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Med Sci (Paris). 36: 34–37.
doi: 10.1051/medsci/2020208.

Trachéotomie chez les enfants atteints de maladies neuromusculaires et scolarisation en milieu ordinaire
Sont-elles compatibles ?

Laure Bonraisin,1 Cécile Destremaut,1 and Emmanuelle Lagrue1,2,3*

1CHRU Tours, Neuropédiatrie et Handicaps , Tours , France .
2Université François Rabelais de Tours , France .
3Inserm U1253 , Tours , France .
Corresponding author.
 

Les maladies neuromusculaires sont responsables d’une faiblesse musculaire pouvant nécessiter, le cas échéant, une assistance ventilatoire au long cours [ 1 - 5 ]. Beaucoup d’entre elles concernent des enfants d’âge scolaire. Quand elle s’avère nécessaire, la ventilation dite non invasive (VNI) est généralement la technique proposée en première intention [ 6 ]. La VNI peut toutefois s’avérer insuffisante, notamment en cas d’évolution péjorative de la maladie, et un recours à la ventilation invasive sur trachéotomie est alors à envisager [ 3 , 6 - 10 ].

Les enfants atteints de maladie neuromusculaire ont le plus souvent des fonctions cognitives préservées. Le maintien d’une scolarité est donc primordial pour eux. Leur scolarisation en milieu scolaire « classique », aussi dit ordinaire, est à privilégier : classes « ordinaires », ou classes spécialisées comme les ULIS (Unité Localisée pour l’Insertion Scolaire) ou les SEGPA (Section d’Enseignement Général et Professionnel Adapté). La trachéotomie reste un geste par définition invasif et elle peut peser/impacter significativement sur la vie scolaire de l’enfant. Les élèves ayant subi une trachéotomie doivent être accompagnés durant les temps scolaires et périscolaires par une personne ayant été formée aux aspirations endotrachéales (décret n° 99-426 du 27 mai 1999). Dans le cadre de l’école, les accompagnants sont des AESH (Accompagnant d’Élèves en Situation de Handicap). Peu d’études ont évalué le retentissement de la ventilation invasive sur la scolarisation de l’enfant et les besoins spécifiques pour les aides mises en place durant les temps scolaires et périscolaires.

L’objectif principal de ce travail était de présenter un état des lieux de la scolarisation en milieu ordinaire des enfants trachéotomisés pour cause d’insuffisance respiratoire d’origine neuromusculaire. L’objectif secondaire était, face aux échecs de scolarisation rencontrés, d’en comprendre les raisons, afin de tenter de déterminer si ces échecs étaient bien en lien avec la trachéotomie elle-même.

Matériel et méthodes

Une étude épidémiologique observationnelle, descriptive et multicentrique, a été réalisée en France entre septembre 2018 et février 2019. L’enfant était inclus dans l’étude s’il avait dû être trachéotomisé dans un contexte d’insuffisance respiratoire de cause neuromusculaire et s’il était ou avait été scolarisé en milieu scolaire « classique » (classes ordinaires, ULIS, SEGPA). Afin de confronter les points de vue de personnes du milieu médical (Centres de compétence et de référence neuromusculaires [CR]), et associatif (Services régionaux de l’AFM-Téléthon [SR-AFM]), ainsi que de l’Éducation Nationale (médecins conseillers techniques des académies) [CTA], nous avons réalisé deux questionnaires : l’un était destiné aux CTA, l’autre aux CR et SR-AFM. Celui destiné aux CTA portait sur la formation des accompagnants, les gestes médicaux autorisés, les personnes susceptibles de pallier l’absence éventuelle d’AESH, le vécu des accompagnants de ces enfants, les modalités de suivi de la scolarisation et les raisons éventuelles de son échec. Le questionnaire destiné aux CR et SR-AFM portait sur le nombre d’enfants porteurs d’une trachéotomie pour cause de maladie neuromusculaire, les raisons du choix de la trachéotomie, le nombre d’enfants trachéotomisés et scolarisés en milieu scolaire « classique », le nombre d’enfants trachéotomisés ayant une AESH et les solutions pour pallier son absence, le recencement des échecs de scolarisation, leurs raisons et les solutions alternatives éventuellement mises en place, et enfin l’avis de ces professionnels concernant la trachéotomie comme éventuel frein à la scolarisation de ces enfants.

Résultats
Questionnaire destiné aux CTA
Sur les 30 médecins-conseillers techniques des académies contactés sur l’ensemble du territoire français, 14 (46,7 %) ont répondu. Le nombre d’enfants trachéotomisés (toutes pathologies neuromusculaires confondues) et scolarisés variait de 0 à 5 par académie soient 16 enfants au total pour l’ensemble des 14 académies ayant répondu.

Des différences notables au niveau inter et intra-régional ont été relevées dans la formation des AESH. Dans certaines académies, la formation était assurée par des Instituts de Formation en Soins Infirmiers. Dans d’autres, elle était assurée par la Croix-Rouge. Pour certaines, les AESH faisaient un stage dans un service de soins, associé ou non à une formation théorique complémentaire. L’académie de Lyon faisait appel à une association de soins à domicile et d’assistance médicotechnique. Dans les académies de Montpellier et de Clermont-Ferrand, les AESH n’avaient pas reçu de formation spécifique. Sur le plan intra régional, on observait que dans l’académie de Rennes, une formation spécifique était prévue dans un département et inexistante dans l’autre.

Gestes réalisés par l’AESH. Dans les académies où elles avaient reçu une formation spécifique, les AESH étaient autorisées à réaliser des aspirations endotrachéales, à l’exception des Côtes-d’Armor (alors même que ce geste était autorisé dans le Finistère, au sein de la même académie). L’académie de Clermont-Ferrand n’autorisait pas ses AESH à pratiquer ces gestes car elles n’avaient pas reçu de formation appropriée. Le choix opposé avait été fait par l’académie de Montpellier (gestes autorisés malgré l’absence de formation).

Allocation d’AESH. Parmi les académies ayant déclaré accueillir au moins un enfant trachéotomisé atteint de maladie neuromusculaire, les académies d’Amiens, Clermont-Ferrand et Lyon avaient fait le choix de la notification systématique d’une AESH, à la différence des académies de Dijon, Montpellier, Orléans-Tours et Rennes où cela n’était pas systématique.

Ressenti des AESH. Les académies de Bordeaux, Dijon, Montpellier et Rennes évoquaient des retours d’expérience assez négatifs des AESH, à la différence des académies de Lyon et Paris pour lesquelles les AESH n’avaient pas d’inquiétude majeure quant à la prise en charge de ces enfants.

Suivi de ces enfants. Dans toutes les académies, il y avait un suivi de ces enfants par une Équipe de Suivi de Scolarisation (ESS) et ce de manière annuelle.

Raisons des échecs de scolarisation. Pour l’académie de Dijon, les échecs étaient dus à la fois à des causes logistiques (éloignement trop important entre le domicile de l’enfant et l’école) et médicales (lourdeur de prise en charge pour l’AESH, absence d’AESH liée à des problèmes de formation et à la précarité économique de certaines d’entre elles). Les raisons des échecs étaient exclusivement médicales pour les académies de Bordeaux, Montpellier, Orléans-Tours et Rennes.

Questionnaire destiné aux CR/SR-AFM
Sur 26 CR et 19 SR-AFM contactés, 33 (73,3 %) ont répondu. Cent-six enfants ont pu être recensés. Le nombre moyen d’enfants connus par CR ou SR-AFM était de 3,21±2,9. Nous avons constitué 2 groupes : le groupe A « > 1 enfant ayant une trachéotomie/département » et le groupe B « ≤ 1 enfant ayant une trachéotomie/département ».

Les résultats du questionnaire figurent dans le Tableau I .

Dans le groupe A, les échecs de scolarisation étaient médicaux (soins trop lourds pour l’AESH) pour 6 CR/SR-AFM (100 %) et logistiques (distance importante domicile-école) pour 4 CR/SR-AFM (66,7 %). Dans le groupe B, les échecs de scolarisation étaient médicaux pour 5 CR /SR-AFM (62,5 %) et logistiques pour 4 (50 %) CR/SR-AFM. Parmi ces quatre échecs logistiques dans le groupe B, trois étaient primitivement scolaires, par refus de l’Éducation Nationale de scolariser l’enfant ( Figure 1 ) .

Discussion

Cette étude, réalisée à l’échelle nationale, avait pour but de réfléchir aux conséquences sur la scolarisation en milieu scolaire ordinaire de la pratique d’une trachéotomie en contexte d’insuffisance respiratoire secondaire à une MNM.

Certains éléments pointent vers le fait que la trachéotomie constitue un frein à la scolarisation de ces enfants. La présence d’une AESH pour accompagner ces enfants est pourtant un facteur majeur de réussite pour leur intégration à l’école. L’absence de mise en place systématique d’un accompagnant (pour les aspirations endotrachéales notamment) a donc des conséquences délétères importantes, avec un risque élevé d’échec scolaire. En comparaison avec d’autres enfants (ayant une AESH pour un trouble déficitaire de l’attention par exemple), ce risque est aggravé par la lourdeur du handicap moteur et par l’absence partielle d’autonomie. Il importe donc que l’augmentation des postes d’AESH soit une priorité de santé publique.

Cette enquête met également en évidence d’importantes disparités dans les pratiques selon les académies et les régions, et ce malgré une législation qui s’impose à tous.

Notre étude a toutefois des limites. Les résultats n’ont pas été statistiquement significatifs. Il s’agit d’un travail portant sur une population de relative petite taille: un échantillon plus grand aurait possiblement permis d’améliorer la puissance de l’étude

Enfin, puisque la ventilation invasive sur trachéotomie semble bien avoir un impact négatif sur la scolarisation de ces enfants, des alternatives, comme par exemple la VNI avec utilisation d’un embout buccal (pipette) mériteraient d’être étudiées. Pour certains enfants ou adolescents, elles permettraient de surseoir à la trachéotomie et à ses conséquences collatérales négatives

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Glossaire

AESH accompagnant d’élèves en situation de handicap
CR/SR-AFM Centre de référence / Service régional AFM
CTA conseiller technique des académies
ESS équipe de suivi de scolarisation
SEGPA section d’enseignement général et professionnel adapté
SSR soins de suite et de réadaptation
ULIS unité localisée pour l’insertion scolaire

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