Réduction des dommages associés à la consommation d’alcool
III. Réduction des risques et des dommages, et stratégies de prise en charge des consommateurs

2021


ANALYSE

Préambule : la réduction
des risques et des dommages

La réduction des risques et des dommages (RDRD) s’est développée dans le champ des substances illicites puis licites, comme technique ou postulat afin d’éviter une aggravation de la santé des usagers, ou de diminuer les probabilités de survenues de pathologies.
Il s’agit d’une dimension pragmatique de santé publique qui rompt avec la condamnation des consommations et des consommateurs.
Initialement, la RDRD est apparue en réponse à l’épidémie du Sida, et les pays européens se sont engagés progressivement et de façon inégale dans cette modalité d’intervention1 . Elle s’installe dans le paysage français grâce à de nombreux professionnels et à des textes réglementaires ou législatifs qui délimitent son champ d’intervention. La loi no 2016-41 du 26 janvier 2016 dite de Modernisation du Système de Santé renforce le principe en dépassant le risque infectieux et inscrit la RDRD dans la lutte contre toutes les conduites addictives.
En effet, l’article L. 3411-8 du Code de la santé publique définit la politique de réduction des risques et des dommages en direction des usagers de drogue. Elle « vise à prévenir les dommages sanitaires, psychologiques, et sociaux, la transmission des infections et la mortalité par surdose liés à la consommation de substances psychoactives ou classés comme stupéfiant ». Ce texte constitue une évolution par rapport à la précédente loi de santé no 2004-806 du 9 août 2004 car la réduction des risques et des dommages ne se limite plus aux seules substances illicites et s’ouvre notamment au tabac, à l’alcool, etc.
En France, le concept de prévention est traditionnellement défini par l’addition de trois notions distinctes, qui sont adaptées à l’action envisagée sous l’angle de l’évolution des parcours de consommation : de la prévention primaire (ensemble des actions visant à empêcher les expérimentations, la survenue d’une dépendance, ou des pratiques à risque) pour un public non consommateur ou n’ayant pas de pratique à risque ; en passant par la prévention secondaire (regroupe les actions visant à intervenir précocement afin d’éviter un engagement dans une consommation à risque ponctuelle et/ou chronique et d’éviter le développement d’une dépendance) pour des consommateurs à risque faible ; jusqu’à la prévention tertiaire (rassemble les actions visant à réduire les dommages ainsi qu’à faciliter l’accès aux soins spécialisés) chez les consommateurs à risque et les personnes dépendantes.
Ici, l’idée est de considérer la réduction des risques sur le continuum des problèmes liés à l’alcool tout en gardant à l’esprit qu’il y a une distinction entre consommation à risque pour la santé et dépendance à l’alcool.
Pour l’ensemble des parcours de consommation, le contact avec un professionnel de premier recours est le premier objectif. La RDRD se conçoit comme une prévention – et des interventions – au cours et tout au long du comportement de consommation, ce qui implique des adaptations et des techniques différentes selon les temps de vie de l’usager (qu’il s’agisse d’un consommateur à risque avec ou sans dépendance). Ainsi, « la réduction des risques n’est pas anti abstinence ».
Plusieurs concepts ont été développés, tel que le gradualisme qui construit un pont entre les différentes postures de prise en charge. « L’approche gradualiste est un enrichissement mutuel entre l’abstinence et la RDRD en mettant l’accent sur les forces respectives et la complémentarité de ces deux paradigmes ».
Cette RDRD aujourd’hui est essentiellement basée sur une réduction des consommations. En effet, de très nombreuses études convergent pour démontrer les bénéfices majeurs sur le plan somatique, psychologique et social d’une réduction de la quantité d’alcool absorbée. La demande de sevrage n’est plus une condition suffisante pour être soigné et aller mieux.
Limiter la disponibilité des boissons alcoolisées fait partie de la panoplie des outils de réduction. Elle relève d’une série de mesures politiques ou techniques qui sont globalement efficaces et bénéficient du suivi d’indicateurs pertinents tel que le nombre d’accidents de la voie publique diminuant avec l’alcoolémie.
Sur le plan thérapeutique, la réduction des consommations est obtenue grâce à différentes techniques et des méthodes d’entretiens, ciblant en particulier la quantification précise des boissons absorbées, et la fixation d’objectifs réalistes, adaptés aux possibilités des personnes. Des médicaments peuvent être prescrits. Les usagers sont partie prenante de cette technique et de ces objectifs.
Pour cela, ils doivent être suffisamment informés de l’intérêt et des perspectives de la RDRD, et être accompagnés par des professionnels formés et engagés dans cette pratique.
L’accompagnement individuel permet aussi d’aborder en consultation les « manières de boire » tels que les horaires, les rituels, etc. et de définir des projets individualisés. C’est une façon importante de réaliser des interventions de RDRD adaptées à la vie réelle, mais l’évaluation de leur efficacité, même si elle est constitutive de la RDRD2 , est complexe.
Cette RDRD présente des limites d’une part et une extension particulière pour les publics les plus précaires d’autre part.
Dans plusieurs situations cliniques, même s’il n’est jamais inutile d’interroger les usages, les consommations, même faibles, sont déconseillées : certaines pathologies psychiatriques ou somatiques, les troubles cognitifs sévères, les personnes constatant une perte de contrôle à la moindre ingestion d’alcool. De même, certaines populations tels que les travailleurs sur des postes à risques, les femmes enceintes, les personnes recevant certains traitements médicamenteux, les mineurs ne doivent pas se voir conseiller une consommation modérée.

Le cas particulier de la dépendance

La prise en compte de la dépendance à l’alcool (« le combat contre l’alcoolisme ») ou des usages à risques, s’est appuyée pendant 50 ans sur l’abstinence, les groupes de type « alcooliques anonymes », et quelques rares médicaments. À partir des années 70, une quête de postures différentes et efficaces, et le constat de la possibilité d’un soin chez des personnes hébergées avec une consommation contrôlée (travaux de Linda et Marc Sobell en 1973), ont progressivement permis de concevoir et construire une RDRD spécifique alcool avec 3 objectifs : 1) réduire les dommages liés à l’usage d’alcool ; 2) proposer une alternative à une approche « zéro tolérance/zéro consommation » en lien avec les besoins de l’individu ; 3) promouvoir l’accès à des services proposant un accompagnement alternatif aux services traditionnels.
Cette méthode ne s’est pas imposée d’emblée : le modèle médical définissant à l’époque « l’alcoolique » dans un « processus d’autodestruction », et s’appuyant au niveau thérapeutique exclusivement sur le sevrage, a longtemps nié les possibilités inhérentes à la RDRD.
À l’inverse, chez certaines personnes particulièrement marginalisées, sans hébergement, consommant des alcools non comestibles ou dans des conditions dangereuses, et étant dans l’incapacité de limiter leurs usages, le fait de créer ou de maintenir du lien et de prioriser la « mise à l’abri » amène à proposer de façon organisée (à l’image des MAP canadiens « managed alcohol program ») des boissons dont la quantité, le type et les heures sont convenus. Cette RDRD n’évolue pas dans le champ de la réduction, mais bien dans l’aide à l’aménagement des consommations, dans une prévention des accidents liés à des alcoolisations dangereuses, chez une personne isolée par exemple. Les bénéfices évalués sont sociaux et non addictologiques. Ce type d’intervention pourrait se développer dans d’autres lieux d’accueil (CSAPA3 , CAARUD4 ...) à condition d’une évaluation solide des conséquences sur le système, les soignants et les autres patients.
La RDRD en matière d’alcool est donc une évolution majeure dans l’accueil des personnes ayant une consommation qui peut aller de la consommation à risque jusqu’à la dépendance ; elle comporte des propositions thérapeutiques et un accompagnement. Elle exige d’aller vers des usagers, de tenir compte de leurs compétences et de leurs choix ; les méthodes utilisées – d’efficacité différente selon que l’on soit consommateur à risque ou dépendant – sont complémentaires des outils de sevrage, et mises en Ĺ“uvre dans des temps différents du parcours d’une personne donnée.
À l’échelon de la société, les consommateurs à risque sans dépendance présentent une morbidité et des coûts très supérieurs à ceux des dépendants. Dans ce groupe, les mesures structurelles sont efficaces, le repérage et l’intervention brève également. Ils représentent 20 % des français, ont une consommation d’alcool qui peut mettre leur santé en danger mais n’ont pas les critères de dépendance.
Un des objectifs de cette expertise collective est alors d’inscrire la RDRD dans le champ de l’alcool en France. À l’instar des drogues illicites (et certainement de manière non programmée par les pouvoirs publics pour le tabac avec l’apparition de la cigarette électronique), il s’agit d’ériger, avec une RDRD de l’alcool, un pilier transversal vecteur d’une politique de prévention, de prise en charge et d’application de la loi contre l’alcool en France.

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