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Med Sci (Paris). 36: 7–8.
doi: 10.1051/medsci/2020199.

Quel adversaire, que le cancer ! Les jeunes à la rescousse

Axel Kahn1*

1Président national de La Ligue contre le cancer14 rue Corvisart , 75013Paris , France
Corresponding author.

MeSH keywords: Adulte, Agriculture, Recherche biomédicale, Choix de carrière, France, Histoire du 21ème siècle, Humains, Mode de vie, Oncologie médicale, Tumeurs, Exposition professionnelle, Facteurs de risque, Jeune adulte, enseignement et éducation, histoire, organisation et administration, tendances, épidémiologie, étiologie, anatomopathologie, thérapie, effets indésirables, analyse, statistiques et données numériques

 

Les chiffres sont connus de tous mais impressionnent encore chaque fois qu’on les énonce. Rien qu’en France où un peu moins de 750 000 enfants naissent chaque année, 400 000 nouveaux cas de cancers sont aujourd’hui détectés et 157 000 personnes en décèdent. La mortalité globale liée aux cancers a cessé de progresser mais non leur fréquence d’ensemble. Expression du phénomène darwinien de sélection naturelle dans l’organisme, des cellules qui ont acquis un avantage de prolifération, survie et invasion, les cancers sont profondément liés à la vie elle-même, les éradiquer apparaît sur un plan théorique impossible. En revanche, les guérir de plus en plus souvent est un objectif plus réaliste. La Ligue s’est même laissée aller à fixer des buts à ce progrès, d’un peu plus d’une guérison sur deux au début des années 2020 à deux sur trois au tournant des années 2030. Plus ensuite. La guérison n’est d’ailleurs pas la seule forme du succès, la transformation d’un pourcentage croissant de cancers en maladies chroniques compatibles avec une vie prolongée de qualité en est aussi un des plus valables. Un autre combat essentiel est d’éviter autant qu’il se peut les 40 % de cancers « évitables », associées le plus souvent à des pratiques cancérigènes. La mortalité par cancers liée au tabac est de l’ordre de 40 000 personnes tous les ans ; 15 000 à 16 000 en rapport avec l’alcool, 5 000 à 6 000 avec l’obésité et l’alimentation, 1 600 le soleil, environ autant les virus… Ce sont là déjà près de 64 000 morts en principe évitables, la presque totalité des 40 % annoncés.

Nous en prenons conscience, poursuivre les deux objectifs prioritaires – prévenir, guérir, en tout cas éviter de mourir – rappelés ci-dessus – est d’une complexité considérable, la mobilisation pour y parvenir doit être générale. La Ligue, la recherche contre les cancers en France et dans le monde a besoin des jeunes, de leur contribution éminente aujourd’hui et des chercheurs séniors de talents que beaucoup seront dans l’avenir. Cette mobilisation est non seulement indispensable, elle est aussi justifiée en ce que les jeunes seront dans la durée les plus concernés par la société moderne dans laquelle le fardeau des cancers est si lourd, ils seront les plus menacés par la dépendance à des pratiques cancérigènes. C’est pourquoi d’ailleurs La Ligue prépare sur tout le territoire durant les années 2021 et 2022 les États généraux de la jeunesse face aux cancers dont la réunion « Jeunes & Chercheurs » d’octobre 2020 constitue une manière de coup d’envoi.

Ce numéro spécial de médecine/sciences – revue chère à mon cœur, j’en suis un co-fondateur et en ai été rédacteur en chef durant quinze ans – offre un éventail de recherches qui s’intègrent aux différents objectifs rappelés plus haut.

Le tabac occupe encore la première place des facteurs initiateurs de cancers, au premier chef des cancers du poumon qui en dépendent dans la proportion de 80 à 90 %. Pas partout, cependant, notamment aux Antilles où jusqu’à 40 % des cas sont observés sans lien avec la consommation de cigarettes. Des équipes de Guadeloupe, Martinique et Rennes en profitent pour tenter d’identifier d’autres facteurs étiologiques, en particulier liés aux pratiques agricoles dans la culture et la transformation de la canne à sucre.

Cette question des risques professionnels associées à l’agriculture est abordée par un consortium de laboratoires de Caen, Bordeaux et Amiens. Les grandes études de cohortes françaises et internationales ne retrouvent pas une fréquence globale accrue de cancers chez les agriculteurs comparés aux autres professions. En revanche, certaines hémopathies malignes y sont sur-représentées, spécialement des lymphomes non hodgkiniens et des myélomes multiples. Prouver la responsabilité de tel ou tel facteur est difficile mais l’attention est clairement attirée sur des insecticides de différentes familles et sur des herbicides tels le glyphosate.

Il semble intuitif de se méfier le plus des pesticides de synthèse dans la surreprésentation de certains cancers. Cependant, une équipe INRAe-CNRS de Sophia Antipolis se demande si certains biopesticides pourraient être eux aussi suspectés, en particulier les spores de Bacillus thuringiensis. De fait, une alimentation « bio » ne diminue pas la fréquence des cancers colorectaux. La Ligue est par ailleurs concernée par le caractère potentiellement néfaste sur la survenue de ces cancers des viandes de porc conservées par traitement aux nitrates et nitrites, technique tolérée en alimentation « bio ».

Le mécanisme majeur des effets cancérigènes de l’alimentation est l’obésité, question étudiée par une équipe de l’université d’Auvergne et de l’INRAe. Les chercheurs auvergnats établissent une relation entre les phénomènes inflammatoires du tissu adipeux, leurs conséquences immunologiques (sécrétions de cytokines pro-inflammatoires promotrices de tumeurs…) et le processus tumoral. Ils analysent ensuite les mécanismes de l’effet protecteur d’une activité physique sur la carcinogenèse mammaire.

Quoiqu’on fasse, tous les cancers ne seront pas évités, il faudra les traiter en minimisant autant qu’il est possible les effets néfastes de la thérapeutique. Cela vaut bien entendu pour la chimiothérapie conventionnelle, par exemple par l’oxaliplatine. Ce produit très utilisé dans les cancers digestifs entraîne de fréquentes neuropathies chimioinduites, parfois graves et toujours douloureuses. Une équipe du Collège de France fait l’hypothèse que l’un des mécanismes pourrait en être une perméabilité anormale de la barrière sang-nerf qui permettrait à l’oxaliplatine de léser les axones.

L’arrivée en clinique en 2001 de l’imatinib mésylate, le Gleevec ® , inaugure la révolution de la thérapie ciblée des cancers. Ce médicament a transformé le pronostic des jadis redoutables leucémies myéloïdes chroniques. L’étude du génome a permis de retrouver la présence de 535 protéines kinases du type de Bcr-Abl, cible du Gleevec®, elles forment le « kinome ». Le criblage de ligands potentiels de ces protéines kinases est essentiel mais représente une tâche immense. Une équipe mixte (Université, CNRS, Inserm) de Montpellier se propose de disposer de suffisamment de données structurales de kinases et de ligands potentiels pour réaliser un pré-criblage in silico du « kinome » humain.

Les récepteurs dotés d’activité de protéine kinase peuvent transduire un signal associé à des partenaires non enzymatiques, dont PKT7 est un exemple. Un groupe de l’université d’Aix-Marseille et de l’Institut Paoli-Calmette s’y intéresse en tant que cible potentielle d’intérêt dans la cancérogenèse colorectale. Les protéine kinases et molécules associées ne sont pas les seules cibles dont l’intérêt mérite d’être approfondi, une équipe de l’hôpital Saint-Louis (Université de Paris, Inserm) l’illustre avec une glycoprotéine CD147.

Les immunothérapies, elles aussi des thérapies ciblées, constituent collectivement le dernier grand progrès réalisé dans le traitement des cancers. Elles reposent sur des outils cellulaires ou sur des anticorps monoclonaux plus ou moins modifiés. Les CAR-T-cells ( chimeric antigen receptor-T cells ) sont des lymphocytes T des patients qui ont été génétiquement modifiés de sorte que l’activation d’un motif anticorps au contact d’un antigène tumoral active les propriétés cytolytiques du lymphocyte. Une équipe de l’Institut Paoli-Calmette et de l’Université d’Aix-Marseille fait le bilan des possibilités existantes et de l’intérêt d’un remplacement du lymphocyte T autologue par des cellules NK allogéniques.

Les perspectives offertes par le développement d’anticorps monoclonaux à activités antitumorales sont immenses. Cependant, la présence à faibles concentrations des antigènes tumoraux cibles à la membrane de cellules normales entraîne parfois de redoutables effets secondaires lors de l’administration de ces médicaments. Une équipe de l’Institut de Recherche en Cancérologie de Montpellier explore différentes stratégies fondées sur la nature du microenvironnement tumoral et censées accroître la spécificité de l’anticorps pour ses cibles tumorales.

Enfin, une dernière contribution de ce numéro provient de l’Institut de Biologie du Développement de l’université de Toulouse III Paul Sabatier et du CNRS. Elle aborde le vaste champ des relations entre différenciation et cancérisation. Plus spécifiquement le rôle du facteur de transcription Ovo-like dans la transition entre les phénotypes épithélial et mésenchymateux dans la cancérisation, l’invasion et l’établissement métastatique.

La Ligue est très fière de contribuer à couvrir les salaires doctoraux de plusieurs centaines de jeunes chercheurs, de financer nombre des équipes labellisées dans lesquelles ils mènent leurs recherches. Elle a le sentiment d’être ainsi fidèle à la volonté des 830 000 donateurs qui lui permettent d’agir, dont la générosité est sans faille mais exigeante. Fidèle à la mission qu’elle poursuit depuis ses origines plus que centenaires. Fidèle enfin à ce qu’elle considère comme un devoir impérieux, ne rien céder aux cancers, les combattre pas à pas, obstinément. Avec les jeunes, comment cela se pourrait-il ? Sinon, avec et pour eux.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.