premier concours de l’Internat de Paris en juin 1967, ce qui avait réduit sensiblement notre temps estudiantin.

Durant ce temps de travail intense, nous étions en groupes appelés « sous colles » à quatre ou cinq pour se soutenir, s’entraider, s’obliger à travailler le soir jusqu’à minuit, samedi, dimanche ; et nous allions dans des conférences d’internat pour bachoter autour d’un ancien qui connaissait la musique. Axel était le coureur solitaire, sans sous-colle, sans conférencier, prenant tout sur lui, ayant suffisamment de volonté pour s’obliger à travailler, en dépit des tentations extérieures que rencontre chaque étudiant. Axel aime être seul dans sa pensée et ses actions. Il aime marcher seul traversant la France, il aime décider seul, il aime philosopher seul sans contestation. Rédacteur en chef de médecine/sciences , il était directif tout comme directeur de son unité de recherche. Il va dans des terres où il peut agir seul et la voie choisie de la recherche, alors qu’il était excellent clinicien, en est un exemple : devant sa paillasse, il est maître du jeu.

Axel est un fidèle ami. Après notre première altercation et explication dans cet amphi du PCB, évoquées plus haut, nous sommes restés des amis pendant près de 60 ans. Il avait eu Françoise Fouchard comme interne à Beaujon, alors qu’il faisait fonction de chef de clinique, tout en étant interne dans un service d’hématologie dirigé par Pierre Boivin. Il était étonné de voir les progrès de celle-ci et jugeait ses enseignements d’hématologie déjà très performants. Quand il a appris que cette jeune interne allait m’épouser, il comprit aussitôt qu’elle bénéficierait d’un double enseignement et cet épisode nous a rapproché encore davantage. Il a remis à Françoise les insignes de Chevalier dans l’ordre de la légion d’Honneur bon nombre d’années plus tard en 2011, et elle est restée en contact avec Axel jusqu’aux derniers jours.

Il m’avait demandé de le suivre à la Ligue contre le cancer, lors d’un déjeuner à sa table attitrée au restaurant la Méditerranée, place de l’Odéon, où les serveurs connaissaient bien ses habitudes. Malheureusement, une coalition d’opposants à sa venue l’a empêché de s’entourer de ses amis à la Ligue. Nous continuions à nous voir au cours de diners préparés par Françoise et nous appeler pour refaire le monde.

Axel tu n’es plus avec nous, mais ta personnalité si marquante a imprimé dans notre vie ta présence et tu apparais dès qu’on suit ton exemple du marcheur solitaire, admirant la beauté de la Nature et les joies des découvertes de ses secrets cachés.

Laurent

Remise de la décoration de la Légion d’Honneur à Françoise Degos par Axel Kahn en 2012. Françoise est de face, à la droite d’Axel.

Axel, le solitaire, traversant la France.