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Med Sci (Paris). 36: 7–9.
doi: 10.1051/medsci/2020267.

Hommage à Georges Serratrice (1927-2019)

Jean Pouget1

1Service des Maladies Neuromusculaires , Marseille , France
 

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Georges Serratrice nous a quittés le 4 décembre 2019 après une longue, trop longue maladie. Il laisse ses proches, ses amis, ses élèves émus, riches des souvenirs partagés et nostalgiques des moments vécus avec, pardon pour ce mot qui n’a plus cours, ce grand patron.

Que ses deux fils Michel et Jacques nous pardonnent d’avoir si souvent consommé du temps pris sur leur vie familiale. L’exemple qu’il donna dans son activité de médecin et d’enseignant, l’homme et sa riche personnalité séduisirent et marquèrent beaucoup d’entre nous et notre communauté neurologique doit le remercier pour le rôle de pionnier qu’il eut en créant la pathologie neuromusculaire en France.

Sa carrière

Georges Serratrice est né le 24 décembre 1927 à Marseille. Il y passa son enfance. Après des études secondaires au Lycée Périer, il fit ses études de médecine à la Faculté de Médecine de Marseille et se spécialisa en neuropsychiatrie durant l’internat. Après une thèse consacrée aux hématomes cérébraux, il occupa des fonctions de Chef de Clinique dans le service de neurochirurgie du Professeur Jean Paillas où ce poste médical dans un service de neurochirurgie était de tradition. Sans quasiment d’imagerie, la pratique neurochirurgicale de l’époque nécessitait une clinique neurologique rigoureuse et précise. Georges Serratrice réussit brillamment au Concours de Médecin des Hôpitaux en 1959. Pendant plusieurs années d’exercice mixte, hospitalier et libéral, il eut une activité libérale orientée fortement vers la psychiatrie et il en conserva une approche clinique des patients qui le caractérisait. Très proche du Professeur Maurice Recordier, chef de service de rhumatologie à l’hôpital Michel Lévy, celui-ci lui permit de créer son propre service hospitalier. Georges Serratrice fut initialement à la croisée de la neurologie et de la rhumatologie. Certains lui en firent reproche et lorsqu’on évoquait devant lui ces remarques quelquefois un peu réductrices, il souriait et continuait son chemin, traçant son sillon en ignorant les étiquettes contraignantes et stériles. Tout en conservant un service de neurologie générale, il l’orienta d’emblée vers la pathologie neuromusculaire et débuta alors une grande aventure médicale. Cette discipline était tout à fait nouvelle et aucun service hospitalier en France n’avait à ce moment-là cette orientation. C’est John Walton, fondateur de la grande école de pathologie neuromusculaire de Newcastle, qui lui montra la voie, le conseilla et fut toute sa vie son mentor. Il traversa ainsi quatre décennies de pathologie neuromusculaire et observa les progrès majeurs accomplis grâce au développement des connaissances.

Le Service des maladies neuromusculaires de Marseille

Dès ses débuts de chef de service, dans le petit hôpital Michel Lévy, Georges Serratrice comprit l’intérêt de s’entourer de collaborateurs expérimentés dans le domaine des explorations complémentaires pour les maladies neuromusculaires : Jean-Louis Gastaut pour l’électrophysiologie, Jean-François Pellissier pour la neuropathologie (qui se forma pour la pathologie musculaire auprès de Michel Fardeau et garda des liens forts avec lui) et Robert Aquaron pour la biochimie tissulaire musculaire. Il initia ainsi précocement des travaux de recherche clinique dans ce domaine. Quelques années plus tard, son service hospitalier fut transféré à l’hôpital de La Timone nouvellement construit. De nouveaux élèves prirent le relais à la fin des années 70, Didier Cros, Claude Desnuelle et moi-même. Jean-François Pellissier restait l’expert pour les biopsies nerveuses et musculaires. Une réunion de service de confrontation clinique et pathologique se tenait tous les lundis matin. Elle débutait notre semaine de travail et était toujours animée et stimulante, source de projets de travail académiques. Les compétences médicales de Georges Serratrice, un recrutement de pathologies rares, son enseignement clinique très riche et l’activité de recherche clinique en firent un grand service de référence très prisé des internes de spécialités diverses : neurologues, neuropédiatres (en particulier Brigitte Chabrol qui a si bien développé la prise en charge des maladies neuromusculaires pédiatriques), rhumatologues mais aussi, pour les pathologies systémiques, les internistes, les endocrinologues et les dermatologues. Il conserva toujours le concept d’une organisation hospitalière permettant que le bilan diagnostique se structure autour du patient neuromusculaire grâce à un plateau technique spécialisé dans le domaine, dédié et regroupé au sein de son service hospitalier. Ainsi, les biopsies musculaires et nerveuses étaient réalisées dans le service par Jean-François Pellissier lui-même. L’exploration électrophysiologique neuromusculaire était également organisée dans le service qui devint vite la référence pour l’électroneuromyographie au sein du CHU de Marseille. Un laboratoire de service permettait également l’analyse biochimique du tissu musculaire, analyse développée initialement par Robert Aquaron pour les glycogénoses puis par Claude Desnuelle pour les pathologies mitochondriales. Des essais thérapeutiques pour les patients atteints de sclérose latérale amyotrophique furent introduits très précocement avec la thyrotropin-releasing hormone (TRH) proposée par son ami King Engel ; puis ces essais furent développés avec l’aide d’Olivier Blin. Ceci contribua à une prise en charge globale, multidisciplinaire de cette maladie lourde et cruelle. Marseille fut avec Paris, sous l’autorité de Vincent Meininger, à l’origine du concept de Centre SLA. Avec Jean-Philippe Azulay, Georges Serratrice joua également un rôle majeur pour la prise en charge thérapeutique des neuropathies inflammatoires. Il forma à la pathologie neuromusculaire de nombreux médecins tant français qu’étrangers. Tous ses élèves conservent pour lui admiration, reconnaissance et affection.

Les « Amis de Georges »

Georges Serratrice avait, dans son milieu professionnel, un cercle de relations très large tant à l’échelon local que national et international. Parmi ceux-ci, certains étaient ses amis et il leur vouait estime, fidélité et affection. Les « Amis de Georges » étaient aussi invités à partager les moments de sa vie personnelle et familiale, et son épouse Janine participait avec plaisir et élégance à cet accueil. Les liens tissés étaient solides et mutuels. à Marseille, outre certains de ses collègues et ses élèves, Jacques Baret et Jean Billé firent toujours partie des amis fidèles. à l’échelon national, avec quelques enseignants de neurologie amis, Georges Serratrice contribua à réformer le fonctionnement de la neurologie française et à créer le Collège des Enseignants de Neurologie. Fidèle des séances de la Société Française de Neurologie du jeudi matin et intervenant régulier lors de ces rencontres, il en devint le Président en 1990. C’est certainement à l’échelon international que son réseau d’amis proches était le plus impressionnant. Ils partageaient avec lui son intérêt pour la pathologie neuromusculaire et jouaient un rôle majeur à leur époque dans l’avancée des travaux sur les maladies neuromusculaires, l’organisation des congrès internationaux et l’édition de revues scientifiques. On peut citer entre autres : en Grande-Bretagne, John Walton et PK Thomas ; aux USA, Ted Munsat, Bud Rowland, King Engel et Valérie Askanas ; en Italie, Guglielmo Scarlato ; et en Pologne, Irena Hausmanova-Petrusewicz. Les grands noms du domaine des maladies neuromusculaires étaient ainsi souvent distingués par le titre de Docteur Honoris Causa de l’Université d’Aix-Marseille, et il était impressionnant pour les plus jeunes de côtoyer à Marseille ces personnalités. La carte de visite « élève de Georges » était indiscutablement une introduction de qualité.

Un expert en communication et un homme actif

Georges Serratrice avait de réelles qualités et un enthousiasme inlassable pour organiser des réunions médicales, même dans des conditions difficiles. Prenant un grand soin pour réaliser un programme scientifique original, il recevait à Marseille les participants comme ses invités et la convivialité était un des éléments de leur succès. Les Journées Neuromusculaires de Marseille furent ainsi créées en mai 1968 et, dans ce climat révolutionnaire, il fallut toute sa volonté et sa ténacité pour assurer l’organisation de ces premières Journées. Depuis, organisées régulièrement tous les deux ans, elles se poursuivent encore grâce à Shahram Attarian qui dirige actuellement le Centre de Référence des maladies neuromusculaires rares. Le Congrès International des maladies neuromusculaires à Marseille en 1982 fut certainement un moment marquant : organisé sans prestataire dédié, avec des moyens informatiques rudimentaires, tous les éléments du personnel du service étant sur le pont, en particulier ses jeunes collaborateurs. Georges Serratrice avait également tissé des liens amicaux avec ses collègues des pays du bassin méditerranéen, liens formalisés dans l’association Neuroméditerranée. Ce fût l’occasion d’organiser des rencontres de neurologie successivement dans ces différents pays du pourtour méditerranéen, toujours passionnantes et conviviales. La première eu lieu à Marseille en 1999 puis ce fut la Tunisie, l’Italie, l’Égypte, le Maroc, la Turquie, la Syrie, la Jordanie, de nouveau en 2007 Marseille, puis l’Algérie, Chypre et l’Albanie. Outre plusieurs livres en langue anglaise, édités à partir de certains des thèmes des journées internationales organisées à Marseille, Georges Serratrice écrivit des traités de pathologie neuromusculaire en langue française, plus didactiques et qui étaient la référence dans le domaine comme les Le çons de pathologie musculaire en 1968, et Les maladies neuromusculaires en 1994.

Très investi dans la dimension universitaire de son métier et le rayonnement de sa ville, il fut Président de l’Université Aix-Marseille II de 1979 à 1989 où il prit une part décisive à la création de l’École de Journalisme et de Communication d’Aix-Marseille. Il fut également vice-Président du Comité Économique et Social de 1983 à 1989.

Il obtint de nombreux honneurs et distinctions : Commandeur de la Légion d’Honneur, membre de l’Académie Nationale de Médecine, membre de l’Académie des Sciences, Lettres et Arts de Marseille, Docteur Honoris Causa de nombreuses universités étrangères et membre d’Honneur de l’ American Academy of Neurology et de plusieurs Sociétés étrangères de neurologie.

L’Homme

D’une grande intelligence et d’un esprit de synthèse remarquable, il appréhendait rapidement les situations et questions posées, devançant souvent son interlocuteur par sa vivacité et son anticipation. Il séduisait rapidement, sans effort et sans artifice. Esprit critique mais au sens positif, ses réponses étaient quelquefois elliptiques et énigmatiques, donnant l’impression à ceux qui ne le connaissaient pas qu’il était distant ou superficiel. Ses silences étaient toujours signifiants mais pouvaient plonger dans une perplexité désarmée les personnes qui lui faisaient face. Les situations les plus complexes et délicates étaient pour lui l’occasion de les considérer avec distance, recul et une vision souvent teintée d’humour. Ses traits d’esprit, lâchés furtivement à voix basse comme s’ils s’adressaient à lui-même, devaient être captés par ses proches et ses fous-rires inexpliqués étaient célèbres. Il établissait avec ses patients et leurs familles des liens intimes et fidèles. Doué de capacités de travail importantes, il lisait précocement les derniers articles médicaux, parus à l’époque dans des revues imprimées, et en faisait souvent le premier la synthèse à ses élèves. Il aimait écrire et le faisait avec aisance, s’isolant dans son bureau de sa maison de la rue Daumier. Certains de ses collaborateurs l’y rejoignaient ainsi le dimanche après-midi et soir pour travailler avec lui. C’étaient des moments privilégiés pour mieux comprendre et se sentir proche de ce patron impressionnant. Il partageait une curiosité insatiable des connaissances médicales et un enthousiasme sans relâche. Animé de projets constants et ambitieux, il savait faire partager aux autres cette foi et cet élan. Cela rendait la vie de ses élèves tout à la fois dense et joyeuse. Il avait souvent cette devise simple : « laissez les critiques stériles aux autres, travaillez et allez de l’avant ». Sa curiosité intellectuelle ne se limitait pas au champ médical et existait aussi dans beaucoup de domaines. Amateur de littérature classique, il évoquait souvent Stendhal, Maupassant ou Borges. Dans le champ artistique, il aimait faire visiter et admirer à ses invités ses collections qui regroupaient des objets précieux, provenant de cultures et d’époques lointaines. Ces quelques traits de sa personnalité, qui restait toutefois discrète et pudique, rendent sans doute mal compte de sa complexité. Fidèle en amitié, il conservait pour ses proches une affection réelle qui s’exprimait dans les moments importants de leur vie personnelle.

Georges Serratrice restera un neurologue qui fut un véritable pionnier pour la pathologie neuromusculaire, un chef d’École remarquable dans cette discipline et il marqua son époque.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.