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Med Sci (Paris). 36: 17–21.
doi: 10.1051/medsci/2020244.

Calpaïnopathies
État des lieux et perspectives thérapeutiques

Edoardo Malfatti1* and Isabelle Richard2,3

1Centre Expert de Pathologie Neuromusculaire, Hôpital Henri Mondor, Créteil, France et Centre de Référence de Pathologie NeuromusculaireNord/Est/Île-de-France .
2Généthon , 91000 , Évry , France .
3Université Paris-Saclay, Université Évry, Inserm, Généthon, Unité de Recherche Integrare, UMR_S951 , 91000 , Évry , France .
Corresponding author.
 

Les calpaïnopathies sont dues à des variants pathologiques, bi-alléliques ou mono-alléliques, dans le gène CAPN3 , celui-ci codant une enzyme protéolytique, la calpaïne 3 [ 1 ]. La calpaïne 3 (NP_000061.1 CAPN3 ) est une cystéine protéase non lysosomale de 94-kDa, dépendante du calcium et principalement exprimée dans les muscles squelettiques. Les fonctions de la calpaïne 3, non complétement élucidées à ce jour, sont à la fois protéolytiques et non protéolytiques. Elle joue un rôle dans le maintien de l’intégrité et de la fonction musculaire, en régulant le renouvellement des protéines sarcomériques et en maintenant l’intégrité de la structure des sarcomères [ 2 ]. Dans la fibre musculaire, la calpaïne 3 est, du fait de sa liaison avec la titine [ 3 , 4 ], située dans au moins deux régions du sarcomère, la bande I et la ligne M. Le déficit en calpaïne 3 produit des altérations sarcomériques qui finissent par entraîner la mort des fibres musculaires.

Des mutations dans le gène CAPN3 ont été initialement décrites chez les « Petits Blancs des Hauts » [ 1 , 5 ], une population endogame établie dans l’île française de la Réunion, dans l’Océan Indien. Ce groupe de patients présentait une dystrophie musculaire à début juvénile avec une tendance à marcher sur la pointe des pieds, des difficultés à courir, une scapula alata , une démarche dandinante, et une hyperlordose. Parmi les autres caractéristiques, M. Fardeau et collaborateurs avaient noté une faiblesse symétrique des muscles proximaux plus que des muscles distaux des membres, du tronc et de la zone périscapulaire, une laxité des muscles abdominaux, une scoliose et des rétractions tendineuses notamment au niveau des tendons d’Achille. La biopsie musculaire montrait un tableau de nécrose et de régénération avec en plus un aspect lobulé du sarcoplasme des fibres révélé par les techniques oxydatives ( Figure 1 ) . Ce tableau, correspondait parfaitement à l’entité clinico-pathologique décrite par Erb en 1884. La dystrophie des ceintures liée à des mutations du gène CAPN3 a été appelée pendant longtemps « LGMD-2A », en référence à la nomenclature internationale adoptée en 1995 à Naarden, aux Pays-Bas [ 6 ]. Plus récemment, elle a été rénommée LGMD-R1, en 2017, suite à la révision de la nomenclature intervenue à l’occasion d’un nouveau workshop de l’European Neuromuscular Center (ENMC) [ 7 ]. Depuis la découverte du gène en 1994, près de 500 variants pathologiques affectant tous les domaines de la protéine ont été répertoriés ( www.lovd.nl ).

Les premières observations de calpaïnopathie autosomique dominante (LGMD-D4) ont été rapportées d’abord chez trente-six patients provenant de dix familles non apparentées, tous portant une délétion de 21 pb (c.643_663del21), récurrente, et en phase. Le phénotype clinique était comparable à celui de la forme autosomique récessive bien que moins sévère et, dans une certaine mesure, plus asymétrique [ 8 ]. La LGMD-D4 a également été décrite dans un groupe de seize patients non apparentés portant une délétion hétérozygote en phase (c.598_621del15) [ 9 ]. Plus récemment, des variants faux-sens ont été décrits comme pathologiques dans d’autres familles [ 10 - 12 ].

Les calpaïnopathies représentent à ce jour la forme la plus fréquente de LGMD, avec une prévalence rapportée de 10 à 70 cas par million d’habitants [ 13 ]. En France, il existerait en théorie entre 670 et 4 200 patients atteints d’une LGMD-R1 mais la réalité se situe plus dans la partie basse de la fourchette. Des mutations récurrentes ont été décrites dans certaines populations (Île de la Réunion, Pays Basque, Croatie, Inde, communautés Amish) [ 13 ] faisant fortement suspecter l’existence d’effets fondateurs.

Dans l’optique de l’arrivée imminente d’essais cliniques de thérapie génique, la collecte de données sur l’histoire naturelle et la mise en place de registres de patients représentent des étapes préalables primordiales. Dans ce contexte, un groupe d’intérêt labellisé par la filière nationale des maladies neuromusculaires FILNEMUS et consacré aux calpainopathies a vu très récemment le jour.

Clinique

La présentation clinique de la LGMD-R1 est celle d’une dystrophie musculaire progressive avec faiblesse musculaire symétrique prédominant sur les muscles axiaux du tronc et les muscles proximaux des quatre membres. Les patients développent progressivement, au début de l’adolescence le plus souvent, des difficultés pour monter les escaliers, pour courir et se relever de la position assise. S’ensuit une faiblesse axiale des muscles para-vertébraux et des membres supérieurs, avec un déficit de l’élévation des bras ( Figure 1A ) . À l’examen physique, le patient se présente avec un ventre proéminent ( Figure 1A ) , des muscles bien galbés de la loge antérieure des cuisses ( Figure 1A , probablement d’origine compensatoire, une hyperlordose, et une scapula alata symétrique ( Figure 1C ) . Des rétractions modérées, les plus souvent achilléennes, peuvent apparaitre. La marche est dandinante. L’amyotrophie touche d’abord la loge postérieure de la cuisse ( Figure 1C ) puis la loge des adducteurs. Des douleurs rachidiennes peuvent accompagner ce tableau en cas de déficit musculaire axial marqué (environs 50 % des cas) [ 10 ]. La situation de handicap qui découle de ces déficiences a un impact important sur le maintien de la position debout et sur les transferts. La perte de la marche survient en moyenne dans les quinze années qui suivent le début de la maladie [ 14 ]. Les CPK sont constamment élevées, sauf à un stade fonctionnel très avancé de la maladie où elles ont tendance à se normaliser. Il n’y a pas d’atteinte cardiaque. Dans une première étude d’histoire naturelle de la LGMD-R1 [ 14 ], 11 % des patients présentaient une capacité vitale inférieure à 50 %. Si l’atteinte respiratoire, de type restrictif, est très rarement observée dans la LGMD-R1, il faut néanmoins systématiquement la rechercher.

Même si le tableau clinique est en général très homogène, le déficit en calpaïne peut parfois imiter de nombreuses autres maladies neuromusculaires telles que les myopathies inflammatoires (myosite à éosinophiles) ou les myopathies métaboliques (la forme tardive de maladie de Pompe en particulier). Des cas bénins de faiblesse musculaire minime et/ou hyperCKémie isolée ont été également décrits [ 13 ]. Il est souvent difficile de différencier cliniquement une calpaïnopathie d’une autre forme de dystrophie musculaire des ceintures tant les phénotypes peuvent être chevauchants.

Le phénotype clinique associé aux formes autosomiques dominantes est très homogène, indépendamment du type de mutation, dans ce cas précis des délétions ou des variants faux sens. Les patients ont une hyperckémie isolée ou une myopathie proximale et axiale évoluant lentement, avec marche dandinante, scapula alata et hyperlordose de début à l’âge adulte. Un certain degré d’asymétrie a été rapporté [ 8 ]. Les CPK sont augmentées chez tous les patients, y compris chez les asymptomatiques [ 12 ].

Diagnostic

Le diagnostic de certitude des lésions de nécrose/régénération associées à une calpaïnopathie primitive repose sur l’analyse du gène CAPN3 . La biopsie musculaire permet en amont de mettre en évidence des lésions de nécrose/régénération associées, dans certains cas, à la présence de fibres lobulées composées de myofibrilles désalignées [ 15 ]. Le Western blot de la calpaïne 3 est utile dans le diagnostic de la calpaïnopathie et hautement spécifique lorsque la protéine est absente ou fortement réduite. Environ deux tiers des individus porteurs de variants pathologiques dans le gène CAPN3 présentent une perte complète ou une réduction sévère de la protéine calpaïne 3. Les 20 à 30 % restants ont une quantité normale de protéine (mais avec une perte de fonction de celle-ci) [ 16 ], ce qui peut induire en erreur. Les résultats des immunoblots de la calpaïne 3 doivent donc être interprétés avec prudence, car l’analyse n’est ni complètement spécifique ni complètement sensible. En outre, les résultats doivent être interprétés en prenant en compte l’expression des autres protéines musculaires et le degré de préservation de l’échantillon étudié. On notera que la diminution du signal de la calpaïne 3 est parfois due à d’autres myopathies (titinopathie, dysferlinopathie), cette diminution étant alors considérée comme un phénomène secondaire.

L’IRM musculaire met souvent en évidence un pattern de substitution fibro-adipeuse très évocateur impliquant principalement, aux membres inférieurs, les adducteurs de hanche et les ischio-jambiers [ 17 ]. Les extenseurs de la colonne vertébrale sont plus sévèrement touchés que les rotateurs de la colonne vertébrale, comme en témoigne l’incidence plus élevée des lordoses, par rapport aux scolioses. L’importance de la substitution fibro-adipeuse musculaire est significativement corrélée avec le type de mutation du gène CAPN3 : les patients n’ayant en particulier aucun ou un seul allèle nul ont une atteinte plus légère, par rapport à ceux présentant deux allèles nuls (ces allèles prédisant l’absence de la protéine calpaïne 3). L’infiltration graisseuse du muscle est également fortement corrélée avec les évaluations fonctionnelles [ 17 ].

Perspectives thérapeutiques

Les déficits en calpaïne 3 sont majoritairement autosomiques récessifs et en rapport avec une perte de fonction de la protéine. Les formes, plus rares, à transmission dominante pourraient également être associées à une perte de fonction. Il reste encore de nombreux points à élucider concernant le rôle exact de cette protéase. L’identification du gène qui la code a déjà ouvert la voie au développement d’une approche thérapeutique par remplacement de gène. à ce jour, et en général, cette stratégie repose pour les maladies neuromusculaires sur un transfert de gène médié par des vecteurs dérivés du virus adéno-associé (AAV).

Une telle approche est en développement à Généthon. Une première preuve de principe a été obtenue en 2006, montrant l’efficacité d’un vecteur AAV1 exprimant la calpaïne 3 sous la dépendance d’un promoteur musculaire spécifique capable de restaurer le phénotype de souris déficientes en calpaïne 3, après injection intramusculaire ou loco-régionale [ 18 ]. Cette étude a montré une expression du transgène avec une localisation satisfaisante au niveau des sarcomères, qui s’est accompagnée d’une restauration de l’activité protéolytique, une correction de l’atrophie musculaire ainsi qu’une amélioration de la force. L’injection systémique de ce produit de thérapie génique a toutefois conduit à une cardiotoxicité liée à l’expression ectopique de la calpaïne 3 dans le cœur. Ces difficultés ont conduit à la mise au point et à l’utilisation de vecteurs viraux de seconde génération, ceux-ci permettant de faire disparaitre la cardiotoxicité sans pour autant compromettre l’effet thérapeutique dans le muscle squelettique [ 19 ]. Ce résultat a été obtenu soit par l’introduction de séquences cibles d’un micro ARN spécifique du muscle cardiaque, le miR208a, au niveau de la cassette d’expression du transgène, soit par l’utilisation de séquences promotrices dérivées du promoteur endogène. Afin de confirmer la bonne tolérance de ce nouveau type de vecteur, une étude pilote de biodistribution et de sécurité a été menée chez le primate non humain, démontrant qu’une injection unique du vecteur était bien tolérée pour une dose correspondant à la dose thérapeutique, avec, en particulier, une absence totale d’effet délétère au niveau cardiaque [ 20 ]. Notre équipe s’est aussi attachée à comprendre les mécanismes responsables de la toxicité et a identifié un mécanisme permettant d’expliquer comment l’activité de la calpaïne 3 était régulée dans le muscle squelettique [ 20 ]. Une région particulière de la titine, une protéine impliquée dans l’élasticité du muscle à laquelle s’accroche la calpaïne 3, va en effet jouer un rôle inhibiteur de l’activité enzymatique. De façon intéressante, ce mécanisme de régulation semble différer entre cœur humain et cœur de souris. Fort de ces résultats encourageants, un essai clinique est aujourd’hui en préparation à Généthon.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Acknowledgments

Nous tenons à remercier Célia Thévenard (Généthon) pour son aide lors de l’écriture du manuscrit.

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