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Med Sci (Paris). 36(10): 838–840.
doi: 10.1051/medsci/2020149.

L’épigénome des virus géants
Stratégies d’attaque et d’autodéfense

Matthieu Legendre1*

1Aix Marseille Université, CNRS, IGS, Information génomique et structurale (UMR7256), Institut de microbiologie de la Méditerranée (FR 3489), Parc scientifique de Luminy , 163 avenue de Luminy , 13009Marseille , France
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Épigénome, Évolution moléculaire, Génome viral, Virus géants, Humains, génétique, immunologie, pathogénicité

 

Le contenu génétique des virus est compact et optimisé, ce qui les rend particulièrement efficients. Cette vision historique du monde viral a été nuancée ces dernières années par la découverte de virus à ADN « iconoclastes » : les virus géants. En effet, si la majorité des génomes viraux ne mesurent que quelques dizaines de kilobases, ceux des virus géants peuvent atteindre 2,5 mégabases, et sont alors plus grands que le génome de certains eucaryotes. De plus, les génomes viraux laissent généralement peu de place à l’ADN ne codant pas des protéines. Pour preuve, nombre d’entre eux possèdent des gènes dont les séquences se chevauchent sur un même locus. Les virus géants présentent au contraire une proportion considérable de séquences intergéniques. Nous avons montré précédemment comment ce matériel génétique pouvait servir de creuset à l’innovation génique de novo chez les Pandoravirus [ 1 ] ( ).

(→) Voir la Synthèse de J.M. Claverie et al. , m/s n° 12, décembre 2018, page 1087

Au-delà de leurs singularités génomiques, les virus géants forment des particules plus grandes que certains eucaryotes. Toutes ces particularités ont alimenté de nombreuses réflexions sur l’origine et la trajectoire évolutive de ces virus hors normes [ 2 ] ( ).

(→) Voir la Synthèse de J.M. Claverie et C. Abergel, m/s n° 12, décembre 2016, page 1087

Depuis la découverte du premier virus géant, Mimivirus, il y a une quinzaine d’années, de nombreux autres ont été identifiés. Citons les Pandoravirus, Mollivirus, Pithovirus, Cedratvirus, Faustovirus et Medusavirus. Ces virus possèdent tous de très grands génomes et sont visibles en microscopie optique (une caractéristique réservée aux organismes cellulaires avant la découverte de ces virus géants). Différents éléments les distinguent toutefois. Les particules virales sont polymorphes (icosaédriques, ovoïdes ou même sphériques) avec un volume variant d’un facteur 100 [ 3 ]. Les cycles infectieux se situent pour certains exclusivement dans le cytoplasme, alors que d’autres mettent à contribution le noyau cellulaire [ 4 ] ( ).

(→) Voir la Nouvelle de M. Dassa-Valzer et al ., m/s n° 4, avril 2020, page 412

Enfin, la taille, la structure et la composition nucléotidique de leurs génomes varient très fortement. Encore plus notable, le contenu en gènes est différent d’une famille virale à l’autre, et seuls trois gènes sont strictement conservés dans tous ces virus. Tous ces éléments témoignent de la grande diversité des virus géants.

L’avalanche récente des données génomiques et métagénomiques a renforcé cette impression. Par exemple, le travail récent de Schultz et ses collègues [ 5 ] exploitant une très grande quantité de données issues de la métagénomique environnementale a permis d’identifier des fragments génomiques provenant potentiellement de plus de 2 000 virus géants. Cette étude a mis en lumière la diversité phylogénétique des virus géants et leur présence ubiquitaire dans l’environnement. Plus globalement, les études métagénomiques récentes montrent non seulement que les virus géants sont très divers, mais que leurs hôtes le sont tout autant. Tous ces travaux laissent supposer que ces virus jouent un rôle métabolique majeur dans de nombreux écosystèmes [5, 6].

Malgré l’abondance de données (méta)-génomiques sur les virus géants, un aspect n’avait pourtant pas été exploré : leurs épigénomes. En effet, le génome est parfois modifié de manière réversible sans recours à des mutations dans la séquence nucléotidique. Ces modifications épigénétiques consistent en un ajout de groupes chimiques sur les protéines responsables de la compaction de l’ADN (les histones) ou directement sur les nucléotides. Parmi ces modifications, la méthylation de l’ADN est un mécanisme ubiquitaire dans le monde cellulaire. Elle joue un rôle majeur dans la régulation génique chez les eucaryotes. Outre les diverses régulations impliquant la méthylation chez les procaryotes (expression génique, réplication et réparation de l’ADN), les enzymes responsables de ces modifications, les méthyltransférases (MTases), sont chez ces virus géants parfois associées à des enzymes de restriction (REases) pour former des systèmes « R-M » ( restriction-modification systems ). Des motifs d’ADN, souvent courts et palindromiques, sont reconnus par les deux enzymes. Les REases permettent ainsi aux bactéries de cliver l’ADN étranger non-méthylé, typiquement celui d’un bactériophage, tout en protégeant leur propre ADN contre de telles coupures par la méthylation des mêmes sites. Il s’agit donc d’un système très efficace de reconnaissance du non-soi.

En dehors du monde cellulaire, certains virus d’algues vertes unicellulaires (chlorovirus) codent des systèmes R-M dans leur génome, qui, à l’instar de ceux des bactéries, induisent des interactions hôte-virus. Mais dans ce cas, les interactions sont inversées : le virus protège son propre ADN tout en dégradant celui de l’hôte ( Figure 1A ) . Ce mécanisme confère à ces virus un avantage sélectif certain en leur permettant d’utiliser le réservoir de nucléotides de l’hôte. Mais qu’en est-il des virus géants ? Tout porte à croire que ces phénomènes épigénétiques sont présents chez eux aussi. D’abord parce que certains de ces virus codent leurs propres histones [ 7 ], susceptibles d’être modifiées, mais surtout nombre d’entre eux possèdent plusieurs MTases.

Dans un travail récemment publié dans la revue Nature Communications , nous avons exploré cette possibilité en analysant l’épigénome de nombreuses familles de virus géants, tous capables d’infecter les amibes du genre Acanthamoeba [ 8 ]. Pour ce faire, nous avons utilisé les techniques récentes de séquençage en temps réel sur molécule unique ( single-molecule real-time sequencing , SMRT). En plus de la séquence nucléotidique, cette approche donne accès à l’état de méthylation du génome au nucléotide près [ 9 ]. L’analyse de l’épigénome de 11 virus géants différents provenant de six familles distinctes a révélé que la méthylation de l’ADN est très répandue chez ces virus. En effet, huit de ces virus présentent des positions génomiques méthylées et codent les MTases associées.

La nature des modifications mises en évidence est toutefois surprenante. L’ADN des virus géants possède des bases modifiées de type 6-méthyladénine et 4-méthylcytosine, généralement retrouvées chez les procaryotes, tandis que l’ADN des eucaryotes contient des modifications du type 5-méthylcytosine. Comment expliquer alors la présence de modifications typiquement bactériennes dans des génomes de virus d’eucaryotes ? L’histoire évolutive des MTases virales permet de l’expliquer. Celles-ci sont toutes d’origine procaryotique, acquises par transfert horizontal de gènes. Ce type d’événements est souvent évoqué chez les virus, qui auraient tendance à « dérober » les gènes de leurs hôtes pour en tirer profit. Dans ce cas le larcin ne concerne pas l’hôte eucaryote, mais des bactéries. Les amibes sont fréquemment associées aux bactéries dont elles se nourrissent, ce qui explique probablement ce type de transfert. Notre travail a également mis en évidence des échanges de MTases entre les virus géants et leur hôte amibien, mais dans le sens inverse, c’est-à-dire du virus vers l’hôte. Plus intrigant encore, l’échange de MTases a lieu entre virus de familles différentes, qui semblent donc s’échanger cette « recette » pour améliorer leur valeur adaptative. En effet, une fois les MTases acquises, elles ont tendance à être conservées et subissent une forte pression de sélection (du type sélection négative, ou purificatrice).

Reste à comprendre la fonction des MTases chez ces virus. Notre travail à mis en lumière différentes interactions. Certains Marseilleviridae , tout d’abord, possèdent des MTases systématiquement associées à des REases, formant ainsi des systèmes R-M complets. Il aurait pu s’agir encore d’un moyen de dégrader l’ADN de l’hôte, mais ce n’est pas le cas. L’ADN cellulaire reste intact au cours de l’infection. En revanche, l’expression de la REase permet au virus de dégrader l’ADN d’un autre virus entrant en compétition lors d’une co-infection ( Figure 1B ) . Rappelons que les virus sont les entités biologiques les plus abondantes sur terre, et on sait que dans l’environnement, les infections multiples d’une cellule sont très fréquentes [ 10 ]. Par la suite, l’expression de la MTase du système R-M, embarquée dans la capside virale, permettrait au virus de protéger son ADN lors de l’infection de la cellule suivante en empêchant qu’il soit dégradé par sa propre REase.

Contrairement aux Marseilleviridae , la plupart des virus géants ne possèdent pas de système R-M mais des MTases dites « orphelines », sans REases associées. Dans ce cas, il pourrait encore s’agir d’un système de protection lors de co-infections virales, car un virus ne possédant que des MTases orphelines peut tout de même se protéger contre les systèmes R-M d’autres virus ( Figure 1C ) . Par ailleurs, les amibes abritant une faune importante de bactéries intracellulaires diverses, les MTases confèreraient alors aux virus géants qui en sont pourvus un moyen de défense efficace contre ces compétiteurs.

Nos travaux mettent en évidence le rôle de la méthylation de l’ADN dans différentes interactions complexes entre les virus géants et leur environnement (la cellule hôte et d’autres microorganismes pathogènes), notamment par le biais de systèmes d’attaque et d’auto-défense. Ces résultats ont été obtenus sur des virus isolés et purifiés, permettant de construire des hypothèses et de décrire les mécanismes en jeu. Mais les quelques virus géants que nous avons étudiés ne fournissent qu’une image incomplète de la grande diversité de ces virus dans l’environnement. Les techniques de séquençage donnant accès aux modifications épigénétiques permettent désormais une profondeur de séquençage suffisante pour étudier des virus géants non isolés, au sein d’échantillons complexes. Ces données « méta-épigénomiques » devraient prochainement fournir des informations sur la présence de modifications épigénétiques de ces virus dans l’environnement. Les virus géants portent de nombreux gènes qui modifient le métabolisme de la cellule infectée. Ces processus ont un impact jusqu’au niveau des cycles biogéochimiques 1 . Il serait intéressant de voir comment l’épigénome des virus géants contribue à ces phénomènes.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 En écologie et plus généralement en sciences de la Terre, un cycle biogéochimique est le processus de transport et de transformation cyclique d’un élément ou composé chimique entre les grands réservoirs que sont la géosphère, l’atmosphère, l’hydrosphère, dans lesquels se retrouve la biosphère.
References
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Claverie JM , Abergel C . Les virus géants : état des connaissances, énigmes, controverses et perspectives. . Med Sci (Paris). 2016; ; 32 : :1087. – 1096 .
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Munson-McGee JH , Peng S , Dewerff S , et al. A virus or more in (nearly) every cell: ubiquitous networks of virus-host interactions in extreme environments. . ISME J. 2018; ; 12 : :1706. – 1714 .
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Agarkova IV , Dunigan DD , Van Etten JL . Virion-associated restriction endonucleases of chloroviruses. . J Virol. 2006; ; 80 : :8114. – 8123 .