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Med Sci (Paris). 36(12): 1207–1212.
doi: 10.1051/medsci/2020229.

Soyons plus ambitieux pour traiter le suicide
La vieillesse et la mort, problématiques comportementales et sociétales

Philippe Courtet,1,2* Bénédicte Nobile,1,2 and Émilie Olié1,2

1Neuropsychiatrie : recherche épidémiologique et clinique (PSNREC), Univ Montpellier, Inserm, CHU de Montpellier , Montpellier , France .
2Département d’urgence et de post-urgence psychiatrique, Hôpital Lapeyronie, CHU Montpellier , Montpellier , France .
Corresponding author.
 

Avec plus d’un million de décès chaque année, le suicide est la quatorzième cause de mortalité dans le monde, et ce chiffre devrait augmenter de 50 %, pour en devenir la douzième cause d’ici 2030 [ 1 ]. La France est au premier rang des pays européens frappés par cette épidémie silencieuse. En 2015, il a été dénombré près de 9 000 décès par suicide (soit un toutes les heures) et 200 000 tentatives de suicide 1 .

La reconnaissance du risque suicidaire, c’est-à-dire le risque qu’un sujet passe à l’acte, est l’un des défis les plus complexes dans la pratique clinique quotidienne. Bien que la connaissance des facteurs de risque suicidaire permette d’identifier des individus à plus ou moins haut risque, il est à l’heure actuelle impossible de savoir quand la menace de passage à l’acte est maximale car les facteurs de risque sont nombreux et dynamiques.

Les conduites suicidaires : un trouble en soi [ 2 ]

Les sujets qui réalisent des actes suicidaires sont généralement en proie à des difficultés environnementales, notamment sociales et interpersonnelles, au cours des mois précédant leur geste. Les études par autopsie psychologique (recueillant a posteriori des informations sur la personne décédée auprès de l’entourage et dans le dossier médical) nous apprennent que plus de 90 % des sujets suicidés présentaient un trouble psychiatrique au moment du passage à l’acte. Il est important d’insister sur le fait que tous les troubles psychiatriques augmentent le risque de conduites suicidaires (CS). Mais heureusement, la grande majorité des personnes faisant face à ces stress ne réaliseront pas de geste suicidaire. L’adversité psychosociale et les troubles psychiatriques sont donc des conditions nécessaires mais non suffisantes à l’apparition des CS. Un autre élément est nécessaire à leur survenue : la vulnérabilité suicidaire (ou prédisposition). Le modèle « vulnérabilité-stress », modèle médical habituellement utilisé, postule que, parmi les personnes qui font face à un stress environnemental ou une maladie psychiatrique, seules celles porteuses d’une vulnérabilité spécifique réaliseront un acte suicidaire. Le principal facteur de vulnérabilité suicidaire est l’histoire passée de tentative de suicide. Les sujets ayant réalisé une tentative de suicide (appelés suicidants) présentent un risque élevé de répétition, et 10 à 15 % d’entre eux décéderont par suicide. Le taux de suicide chez les suicidants est 100 fois plus élevé qu’en population générale. D’autres facteurs de vulnérabilité cliniques sont les antécédents familiaux de CS, l’agressivité impulsive, le pessimisme et les abus dans l’enfance. L’identification des facteurs de vulnérabilité permet de reconnaître des sujets à « haut risque » suicidaire potentiel qui nécessiteraient des interventions préventives plus intenses. Ainsi, un champ important de recherche vise à identifier des marqueurs biologiques plus spécifiques du risque suicidaire, en plus des facteurs de vulnérabilités cliniques.

L’hypothèse d’une participation génétique a pu être soulevée selon le constat que les CS étaient anormalement fréquentes dans certaines familles (citons, par exemple, la famille Hemingway, chez laquelle sept membres sur quatre générations se sont suicidés). Les études de génétique épidémiologique ont permis de montrer l’existence d’une susceptibilité génétique aux CS qui est indépendante de la susceptibilité génétique aux troubles psychiatriques associés. Les études de génétique initialement centrées sur des gènes de vulnérabilité en lien notamment avec le système sérotoninergique [ 3 ], se sont aussi orientées vers des approches pangénomiques ( genome-wide association study ou GWAS) [ 4 ].

De nombreuses études réalisées sur des tissus cérébraux (en histologie post-mortem ou in vivo par imagerie cérébrale) ont rapporté des anomalies biologiques associées aux CS. Les principaux systèmes impliqués sont le système sérotoninergique, l’axe du stress (le cortisol), la voie du glutamate, l’inflammation et des facteurs neurotrophiques [ 5 ].

Le développement de la neuroimagerie (dont l’imagerie par résonance magnétique [IRM] fonctionnelle) a en outre permis de progresser dans la compréhension neuroanatomique des CS [ 6 ]. La vulnérabilité suicidaire pourrait être associée au dysfonctionnement de zones cérébrales sous-tendant certaines fonctions cognitives. Le cortex orbitofrontal (OFC) est une région particulièrement intéressante, puisque des études post-mortem ont révélé que ses anomalies sérotoninergiques étaient associées aux conduites suicidaires. L’OFC joue un rôle clé dans la prise de décision, une fonction cognitive qui traite des choix dans les situations complexes de la vie. Ont donc été testées, lors d’une IRM fonctionnelle, les compétences de prise de décision chez des sujets ayant fait une tentative de suicide, en comparaison avec des sujets contrôles. Sur le plan comportemental, les suicidants sont caractérisés par une moins bonne prise de décision [ 7 ], avec une moindre activation de l’OFC lors des choix à forte récompense immédiate, malgré des conséquences négatives à long terme [ 8 ]. Les patients étaient euthymiques 2 au moment de l’examen pour exclure l’effet d’un état dépressif aigu. Cette région cérébrale est, par ailleurs, plus activée chez les suicidants que chez les sujets contrôles lors de la visualisation de visages exprimant la colère, suggérant une surévaluation chez ces personnes des indices sociaux négatifs évoquant une menace. La traduction clinique de ces études peut être la suivante : chez les personnes vulnérables, la perception d’une menace sociale, source de souffrance, oriente vers le choix d’options (l’acte suicidaire) qui favorisent une récompense à court terme (soulagement de la souffrance), malgré les risques différés (la mort).

Ce bref aperçu rappelant l’existence d’une vulnérabilité suicidaire, permet d’appréhender l’ampleur des recherches actuelles et de reconnaître que les CS devraient être enfin considérées comme une entité spécifique dans la nosologie psychiatrique. Les CS sont une catégorie à l’étude dans le manuel diagnostique DSM-5 ( Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, 5 e édition). Comme pour les autres troubles psychiatriques, elles bénéficient d’une description clinique, de facteurs biologiques associés post-mortem et in vivo , de diagnostics différentiels (par exemple, automutilations ou conduites parasuicidaires) et d’une composante familiale.

La place de la douleur psychologique

Les éléments d’adversité sociale sont des stress fréquents et presque toutes les victimes de suicide ont vécu des événements négatifs dans l’année précédant leur décès (conflits interpersonnels, problèmes professionnels et financiers, deuil). En outre, les suicidants sont souvent isolés sur le plan social. Il est important de noter ici que l’incidence du suicide diminue avec l’augmentation de l’intégration sociale. Parallèlement, il est probable que les personnes vulnérables au suicide présentent une réponse dérégulée à l’adversité sociale. L’étude de cette réponse particulière pourrait permettre de déterminer des biomarqueurs de vulnérabilité suicidaire et ainsi aider à découvrir de nouveaux traitements. En IRM fonctionnelle, lors de la passation d’un test d’exclusion sociale, les suicidants, euthymiques au moment de l’examen, présentent, en comparaison de patients n’ayant pas fait de tentative de suicide et de témoins sains, une activation différente au niveau de l’insula postérieure et du gyrus supramarginal, des régions cérébrales qui sont interconnectées [ 9 ]. L’insula joue un rôle dans la perception douloureuse, et le gyrus supramarginal dans les cognitions sociales (processus par lesquels les sujets donnent du sens à eux-mêmes, aux autres, au monde qui les entoure). Ces résultats suggèrent que les suicidants présentent une modification de la tolérance à la douleur (élément pouvant entrer en compte dans le passage à l’acte suicidaire) et une mauvaise attribution des intentions d’autrui, ce qui participe à une plus grande sensibilité aux stress sociaux. Si de telles études nous aident à comprendre la sensibilité aux stress sociaux en situation de laboratoire, il est intéressant de mieux comprendre ce qui se passe in vivo (en vie réelle) à l’aide de données de terrain. Pour cela, l’utilisation des smartphones est précieuse [ 35 ]. Grâce à des applications dédiées, les patients peuvent en effet être interrogés sur leurs expériences du moment, dans un contexte de vie quotidienne. À la sortie de l’hôpital, nous avons examiné la relation entre facteurs de stress quotidiens et survenue d’idées de suicide chez des suicidants, via leur smartphone, sur la base de cinq évaluations (par questions simples ou questionnaires rapides) par jour pendant une semaine : seuls les stress interpersonnels (en relation avec la sociabilité) se sont révélés prédictifs de la survenue d’idées suicidaires [ 10 ]. L’étude de la perception par le sujet du rejet social, de la douleur psychologique associée et des cognitions sociales, est donc cruciale pour mieux comprendre la vulnérabilité suicidaire.

Le rejet social, ou exclusion, est source de souffrance. Il apparaît dans nombre de circonstances dans lesquelles le sujet ne « trouve plus sa place » dans la société, en particulier chez les personnes âgées. Le terme de « douleur sociale » a donc été proposé pour rapporter l’expérience affective négative qui accompagne le rejet par les autres [ 11 ]. L’insula est une région clé intervenant dans le processus douloureux tant social que physique. Dans différentes méta-analyses, il est observé que les intensités de la douleur psychologique et de la douleur physique sont plus élevées chez les suicidants et les sujets avec idées de suicide que chez des personnes n’ayant pas fait de tentative ou n’ayant pas d’idées suicidaires [ 12 ]. Ainsi de nombreux auteurs ont formulé l’hypothèse que les patients cherchent généralement à mourir pour soulager un état interne douloureux qui leur est insoutenable.

Si les sujets vulnérables aux CS présentent une perception accrue de la douleur, ils pourraient être plus enclins à consommer des antalgiques. C’est ce qui a été montré dans une étude portant sur une cohorte en population générale : les sujets ayant des antécédents de tentatives de suicide consommaient plus d’antalgiques opioïdes que des personnes ayant des antécédents de dépression ou des témoins sains [ 13 ]. Pourtant cette consommation n’apparaissait pas être en lien avec l’impact d’une douleur physique sur la qualité de vie des individus [ 14 ]. Il est donc possible que les antalgiques opioïdes pourraient être utilisés pour obtenir un soulagement de la douleur psychologique ou sociale plutôt que physique chez les patients ayant une histoire de CS. Cela est particulièrement intéressant dans le cadre d’une « crise des opioïdes », épidémie actuelle 3 , qui se caractérise par l’augmentation rapide de la mortalité (notamment suicidaire) par surdose d’opioïdes. La compréhension du rôle de la douleur dans le processus suicidaire et des mécanismes sous-jacents peut donc offrir de nouvelles perspectives thérapeutiques.

Certains médicaments agissant sur le système opioïde pourrait-il avoir un intérêt dans la prévention de la douleur sociale et du suicide ? Il a été montré que la buprénorphine (agoniste partiel des récepteurs opioïdes mu et antagoniste des récepteurs opioïdes kappa) atténuait la réponse au stress social (sur le plan émotionnel et biologique) chez des sujets sains [ 15 ]. Un traitement par buprénorphine (en dose ultra-faible) s’est montré efficace pour réduire rapidement les idées de suicide et la douleur psychologique chez des patients souffrant de troubles psychiatriques [ 16 ].

Les facteurs de stress social sont des inducteurs particulièrement puissants de réactions inflammatoires. Des études contrôlées en laboratoire ont montré qu’un stress social, impliquant une évaluation sociale, et l’éventualité d’un rejet par autrui provoquent une nette augmentation de marqueurs pro-inflammatoires, tels que certaines cytokines [ 17 ]. Il existe un lien entre l’activation de certaines régions cérébrales lors d’une expérience de rejet social et le taux sanguin de certaines cytokines, ou de leurs récepteurs, dont le récepteur soluble du TNF-α ( tumor necrosis factor- a), sTNFαRII, et l’interleukine-6 (IL-6) [ 18 ]. Par ailleurs, un nombre croissant d’études suggère que l’inflammation contribue à la physiopathologie des CS, indépendamment des troubles psychiatriques [ 19 ]. Cette inflammation chronique de bas grade favorise, dans les cellules gliales, une transition entre synthèse de la sérotonine et métabolisme du tryptophane, par la voie de la kynurénine 4 ( ) [ 36 ].

(→) Voir la nouvelle de L. Laurans et S. Taleb, m/s n° 8-9, août-septembre 2018, page 660

La kétamine, un antagoniste des récepteurs glutamatergiques NMDA (N-méthyl-D-aspartate), qui a une action sur cette voie, réduit rapidement les idées suicidaires [ 20 , 37 ] ( ).

(→) Voir l’Éditorial de B. Giros, m/s n° 11, novembre 2018, page 899

Une perspective envisagée est ainsi le développement de thérapies immunitaires et modulatrices du glutamate pour les patients déprimés ayant des idées suicidaires sévères.

Sur le plan médicamenteux, l’abord de la douleur sociale dans la vulnérabilité suicidaire ouvre la voie à des stratégies psychosociales. Les contacts postaux ou téléphoniques visant à maintenir le lien social ont montré leur efficacité dans la prévention de la récidive suicidaire [ 21 ]. Il est également possible que cet effet puisse exister à travers l’utilisation des réseaux sociaux [ 22 ]. Dans ce sens, nous avons développé une application pour smartphone , dont l’objectif est de mettre en place une intervention ponctuelle afin d’apporter des réponses et des stratégies de prévention au moment où le patient est en crise suicidaire [ 23 ].

Prévention insuffisamment efficace

Comme nous connaissons de nombreux facteurs de risque suicidaires, il a longtemps été suggéré d’identifier les personnes à haut risque et de développer des stratégies de prévention à destination de ces patients. Toutefois, la majorité des personnes considérées à risque élevé de suicide ne mourront pas par suicide. Et, en fait, près de la moitié des suicides se produisent chez des personnes considérées, en théorie, à faible risque. Ainsi, même si la stratification du risque suicidaire fournit certains renseignements pronostiques (au sens statistique), elle se révèle peu fiable en ce qui concerne la probabilité d’un suicide futur au niveau individuel et pour guider la pratique clinique [ 24 ]. Les stratégies de prévention actuelles consistent à identifier et à prendre en charge les facteurs de risque sociaux et cliniques sur lesquels il est possible d’intervenir. L’approche thérapeutique est donc fondée sur les besoins du patient au moment de la consultation, et non sur la perception des cliniciens du risque de suicide futur. Il est important de proposer à chaque patient un plan de traitement individualisé selon ses besoins et ses préférences. La plupart des facteurs susceptibles d’être modifiés, comme les maladies psychiatriques, justifient un traitement spécifique.

Le trouble dépressif majeur, qui affecte environ 25 % de la population en Europe (selon l’OMS), est un facteur de risque essentiel de CS, dans la mesure où les deux tiers des sujets qui se suicident présentaient une dépression. Le risque d’idées de suicide et de tentative de suicide attribuable aux troubles de l’humeur est respectivement estimé à 50 et 80 %. Traiter la dépression peut donc sauver de nombreuses vies. La plupart des études pharmaco-épidémiologiques montrent un effet protecteur de l’utilisation d’antidépresseurs sur le suicide. Par exemple, en Scandinavie, dans les années 1990, l’utilisation des antidépresseurs qui a été multipliée par 3,4 fois, s’est accompagnée d’une diminution du nombre de suicides de 19 %. L’effet antisuicidaire des antidépresseurs persisterait même après contrôle du biais de prescription, où la propension à traiter augmente avec la sévérité clinique du patient. Cependant, le développement considérable des psychotropes, et l’augmentation de leurs prescriptions au cours des dernières décennies, ne se sont pas traduits par une diminution substantielle des suicides.

La majorité des patients déprimés ne reçoit en fait pas de traitement adapté, et il a été montré que si tous les patients souffrant d’un épisode dépressif majeur recevaient un traitement antidépresseur, plus d’un suicide sur trois pourrait être évité [ 25 ]. Certains patients (10 à 20 % selon les études) pourraient présenter une émergence ou une aggravation du risque suicidaire lors des 4 à 5 premières semaines de traitement par antidépresseur [ 26 ]. Ceci a conduit les autorités sanitaires à émettre une black box warning 5 sur la prescription de ces molécules et a abouti à des conséquences délétères pour les patients (diminution des diagnostics de dépression, diminution de prescription des antidépresseurs et augmentation des taux de suicides et de tentatives de suicide) [ 27 , 28 ]. On pourrait alors légitimement se demander si, au lieu de priver les patients d’un traitement qui leur est nécessaire, il ne faudrait pas identifier les patients à risque, afin de les cibler et de leur offrir une prise en charge adaptée. Plusieurs facteurs de risque cliniques et biologiques ont été identifiés [ 29 , 30 ]. Il s’avère en fait que cette émergence ou aggravation que l’on observe chez certains patients, sont principalement le résultat d’une réponse insuffisante au traitement antidépresseur. Il est important de souligner que les idées de suicide et les antécédents de tentative de suicide sont fortement prédictifs de non rémission de la dépression, même après ajustement pour les différents facteurs de confusion et le type d’antidépresseur [ 31 ]. Les personnes qui ont le plus besoin d’un traitement efficace répondraient donc moins bien à ces traitements… Les délais d’actions des antidépresseurs utilisés sont, de plus, longs (4 à 6 semaines) et il est parfois nécessaire d’agir rapidement sur les idées de suicide fortes (crise suicidaire). Comme la simple utilisation d’antidépresseurs ne suffit pas à protéger contre le suicide chez les sujets déprimés, il apparaît donc essentiel de développer de nouvelles stratégies. La kétamine s’est révélée être une molécule dont les effets antisuicidaires propres lui confèrent un intérêt tout particulier. En effet, une perfusion de kétamine permet de réduire significativement les idées de suicide du patient, dès le premier jour, avec un maintien de l’effet jusqu’à 7 jours, indépendamment de l’effet sur la dépression. Actuellement, l’eskétamine, dont la voie d’administration est intra-nasale, est à l’étude dans l’indication de la dépression avec risque imminent de passage à l’acte suicidaire [ 32 ].

Contre le nihilisme thérapeutique

Nous conclurons cette revue sur la mort volontaire, par des réflexions que nous ont inspiré la multiplication des cas de patients psychiatriques ayant sollicité un suicide assisté. Notre opinion est que cette approche d’euthanasie ou suicide assisté ne devrait pas devenir une alternative au suicide volontaire, qui se réalise sans assistance. Or, une étude réalisée aux Pays-Bas, qui décrit 66 cas de sujets qui ont reçu une euthanasie/suicide assisté, nous conduit à penser à un certain nihilisme thérapeutique [ 33 ]. Il n’y avait en effet dans la description de ces cas, aucune preuve que les patients avaient reçu des traitements thérapeutiques fondés sur des preuves, qu’ils présentaient une maladie psychiatrique résistante au traitement qui leur avait été administré, qu’ils avaient consulté des psychiatres afin d’être diagnostiqués, et qu’ils souffraient en majorité de troubles dépressifs, ou qu’ils étaient isolés et avaient présenté des antécédents de tentative de suicide ou des troubles de la personnalité. Il nous semble que les psychiatres pourraient, avant tout, proposer à ces patients, des traitements existants, fondés sur des preuves, et aussi étudier de nouvelles cibles et de nouveaux traitements pertinents qui pourraient favoriser la prévention du suicide, et probablement redonner espoir à ces patients en déshérence et à leurs familles [ 34 ]. La restauration du lien social et le ciblage des mécanismes moléculaires de la douleur fourniront un arsenal enrichi pour traiter efficacement les patients suicidaires.

Conclusion

Les CS doivent être considérées comme une entité à part entière, avec une physiopathologie propre. Sa compréhension repose actuellement sur de nombreux travaux, allant de la génétique à la neuroimagerie. En l’absence d’éléments cliniques fiables pour identifier les sujets à risque et prédire le risque suicidaire, il est important d’identifier des biomarqueurs « suicidaires », tels que l’augmentation de cytokines proinflammatoires dans le sang ou des marqueurs de l’activité cérébrale qui a été réorientée, et qui sont le résultat des atteintes psychiques que les personnes subissent (rejet social, exclusion, etc.). Les stratégies de prévention sont nombreuses. Mais elles peinent à démontrer leur efficacité au niveau individuel. De nouvelles cibles thérapeutiques méritent d’être explorées, cibler la douleur en fait partie.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
2 D’humeur stable et normale.
3 L’augmentation des hospitalisations liées à la consommation d’antalgiques opioïdes obtenus sur prescription médicale et de décès liés à leur consommation, était de 167 % entre 2000 et 2017 pour le premier, et de 146 %, entre 2000 et 2015 pour le second. Cela correspond à au moins 4 décès par semaine. Tous médicaments confondus, le tramadol demeure l’antalgique opioïde le plus consommé, avec une augmentation de 68 % sur 10 ans.
4 L’indoléamine 2-3 dioxygénase 1 est une enzyme dont l’expression est induite au cours de la réaction inflammatoire. Elle est responsable du catabolisme du tryptophane en N-formylkynurénine, conduisant à la production de métabolites dérivés de la kynurénine [ 36 ].
5 Un avertissement encadré qui apparaît sur la notice de certains médicaments.
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