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Med Sci (Paris). 36: 59–61.
doi: 10.1051/medsci/2020212.

Infirmière de coopération et prise en charge des patients atteints de dystrophie myotonique de type 1 (maladie de Steinert)

Raphaële Chasserieau,1,2 Yann Péréon,1,2* and Armelle Magot1,2

1Centre de Référence Maladies Neuromusculaires Rares Atlantique-Occitanie-Caraïbes, Hôtel-Dieu , Nantes , France
2Filnemus , France
Corresponding author.

MeSH keywords: France, Humains, Dystrophie myotonique, Soins infirmiers en neurologie, Équipe soignante, Modèles de pratique infirmière, Évaluation de programme, Québec, Facteurs temps, soins infirmiers, thérapie, enseignement et éducation, organisation et administration

 

Vignette : Maladie de Steinert. Cellules musculaire de patient atteint de dystrophie myotonique. L’ADN nucléaire en bleu, les agrégats d’ARN typiques de la dystrophie myotonique en rouge et le cytoplasme en vert.

La dystrophie myotonique de type 1 (maladie de Steinert, DM1) est caractérisée par des atteintes pluri-systémiques (neuromusculaire, respiratoire, cardiaque, endocrinienne, neurologique centrale, oculaire, digestive…). Elle a un impact sur de nombreux aspects de la vie des patients et est responsable d’une réduction de l’espérance de vie et de la participation sociale.

À Nantes, les patients atteints de DM1 sont suivis au sein du Centre de Référence des Maladies Neuromusculaires du CHU. La prise en charge est organisée, sous la forme d’une consultation multidisciplinaire (CMD) qui se déroule, avec une fréquence idéalement annuelle, sur une matinée, au cours de laquelle huit patients DM1 sont successivement vus par le cardiologue, le pneumologue, le médecin MPR, le médecin spécialiste du sommeil, l’ophtalmologue, le généticien et le neurologue. L’atteinte cognitive de ces patients a pour conséquence qu’ils ne sont généralement pas très demandeurs de soins : c’est dire l’importance de l’organisation en CMD qui permet de ne pas multiplier les rendez-vous médicaux, à l’hôpital ou en ville, auxquels les patients ne se rendraient pas. Au rythme d’une CMD par mois, ce ne sont que 80-90 patients qui peuvent être pris en charge sur une année à Nantes. Les recommandations d’experts relatives à la DM1 suggèrent un suivi annuel [ 1 ]. Malheureusement, l’augmentation constante de la file active de patients DM1 à Nantes (actuellement plus de 200 patients adultes suivis) et l’absence de possibilité d’augmentation de cette activité médicale ne permettent pas de suivre cette recommandation. En pratique, les patients ne sont revus que tous les 18-24 mois.

À Jonquière, au Québec, où l’incidence de la DM1 est encore plus importante qu’en France, une consultation dédiée à cette pathologie a été mise en place depuis 2008 et est réalisée par une infirmière de spécialité [ 2 ]. Nous avons développé une approche similaire au CHU de Nantes, avec la mise au point d’outils permettant à une infirmière spécifiquement formée de réaliser ces consultations. L’objectif est d’alterner une année sur deux CMD classiques et consultations par l’infirmière spécialisée de façon à améliorer la qualité du suivi des patients. Ce projet a fait l’objet d’un protocole dit d’ « infirmière de coopération  » , dont la validation officielle par la HAS vient d’intervenir [ 3 ].

Dispositif de formation

Dans le modèle développé à Nantes, l’infirmière de coopération devait avoir une expérience d’au moins deux ans en Centre de Référence neuromusculaire et un contact régulier avec les patients DM1. Les compétences supplémentaires qu’il lui fallait acquérir étaient à la fois théoriques et pratiques. Les connaissances formelles concernant la DM1 ont été acquises lors du cours spécifique dispensé dans le cadre du DIU de Myologie (2 heures) et lors d’un cours sur la physiopathologie de la DM1 destiné aux étudiants en médecine de Nantes (2 heures). Plus spécifiquement, l’infirmière de coopération a également bénéficié d’une formation, par le Département de Formation Continue, sur le dépistage des troubles du rythme et la lecture d’ECG, incluant algorithmes et études de cas (2 heures). Une formation à l’interprétation des explorations fonctionnelles respiratoires (EFR) (2 heures) a eu lieu au sein du Laboratoire d’Explorations Fonctionnelles du CHU. Enfin, une présence récurrente aux journées du réseau national DM1 (DMScope) lui a permis d’avoir une approche plus globale de la DM1 et une mise à jour plus régulière des connaissances.

En parallèle, une formation complémentaire en mode compagnonnage a été réalisée au sein du Centre de Référence permettant à l’infirmière de gagner en expertise et en autonomie au fil du temps : elle a ainsi assisté pendant plusieurs mois aux consultations de cardiologie, neurologie, pneumologie ou de troubles du sommeil lors des CMD dédiées aux patients DM1.

Enfin, l’infirmière a réalisé un stage par comparaison de quinze jours dans le service du Pr Cynthia Gagnon à l’hôpital de Jonquière au Québec, au contact même de l’équipe pionnière du suivi des patients DM1 par des infirmières spécialisées.

Outils spécifiques

Des questionnaires spécifiquement adaptés ainsi que des algorithmes de prise de décision ont été élaborés conjointement par l’infirmière et les médecins référents de chacune des spécialités prenant part aux CMD, de façon à optimiser le mode opératoire par discipline et à sécuriser les différentes prises en charge des patients lors de la consultation infirmière. Ils se présentent sous la forme de fiches reprenant, par spécialité, les différents points critiques à aborder à l’interrogatoire ou lors de l’analyse des examens complémentaires réalisés (ECG, EFR, bilan biologique).

Déroulement de la consultation

La consultation infirmière s’adresse aux patients déjà suivis en CMD classique. Les nouveaux patients doivent être systématiquement évalués une première fois dans le cadre d’une CMD classique. La sélection des patients en vue de consultations infirmières s’effectue en amont conjointement par l’infirmière et le médecin neurologue référent du Centre, les formes plus modérées de la maladie et les patients adultes exclusivement étant priorisés

La consultation infirmière s’étend sur une à deux heures et comprend successivement :

1.  Le suivi infirmier habituel (prise des constantes, prélèvements sanguins y compris bilan gazométrique le cas échéant).

2.  Une évaluation psychosociale (soins personnels, habitation, déplacement, travail, loisirs, activités physiques, revenus et mesures d’aide, environnement familial et social).

3.  Une évaluation générale (événements médicaux ou non médicaux survenus depuis la dernière consultation, vérification des consignes préconisées lors de la précédente CMD, mise à jour du traitement personnel, plaintes fonctionnelles du patient).

4.  Une évaluation fonctionnelle (l’évolution des capacités motrices depuis la dernière CMD, de l’utilisation d’orthèses, de la prise en charge en kinésithérapie ou en orthophonie…).

5.  Une évaluation cardiovasculaire (douleurs, palpitations, perte de connaissance… ; ECG avec pré-lecture par l’infirmière et relecture médicale a posteriori  ; vérification du suivi réalisé (échographie cardiaque, étude du faisceau de His, vérification du pace-maker cardiaque, trouble du rythme, cardiopathie) et des traitements spécifiques).

6.  Une évaluation pneumologique (fausses routes, toux, dyspnée, orthopnée, signes d’hypercapnie, apnées du sommeil, évènements respiratoires au cours de l’année écoulée, vaccinations, évaluation des EFR effectuées le jour même (pléthysmographie debout / couché), avec demande d’avis médical et bilan gazométrique en cas de capacité vitale < 60 % ou de signes d’hypercapnie).

7.  Une évaluation du sommeil (habitus, hygiène veille-sommeil, qualité du sommeil, signes de syndrome des apnées du sommeil, évaluation subjective de la somnolence (échelle d’Epworth), efficacité d’un traitement par modafinil ou autre psychostimulant).

8.  Des examens complémentaires déjà cités (bilan biologique, EFR, ECG, parfois une échographie cardiaque).

Pour chacun des items, des critères d’alerte ont été définis avec un algorithme décisionnel et en cas de besoin, un recours à un avis du médecin référent du Centre. En post-consultation, le bilan biologique est contrôlé, un compte rendu de consultation suivant un modèle type est rédigé par l’infirmière qui sera adressé au médecin traitant, aux autres spécialistes participant à la prise en charge, ainsi qu’au patient. Des réunions de synthèse bi-mensuelles avec le médecin référent complètent le dispositif. Des échanges avec la plateforme régionale pour les maladies rares PRIOR pour l’action sociale ou avec l’AFM-Téléthon peuvent être associés.

Mise en place

Le projet a été initié en 2016 et les premières consultations infirmières ont été réalisées avec une aide financière initiale de l’AFM-Téléthon, le relais étant progressivement pris par le CHU de Nantes. Environ 60 à 80 consultations infirmières ont maintenant lieu annuellement et ont permis de raccourcir l’intervalle entre deux consultations à presque un an. Elles ont aussi permis de détecter à plusieurs occasions des évènements médicaux nécessitant une prise en charge spécifique ne pouvant être différée.

Cette activité est maintenant formalisée et le Projet de Coopération de Consultation infirmière de suivi des patients atteints de dystrophie myotonique de Steinert (DM1) entre deux consultations multidisciplinaires que nous avions soumis, a obtenu une validation de la HAS, un arrêté étant récemment paru au Journal Officiel [ 3 ]

Évaluation

Le raccourcissement de l’intervalle moyen entre deux consultations dans le Centre de Référence, ainsi que les évènements médicaux détectés témoignent de l’intérêt de ce dispositif. Un questionnaire de satisfaction des patients, dont le recueil s’est terminé avant l’été 2020, est en cours d’analyse. Le retour verbal des patients, lors de la CMD classique l’année suivant la consultation infirmière, est unanimement positif, certains le préférant même au mode classique – qu’il ne peut toutefois pas remplacer : l’unicité de l’interlocuteur (l’infirmière) versus la multiplicité des intervenants habituels (les différents médecins spécialistes) permettant un échange unique et global.

Conclusion

Les consultations infirmières représentent une véritable plus-value dans la prise en charge des patients DM1. Pour le patient, les bénéfices sont multiples : un suivi plus régulier et annualisé, un moindre risque de perte de vue, un renforcement du lien avec le médecin traitant, et enfin une approche différente de la consultation, notamment sur le versant psychosocial. Pour l’infirmière remplissant ces nouvelles fonctions, les bénéfices sont liés à l’augmentation du niveau de responsabilité et de compétence, à la valorisation de l’aspect éducatif des soins, et au renforcement du lien avec le patient dans une autre dimension que médicale. Pour le médecin référent du centre, le gain de temps médical est évident, tout en maintenant un lien bisannuel avec le patient. Ce modèle développé à Nantes, le premier du genre en France pour la prise en charge de la DM1, est sans doute amené à se développer dans d’autres centres français. Il sera alors temps de partager les outils et les expériences afin d’améliorer ce dispositif innovant..

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

References
1.
Gagnon C , Chouinard MC , Laberge L , et al. DMI expert panel. Health supervision and anticipatory guidance in adult myotonic dystrophy type 1. . Neuromuscul Disord. 2010; ; 20 : :847. – 851 .
2.
Gagnon C , Chouinard MC , Lavoie M , Champagne F . Analysis of the nursing role in the care of patients with neuromuscular disorders. . Can J Neurosci Nurs. 2010; ; 32 : :22. – 29 .
3.
Arrêté du 1 er septembre 2020 relatif à l’autorisation du protocole de coopération Consultation infirmière de suivi des patients atteints de dystrophie myotonique de Steinert (DM1) entre deux consultations multidisciplinaires. ELI : https://www.legifrance.gouv.fr/eli/arrete/2020/9/1/SSAH2022464A/jo/texte .