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Med Sci (Paris). 36(11): 959–960.
doi: 10.1051/medsci/2020230.

Le paradigme de l’exposome : définition, contexte et perspective

Bernard Jégou1*

1Directeur de recherche émérite Inserm Institut de recherche en santé, environnement et travail Inserm U 1085, Université de Rennes 1/EHESP35000Rennes , France
Corresponding author.

MeSH keywords: Exposition environnementale, Exposome, État de santé, Humains, Individualité, Population, Facteurs de risque, Terminologie comme sujet, effets indésirables, analyse, classification

 

« L’individu que je suis est fait de toutes les impressions

reçues du monde extérieur depuis et avant ma naissance »

Nicolas de Staël 1

Le paradigme de l’exposome, élaboré par Christopher Paul Wild en 2005 comme un concept holistique, se définit par : «  la totalité des expositions auxquelles un individu est soumis de la conception à la mort. C’est une représentation complexe et dynamique des expositions à laquelle une personne est sujette tout au long de sa vie, intégrant l’environnement chimique, microbiologique, physique, récréatif, médicamenteux, le style de vie, l’alimentation, ainsi que les infections  » [1]. C’est le ressenti lucide qu’avait déjà eu Nicolas de Staël, en 1951, lui qui vivait une véritable « Fureur de peindre » 2 .

Étant donné que les infections sont naturellement intégrées dans la définition de l’exposome, les vagues successives d’épidémies, telles que le choléra, le paludisme, la grippe, la tuberculose, le Sida (syndrome d’immunodéficience acquise), les maladies infectieuses vectorielles (Dengue, Chikungunya, Zika, etc.), ainsi que la pandémie actuelle de la COVID-19 montrent combien la propagation des microorganismes pathogènes et leur émergence liées à la dégradation des écosystèmes reste une préoccupation majeure de santé publique. Dans de très nombreux pays, l’impact de la COVID-19 est actuellement considérable, tant en termes médical, social, qu’économique. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), ce sont les maladies infectieuses ( communicable diseases ) qui provoquent le plus de décès dans les pays à faible revenu, alors que dans les pays à revenu élevé, les causes de décès les plus importantes sont dues aux maladies chroniques [2], qui engendrent plus de 63 % des décès [3].

Ces maladies chroniques sont à, bien des égards, la conséquence de la transition nutritionnelle (modes de production et de transformation des aliments, urbanisation, migrations, changements de modes de vie, etc.), ainsi que du vieillissement des populations. L’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) indique ainsi que le nombre de cas d’obésité a quasiment triplé dans le monde depuis 1975. Cette « épidémie » de surpoids conduirait dans les trente prochaines années à la mort prématurée de plus de 90 millions de citoyens qui vivent au sein des 37 pays membres de l’OCDE et de la Communauté européenne. L’impact de cette expansion se traduirait également par un recul de 3 ans de l’espérance de vie [4]. En relation principalement avec l’obésité, le nombre de patients diabétiques a quadruplé dans le monde depuis le début des années 1980, avec désormais une personne sur onze qui en est affectée. La combinaison d’expositions multiples, d’origines différentes (pollutions chimiques et atmosphériques, addictions, conditions de travail, fracture sociale, stress divers, infections, etc.), a contribué au développement planétaire de maladies chroniques, telles que les cancers, les maladies neurodégénératives, l’hypertension, les cardiopathies, les insuffisances hépatiques et rénales, les allergies et les infections respiratoires.

Selon les projections de l’OMS, ces maladies chroniques hétérogènes conduiront dans le monde à plus de quarante millions de décès chaque année [3]. Nul doute que l’impact économique de ces maladies de longue durée sera considérable. Grâce aux progrès des connaissances sur l’épigénétique 3, et sur le microbiote 4 , la question qui se pose désormais est de déterminer si les maladies chroniques sont « non transmissibles » ( noncommunicable diseases ), comme elles le sont très fréquemment qualifiées, ou, au contraire, susceptibles d’être transmises ? À la différence des maladies infectieuses, il est évident que ces maladies de longue durée ne sont pas spontanément et directement communicables d’une personne à l’autre.

Cependant, l’épigénétique, qui intègre l’ensemble des processus de régulation de l’expression des gènes, tant au cours du développement qu’en réaction aux signaux environnementaux, est susceptible de transférer un héritage intergénérationnel comme transgénérationnel, tant en termes d’évolution, de biologie générale, que de maladies [5]. À titre d’exemple, la famine hivernale qui a frappé les Pays-Bas lors de l’occupation nazie en 1944-1945 a conduit à la réalisation d’études à partir de diverses cohortes. Celles-ci ont révélé chez les adultes descendants de parents (hommes et femmes) en souffrance à cette époque-là une surincidence de tailles réduites, d’obésité, de micro-albuminurie, de maladies métaboliques et cardiovasculaires, de schizophrénie, ainsi qu’une mortalité accrue [6]. Des études récentes indiquent également que des altérations épigénétiques persistent 60 ans plus tard chez les adultes issus de ces couples ayant subi cette terrible famine [7]. À cela s’ajoute l’altération du microbiote humain chez les patients affectés de diverses maladies chroniques, ce qui ouvre ainsi des possibilités de transmission supplémentaire. Et l’expérimentation animale montre que la transmission de microbiotes fécaux humains altérés issus de patients atteints de maladies chroniques génère, chez des animaux, des maladies similaires. Dans le contexte environnemental, les microbiotes divers peuvent aussi être partagés via les écosystèmes familiaux et sociaux, en particulier de la mère à l’enfant, soit lors de l’accouchement, soit au cours de la vie, dans le contexte familial et socio-économique [8]. Les cartographies très sophistiquées du génome humain, visant à rechercher l’origine des maladies dans des études populationnelles à très large échelle, ont montré les limites prédictives de celles-ci. Sur la base de la génétique, la prédictivité des maladies cardiovasculaires est ainsi de moins d’une maladie sur deux [9], alors que, globalement, 15 à 20 % des maladies sont susceptibles d’être prédites génétiquement dans le futur.

La définition de C.P Wild intègre également l’idée que « l’exposome humain représente aussi comment l’organisme d’un individu répond aux défis environnementaux 5, en termes de génétique, d’épigénétique, de microbiote, ainsi qu’en termes de réponses physiologiques » [1]. Compte tenu des grandes variabilités interindividuelles et populationnelles, articuler le génome avec l’exposome constitue un défi extrêmement complexe qui impose des recherches particulièrement structurées et intégrées, se développant dans des champs multi- et interdisciplinaires combinant l’exposome externe (environnement, régimes alimentaires, etc.) et l’exposome interne, ce dernier correspondant à l’impact des facteurs environnementaux sur la physiologie (métabolites des polluants, altérations des processus biochimiques, etc.). La mobilisation des disciplines intervenant dans des champs très diversifiés et des périmètres bien maitrisés s’avère nécessaire : « omics » (génomique et épigénétique, protéomique, métabolomique, addictomique), épidémiologie, statistiques, sciences humaines et sociales ainsi que biomédicales, toxicologie, exposome chimique ciblé comme non ciblé, écologie, anthropologie, histoire, évaluation des risques, intelligence artificielle ( big data , objets connectés, etc.)… L’inscription dans la Constitution française en 2005 du « droit de vivre dans un environnement équilibré et favorable à la santé » a précédé l’introduction du paradigme de l’exposome dans le premier article de la Loi Touraine de Santé publique, onze ans plus tard. Cette loi inscrit « la surveillance et l’observation de l’état de santé de la population et l’identification de ses principaux déterminants, notamment ceux liés à l’éducation et aux conditions de travail. L’identification de ces risques s’appuie sur le concept d’exposome, entendu comme l’intégration de l’ensemble des expositions sur la vie entière, expositions qui peuvent jouer un rôle sur la santé humaine » 6, . L’exposome est souvent considéré comme intégrant les expositions diversifiées négatives pour la santé. Cependant, il est très important de considérer que la prévention et la promotion de la santé sont à même de conduire à des exposomes favorables pour la santé à l’échelle individuelle et populationnelle, en intégrant bien sûr les aspects socio-économiques des populations considérées. Déjà au vi e  siècle avant Jésus Christ, Lao-Tseu écrivait « Prévenez le mal avant qu’il n’existe », alors que Richelieu au xvi e  siècle considérait « qu’un médecin qui peut prévenir les maladies est plus estimé que celui qui travaille à les guérir » [10]. C’est ainsi qu’un des quatre piliers positifs inclus dans la Stratégie nationale de santé (pour la période de 2018 à 2022, selon les directives d’Agnès Buzyn, alors ministre des Solidarités et de la Santé) repose sur « la prévention et la promotion de la santé ». Toutefois, de nombreuses inquiétudes se font jour, suscitées par le fait qu’en 2020, le budget expertise et recherche du ministère de la Transition écologique a été réduit, ce qui affecte les agences qui dépendent de ce ministère, telle l’Ademe (Agence de la transition écologique, anciennement Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail), l’Ineris (Institut national de l’environnement industriel et des risques), et alors même que l’Agence nationale de la recherche (ANR) ne lance plus, depuis plusieurs années, d’appels à projets autour du thème de la santé et de l’environnement 7 . Le Plan national santé-environnement (PNSE3 2015-2019), ainsi que le suivant, actuellement en préparation, pour la période 2020-2024, ont mis en exergue le paradigme de l’exposome. Il est crucial que celui-ci se traduise en financements et qu’il mobilise des projets pluridisciplinaires pour réduire, prédire et promouvoir les impacts de l’exposome sur la santé humaine, ainsi que sur la santé globale ( global health ), ce dernier paradigme étant à l’interface des santés humaine, environnementale (santé des écosystèmes) et animale.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Questionnaire du Museum of Modern Art , en 1951 ; Nicolas de Staël s’est suicidé en 1955, à l’âge de 41 ans. Cité par Laurent Greilsamer. In : Le Prince foudroyé. La vie de Nicolas de Staël . Janvier 1999. Fayard.
2 Spectacle, Le Lucernaire, Paris 6 e , jusqu’au 15 novembre 2020.
3 Science qui étudie l’ensemble des processus de régulation de l’expression des gènes, ainsi que l’influence de l’environnement sur cette même expression.
4 Ensemble des microorganismes qui colonisent notre corps.
5 Estimation de 9 millions de morts par an … attribués à l’air, l’eau et la pollution du sol, uniquement [ 9 ].
6 Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé - Art. L. 1411-1 du livre IV de la première partie du code de la santé publique.
7 Tribune de Francelyne Marano et Denis Zmirou, appuyée par 200 chercheurs-ses. Risques environnementaux : une nécessaire politique de remise à niveau de la recherche , Le Monde, Sciences et Médecine , 4 décembre 2019.
References
1.
Wild CP . Complementing the genome with an exposome : the outstanding challenge of environmental exposure measurement in molecular epidemiology . . Cancer Epidemiol Biomarkers Prev 2005; ; 14 : :1847. - 50 .
4.
http://www.oedc.org > presse > I-ocde-lance-un
5.
Cavalli G , Heard E . Advances in epigenetics link genetics to the environment and disease. . Nature 2019; ; 571 : :489. - 99 .
6.
Lumey LH , van Poppel FWA . In : Early life nutrition and adult health and development, chapter III . Nova Science Publishers; , 2013 : :59. - 76 .
7.
Heijmans BT , Tobi EW , Stein AD , et al . Persistent epigenetic differences associated with prenatal exposure to famine in humans. . Proc Natl Acad Sci USA 2008; ; 105 : :17046. - 9 .
8.
Finlay BB and CIFAR Humans and the Microbiome. . Are noncommunicable diseases communicable? Science 2020; ; 367 : :250. - 1 .
9.
Vermeulen R , Schymanski EL , Barabasi AL , Miller GW . The exposome and health: where chemistry meets biology. . Science 2020; ; 367 : :392. - 6 .
10.
Mansotte F . En pleine forme, 130 affiches pour la promotion de la santé et l’environnement . Preface J. Jouzel. Postface B. Jegou. . Paris: : Hygee Editions; , 2019 : :1. - 143 .