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Med Sci (Paris). 36(12): 1199–1206.
doi: 10.1051/medsci/2020228.

Conséquences éthiques et sociales de biomarqueurs prédictifs de la mort chez l’homme
La vieillesse et la mort, problématiques comportementales et sociétales

Marie Gaille,1 Marco Araneda,2 Clément Dubost,3 Clémence Guillermain,1 Sarah Kaakai,4 Élise Ricadat,2 Nicolas Todd,5 and Michael Rera6*

1Université de Paris, SPHERE, UMR 7219, CNRS-Université Paris Diderot, bâtiment Condorcet, case 7093 , 5 rue Thomas Mann , 75205Paris , France .
2Université de Paris, Centre de recherche psychanalyse médecine et société (CRPMS) - EA 3522, IUH - EA 3518, bâtiment Olympe de Gouges , 8 rue Albert-Einstein , 75013Paris , France .
3 Chef de service de réanimation polyvalente, hôpital d’instruction des armées (HIA) Bégin et Groupe de recherche COGNAC-G ( Cognition and action group ), UMR CNRS-Paris Descartes-SSA , Paris , France .
4Laboratoire Manceau de mathématiques, Institut du risque et de l’assurance, Le Mans Université , 72000Le Mans , France .
5Max Planck Institute for Demographic Research , Rostock , Allemagne .
6Université de Paris, Inserm U1284, Center for Research and Interdisciplinarity (CRI) , F-75006Paris , France .
Corresponding author.
 

La prédiction de survenue de la mort n’est pas une idée nouvelle ; on la trouve formulée depuis la fin du xvii e siècle ; aujourd’hui, dans des tables de mortalité [ 1 ], on rencontre des estimations des multiples paramètres liés à la mort au niveau populationnel. De leur côté, les médecins tiennent compte de l’espérance de vie médiane de la population pour leur pronostic quotidien et la conception de la stratégie thérapeutique à appliquer à leurs patients.

Le développement récent de biomarqueurs du vieillissement a permis d’identifier des prédicteurs de survenue de la mort naturelle imminente. Il a ainsi ouvert la voie à une estimation personnalisée du risque de décès au sein de la population générale. Des recherches sur la prédiction de risque élevé de mortalité chez des adultes apparemment en bonne santé, récemment publiées, font écho à la description chez Drosophila melanogaster , en 2011, du phénotype Smurf , un prédicteur fort de la mort naturelle. Ces observations suggèrent donc que la fin de vie serait 1) très stéréotypée, sur les plans moléculaire et physiologique, 2) conservée, sur le plan évolutif, et 3) prévisible. Elles permettent, de fait, de donner une nouvelle orientation à la recherche sur le vieillissement.

Il convient néanmoins d’identifier et d’analyser les implications éthiques de la découverte de ces prédicteurs de la mort naturelle imminente chez des adultes en apparente bonne santé, tant pour les individus que pour la société. On peut en effet faire l’hypothèse que ces nouvelles connaissances entraîneront sans doute des changements dans l’attitude d’une personne à l’égard de sa propre mort, et les utilisations potentielles de cette recherche sur le plan de la santé publique et de l’économie assurantielle nécessitent également d’être examinées. Le présent article décrit brièvement l’évolution historique de la pensée biologique sur la mort, la recherche en cours sur les prédicteurs de la mort naturelle imminente, et les perspectives qu’elle offre dans le domaine de la biologie du vieillissement. Il ouvre ensuite la réflexion sur les implications éthiques de tels outils en s’appuyant sur une démarche philosophique et sur des travaux en psychologie clinique. Enfin, il énonce de façon programmatique les enjeux médicaux et sociaux principaux qui devraient faire l’objet d’une enquête approfondie à venir, pluridisciplinaire et fondée sur la recherche biologique actuelle sur de tels biomarqueurs prédictifs du risque de mortalité.

Prédictibilité de la mort naturelle

Les modalités de mortalité liées à l’âge varient d’une espèce à l’autre [ 2 ]. Chez Drosophila melanogaster et Homo sapiens , on observe une mortalité qui croît avec l’âge de l’individu ( Figure 1 ) : c’est la définition du « vieillissement » que nous adopterons. L’augmentation de la mortalité avec l’âge a été reconnue, au moins depuis que John Graunt a calculé la première table de mortalité, en 1662 [ 3 ]. La nature exponentielle de la force de la mortalité a ainsi été mise en avant dès 1825 par Benjamin Gompertz [ 4 ]. Néanmoins, la nature du vieillissement, ainsi que ses origines moléculaires ou évolutives, restent vivement débattues. L’idée de la mort en tant que phénomène naturel a été explicitement formulée par Linné, et les premières tentatives pour expliquer la mort liée au vieillissement se trouvent chez Paracelse et, plus tard, chez Metchnikoff, qui l’ont tous deux interprétée comme une intoxication chronique de l’organisme, une idée qui sera développée plus tard dans des théories telles que celle dite des stress oxydants [ 5 ].

Au XIX e siècle, le biologiste évolutionniste allemand August Weismann publie sa théorie du vieillissement chez les mammifères [ 6 ] : l’hypothèse était qu’en permettant le remplacement et la transformation des générations, la mort favorise le progrès et l’évolution. Il introduit donc l’idée que le vieillissement est un trait sélectionné par l’évolution. Bien que Weismann justifie l’existence d’un programme de vieillissement en invoquant des raisons évolutives au niveau de l’espèce, l’idée d’une « mort programmée », en tant que telle, semble aller à l’encontre de l’évolution darwinienne qui tend à sélectionner les gènes maximisant la fitness (la bonne santé) des individus. Les théories évolutionnistes ont ainsi longtemps nié la possibilité que le vieillissement et la mort soient programmés, reléguant le vieillissement à un sous-produit de la sélection naturelle.

À partir des années 1950, trois grandes théories évolutionnistes se sont développées selon ces lignes. La théorie de l’ accumulation des mutations [ 7 ] stipule que, la pression sélective diminuant avec l’âge (la fertilité étant considérablement plus élevée chez les plus jeunes), le vieillissement est causé par l’accumulation progressive de mutations délétères dont les effets ne se manifestent que tard dans la vie. Cette idée sera développée plus avant par la théorie de pléiotropie antagoniste [ 8 ], en déduisant l’existence de gènes et de mutations à effets antagonistes : bénéfiques à un âge précoce (et donc sélectionnés positivement par l’évolution) mais associés à des effets négatifs s’exprimant tardivement. Enfin, la théorie dite du soma jetable , formulée par le statisticien Thomas Kirkwood, repose sur l’idée que l’individu dispose d’une énergie limitée, partagée entre les fonctions reproductives et les fonctions d’entretien (non-reproductives) de l’organisme, le « soma » [ 9 ]. Dans chaque cas, le vieillissement a été interprété comme un processus continu résultant de l’accumulation de mutations délétères, de l’expression de gènes antagonistes, ou de l’utilisation d’une quantité limitée d’énergie - entraînant le décès d’un individu. Ces différentes théories ont récemment été analysées en profondeur par Mael Lemoine afin d’extraire une définition universelle du vieillissement [ 10 ].

Depuis, des mécanismes du vieillissement, conservés au cours de l’évolution, ont été découverts chez des organismes modèles, tels que Caenorhabditis elegans et Drosophila melanogaster, avec notamment la première mutation génétique favorisant la longévité, touchant le gène daf-2 et identifiée chez les nématodes par Cynthia Kenyon et al. en 1993 [ 11 ], dont la conservation chez la mouche [ 12 ], la souris [ 13 ] et les êtres humains [ 14 ] a ensuite été montrée.

Programmée ou non, la survenue de la mort peut certainement être prédite. Le prédicteur du risque de mortalité le plus facilement accessible est l’âge chronologique, c’est-à-dire l’âge calendaire d’une personne. Comme nous l’avons mentionné, les tables de mortalité construites à partir de populations entières, ont révélé que chez les êtres humains le risque de décès augmente de façon exponentielle avec l’âge chronologique, ceci au cours de la majeure partie de la vie adulte. Cette approche donne cependant une perspective incomplète du processus de vieillissement au niveau individuel puisque l’interprétation de telles tables repose sur l’hypothèse d’une population homogène. Dans les cas où les individus présentent différents niveaux de risque, par exemple en raison de caractéristiques génétiques différentes, la trajectoire de mortalité au niveau de la population dépend de l’augmentation de la mortalité liée à l’âge, mais aussi de la distribution de caractéristiques que nous avons évoquées. L’âge chronologique seul ne permet donc pas d’identifier les situations de décès imminent, sauf aux âges extrêmes. Ce raisonnement conduit ainsi à la notion d’âge physiologique : deux individus du même âge chronologique peuvent connaître des risques instantanés de mort différents.

L’identification récente, chez les drosophiles, d’une augmentation de la perméabilité intestinale se produisant systématiquement au cours du vieillissement, permet de transposer un tel concept à cet organisme modèle. Mesurée in vivo par l’ajout d’un colorant alimentaire bleu non-toxique et non absorbé par l’intestin, la perméabilité est détectée par la coloration de l’ensemble de la drosophile en bleu ( Figure 2 ) . Ce phénotype appelé « Smurf » (pour Schtroumpf, de par la coloration bleue prise par la mouche) prédit la survenue de la mort à environ 3 jours [ 15 ]. Ce test a récemment été transposé avec succès à l’homme, en unité de soins intensifs, par Angarita et al. [ 16 ]. Depuis la première description de ce phénotype, en 2011, nous avons décrit ce dysfonctionnement de la barrière intestinale au cours du vieillissement chez d’autres organismes modèles [ 17 ]. Il est intéressant de souligner ici que la durée de cette phase smurf (lorsque la perméabilité intestinale est altérée) semble être fonction de l’espérance de vie de l’organisme considéré. De 2 à 4 jours chez les nématodes et les drosophiles qui ont une durée de vie de 20 à 90 jours, la phase smurf est d’environ 6 mois chez le poisson zèbre Danio rerio , qui, lui, a une durée de vie de 5 ans. Il est désormais raisonnable de supposer qu’une perméabilité intestinale accrue serait liée à des mécanismes évolutifs conservés et pourrait, potentiellement, être observée chez l’homme, bien que cette « période smurf » puisse, dans ce cas, durer des années [ 18 ].

Cette caractérisation de la mort a des implications majeures pour la prédiction, puisque le fait d’observer si une mouche a atteint l’état smurf – son âge physiologique – prédit son risque de mort imminente plus précisément que son âge chronologique. Chez l’être humain, de nombreux travaux récents suggèrent l’existence de ces états intermédiaires. Ils permettent de mieux comprendre la survie des individus, même chez ceux qui sont apparemment sains. Les prédictions fondées sur des biomarqueurs spécifiques peuvent surpasser largement les prédictions fondées sur les facteurs de risque et l’âge chronologique. Horne et al. , par exemple, ont montré qu’un score de risque évalué à partir d’une numération globulaire complète 1 et des informations métaboliques, permettait de prédire avec précision la survie à court (à 30 jours) ou à moyen terme (à 5 ans) de la population générale [ 19 ]. En 2014, Fisher et al. ont réalisé un profilage de biomarqueurs chez deux grands groupes de personnes estoniennes et finlandaises, en utilisant une méthode de spectroscopie par résonance magnétique nucléaire [ 20 ]. Ayant combiné les résultats de quatre biomarqueurs circulants (l’albumine plasmatique, l’alpha-1-glycoprotéine acide, la taille des particules de lipoprotéines de très faible densité et le citrate) en un score de biomarqueurs, ils sont parvenus à prédire la mortalité, toutes causes confondues, plus précisément que tout facteur de risque identifié jusqu’à présent. Une étude plus récente a étendu cette liste de biomarqueurs à 14 marqueurs [ 21 ]. D’autres équipes ont associé des dysfonctionnements spécifiques liés à l’âge à un risque accru de mortalité toutes causes confondues : par exemple, la dysfonction olfactive qui est un prédicteur fort de mortalité à 5 ans chez les personnes âgées [ 22 ]. Actuellement, cette hétérogénéité entre populations est modélisée à l’aide de modèles de fragilité, et divers instruments de mesure de la susceptibilité biologique ont été développés afin de prédire les résultats pour les patients et identifier les personnes présentant un risque élevé de décès à court terme [ 23 , 24 ]. D’autres groupes se sont concentrés sur des organismes modèles pour tenter d’élucider les mécanismes moléculaires associés au vieillissement et à la mort à court ou moyen termes [15, 25-27]. L’apparente conservation, au cours de l’évolution, d’une histoire de vie multiphasique suggère l’importance de processus qui sont impliqués et conduisent à reposer la question des mécanismes directs de sélection du vieillissement au cours de l’évolution.

Cette amélioration de la capacité d’identifier les personnes à risque et, par conséquent, de prédire avec une grande précision la mort à venir de personnes apparemment en bonne santé, soulève d’importantes questions éthiques, notamment en ce qui concerne l’utilisation de ces connaissances en contexte clinique : elles pourraient en effet être mobilisées par les équipes médicales, afin de définir la stratégie thérapeutique la mieux adaptée à l’état du patient.

Nous proposons ici quelques pistes de réflexion qui ont été détaillées par ailleurs [ 28 ].

Implications éthiques

La philosophie a accordé beaucoup d’attention à la conscience qu’ont les êtres humains de leur finitude 2 . Elle en a fait la caractéristique centrale de leur existence : chacun est confronté au défi d’accepter qu’il va mourir et que ses réalisations, ses engagements ou ses liens affectifs vont sombrer dans l’oubli, comme s’ils n’avaient jamais existé [ 29 , 30 ]. Si la philosophie du xx e siècle s’est particulièrement concentrée sur l’idée d’« anxiété » [ 31 ], la peur de la mort a été commentée depuis l’Antiquité et, avec elle, ont été abordées les stratégies développées par les êtres humains pour échapper à la pensée de la mort [ 32 - 34 ].

L’analyse de la vie psychique, selon Freud, notamment fondée sur la remise en question de l’unité subjective, met en évidence le fait que la mort peut, au sein d’un même individu, être consciemment investie en tant que connaissance rationnelle et, en même temps, entièrement niée par des fantasmes d’immortalité. Les psychologues qui travaillent avec des personnes souffrant de maladies mettant leur vie en danger, font souvent le constat de cette dualité chez les patients [ 35 , 36 ]. Le psychisme montre une intense activité à l’approche de la mort : révolte, élan vital, appétence relationnelle et même créativité de la pensée, qui témoignent du conflit psychique face à la réalité de la mort [ 35 ].

Cette conception de la condition de mortel invite à penser que le rapport à sa propre mort est la question existentielle par excellence. Cependant, la conscience de la mort va de pair avec une part d’ignorance : si chacun sait qu’il est mortel, personne ne sait quand et comment il va mourir. Qu’en est-il lorsqu’on introduit un élément d’anticipation permettant de définir quand on va mourir ?

En dehors de circonstances exceptionnelles (condamnation à mort, suicide volontaire), les êtres humains font plus communément l’expérience de l’anticipation de leur mort dans les situations de « fin de vie », au sens médical de l’expression. L’anticipation de sa mort n’est pas un phénomène inconnu. On peut même avancer l’idée qu’aujourd’hui, elle est relativement bien documentée, dans des contextes de soin variés - soins palliatifs, réanimation et cancérologie, par exemple -, du fait qu’on meurt désormais majoritairement à l’hôpital ou en institution de soin dans la plupart des pays occidentaux [ 36 ]. Depuis la fin des années 1960, on a pu constater que nombre de personnes réfléchissent de façon anticipée à la manière dont elles souhaiteraient mourir ; un cadre légal leur a été donné pour s’exprimer à ce sujet en contexte médical [ 38 , 39 ] ( ).

(→) Voir la Chronique bioéthique de M. Maglio, m/s n° 3, mars 2019, page 258

Le développement des soins palliatifs est considéré comme un moyen d’accompagner – y compris sur le plan éthique – la personne « en fin de vie » et consciente de l’être, tout comme d’autres initiatives, plus récentes, telles que « les directives anticipées » et les « discussions anticipées », ces dernières donnant aux patients la possibilité de discuter de leur « fin de vie » avec leur médecin [ 40 , 41 ]. Cet ensemble de dispositifs s’opposent à la vision d’une médecine qui affirme, face à l’échec thérapeutique, qu’« il n’y a plus rien à faire ». En psychologie clinique, l’expérience auprès de patients atteints de maladies dégénératives, de certains types de cancers, ou du Sida (syndrome d’immunodéficience acquise), a révélé qu’il est essentiel de pouvoir accompagner les patients et, notamment, de soutenir leur créativité et l’expression de leur vécu, sans quoi, les sujets peuvent faire l’expérience d’un traumatisme qui s’ajoutera à la maladie [ 42 ]. Une telle expérience requiert de façon cruciale un soutien de l’environnement humain.

Les initiatives destinées à donner un cadre à l’anticipation de la mort et surtout à accompagner, notamment par l’échange et le dialogue, les personnes confrontées à la perspective de leur mort prochaine, suggèrent que cette anticipation ne se confond pas avec la conscience de la mortalité, abstraite et dépourvue de borne temporelle précise. Cependant, si leur analyse enrichit la réflexion, elle n’éclaire pas encore totalement le questionnement sur la prédiction. La recherche biologique sur la prédiction de la mort pour les êtres humains recèle une dimension prédictive qui pourrait devenir pertinente pour n’importe qui, à n’importe quel âge, et pas nécessairement uniquement pour les personnes souffrant d’une maladie. Il convient donc d’éclairer ces dimensions spécifiques et de compléter l’analyse développée jusqu’à maintenant.

Si de tels prédicteurs de mort devenaient disponibles, n’importe qui pourrait entrer dans une phase de la vie qui serait réglée sur un « compte à rebours » (pouvant durer plusieurs années…). Cette phase pourrait être décrite comme un processus de mort très différent de ce que l’on appelle aujourd’hui la « fin de vie » et même de l’expérience, décrite par l’anthropologue Todd Meyers, d’une personne atteinte de maladies chroniques multiples décrivant sa propre vie comme un long processus de mort [ 43 ]. Bien qu’encore largement théorique concernant l’homme, l’expérience d’entrée dans cette phase de vie peut néanmoins être approchée, car elle a probablement des points communs avec une situation que nous connaissons déjà : la situation découlant des tests génétiques effectués dans les stades pré-symptomatiques d’une maladie. Comme l’indique Alice Wexler [ 44 ], dans le cas du dépistage de la maladie de Huntington, par exemple, après avoir reçu les résultats de ces tests découvrant leur maladie à venir, les personnes concernées n’envisagent pas leur vie comme un avenir ouvert, mais comme un laps de temps qui se ferme sur lui-même. Les discussions éthiques sur le dépistage génétique, que ce soit pour les adultes (utilisé pour détecter les risques de cancer du sein, par exemple) ou pour les enfants (utilisé pour détecter les risques de fibrose kystique ou de maladies neuromusculaires) tendent à confirmer la thèse selon laquelle il est préférable, pour l’être humain, de ne pas connaître son avenir [ 45 , 46 ]. Se soumettre à un test génétique n’est pas une décision évidente à prendre, a fortiori lorsque qu’aucun traitement n’existe, et il est intéressant de noter que seule une minorité de personnes qui s’y sont engagées iront au bout du processus.

De tels tests suscitent plusieurs interrogations : en cas de résultat positif, la personne sera-t-elle considérée comme un patient même si elle n’est pas malade ? Comment gérer cette annonce, alors que les patients sont totalement asymptomatiques et ne se sentent pas malades ou proches de la mort ? Quel type de soutien peut leur être offert et doit-il être strictement médical ? [ 47 - 50 ].

Ces questions, sans réponse, montrent qu’une attention particulière nécessite d’être accordée aux implications éthiques de la prédiction de la mort, d’autant que l’on peut, par ailleurs, concevoir que la recherche sur les prédicteurs de mort naturelle imminente pourrait contribuer à la décision médicale dans de nombreux contextes. Pouvoir prédire avec précision l’imminence d’un décès aurait, en effet, inévitablement des implications dans le cadre médical, notamment dans la gestion des patients comateux, ou de ceux présentant de multiples insuffisances organiques, nécessitant le soutien d’un organe.

Les patients et leur famille sont toujours très affectés par une hospitalisation en unité de soins intensifs (USI). Les proches désirent souvent connaître le pronostic de la maladie. Pour les cas les plus sévères, les scores cliniques, fondés sur de multiples examens, sont généralement suffisants et précis pour fournir une orientation au médecin quant au retrait du traitement, une procédure légale en France. Mais pour tous les patients pour lesquels les scores cliniques ne sont pas atteints, la précision reste faible et la décision difficile [ 51 ].

Un prédicteur robuste de l’issue fatale permettrait dans de tels cas de raccourcir la durée du séjour des patients en soins intensifs, d’éviter des souffrances inutiles et d’accorder plus de temps au soutien des proches [ 52 ].

Pour l’équipe médicale, ce type de prédicteur permettrait de mieux répartir les ressources disponibles entre soins thérapeutiques pour les patients qui ont plus de chances de survivre, et soins palliatifs pour ceux qui ont un prédicteur très fiable de la mort imminente.

Mais pour être mis en œuvre dans le cadre de la routine des soins, un tel prédicteur devra s’appuyer sur des cohortes importantes et sur des données de physiopathologie robustes. Même en l’absence d’un remède connu, une approche médicale consiste à tout tenter pour augmenter l’espérance de vie du patient, mais aussi à éviter tout traitement susceptible d’exacerber la condition sous-jacente. L’analyse du mode de vie du patient, et d’autres circonstances à l’origine de comorbidités, devraient aider les praticiens à comprendre pourquoi un certain état pathologique peut apparaître chez un individu et s’il est possible de le prévenir.

La capacité de savoir qu’un patient va mourir dans les mois à venir soulève des problèmes éthiques quant aux traitements à lui offrir, mais l’ajout d’un outil objectif de prédiction du risque de mort pourrait aider les équipes médicales à concevoir le meilleur plan de soins pour ce patient, au regard de ses souhaits.

Discussion

Nous proposons ici une lecture intégrée de données issues de recherches sur différents organismes modèles ainsi que des données plus récentes produites chez l’être humain. Alors que les premiers sont susceptibles de nous éclairer sur la nature même du vieillissement et des mécanismes moléculaires impliqués, les seconds soulèvent de nombreuses questions. Les applications médicales possibles concernent l’aide au diagnostic et la recherche clinique pourrait, en parallèle de la recherche fondamentale sur les organismes modèles, apporter une amélioration significative de notre compréhension de la mise en place du vieillissement et des maladies associées. De telles conditions qui nous semblent aujourd’hui simplement corrélées, pourraient ainsi se trouver identifiées comme faisant partie d’un ensemble plus large de phénotypes précoces associées au vieillissement.

Dans le cadre d’une population mondiale vieillissante, ces améliorations de notre compréhension des processus impliqués doivent également être examinées du point de vue des politiques de santé publique et d’allocation des ressources de santé. Si de tels prédicteurs de décès sont disponibles, quelle épargne individuelle peut être envisagée, quelle conception des soins de longue durée peut être développée et mise en œuvre par les États, quelles orientations les fonds de pension et les compagnies d’assurance sont-ils susceptibles d’adopter ? Ces interrogations ne reçoivent pas de réponse simple. Le risque dit de longévité – le risque financier associé au fait que les individus vivent en moyenne significativement plus longtemps que prévu – est subdivisé en plusieurs composantes, dont un risque de mortalité systématique – découlant d’une potentielle amélioration future, et donc inconnue, de la réduction de la mortalité – et un risque idiosyncrasique – corrélé à l’imprévisibilité de la date du décès d’une personne. Une mesure personnalisée de l’âge physiologique réduirait considérablement le risque systématique et de telles mesures ouvriraient un tout nouveau champ de recherche pour développer des modèles de mortalité plus précis, qui pourraient s’appuyer sur des indicateurs de fragilité observables, et donc une meilleure évaluation du risque de longévité pour la société. Les prestataires de pensions et de soins de longue durée (États, fonds de pension, compagnies d’assurance, etc.) ne peuvent pas évaluer la durée pendant laquelle les prestations devront être versées à un individu et sont donc confrontés à un risque idiosyncrasique important, en plus du risque systémique. Le fait d’avoir accès à des prédicteurs de décès individuels précis pourrait diminuer ce risque idiosyncrasique en réduisant la variance résiduelle des individus en fin de vie. Cela serait particulièrement pertinent pour les systèmes de retraite individualisés dans lesquels les individus supportent leur propre risque de longévité. Mais la mise en œuvre de prédicteurs de décès au niveau individuel est également susceptible de remettre en cause les principes de solidarité et de mutualisation des risques sur lesquels reposent de nombreux systèmes de retraite et de soins de longue durée, encourageant ainsi des organisations plus individualisées. En effet, l’imprévisibilité de la date du décès est une forte incitation à la volonté de cotiser aux systèmes de partage des risques, ce qui implique à la fois la perspective d’obtenir moins que la cotisation [ 53 ]. Cette question rappelle les interrogations actuelles entourant la solidarité entre des groupes dont on sait qu’ils ont des espérances de vie différentes, et les compagnies d’assurance ne sont déjà pas autorisées à facturer des primes plus élevées aux femmes [ 54 ], y compris pour les produits liés à la longévité, même si l’on sait que les femmes vivent plus longtemps que les hommes. Certaines préoccupations ont également été exprimées au sujet des propriétés de redistribution « injustes » des systèmes de retraite publics en présence de différences socioéconomiques en matière de mortalité (voir par exemple [ 55 ]). En effet, ces systèmes pourraient produire « un transfert indésirable de richesse des groupes socio-économiques inférieurs ayant une espérance de vie plus courte vers les groupes socio-économiques supérieurs ayant une longévité supérieure à la moyenne » [ 55 ]. L’ampleur de ces défis serait considérablement accrue en présence de prédicteurs de décès individualisés.

La question première à laquelle il faudrait peut-être répondre est la suivante : quels établissements, le cas échéant, devraient avoir accès à l’information sur les prédicteurs de décès ? Une personne devrait-elle être obligée de divulguer l’information qu’elle est entrée dans la phase « compte à rebours » de sa vie ? Encore une fois, cette question fait écho à d’autres, que nous connaissons déjà, puisque les assurés doivent déjà divulguer aux compagnies d’assurance des éléments d’information (habitudes tabagiques, maladies antérieures, etc.) dont on sait qu’ils sont des déterminants de la mortalité [ 56 ]. Ainsi, la disponibilité de quantités massives de données individuelles pertinentes pour la prévision des décès pourrait être, parmi d’autres, l’un des défis réglementaires les plus importants des prochaines décennies.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 De tous les éléments figurés du sang.
2 Caractère de l’être humain, considéré comme ayant la mort en lui à chaque instant de sa vie. (La finitude, issue d’une problématique religieuse, a resurgi avec les philosophies existentielles de Heidegger et de Sartre notamment).
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